jeudi 19 avril 2012

Au pays du gâchis (4)

La route serpente les monts Wawa, des affleurements de la chaîne des Mauritanides, le plus vieux relief du monde. De part et d’autre s’étalent des plaines rocailleuses. Le sol est noir et n’importe quel souffle est prétexte pour que s’élèvent des nuages de poussières. Le goudron s’arrête brusquement. 
Pour aller à M’Boud, il faut finir en piste renforcée. On entre dans la ville sans s’en rendre compte. Pourtant on est dans l’une des plus vieilles villes de cette partie de la Mauritanie. C’est d’ici que l’administration coloniale a géré, pour quelques temps, les régions de l’Assaba, du Guidimakha, du Tagant (en partie)… pour faire plus simple, tout le pays Idaw’ish fut géré de M’Boud…
Mais M’Boud pour moi, c’est d’abord le pays qui a vu le poète Erebâne Wul A’mar Wul Maham souffrir les affres d’une prison qui va lui faire composer l’un des plus beaux poèmes dits en pays Bidhâne. Il y décrit son état de prisonnier obligé de transporter le bois pour le camp, dure épreuve pour ce chef traditionnel, prince du romantisme mauritanien. Etat qu’il semble mieux supporter que le fait de voir l’hivernage venir, les dépressions de M’Boud verdir, les bourgeons pousser… Parce que cette période-là signifie nécessairement que les campements Idaw’iish sont partis vers le nord lointain : le temps de fuir le sud et ses moustiques vient avec l’hivernage. Le regret du poète, c’est que ne viennent plus ceux qui apportent les nouvelles de Ebbo’aiish, cette bien-aimée avec laquelle la prison l’a séparée…
«Raaçi dhalli haamil min ‘uud
‘aalim ba’d elhay el ma’buud
Ennou çaa’ib wu thqiil u kawd
Hamli biih u gaasi u qriish
Enni maa nigdir kint en’uud
Saabig dha nirvid ‘uud ihshiish
Ghayr ethqal min dhe yel ma’buud
Eçayv ‘gueb wu dhlaam aniish
Wu khdhaaru legrayir vi Mbuud
Wu nzaahit virgaan idaw’iish
U guellit zaad khbar had i’uud
Kaan ijiib akhbaar Ebbo’aiish”
Quand on voit l’Aftout, on se demande comment un poète a pu chanter ces terres poussiéreuses et «hérissées» ? Le génie de Erebâne s’exprime dans tout ce qu’il compose. Dans un poème célèbre, le poète chante la période où les campements désertent les grandes dunes pour les dépressions alluviales…
«kelhamd illi manzal la’laab
dahru vaat u gafaat shaab
likhriiv u taavi ‘aad ish haab
il harr u varqet yaajoura
u vraq baass ilkhayl illarkaab
ilmin ha kaanit ma’dhuura
u khlat bard ellayl u lemdhal
waryaah issehwa mahruura
u khlat zaad igiliiw u dhal
ilkhayma hiya waamur»
(Les grandes dunes ne sont plus occupées,
ce temps-là est passé, bonheur !
le temps des pluies hivernales s’éloigne,
les fortes chaleurs/ont baissé, bonheur !
comme le souffle de l’harmattan
qui empêchait de monter les chevaux,
-prétexte pour les mauvais cavaliers, ha !
et se sont accordées la fraîcheur de nuit et la fraîcheur de jour,/
le vent du nord ouest a soufflé,
 s’est fondu dans l’air encore humide des marigots asséchés,
dans l’ombre des tentes et celle des acacias)
Merci à Nick Gewinner pour la précieuse aide dans la traduction.