mardi 31 mai 2011

Des printemps arabes


«Le temps des printemps arabes», c’était le thème de la conférence introduite par le Professeur Bertrand Badie, éminent politologue français et grand connaisseur des évolutions du Monde Arabe.
Il a d’abord défini les soulèvements de Tunisie et d’Egypte comme des événements «exceptionnels», évoquant la complexité de trouver la formule exacte pour les qualifier : révolution arabe, mouvements sociaux, pour opter pour «le temps des printemps arabes». Il a ensuite démontré qu’il s’agit d’un mouvement de rupture d’avec le système classique. Dont la première manifestation est l’absence d’unité de temps, d’unité de lieu et d’unité d’action. Une trilogie qui a fait le classicisme.
Il a développé son argumentaire suivant trois axes :
-          Le temps social qui a été très fort et très dynamique. C’est lui qui a fait la révolution. Mais va-t-il s’articuler avec le temps politique ? C’est toute la question qui déterminera le devenir proche de ces révolutions. C’est une révolution qui s’est faite sans avant-garde, sans programme et sans doctrine. Première révolution post-léniniste, elle est une revanche des sociétés sur les systèmes politiques. Une sorte d’autonomisation de la société par rapport au joug du politique institutionnelle. Elle est pour cela sans précédent dans l’Histoire du Monde. Au moment où l’on croyait que l’ère des révolutions était terminée, voilà que les sociétés décrètent le passage en force en rompant avec la logique des Etats. Ce qui a été nouveau c’est la recréation et la redynamisation du lien social détruit par les autocraties.
-          Le temps politique devrait nécessairement arriver par la prise en charge des ruptures sociales. «Si le temps social ne débouche pas sur le temps politique, ce sera un gâchis». Le printemps arabe pourrait alors être «juste un mai 68 arabe». L’expérience de la Révolution française nous enseigne qu’il faut assurer le transfert du temps social vers le temps politique. Nous aurons alors besoin d’une pensée politique comme celle des Lumières qui a servi en 1789 (en fixant les objectifs politiques) et des élites fournies par les associations et le foisonnement social de l’heure. Le danger pour nos révolutions actuelles, c’est bien la tendance de vouloir produire une pensée politique qui cherche à «se réfugier dans les utopies régressives» comme la culture d’un passé=âge d’or. L’élection risque aussi de servir à reproduire le passé.
-          Le temps international nous amène à nous poser la question suivante : l’interférence du système international est-elle facteur de facilitation pour permettre l’articulation des temps social et politique, ou sera-t-elle simplement une manière pour ce système dominant de s’approprier le mouvement ? Trois phases dans les attitudes à relever dans le comportement du système international. Cela commence par la recherche de l’endiguement, comme au bon vieux de la politique du containment. La logique développée ici est que le mouvement pourrait déstabiliser la marche du Monde. Puis la politique dite de l’accompagnement qui a été portée par le discours du président Obama au Caire. Mais elle pose la question de savoir si une diplomatie de l’accompagnement est possible ? Enfin arrive la diplomatie de la substitution qu’on vit actuellement en Libye. Le système international – autant dire la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, pour le cas de la Libye – se substitue aux acteurs politiques arabes pour réguler et accélérer le devenir. Une révolution qui conduit à un tel processus devient une guerre. «La guerre est l’antisocial par excellence, la révolution est la quintessence du temps social», conclura Bertrand Badie. 

Le RFD adopte le CNT

C’est une conférence de presse d’exception, parce qu’elle a visiblement été décidée en catastrophe vu l’urgence du communiqué en faisant état. En milieu d’après-midi, le Rassemblement des forces démocratiques de Ahmed Ould Daddah annonce une conférence de son président. Urgent !
En fait c’était pour annoncer que le RFD et son président soutiennent (désormais) le conseil national de transition (CNT) des insurgés libyens. C’est une information et même une première. Tout comme les critiques acerbes formulées à l’encontre de Kadhafi. Tout cela est nouveau chez la plupart de nos politiciens.
Il faut rappeler que Kadhafi utilisait l’argent libyen pour soudoyer les acteurs politiques en Mauritanie, en Afrique et dans le monde en général. Des militants de l’IRA (Irlande) à ceux du Farabundo Marti d’Amérique Centrale, en passant par les mouvements d’opposition ou les pouvoirs en Afrique ou dans le Monde arabe.
Ici Kadhafi a commencé par fortement soutenir le Front Polisario dans sa version originelle de mouvement de contestation des pouvoirs en place en Mauritanie et au Maroc. Particulièrement en Mauritanie. Ce n’est pas par hasard si toute la pression a été exercée sur notre avec d’ailleurs une tentative de prise de pouvoir par l’attaque de Nouakchott en juin1976.
Puis vint l’épisode du financement des groupuscules nationalistes et, au même moment, des pouvoirs militaires successifs. Ce qui explique le mépris qu’il a toujours affiché pour le pays et pour ses dirigeants. Le «tozz vi muritaanya» qu’il a plusieurs fois lancé en est une manifestation. Le jeu démocratique lui permettra d’interférer dans le jeu. Financement de toutes les entreprises et de tous les entrepreneurs politiques. Si l’on excepte l’UFP – même si l’un de ses hauts responsables a déjà fait le voyage de Tripoli – et Tawaçoul, pas un parti mauritanien n’a échappé à la générosité de Kadhafi et de son système. Les comportements de ses envoyés – Ave’ el Madani, Moussa Koussa et autres – s’expliquaient par le fait d’avoir «alimenté» nos symboles politiques. Toutes les campagnes de ces dernières années se sont faites en partie avec de l’argent venant de Libye. Comprenons alors la complexité des positions de nos politiques et leurs hésitations…