samedi 31 mars 2012

Du révisionnisme


«À l'origine, le terme de révisionnisme désignait le mouvement demandant la révision du procès Dreyfus. Le sens de ce terme s'est ensuite étendu, et désigne aujourd'hui un courant de pensée tendant à remettre en cause et modifier plus ou moins profondément, selon les cas, un système idéologique ou politique établi, un traité international ou un texte de loi majeur, ou encore des faits considérés comme historiques.» Telle est la définition donnée par les dictionnaires en ligne du mot «révisionnisme». Par altération – ou évolution – le mot a fini par se confondre avec le négationnisme. Quand on utilise les deux mots en Occident, on sait à quoi on fait référence : la Shoa, les fours crématoires, les procès pour délit d’appartenance religieuse… Mais chez nous ?
J’utiliserai ces mots pour désigner un courant de pensée et un discours qui persiste dans leur négation de l’existence de l’esclavage et qui continuent à soutenir que jamais exactions n’ont eu lieu chez nous dans les années sombres (80-90). J’en parle à présent parce que j’ai eu une discussion avec un haut dignitaire de la politique qui ne peut cependant être taxé de pro-pouvoir. Il m’a tenu le propos que voici :
«Le régime démocratique d’après la transition nous a créé trois problèmes majeurs : la question du passif humanitaire, celle de l’esclavage et celle de l’Islamisme.
Il a ouvert la boîte à Pandore en reconnaissant les torts qui auraient été commis contre les noirs de Mauritanie. Sans impliquer les spécialistes de la question dont notamment les gouverneurs de régions, les préfets, les ministres de l’intérieur de l’époque des faits, les chefs de corps (police, gendarmerie, armée, garde)… pour comprendre la logique qui a présidé au renvoi de milliers de personnes sous prétexte qu’ils sont des Sénégalais. Il y avait bien des justifications développées par les raisons d’Etat. Comment on a ré-ouvert le dossier, cela mettra une cinquantaine d’années pour se refermer.
Avec la loi criminalisant l’esclavage, nous avons ouvert un dossier qui se mettre une trentaine d’années pour se refermer. Il a cependant permis au président Messaoud Ould Boulkheir de conclure son combat et de rester sur scène.
L’autorisation d’un parti islamiste a été une catastrophe dans la mesure où elle a légalisé l’activité d’un groupe extrémiste qui se cache derrière le terme «modéré» tout en continuant de nourrir et de se nourrir des activités des groupes terroristes. Vous croyez que la manifestation des femmes voilées réclamant l’application de la Chari’a et la fin de la démocratie qui est une apostasie. Il nous faudra une vingtaine d’années pour nous reprendre surtout que la prise de pouvoir par Al Qaeda en Libye va avoir ses répercussions.»
Que quelqu’un tienne encore des propos pareils inquiète, voire écœure. Je le dis parce que la vigilance doit être de mise. Nous n’avons pas fini de «transiter»…

