lundi 3 août 2015

Dix ans déjà !

Il n’est pas question ici de revenir sur le déroulé des évènements du 3 août 2005. Nous savons depuis le début que l’acte était pensé et mis en œuvre par deux jeunes officiers – Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Ghazwani – qui ont dû recourir aux ainés d’une part pour faire passer le coup auprès de l’encadrement de l’Armée constitué essentiellement de vieux des comités militaires qui ont régné avant la démocratisation de 1992 et d’autre part pour rassurer l’establishment bien implanté dans les articulations du système.
Sur quand est né l’idée, nous savons désormais qu’elle a commencé à germer avec la répression qui a suivi la deuxième vague d’arrestations des sympathisants et parents des Cavaliers du Changement en août 2004. Les conspirateurs seront bousculés par les suites données à l’attaque de Lemghayti le 4 juin 2005. Cette agression déséquilibre militairement et surtout mentalement la tête du pouvoir. Les officiers doivent faire vite et le déplacement du Président en Arabie Saoudite est une occasion rêvée. Le reste suivra…
Mais le projet des jeunes officiers est vite compromis par les manœuvres dilatoires des pontes de l’establishment politique qui n’hésitent pas à manipuler, à instrumentaliser certains leviers du pouvoir pour faire de la transition et des offres de neutralité et de changement une simple promesse sans fondements sérieux.
L’appel au vote blanc lors des présidentielles de 2007 est une ultime tentative justement de déstabilisation et de remise en cause du processus. L’échec des forces centrifuges à perturber le processus à ce niveau, est vite pallié par la récupération réussie de ce qui sort des urnes.
Les manœuvriers politiques qui ont acquis un grand savoir-faire en matière de manipulation du pouvoir, arrivent à faire main-basse sur la présidence avant d’engager une bataille entre l’aile civile et celle militaire du pouvoir du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. De maladresse en maladresse, on arrive à la crise ouverte qui aboutit au limogeage des principaux responsables militaires puis au coup d’Etat qui n’est finalement qu’une étape du processus de la guerre ouverte entre les deux segments du pouvoir en place.
L’Accord de Dakar qui devait mettre fin à la crise politique n’est pas l’occasion de revenir sur les refondations engagées avec la transition de 2005-2007. Rien de cette période ne sera retenu. D’ailleurs, le pouvoir issu des élections s’acharnera contre cette transition et contre ce qu’elle a apporté de neuf et de nouveau. Comme si le souci premier de la classe politique était de maintenir le statu quo ante. Celui d’une scène où la passion l’emporte sur la raison et où les vrais problématiques du développement et de la démocratie sont occultées par les polémiques autour de la légitimité et de la légalité des uns et des autres. La recherche effrénée d’arrangements politiques va faire oublier aussi la nécessité pour l’élite politique de préparer l’avenir et d’asseoir les règles fondamentales de la démocratie : pluralisme, dialogue, ouverture, institutions efficientes… tout ce qui peut rétablir la confiance entre acteurs d’abord, ensuite chez le commun des Mauritaniens vis-à-vis du politique.
En dix ans, la Mauritanie aura fait de réelles avancées. Quoi qu’en disent les détracteurs du régime actuel, la liberté d’expression aujourd’hui n’a rien à voir avec l’avant 3 août 2005 ; avancée aussi sur le plan de la gouvernance économique avec notamment une meilleure gestion et une meilleure affectation des ressources ; affirmation plus forte des fondements de l’Etat citoyen (avec notamment la criminalisation de l’esclavage et le règlement même partiel de passifs qui ont lourdement pesé sur la cohésion nationale…) ; sécurisation des frontières et remise aux normes des forces armées nationales ; retour sur l’échiquier régional et international du pays…
Le 1er août 2005, je résumais ainsi la situation du pays : «Il y a 27 ans, l’Armée prenait le pouvoir pour «mettre fin au régime de la corruption», nous sortir d’une guerre coûteuse, redresser l’économie et engager un processus démocratique réel. 27 ans après, la corruption est devenue la valeur première, nous entrons dans une guerre qui n’est pas forcément la nôtre, l’économie ‘nationale’ n’existe plus pour être redressée et la démocratie reste une utopie pour nous. C’est essentiellement pour cela que nous craignons un autre coup d’Etat, un autre retour de l’Armée aux devants, d’autres promesses de lendemains meilleurs» (La Tribune N° 266 du 1er août 2005).
Regarder d’où l’on vient n’empêche pas de porter un regard critique sur l’après-3 août 2005. D’abord sur l’incapacité à apaiser les rapports, à rétablir le principe de la concertation pour mener la société – et le pays – vers plus de convergence, plus d’ouverture, plus d’implication des acteurs sociaux et politiques. Ensuite la promotion du mérite et l’abandon total et définitif des choix sur des bases subjectives tantôt d’origines, tantôt d’accointances. Enfin le renforcement des Institutions par le respect scrupuleux des textes et règlements en vigueur.
Pour conclure, ce rappel à l’ordre du dramaturge allemand Berlolt Brecht :
«Vous, apprenez à voir, au lieu de regarder
Bêtement. Agissez au lieu de bavarder
Voilà ce qui a failli dominer le monde.
Les peuples ont fini par en avoir raison.
Mais nul ne doit chanter victoire hors de saison :

Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la chose immonde»