lundi 1 juin 2015

Repenser, refonder

Au début des années soixante-dix, un cirque russe se produisit à Nouakchott. A l’époque, toutes ces manifestations étaient partagées par le gouvernement. A la fin du spectacle quelqu’un s’adressa au Président Moktar Ould Daddah pour jauger son impression. Très philosophe, le Président lui dit : «Ce qui m’a le plus captivé, c’est le funambule, celui qui marche sur une corde raide en transportant une barre, qui avance un pied, puis un autre en donnant l’impression qu’il allait à chaque fois basculer dans le vide. Et bien j’ai fait un parallèle avec la Mauritanie. Elle ressemblera toujours à ce funambule. Elle avancera tout en donnant l’impression qu’elle va faire une chute fatale, puis au bout de quelques efforts qui peuvent semblent surhumains, elle avancera un pied, puis un autre, et un autre… toujours dans une sorte de précarité dangereuse…» Mais elle avancera… sommes-nous trop pressés ? la Mauritanie est-elle trop lente dans son cheminement ? Les deux à la fois certainement.
Nous voulons tout avoir et immédiatement. Sans prix à payer, sans sacrifice à faire. Nous voulons d’un pays égalitaire, citoyen, juste, prenant en charge l’éducation de ses enfants, la santé de ses enfants, leur approvisionnement en eau et en énergie, leur assurant la sécurité et la prospérité. Immédiatement.
Mais que faisons-nous pour que le pays dont nous attendons tout, soit capable de nous offrir le cadre qu’il nous faut ? Nous refusons de respecter l’ordre : du simple code de la route à la Constitution, en passant par les lois et règlements qui régissent notre vie en commun et par le rang qui assure «premier venu, premier servi». Nous bafouons toutes les règles et nous prenons plaisir à le faire.
Nous refusons de croire à la possibilité d’avoir un cadre d’évolution qui sied pour tous. De nous regarder humblement et de traiter nos affaires entre nous. Nous refusons de compter les uns avec les autres. Nous refusons les échanges, le partage, la solidarité…
Quand le Président John F. Kennedy a voulu galvaniser les énergies de la jeunesse américaine au début des années soixante et changer la vision que ses compatriotes avaient d’eux-mêmes et qu’ils avaient du monde, il a dit : «Vous qui, comme moi, êtes Américains, ne vous demandez pas ce que votre pays peut  faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. Vous qui, comme moi, êtes citoyens du monde, ne vous demandez pas ce que les Etats-Unis peuvent faire pour le monde, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour le monde»
Le pays est lent, ou semble l’être, dans son évolution. Pourtant quand on regarde le chemin parcouru depuis 65 années, on est en droit de juger que nous sommes loin, et même très loin de notre point de départ.
N’oublions jamais que nous sommes partis d’une société fortement hiérarchisée, profondément inégalitaire, où la force faisait loi, où la naissance déterminait le destin, où les rapports étaient ceux de maitres à subordonnés, où la liberté de s’exprimer était l’apanage des plus nantis, où les possibilités de s’émanciper étaient inexistantes…
N’oublions jamais que le pire ennemi de l’Etat à construire dans les années 60 fut son élite et son incroyance à cette possibilité de voir naitre et se développer un Etat moderne. Les uns ont fui sa création vers les pays voisins qui revendiquaient le territoire, les autres ont mobilisé les forces traditionnelles pour contrecarrer le processus d’indépendance. En 1960, peu de gens, instruits ou non, croyaient en la Mauritanie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
La Mauritanie est un Etat reconnu sur le plan international. Un Etat qui offre un cadre d’émancipation et d’égalité, certes à parfaire, mais qui est là quand même. Un Etat qui a ses problèmes mais auxquels il cherche par lui-même à apporter les solutions adéquates. Il peut tergiverser, il peut balancer, il peut donner l’impression de basculer d’un côté ou de l’autre, il peut ne pas satisfaire tous les besoins de tous ses fils, mais c’est un pays qui existe et qui donne le mieux de lui-même. Encore cette question : qu’avez-vous fait pour ce pays pour lui demander tant ?

Le processus de dialogue (qui semble faire du surplace) est certainement aujourd’hui l’occasion pour tous les acteurs qui prétendent à vouloir le bien commun, de se rattraper. Il s’agira de converger vers une forme d’entente à même de renforcer la démocratie par le développement de ses outils, pour assurer la stabilité du pays et son développement. Dans un premier temps, ce qui est demandé aux politiques, c’est de trouver un terrain d’entente pour restaurer la confiance et repenser l’avenir. Puis, dans une seconde phase, de travailler pour les refondations nécessaires. Partir d’un vrai contrat social à même de prendre en charge les soucis majeurs de la Nation, d’en dessiner les contours pour sa mise en œuvre qui demandera du temps.