samedi 21 janvier 2012

Le centenaire d’une ville


Mederdra vient de fêter ces jours-ci ces cent ans. Bien sûr qu’elle en a plus, mais c’est une occasion à commémorer, surtout à rassembler et à réfléchir au passé et à l’avenir. L’occasion pour quelques souvenirs de revenir à la surface… souvenir d’une Mederdra – l’attachement que nous avons pour ce bled nous le fait concevoir avec les attributs que notre société, machiste, accorde aux femmes : tendresse, délicatesse, fascination…-, de cette Mederdra que l’on surnomme entre nous «Sanga», «Eddechra» (La ville tout simplement)…
Dans le temps, trois quartiers divisaient Mederdra en plus du centre-ville, une sorte de cœur où l’on retrouvait le siège du Cadi, la mosquée centrale, le marché, la rue commerçante. Au sud, s’étendait le «quartier malgache» appelé ainsi probablement pour avoir accueilli les premiers tirailleurs originaires de Madagascar. Au début des années soixante, on se demandait déjà pourquoi cette appellation. On retrouve dans ce quartier, la vieille école dite «Ecole de garçons, Monsieur Folenfant», les premières familles haratine émancipées et laborieuses qui sont venus s’installer fuyant ou non la servilité, et dès le milieu des années soixante, c’est un quartier où seront installées, pêle-mêle, familles de grands lettrés, de grands griots, de grands artisans… en somme une miniature de la société de l’Iguidi.
Au nord du cœur de la ville, se trouve la Médina. C’est, au début de son histoire, un quartier où se retrouvaient les migrants qu’ils viennent de près (exode rural), ou de loin (auxiliaires de l’administration, familles de prisonniers). Puis, à partir du début des années soixante, la famille émirale Ehl Sidi Ould Mohamd Lehbib vient s’installer, un moment dans un campement appelé «Lahwash» certainement d’inspiration Ehl Cheikh Sidiya, avant de construire les premières belles demeures privées de la ville. Les deux demeures sont toujours là. Elles ont vu passer des hommes et des femmes dont le souvenir est encore très fort dans les esprits de ceux qui ont vécu l’époque. Ce choix a fait de Médina un centre plus ou moins «autonome».
A l’est, s’étend «El Gawd», une sorte de vallée encaissée entre les deux grandes dunes qui dominent l’univers dans la région. C’est là où l’on trouve le service local de l’élevage, les vieux puits, les vieilles familles de propriétaires traditionnels…
Toute cette configuration a été bouleversée par l’exode rural vécu ici dès 1968. La modernité a signifié d’abord l’engagement profond de la jeunesse dans le militantisme kadihine de la fin des années 60 et du début des années 70. C’est une ville où l’on faisait la lecture collective des œuvres de Marx, Lénine, Mao et où on célébrait aussi le mouvement hippy à travers la reprise de chansons-cultes. Je me souviens encore de la fin des années 60 où la génération Rajala, Ahmed Hababa, Oumar Sy, Bilal Werzeg, Ken Buggul, Diallo… animait des soirées avec des ballets engagés, des reprises de chansons «rock lislam»… Et plus tard, lé génération qui est la mienne, celle des Beddah, Rajil, Moulaye, Hemett, Amadou, Tah Zeyn, Bolli… verser dans la culture francophone classique… Un peu nous suivant, la génération Hendaya, Hamed, Latef, Blal… s’investir dans le nationalisme arabe. Jusqu’aux années 90, pas un vide.
…Et vint le PRDS, avec lui les listes pour les municipales, la haine, l’absence de débat, la fracture interne… La ville déjà prise d’assaut par le temps en prit un coup de plus. Abandonnée par les siens, Mederdra fut lentement ensevelie dans un linceul fait d’oubli et d’indifférence. La manifestation actuelle peut-elle lui rendre un coup de splendeur ? Espérons.