mercredi 30 mai 2018

Editorial 755


Quand le Président Mohamed Ould Abdel Aziz annonce les réformes qui doivent fonder à ses yeux un ordre nouveau, il ne pense pas un instant que la plus grande résistance viendra de son camp.
Le 3 mai 2016, Néma grouille de monde et tous les hauts responsables ont voulu donner la preuve de leur allégeance et de leur engagement en sonnant le tocsin du rassemblement.
Pourtant, les premières réformes n’interviendront effectivement qu’avec le référendum du 5 août 2017. Quinze mois après l’annonce.
A cause des manifestations hostiles au projet ? des activistes ? des menaces que cela pourrait faire peser ? de l’Opposition ? que nenni ! Juste parce que ceux qui devaient les mettre en œuvre ont travaillé pour les faire échouer, au moins les retarder et les rendre coûteuses dans l’espoir de les rendre impossibles.
Ce sont bien les tergiversations au sein de la Majorité et les hostilités déclarées en son sein qui allaient donner la radicalisation qui a abouti au vote du Sénat et au blocage qui s’en est suivi. Ce sont les expressions multiples, parfois de l’incompétence parfois de la mauvaise foi de certains hauts responsables, qui ont produit l’atmosphère qui a accompagné un moment qui aurait dû être «historique» et qu’on a finalement cherché à dépasser le plus rapidement possible. Sans en tirer les leçons évidentes et instructives.
Et vogue la pirogue…
Quand, bien après, la leçon a été tirée au moins pour le parti Union pour la République (UPR), le Président a tout de suite engagé un processus de réforme. Désignant une commission ad hoc qu’il a chargée de faire l’état des lieux et d’apporter les correctifs nécessaires à une redynamisation effective afin de permettre au parti de faire face aux échéances futures. L’objectif étant de créer un parti «réel» qui a son discours, son programme, son projet de société, ses militants, ses cadres, ses sources de financement, ses structures légitimes, son personnel dévoué… un Parti qui peut survivre à un homme, à une époque.
Pas le Parti du peuple mauritanien (PPM) qui n’a pas survécu au pouvoir qu’il servait. Pas le Parti républicain, démocratique et social (PRDS) qui a disparu avec «son» régime. Pas Adil, déserté dès la chute de ses promoteurs.
Encore une fois, la volonté du Chef aura été sabotée. Parce que le personnel chargé de mettre en œuvre le processus de redynamisation et de normalisation du parti s’est plus occupé de se faire la guerre. Les égos surdimensionnés ont donné des ambitions incongrues. Alors que la compétence et l’intelligence pour réaliser ces folles ambitions n’était pas au rendez-vous.
Cela a donné la radicalisation dans les positionnements sociaux et cet engouement incontrôlé et suspect qui a accompagné l’adhésion puis l’implantation. Si bien que le processus est aujourd’hui dans l’impasse.
Arrêter l’opération à ce niveau, équivaut à déclarer la faillite du système politique en place. Parce que le parti au pouvoir aura été incapable de mener jusqu’au bout une opération qu’il déclarait lui-même «vitale» et «nécessaire». La responsabilité dans ce qu’il advient aujourd’hui est clairement située. Elle est à chercher du côté de hauts responsables qui veulent, chacun, faire main basse sur l’Appareil. Comme si l’objectif était de sortir «champion» en se faisant des muscles sur le dos du système qu’on torpille.
Continuer l’opération pour désigner (ou élire) les instances, c’est construire sur le faux. Ce qui a été obtenu par tel ou tel camp, dans tel ou tel lieu, ne reflète pas forcément le poids du parti. Prenons un exemple : Arafat, département Nouakchott Sud et fief jusque-là des islamistes de Tawassoul.
A Arafat, la campagne d’implantation a abouti à la mise en place de 565 cellules de base, soit 27.250 adhérents effectifs. Il faut savoir qu’aux dernières élections municipales, l’UPR a obtenu 3524 voix au premier tour d’un total de 20106 votants. Que durant le référendum d’août 2017, grand rendez-vous pourtant, il n’y a eu que 14.746 votants sur un total de 43.601 inscrits, soit un taux de participation de 33,82%.
Et, plus significatif, l’UPR a obtenu sur la Liste de Nouakchott aux Législatives de 2013, un total de 16.840 voix soit 15,20%.
A vous de juger du crédit qu’il va falloir donner à cette campagne d’adhésion…
Une campagne qui a absorbé les énergies et les attentions. Faisant oublier le renouveau du discours politiques et la préparation des échéances électorales qui arrivent.
Qui va en payer le prix ?