vendredi 30 mars 2012

Nos Ulémas et la politique


La politique, c’est comme le porc-épic, on se pique quand on s’y frotte. Je retiens des propos de Cheikh Mohamed el Hacen Ould Dedew répondant aux questionnements de journalistes qui craignaient enfreindre les lois sacrés du respect que la communauté doit au «’alim» (celui qui allie le fiqh, l’exégèse, la parfaite connaissance des textes sacrés…). Il répondait en substance que celui des Ulémas qui sera descendu sur l’arène politique, aura choisi délibérément de jouer dans la cour de ceux qui sont critiquables, ceux qui doivent être comme n’importe qui, qui commette des fautes et dont les énoncés sont discutables. La même approche a été aussi développée devant nous par le Cheikh Abdoullah Ould Boye qui a utilisé d’autres référentiels qu’ils maitrisaient parfaitement même s’ils étaient étrangers à notre culture arabo-islamique. Ne parlons pas de Cheikh Hamden Ould Tah pour lequel les choses restent simples parce qu’elles se situent au niveau de l’humain.
Mon propos ici n’est pas de discuter les dires de nos Ulémas qui montent au créneau pour occuper le débat politique, déserté par les politiques professionnels faute de propositions. Je veux juste apporter une précision.
L’un des méfaits du système qui a gouverné la Mauritanie durant plus de deux décennies, est certainement le fait d’avoir cherché – et d’avoir réussi – à impliquer tout le monde, tous les symboles. De telle sorte que l’on pouvait dire qu’il n’y avait plus d’autorité revendiquant assez de légitimité pour s’interposer entre nous, pour nous diriger et jouer pour nous le rôle d’objecteurs de conscience. En Hassaniya, je l’ai toujours exprimé ainsi : «ma hkalla viina hazzaaz», il n’a pas laissé parmi nous de force d’interposition.
Dans notre société traditionnelle, les paroles du sage sont toujours entendues. Il est le dernier recours parce qu’il ne se mêle pas de nos querelles souvent mesquines. Le système – il s’agit d’un système et non de l’exercice d’un homme, mais d’un système qui avait ses théoriciens, ses praticiens – a donc détruit toutes ces soupapes qui permettaient à la société de faire recours à des arrangements internes en impliquant l’ensemble des leaders d’opinion et des terreaux de sagesse.
Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce ne sont pas des politiciens – tout le monde ici fait la politique et se sent apte à la faire. Nous avons besoin d’autorités morales qui puissent nous réunifier et non nous diviser, nous orienter et non nous perturber, nous rassurer et non nous paniquer…
Nous avons besoin d’autorités qui soient à égale distance des antagonismes politiques et sociaux, qui les saisissent, et vers lesquelles on peut se tourner quand les acteurs auront échoué à s’entendre sur un minimum ou quand, et on en est proche aujourd’hui, ils auront poussé vers l’extrême. A savoir la déstabilisation du pays par la destruction de ses fondements et la fragilisation de son pouvoir.
C’est une qualité qui a toujours marqué nos grands Erudits qu’il faut peut-être rappeler ici : «el wara’», je ne sais la traduire, mais je dirai qu’elle allie la piété désintéressée, la dévotion, la ferveur dans la pratique et en même temps l’équité dans les jugements. Elle est beaucoup de choses et elle permet au moins d’être détaché des tentations d’ici-bas dont la politique.

jeudi 29 mars 2012

L’anonymat, ennemi des libertés


Quand un pouvoir persécute pour faire taire les voix discordantes, on peut comprendre que des groupes – politiques ou non -, que des individus – indépendants ou non – trouvent la parade dans la production de tracts, de graffitis et d’articles anonymes.
Quand un responsable ne pouvant assumer ses positions de peur de perdre son poste et/ou ses avantages autres, signe avec un pseudonyme, on peut accepter et même comprendre.
Dans notre pays, le délit de presse ne mène plus à la prison. La liberté d’expression est presque totale, si l’on met de côté les pressions tribales, régionalistes, ethniques et tout ce terrorisme intellectuel développé pour imposer un «politiquement correct» qui n’est pas forcément… correct. Alors pourquoi le développement de l’anonymat ?
Quand un ancien ministre du HCE, donc du Général Ould Abdel Aziz, démis par celui-ci en cours de route, un fils d’un ancien prédateur de la République, un dignitaire dont les trafics avaient mis à terre tout le système bancaire mauritanien, d’anciens hauts dignitaires de pouvoirs déchus ayant participé au sac systématique du pays, sac moral et matériel, d’anciens indics qui ont perdu leurs boulots après avoir mené de nombreux innocents dans les geôles de pouvoirs tortionnaires…  quand tous ceux-là écrivent sous des pseudos, je les comprends. La nature humaine finissant toujours par l’emporter, ils sont restés les lâches qu’ils étaient.
Au début de la multiplication de l’anonymat dans la presse – surtout électronique – était la recherche de la culture de la haine et l’excitation du sentiment antidémocratique.
Les insultes vulgaires, souvent gratuites, dont sont victimes des Mauritaniens sont destinées à entretenir chez ceux-ci un sentiment de frustration et à faire vivre en eux des relents violents. Quand on insulte votre mère, votre père, qu’on souille gratuitement votre honneur, qu’on fasse lire les propos à vos enfants qui viennent à vous éplorés, quand on étale vos insuffisances sexuelles, vos faiblesses matrimoniales, quand on dit de vous que vous êtes alcoolique insatiable, voleur sans vergogne, corrompu sans scrupule… et que celui qui dit ça de vous a préféré signer par un pseudonyme, quels ressentiments vont-ils vous animer, quelles inspirations vont-elles vous «travailler», et quels comportements auriez-vous envie d’avoir ? L’objectif ici est de développer cet état d’esprit. Et comme chaque Mauritanien a eu sa part, ce sont tous les citoyens de ce pays qui se retrouvent ainsi conditionnés. Pour haïr, sans savoir qui haïr exactement on en vient à haïr tout le monde. Les tensions sociales sont ici cultivées.
Le plus démocrate d’entre nous viendra certainement à ce moment où il se demandera à quoi sert la démocratie et la liberté d’expression si elle permet à n’importe qui de dire n’importe quoi de n’importe qui. Et à ce niveau, ils sont nombreux aujourd’hui ceux qui développent devant vous l’inutilité et même la dangerosité de l’exercice de la liberté d’expression.
Voilà à quoi sert l’anonymat. Voilà pourquoi il reste un ennemi de la démocratie.

