vendredi 15 mai 2015

Le vrai problème

C’est une discussion provoquée par un ami qui interpellait l’un de nos médecins de retour d’un stage à Dakar. «Mon frère, dis-moi quelles différences as-tu perçues entre la médecine exercée en Mauritanie et celle exercée au Sénégal ?»
Le médecin regardé longtemps son interlocuteur avant de lui répondre : «La différence à mon avis ne se situe pas au niveau de la pratique médicale encore moins du niveau des praticiens, pas non plus de la qualité des services… La différence fondamentale vient des malades eux-mêmes». Et d’expliquer : «A son arrivée, le malade mauritanien est déjà sous pression psychologique de ses accompagnants. Par leur comportement, ils le convainquent qu’il arrive à terme du processus qui le mène à la mort fatalement. Ils ne s’arrêtent pas à ce niveau.
Quand je commence à l’ausculter, il se trouvera toujours quelqu’un qui va souffler que je tiens mal les instruments. Quand je le couche sur l’un des côtés pour avoir une meilleure vision, quelqu’un dira que j’ai aggravé sa situation. Lorsque je prescris un premier traitement en attendant les analyses, un autre dira toujours que ce médicament est pourri avant de conclure que le docteur lui-même ne sait rien faire…»
La suite nous la connaissons. Il faut courir chercher un parent, même s’il s’agit d’un infirmier. Avant de demander que le malade soit évacué, si bien sûr ses parents ont la possibilité de prétendre à un tel luxe.
En fait, cette attitude de défiance n’est pas seulement causée par l’exercice de nos praticiens qui a fait perdre aux usagers la confiance dans notre système sanitaire. Elle vient aussi de cette tendance à croire que tout ce qui vient de nous est moins que rien. Si bien que les phrases la plus partagées dans nos milieux, des plus simples aux plus complexes, de l’élite à la masse, c’est bien celle-là : «Ce pays est maudit. On ne peut rien en attendre. Tfou !...»
Tout ce qui indique la méprise. De là à la haine, il n’y a qu’un pas qui est allègrement franchi par beaucoup d’entre nous.
La médiocratie – l’ensemble du personnel administratif et politique – qui a fait main basse sur le pays, non pas par le mérite mais par l’exercice politicien (et mafieux) des affaires publiques, veut bien nous faire croire que tous se valent, tous se ressemblent.
Les nouveaux moyens de communication sociaux sont venus s’offrir aux plus entreprenants pour imposer cette sinistrose qui règne désormais sur nous.
On en oublie que les marchands de malheur ne peuvent être des promoteurs de futurs meilleurs. Ceux qui nous désespèrent du présent nous installent dans une attitude définitivement craintive de l’avenir. Rien ne peut plus nous faire espérer en un avenir meilleur à force d’entendre ces discours nous annonçant l’apocalypse imminente (guerre civile, effondrement de l’Etat…).
Heureusement que nous résistons encore à cette noirceur qui veut, tel un linceul, nous ensevelir inexorablement. Heureusement que nous comprenons que c’est une manière d’excuser le manque de perspective chez ceux qui ont fait du mauvais présage une arme pour se faire une place. Dépeindre en noir notre situation, nous désespérer de ce que nous sommes, c’est nous obliger à croire que tout ce qui peut advenir est mieux pour nous. Et, plus grave, que tout ce qui est advenu était meilleur. Annihiler le passé, assassiner le futur, en noircissant le présent.