UPR : Le Gouvernement plombe la réforme


Au début était la volonté politique et l’ambition personnelle du Président de la République de réformer l’Union pour la République, un parti au pouvoir qui a fini par devenir un poids difficile à porter.
Il y eut d’abord la création de la commission chargée d’évaluer la situation du parti et de proposer un plan de redynamisation pour permettre d’une part de normaliser la situation des instances dirigeantes et d’autre part préparer les élections futures en donnant au parti toutes les chances de réussir l’épreuve.

Egoïsmes puissants

La composition de la Commission a d’abord été expliquée par la volonté de puiser chez les cadres les moins engagés dans les querelles intestines, dans la jeunesse et dans la proximité du Président de la République. Une explication qui a sauté dès les premières manœuvres. Il s’est avéré en effet qu’au sein de la Commission ad hoc, allaient s’exprimer les ambitions les plus folles et les querelles les plus élémentaires.
Il suffit de remarquer qu’au sein de la Commission siègent trois chefs de factions de la Wilaya du Brakna : Moktar Ould Diaye, Diallo Mamadou Bathia et Mohamed Ould Sweydatt. Il suffisait ensuite de s’attarder sur la fougue du jeune Ould Diaye pour savoir qu’il allait immédiatement tenter de faire main basse sur le parti en donnant à la réforme le sens qu’il voudra.
Le ministre de l’économie et des finances tient effectivement les rênes financières et administratives qui lui permettent de mobiliser, de s’approprier, d’accaparer le processus ici et là. Il est le seul à pouvoir recruter, obtenir des émoluments pour celui-là, nommer celui-ci à un poste, à accorder des faveurs… toutes les administrations du pays ayant perdu leur autonomie dans la gestion quotidienne au profit du ministre de l’économie et des finances. Tout ce qui sort de ses «compétences» revient au Premier ministre qui en use allègrement pour servir aussi ses desseins politiques.
Le territoire national a été, ces dernières semaines le théâtre des affrontements entre les responsables de la haute administration : le Premier ministre, les ministres (économie, hydraulique, énergie, défense, équipements…), du Directeur général de la Sûreté, du Chef du contre-espionnage… Comme si ces responsables n’avaient d’autre souci que celui de s’assurer un maximum d’unités UPR dans ce qu’ils considèrent être leurs fiefs.
Pourtant, l’objectif de cette implantation n’a jamais été de savoir le poids de l’enracinement de quelques hommes qui n’existent que par leurs fonctions actuelles.

Etat des lieux alarmant

Quand le Président Mohamed Ould Abdel Aziz est descendu dans l’arène pour donner un coup de main à la Commission qu’il avait nommée et à laquelle il avait confié l’évaluation et la redynamisation de l’Union pour la République, il avait été clair dans les objectifs fixés. Le parti revenait de loin.
Fondé le 5 mai 2009, au milieu de la crise politique ayant déchiré le pays à la suite du coup d’Etat du 6 août 2008, l’Union pour la République a été conçu pour être l’un des pôles impliqués dans le dialogue de Dakar qui devait aboutir à un accord politique entre ce pôle et les deux autres : celui du Front national pour la démocratie et l’unité (FNDD) et celui du Rassemblement des forces démocratiques (RFD). Accord politique aboutissant à la mise en place d’un gouvernement d’union nationale chargé de superviser une élection présidentielle et donc de gérer une courte période de transition.
Le 4 août 2009, le parti tenait son congrès devant lequel, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz, fraichement élu, annonçait solennellement sa démission comme le stipule la Constitution. Et en juillet 2010, le Congrès ordinaire de l’UPR se tenait. C’est ce congrès qui permit l’élection des instances du parti, notamment de son premier président Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Lemine. Premier et… dernier congrès «ordinaire» d’un parti qui ne cessera de remettre à plus tard ses rendez-vous. Vont se succéder des réunions du Conseil national transformées pour le besoin en congrès extraordinaire.
Le congrès extraordinaire du 5 mars 2014 permet la désignation de Isselkou Ould Ahmed Izidbih à la tête du parti. Puis celui du 6 septembre de la même année qui ouvre la voie à Me Sidi Mohamed Ould Maham. Trois présidents dont un seul est issu d’un processus «ordinaire». Plusieurs tentatives de «normalisation» sans résultat. Entre la défiance du Président vis-à-vis du parti et l’indiscipline voire l’hostilité du gouvernement à son égard, l’UPR est incapable de jouer le rôle de locomotive politique lors des grands rendez-vous comme le référendum du 5 août 2017. C’est le gouvernement qui lui ravit la vedette à la suite du camouflet qu’on sait.
Pour ratisser large, la Commission lance des journées de réflexion ouvertes par le Président de la République qui fixe les termes de référence de l’opération. Sur la situation, tout le monde est d’accord pour dire que le parti est un corps malade. Sur la redynamisation, deux axes sont prioritaires : celui du discours politique et celui du renouvellement des instances pour leur donner la légitimité nécessaire. Bien sûr un atelier sera consacré au financement du parti, un autre au fonctionnement…