mercredi 28 mars 2012

Manque de réalisme

Nous avons espéré, après tout ce qui s’est passé ces dernières années, être en présence, sur notre scène nationale, de partenaires politiques. Nous avons eu pour un temps des adversaires politiques. Maintenant nous avons des ennemis politiques.
Nous sommes donc passés d’un stade où les protagonistes pouvaient s’accorder sur un minimum, à celui où ils sont divergents sur tout pour arriver à celui où ils sont prêts à se tirer dessus.
L’intérêt du pays et sa situation fragile, les exigences quant au raffermissement de la démocratie, les rapports de force objectifs et, pour terminer, le parcours des forces politiques, tout cela aurait pu dicter au personnel plus de candeur, plus d’humilité, moins de relents guerriers. Ce fut le contraire.
Nous sommes tous d’accord que la Mauritanie est fragile. Ses équilibres sociaux le sont. Son niveau de développement l’est. Ses structures étatiques modernes le sont… Nous sommes d’accord pour dire que la gestion catastrophique de ces dernières décennies a encore fragilisé le pays. Et chacun de nous – au moins de ceux parmi nous qui crient le plus fort – le répète : la Mauritanie ne supporte pas de secousse. La première exigence aurait été, pour les politiques, la recherche de la stabilité et de la cohésion sociale. Est-ce le cas ?
Une démocratie tourne autour de quelques fondements : la liberté d’expression, la liberté de rassemblement, la garantie du respect des valeurs citoyennes d’égalité et de justice (d’équité aussi), le respect scrupuleux des textes et des institutions, l’exigence de l’expression du pluralisme politique, culturel… Elle n’est pas donnée, elle est acquise.
Pour un pays comme le nôtre, où l’évolution politique s’est faite par blocages successifs, le processus démocratique a été le fait du Prince. En 1991, et pour échapper à toutes les poursuites concernant les graves atteintes aux droits humains et à la crise qui prévalait, le pouvoir de l’époque décide d’ouvrir l’espace politique public. Le pluralisme est institué par un référendum constitutionnel boycotté par l’opposition dite «démocratique». Ce qui ne l’empêche pas d’en profiter quelques semaines plus tard, puis en participant aux premières élections pluralistes du pays.
Mais au lieu de saluer cette élection comme «fondement de quelque chose», l’opposition refuse de reconnaitre les résultats et boycotte les législatives qui suivent. Les institutions de la nouvelle République se font sans elle. Participation aux élections locales de 1994 et 1996 (qu’elle décide de boycotter entre les deux tours), puis boycottage de la présidentielle de 1997, puis participation à celle de 2003 et, bien avant, participation aux législatives de 2001.
Les arguments sont toujours les mêmes : quand on opte pour le boycottage, on explique qu’il n’y a pas lieu de «légitimer un processus unilatéral», et quand on y participe on dit que l’intérêt du pays, la recherche de sa stabilité et la nécessité d’occuper tous les espaces ouverts par le pouvoir, que tout cela dicte la participation.
A chaque fois, on essaye de faire oublier l’étape précédente comme si la mémoire populaire était incapable de retenir les positions des uns et des autres. Ici se situe l’un des problèmes majeurs de l’élite du pays : elle ne croit pas au progrès comme processus d’accumulation et de ce fait, elle veut tout et tout de suite. Souvent sans avoir les moyens de ses ambitions. Elle réagit aussi toujours trop tard. Elle suit… de loin (dans le temps) les événements. Ce qui fait qu’elle court toujours derrière…
Le cycle qu’on impose au pays est dangereux : d’une élection à une crise, à une élection, à une crise… plus dangereux que toutes les mauvaises gestions dénoncées jusque-là avec plus ou moins de bonne foi.
La démocratie a besoin d’une opposition forte et engagée. Le pouvoir a besoin d’impliquer la plupart des segments politiques et sociaux du pays. La survie du pays a besoin d’une convergence des efforts de toutes les parties. Elles doivent obligatoirement sacrifier une partie de leur amour-propre pour le pays, en allant vers un minimum de convergence. Ce qui peut servir le pays et la démocratie, donc le peuple. Tout cela demande du réalisme, c’est la qualité qui manque le plus par ici.