Recherche Redynamisation désespérément

Le temps pressait parce qu’il fallait tout finir dans les délais permettant de bien préparer les échéances électorales futures. C’est naturellement le processus d’implantation qui s’enclenche immédiatement parce que le parti l’avait envisagé en 2016 et, pour ce faire, avait déployé les outils techniques nécessaires.
Les deux premières phases de l’implantation viennent de se terminer et à chacune de mauvaises surprises attendaient.
A la phase adhésion, l’UPR a dû faire face à une affluence qui a donné un résultat inattendu : la barre du million d’adhérents est dépassée alors qu’on attendait 300.000. Cette affluence allait aussi «actualiser» d’anciennes querelles tribales savamment manipulées par les marionnettistes qui opèrent depuis les bureaux de la haute administration à Nouakchott.
Mais c’est la phase de l’implantation des structures de base (unités) qui allait radicaliser les hostilités. Les deux phases apparaissant comme une primaire au sein de l’UPR. C’est que le discours entretenu par le ministre Ould Diaye sur les réseaux sociaux, affirmait que tous les choix qui seront faits le seront désormais en fonction de «la représentativité effective» de chacun sur le terrain. Dans une atmosphère délétère caractérisée par la possibilité de s’affronter «sans oublier qu’on appartient au même parti». Affrontez-vous, rappelez-vous après que vous êtes de la même formation politique…
Les divergences n’ayant pas de fondement «intelligent» - ce n’est pas la différence dans les points de vue, ni dans les orientations politiques, ni dans les choix économiques, ni dans la vision des problématiques sociales et de leurs solutions -, ce sont les ressentiments personnels et donc les égos qui les nourrissent.
Le discours politique ? Personne n’en parle. Le programme pour les futures élections ? Personne n’en parle non plus. Ce sont les guerres de positionnement qui l’emportent et qui occupent. Si bien qu’on peut conclure à un échec de l’entreprise d’assainissement engagée il y a quelques mois.
Même le déroulement des opérations d’implantation ne satisfait personne. Du coup, la légitimité voulue au début par la volonté affichée de transparence, est altérée.
Le cafouillage occasionné par les querelles de factions empêche de voir clair dans le poids électoral des acteurs. A quelques mois des premières échéances, l’UPR risque fort de faire le pire des choix. Et d’en récolter les conséquences.
Lors de sa réunion de samedi dernier (26/5), la Commission ad hoc a décidé de reprendre les opérations de désignation des structures seulement au niveau de Nouakchott et Nouadhibou, de laisser l’intérieur jusqu’au 20 juin. Elle aurait aussi décidé de commencer tout de suite à faire ses choix pour les candidatures aux élections. Selon certains de ses membres, cela permettrait de vider immédiatement les querelles et de savoir qui est effectivement avec le parti quelque soient ses choix.
Dans quelques jours donc, l’UPR sera obligé de finir ce qu’il a commencé. Il gagnera au moins le pari d’avoir organisé un Congrès ordinaire. S’il y arrive.

Ould Oumeir

Editorial 754


Le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) a réitéré sa volonté de participer aux élections futures. Il a même promis la débâcle au parti au pouvoir. C’est son droit d’avoir les ambitions les plus improbables. On ne peut pas reprocher à ce conglomérat d’opposants de promettre une défaite cuisante à ceux qui sont au pouvoir.
Par contre, on peut et on doit leur reprocher de demander la dissolution de la toute nouvelle Commission électorale indépendante (CENI). Non pas, comme l’a dit quelqu’un, parce qu’il s’agit là d’une proposition d’enfreindre les lois de la République. Non pas, parce que le FNDU révèle ici son incapacité à accepter tout ce qui ne vient pas de lui. Non pas parce que le FNDU n’a plus de conditions à poser depuis qu’il a décidé de participer sans préalables…
Mais parce que le FNDU en demandant la dissolution de la CENI, suggère un nouveau processus qui demande du temps… du temps... du temps…
Le temps qu’on n’a pas vu venir. Le temps qu’on n’a pas vu passer. Le temps qu’on n’a pas su vivre.
Si le processus est repris, ce sont toutes les dates déjà envisagées qui sautent. Celles des Législatives et des locales. Mais aussi celle de la présidentielle. Du coup, c’est le risque de voir naitre un cycle nouveau qui peut mener n’importe où sauf à la tenue des échéances dans les délais prévus par la loi.
C’est peut-être ce qui est recherché par le FNDU. Une «tactique» quelques fois utilisée sans visiblement de résultats.
Quand les trois pôles politiques signent rapidement l’accord de Dakar, ils pensent pouvoir agir sur les délais. Pour eux, il suffit de trainer le processus prévu pour arriver aux délais incompressibles et impossibles à respecter. C’est la bataille autour du décret de convocation du collège électoral pour le 19 juillet 2009. Si les uns considèrent encore aujourd’hui qu’il s’agit là de la rupture de contrat, c’est bien parce qu’ils avaient tout calculé pour arriver justement au blocage dû aux délais.
Quand la Coordination de l’opposition démocratique demande le report des sénatoriales en 2011 pour permettre sa participation au dialogue en perspective, c’est bien pour aboutir au résultat qui a fini par être : la péremption des institutions. Si bien qu’il a fallu au pouvoir imposer au Conseil constitutionnel de transgresser la loi pour trouver une formule permettant de faire avec l’illégalité.
Certains acteurs politiques ont toujours fait du temps un facteur de défaite du protagoniste. C’est ce qu’ils tentent aujourd’hui. Pousser le Président Mohamed Ould Abdel Aziz à l’erreur. Le plus simple et le plus improbable, c’est de différer les échéances.
On peut dire aujourd’hui qu’il n’y a que les ennemis de l’homme qui cherchent à lui faire des tours pour empêcher son départ en 2019. Mais lui sait où est son intérêt.
Comme il l’a prévu lui-même – et de lui-même – il respectera les termes de la Constitution et de son serment.
Comme il l’a promis, il mettra en place un dispositif qui empêchera les retours en arrière. Les niveaux atteints en matière de liberté d’expression, en matière de capacité de critiques, d’émancipation pour le Mauritanien, de la maîtrise de l’Etat civil, du recentrage de la diplomatie… et surtout de la sécurité et de la stabilité, ces niveaux-là ne doivent plus être remis en cause.
Comme il l’a entamée, la marche vers la Modernité devra se faire avec plus d’assurance, plus de force. Pour ouvrir la voie à plus d’égalité, plus de justice et plus d’équité.
Les rendez-vous de 2018 fondent la Mauritanie de demain. Et quoi qu’on dise, ils s’annoncent plutôt prometteurs. Si les chefs et leaders de formations politiques sont à la tête de la course électorale, nous aurons au moins une Assemblée nationale représentative et inclusive. Alors que les conseils régionaux et les municipaux balayeront le spectre de la diversité.

Terrorisme : AQMI fait peur au Sahel… …ce n’est pas nouveau


C’est dans un communiqué publié la semaine dernière (samedi 8 mai) à travers ses réseaux habituels, qu’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) a menacé de s’en prendre aux sociétés occidentales particulièrement françaises qui viendraient s’installer au Sahel. Avec une mise en garde aux Musulmans de ne pas s’approcher des lieux où sont implantées ces sociétés désormais ciblées par les attaques.

AQMI, mouvement de libération ?