mardi 27 mars 2012

Ad memoriam


Je viens d’apprendre le décès de Tourad Ould Beibakar, par un texte publié sur www.cridem.org et écrit par le colonel à la retraite Mohamed Salikou. Je me permets de reprendre ici ce texte que je trouve complet quand on parle de Tourad. J’y ajouterai tout simplement que le nom de cet officier n’a jamais été cité dans une quelconque liste de méfaits. Il est resté un officier droit et humble jusqu’à sa mort.

«Un grand guerrier s’est éteint
Le colonel Tourad Ould Cheikh Ould Beibacar s’est éteint le 12 mars 2012 à l’Hôpital d’Instruction des Armées « le Val-de- Grâce de Paris » des suites d’une longue maladie. D’abord enseignant, puis officier de l’armée nationale qu’il quitta à la retraite au grade de colonel, il occupa toutes les fonctions importantes dans l’institution et devint Permanent adjoint duCMJD.
Toujours porté vers les faibles pour lesquels il réservait une grande partie de son temps et de ses biens, il est resté humble, gentil, souriant, affable et à cheval sur les préceptes de l’Islam. Il a fait preuve d’un courage et d’une force extraordinaires face à la douleur, tout le long de sa maladie, si bien que certains se demandaient parfois «s’il était réellement malade».
Son origine sociale et le sang guerrier qui coulait dans ses veines, à eux seuls, ne pouvaient expliquer tout ce courage, qui d’autre part, pouvait être tout simplement atavique, mais c’est surtout cette foi inébranlable en Allah qui lui permettait de ramener les choses à leur dimension réelle.
Nous, tous, qui partageons avec lui le même sang, lui reconnaissions cette aura et cet ascendant que nous ne maitrisions pas, mais qu’il imposait, lui, tout simplement, par sa façon d’être. Son honneur et son franc-parler n’ont jamais été monnayables, tout le reste le pouvait ; ce qui lui a toujours valu le respect de ses chefs, de ses proches, de ses amis, et de ses subordonnés.
Il nous quitte en laissant une famille adorable ; qu’Allah guide leurs pas et qu’Il l’accueille lui en Son Paradis. Inna lilahi wa inna ileyhi rajioune.

Colonel (Retraite) : Mohamed Salikou»

lundi 26 mars 2012

La plaie s’est-elle refermée ?