Si les spécialistes installés en Occident y voient une nouveauté, ce n’est pas le cas des experts en matière d’organisations terroristes ressortissants de la région. Même si tous sont d’accord pour prendre au séreux une telle menace. Mais là où les analystes ne sont pas d’accord, c’est quand il s’agit d’apprécier s’il s’agit ou non d’une nouvelle démarche d’AQMI.
Dans un document retrouvé dans les décombres de Tombouctou après la fuite des jihadistes et publié par la presse en février 2013, Abdel Melik Droudkal, le chef AQMI donne sa vision de ce que doit être la bataille au Sahel. Le 18 mars 2012, il adresse une lettre à cet effet aux différents chefs des Katibas qui tentaient alors de s’installer définitivement dans le Nord du Mali pour en faire un sanctuaire à partir duquel ils peuvent essaimer sur l’ensemble de l’espace sahélo-saharien.
On était déjà en pleine action de rébellion dans la région. Touaregs du MNLA (mouvement national de libération de l’Azawad) et ceux de Ançar Eddine avaient déjà entamé la prise des grandes villes du Nord, ensemble ou pas. La lettre de 9 pages dactylographiées, est un peu le compte-rendu de la 33ème session du Conseil de la Shura de AQMI. Il s’agit d’un précis visant à cadrer l’action des organisations jihadistes dans le tumulte qui va suivre. Le précis découle de «la nécessité d’établir un plan pour commander et contrôler le Jihad» dans la région.
Le principe est de se servir d’autres groupes dont l’engagement «islamiste» est moins prononcé. Pour ce faire prendre en charge leurs revendications. Quitte à reprendre les choses en main plus tard.
Le chef suprême de AQMI recommande la prudence et le sens de la mesure. «Nous devons prendre en compte l'environnement local qui rejette un islam trop rigoureux». Avant de critiquer l’application stricte de la Chari’a dans un environnement hostile et la destruction des mausolées. Il critique aussi la guerre qui couvait entre Ançar Eddine et le MNLA, intimant à ses partisans l’ordre de privilégier la coordination des actions avec les groupes locaux pour permettre une meilleure insertion sociale des combattants et une plus grande prise en charge de leurs revendications et donc l’adhésion des populations.
«Il nous faut, écrit-il, planter juste quelques graines dans un sol fertile qui, grâce à des engrais, deviendront un arbre stable et vigoureux». Termes sibyllins pour définir une stratégie mise en œuvre sans fracas. «Mieux vaut apparaitre comme un mouvement local avec ses propres causes et ses préoccupations. Nous n’avons aucune raison de mettre en avant notre projet jihadiste et expansionniste». D’où le ciblage des entreprises occidentales, françaises en particulier, pour revendiquer la défense des populations locales qui voient leurs richesses pillées par des puissances anciennement coloniales.
C’est le sens qu’il faut donner à l’attaque sanglante d’Aïn Aminas en Algérie en janvier 2013. On se demandait à l’époque ce que voulait AQMI. Dans leur rhétorique officielle, ils mettent en avant la lutte contre l’ennemi dominateur, pilleur et impie, contre ses suppôts locaux au pouvoir ou non.
Alors que dans la vie de tous les jours, on les voit se mêler aux trafics les plus illicites : drogue, armes, personnes, cigarettes et même alcool. Et s’ils ont réussi leur insertion sociale dans cet espace sahélo-saharien, c’est bien parce qu’ils ont pu «accompagner», couvrir et promouvoir les activités qui font vivre les populations et qui sont nécessairement des activités illégales. Le rapprochement, voire la fusion avec les mouvements locaux comme Ansar Eddine, va donner la dimension de mouvement de libération nationale à AQMI qui ne défend plus seulement les populations mais aussi leurs richesses. D’où ce communiqué et plusieurs autres publiés pendant et après l’occupation du Nord du Mali par les Jihadistes.