A Rosso, la Mauritanie a tenté de clore un dossier qui lui pend au cou depuis avril 1989. Au moins l’aspect concernant les milliers de citoyens expulsés en ces années sombres de notre histoire. Il faut bien sûr différencier cet aspect du dossier de ceux relatifs aux exactions commises au sein de l’Armée et qu’on tente de refermer aussi à travers des règlements acceptés par les victimes survivantes, les ayant-droits, orphelins et veuves des disparus.
En 1989, les pouvoirs mauritanien et sénégalais, en proie à de profondes crises, avaient choisi de laisser leurs peuples s’affronter. Des milliers de Mauritaniens ont été expulsés du Sénégal. Des milliers de Mauritaniens ont été expulsés de Mauritanie sous prétexte qu’ils étaient sénégalais. C’est pour ça que nous disons que c’est d’abord et surtout la Mauritanie qui avait souffert de ces événements.
Dans les régions de la Vallée, les administrateurs locaux – préfets, gouverneurs, pas tous heureusement – ont procédé à l’expropriation et à l’expulsion de milliers de citoyens vers le Sénégal. Jusqu’au début de 1991, les procédures d’expulsions étaient courantes. En fait, les administrateurs fautifs étaient attirés par les biens des communautés. Vaches, chèvres, terres… les expulsés furent dépossédés. Biens dont disposaient les administrateurs en question à leur guise.
Quand j’ai fait ma première enquête, suite aux multiples dénonciations du Mouvement national démocratique (MND) l’un des rares mouvements (avec les FLAM) à dénoncer les faits, quand j’ai fait cette enquête j’avais découvert l’ampleur des exactions. Nous essayerons, à Mauritanie-Demain, de mettre à nu les comportements officiels. C’est seulement en juillet 1991, que nous réussissions à confectionner un dossier sur les événements.
«Arabes-Négro-africains : la fin d’un mariage de raison ?» C’était le titre choisi d’une édition qui sera saisie par le ministère de l’intérieur et qui, malgré cela, sera le journal le plus lu de l’histoire du pays. Les jeunes du Mouvement des démocrates indépendants (MDI), ceux du MND et quelques indépendants ont pris sur eux le devoir de multiplier et de faire lire partout dans le pays cette édition-là. C’est ici qu’on a donné la parole pour la première aux victimes militaires. C’est aussi la première enquête menée sur les événements. A chaud.
En mars 1992, je partais, en compagnie de Bah Ould Saleck, directeur de Mauritanie-Nouvelles, mener une enquête sur l’aspect endurance des populations de la Vallée, lesquelles populations vivaient encore le joug de l’arbitraire institué en méthode d’administration.
«Sorymalé : la terre accuse», ce fut le titre de l’édition d’Al Bayane consacrée à l’enquête, l’occasion aussi d’ouvrir un dossier, celui des exactions commises à la faveur des événements de 1989 et qui ont continué au-delà.
En mai 1992, profitant de l’ouverture des frontières avec le Sénégal, j’entrais en contact avec les associations de réfugiés pour aller sur place. Je dus me contenter de relancer le dossier à partir des renseignements donnés par ces associations. Il faudra attendre pour pouvoir aller dans les camps. C’était à la faveur d’un séminaire organisé par PANOS et auquel je participais avec ma consœur Hindou Mint Aïnina. Grâce à l’association mauritanienne des réfugiés au Sénégal (AMRS) animée par des cadres du MND, notamment Ba Moussa Sidi et Sarr Mamadou, nous pûmes nous rendre dans les camps. Quelques 48 heures passées au milieu d’une population forcée à l’exil, souffrant encore ses malheurs comme une fatalité. Ne demandant que de rentrer sur leurs terres et recouvrer leurs droits.
«Réfugiés : une objection de conscience aux Mauritaniens», c’était le titre du grand reportage consacré aux camps. La question était devenue un enjeu politique. Il faudra attendre 2008 pour voir un président mauritanien reconnaitre les fautes et demander pardon.
Hier à Rosso se concluait le processus de rapatriement des réfugiés mauritaniens. Sous la supervision du HCR dont le chef a salué les efforts de la Mauritanie, et avec la collaboration du Sénégal. Le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a raison d’être fier d’être celui qui dirige cette cérémonie de clôture de cet du dossier.
Je retiendrai que beaucoup de voix s’élèvent aujourd’hui pour dénoncer le processus qui doit aboutir un jour à la clôture définitive de tout le dossier, dans tous ses aspects. Je retiendrai que nombre de ceux qui crient le plus fort aujourd’hui doivent d’abord s’excuser et reconnaitre le mal qu’ils ont fait au peuple mauritanien. Parce que nous devons considérer que celui qui fait du mal à un Mauritanien l’aura fait à tous les Mauritaniens.

dimanche 25 mars 2012

Maawiya, le retour ?