Le communiqué n’apporte rien de nouveau

Le déploiement des forces internationales, notamment de la CEDEAO, n’arrive pas à cacher qu’il s’agit d’abord d’un engagement militaire de la France donc «d’une guerre française». D’ailleurs, le communiqué du 8 mai fait suite certainement à la reprise des activités des sociétés minières, notamment dans le domaine du pétrole, du gaz et des minerais précieux.
Quant à la présence de la Mauritanie, Mohamed Mahmoud Eboulmaaly, un grand spécialiste de la question, auteur de plusieurs ouvrages sur les mouvements jihadistes, relativise la menace. Il rappelle que les mouvements vont continuer à adopter la même attitude vis-à-vis de la Mauritanie : ne pas lui donner le prétexte d’intervenir en l’attaquant. C’est cet équilibre qui a été trouvé après la guerre menée par notre pays contre les mouvements jihadistes entre 2008 et 2012.
Les agressions commencent pour la Mauritanie le 4 juin 2005 quand le Groupe salafiste de combat et de prédication (GSPC) attaque la garnison de Lemghayti dans le nord-est et tue une quinzaine de soldats mauritaniens. L’Armée est incapable à l’époque de mener l’expédition punitive qu’elle envisageait. Cette faiblesse va encourager le GSPC devenu AQMI à mettre la pression sur la Mauritanie, jugée plus facile à conquérir pour en faire le sanctuaire.
Le 24 décembre 2007, quatre touristes français sont assassinés près d’Aleg. Puis le 27 décembre, une embuscade est tendue à une patrouille à Ghallawiya au nord du pays. Le 15 septembre 2008, 15 mauritaniens sont tués dans une autre embuscade à Tourine. Suivent enfin les enlèvements de ressortissants étrangers sur le sol mauritanien. Le pays donne l’impression de tomber sous l’autorité de bandes criminelles qui tentent de s’y installer.

Maintenir la Mauritanie hors du champ

C’est alors que la réaction mauritanienne est déclenchée. Des unités spécialisées sont montées et une action de reprise de l’initiative engagée. L’Armée est dotée des moyens nécessaires à faire face et va même, deux années durant, aller faire la guerre aux terroristes là où ils se trouvent : au Nord du Mali.
Les acteurs politiques mauritaniens crient à «la guerre par procuration», tandis qu’au Mali l’opinion est mobilisée contre les incursions mauritaniennes. D’ailleurs, l’entreprise guerrière de la Mauritanie est mal appréciée par les amis et alliés. L’aide est timide quand l’hostilité n’est pas franche. Mais les expéditions réussies de l’Armée mauritanienne en plein territoire malien portent leur fruit pour le pays.
La peur change de camp : ce sont désormais les terroristes qui ont peur de voir surgir les groupes spéciaux d’intervention (GSI), unités mauritaniennes dédiées à la lutte contre le terrorisme. L’Armée mauritanienne réussit des coups d’éclat empêchant les terroristes d’installer des bases avancées à Wagadu, près de Tombouctou, à Léré… Là où ils finiront par pavaner quand ils cesseront de constituer une menace directe pour la Mauritanie et qu’ils décideront d’occuper le Nord du Mali.
Cette guerre punitive – et préventive – menée par la Mauritanie au moment qu’il fallait a convaincu les terroristes du danger pour eux de toute implication du pays dans une guerre contre eux. Un modus vivendi qui imposera une trêve : parce que les Mauritaniens n’iront en guerre que s’ils sont menacés par eux, les terroristes préfèrent s’abstenir.
Effectivement, la Mauritanie ne participera pas à la reconquête engagée par la France qui a réussi à entrainer dans son sillage la CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne et même les Nations-Unies. Pour une raison stratégique et morale.
D’une part, on lui a proposé d’envoyer des troupes à Douenza, de l’autre côté du Mali, loin, très loin des bases arrières de son Armée. D’autre part, entrer dans cette guerre sans résoudre les aspects qui relèvent des problèmes intérieurs maliens, c’est risquer de se voir impliqué dans ce qui allait prendre l’allure d’une guerre civile. Impossible donc d’y prendre part aussi facilement pour tirer sur des populations qui ont des liens socio-historiques profonds avec les Mauritaniens.
Pour Mohamed Mahmoud Eboulmaaly, le fait de citer la Mauritanie aujourd’hui dans le communiqué relève plus de la nécessité «géographique» (dire les limites du Maghreb islamique) que de la volonté de rompre la trêve non dite. Pour lui donc, il n’y a pas plus d’inquiétude que par le passé.
Mais est-ce suffisant pour rassurer ceux qui ont les financements et les moyens d’exploiter les ressources des pays concernés ? Rien n’est moins sûr.

Ould Oumeir