J’ai été frappé par le nombre de réactions que j’ai eue quand j’ai parlé du livre écrit par l’ancien président Maawiya Ould Sid’Ahmed Ould Taya. Comme je ne pouvais pas croire à une popularité réelle, j’ai commencé à me dire que la sortie du livre participait peut-être à un processus de restauration ou au moins «dépoussiérisation» d’une époque qu’on a liée à l’exercice d’un homme et qui a été réellement celui de plusieurs groupes.
C’était d’autant plus vrai à mes yeux que j’avais noté – et même commenté – les tentatives des plus significatifs de ses sbires de refaire surface, de blanchir la période et ses hommes. Ceux qui ont participé directement aux événements de 1989/90 et 91 sont réapparus sur scène, parfois devant les populations qui ont souffert leurs exercices, fustigeant les mauvais exercices actuels. Ils ont parfois osé faire des comparatifs qui sont allés jusqu’à dire : «le régime actuel est le plus mauvais que la Mauritanie a connu». Une façon de faire oublier les années noires de torture, d’exactions, d’exécutions sommaires, de jugements hâtifs, d’expropriations, de déportation, de prédation, de sac moral, de destruction de la cohésion sociale…  
Si j’en parle, c’est parce que quelqu’un m’a rapporté la scène suivante : l’autre soir, au cours d’une cérémonie de mariage, une griotte, visiblement sollicitée pour cela, a entonné un champ dédié à Maawiya Ould Taya, ce fut l’euphorie, des cris, des pleurs, de l’hystérie collective. Ce n’est pas anodin quand on entend tous ces discours et qu’on regarde les hommes qui les tiennent et qui sont actuellement les plus en vue sur la scène politique. On se dit que forcément il y a quelque processus en cours de relookage de l’homme et de l’époque. C’est récurrent chez nous.
Au milieu des années 80, quand la classe politique avait échoué à mobiliser le front intérieur en vue d’abattre le régime militaire, l’«on» est parti imposer le nom de Mokhtar Ould Daddah, le Père de la Nation, dans la scène. Un peu pour provoquer un mouvement populaire. Le coup d’Etat de 1984 devait interrompre le processus. Même tentative en 1995 quand feu Mokhtar a enfin accepté d’intervenir publiquement. Intervention venue un peu tard, et alors que la scène politique avait déjà ses leaders qui n’entendaient pas s’éclipser devant l’homme.
En 2003, et après plusieurs échecs devant le régime de Ould Taya, on a sorti l’ancien président Mohamed Khouna Ould Haidalla pour l’affronter. On espérait y trouver la personne qui pourra continuer la politique par la confrontation militaire. On prêtait à l’homme une grande popularité au sein de l’Armée, ce qui devait lui permettre de «ne pas se laisser avoir». On a vu ce qu’il en est advenu : en prison avant même les élections, puis jugé après.
Echec et mat.
Le retour sur scène, de plus en plus prononcé, de Ould Taya et de ses hommes peut-il signifier une nouvelle tentative de résurrection ?

samedi 24 mars 2012

Presse et politique


Jeudi soir, à l’hôtel Wissal qui a connu une embellie rapide, journalistes et hommes politiques devaient être réunis pour discuter des rapports qu’ils doivent entretenir entre eux. «Devaient», en fait c’est pour dire que seulement quelques-uns sont venus. Côté journalistes, la présence était plutôt satisfaisante. Côté politique, seulement quatre partis étaient là : Adil représenté par son président Yahya Ould Ahmed Waqf, le Mouvement pour la Réforme (MPR) représenté par son permanent Mody Camara, Tawaçoul représenté par son président Mohamed Jamil Ould Mansour et l’Union pour la République (UPR) représenté par son premier vice-président Mohamed Yahya Ould Horma. Il est utile de signaler la présence du ministre de la communication et des relations avec le Parlement, Me Hamdi Ould Mahjoub était venu écouter et éventuellement participer aux débats s’il ya lieu.
La soirée a commencé par une introduction faite par Cheikh Tidjane Dia du Rénovateur et Ryad Ould Ahmed el Hady de Aqlam hourra.
Quelles relations entre les politiques et les journalistes ? une relation d’inimité ? d’amitié ? de servilité ? de complicité ? de partenariat ?
Le journaliste est-il un homme politique ? quand est-ce que l’un empiète sur le domaine de l’autre ? le journaliste et l’homme politique finissent-ils par être concurrents ? le journaliste doit-il rester un outil de promotion pour le politique ? le politique est-il un punching-ball, un souffre-douleur pour le journaliste ?
Autant de questions qui seront posées. Les politiques axeront sur le manque de professionnalisme, le manque de spécialisation et de compétence. Certains iront jusqu’à préciser les contours d’une relation saine. Il est demandé au journaliste de s’assurer de la véracité de l’information, de sa précision. Il lui est demandé aussi de la traiter avec objectivité, équité, de garantir la pluralité des points de vue et des sources, une compétence à traiter le sujet. Le tout pour assurer une indépendance réelle et respecter les règles de l’éthique journalistique.
Les journalistes demanderont plus de transparence et de respect de la part des politiques. Plus de soutien aussi. Prenant en exemple cette soirée, certains feront remarquer l’absence de la quasi-totalité des partis qui animent la scène, invités et ayant assuré de leur présence. C’est en fait le propre de nos politiques : ils demandent l’ouverture de tribunes et quand elles sont ouvertes, ils les boycottent. Toujours le déficit de débat qui trouve son explication dans l’incapacité à défendre calmement ses positions, parfois la méconnaissance de l’art de prise de parole en public.

vendredi 23 mars 2012

Mohamed Merah n’est pas un héros


Les médias français nous ont permis de suivre, minute par minute, les événements de Toulouse. Dans les salons de Nouakchott, l’anxiété et l’intérêt pour le déroulement de ces événements étaient sensiblement les mêmes.
Quand la rédactrice en chef de France 24 qui a reçu son premier appel de revendication, décrit celui qu’elle a eu au téléphone pour moins de 20 minutes, elle parle de son calme, de sa détermination, de sa douceur… c’est à peine si l’on n’a pas le portrait d’un héros de chez nous. Ce que confirment tous les portraits dressés par les télévisions et les journaux. Comble de l’absurde : la répercussion de ses messages par la police et même par le ministre de l’intérieur français. Ainsi donc, nous savions que l’assassin avait «une cause», qu’il était devenu le monstre qu’il est devenu parce qu’il souffrait la situation des enfants de Gaza, l’occupation de l’Afghanistan où un soldat américain vient de tuer 16 civils en leur tirant dessus… Du coup les «justifications» de ses actes sont devenues «discutables», voire «acceptables». Pourquoi tout ça ?
Quand le 22 juillet 2011, Anders Breivik, un jeune norvégien appartenant à l’extrême droite tue 77 personnes et en blesse plusieurs dizaines pour des motifs éminemment idéologiques, la presse de Norvège s’abstient volontairement de publier des photos de l’assassin. Pour ne pas lui faire la publicité qu’il cherche derrière son acte barbare. Aujourd’hui, le tribunal qui doit le juger très prochainement a décidé de ne pas laisser filmer les moments où il prend la parole pour se défendre et s’expliquer pour ne pas faire de publicité à sa «cause». C’est tout le contraire qui se passe en France.
Le malheur pour nous (et pour eux), c’est qu’il se trouvera toujours quelqu’un, imbu ou non de l’idéologie violente qui a inspiré Merah, qui le regardera comme un héros, pire, comme un modèle à suivre. Les «loups solitaires» dont on parle là-bas pour désigner ces Jihadistes non structurés et qui peuvent agir par eux-mêmes, ceux-là sont partout. Ils n’attendent que le moment qu’ils jugeront favorable.
En couvrant au détail, le parcours de ce jeune délinquant, sa «résistance farouche» aux hommes du RAID (l’élite de la police française), la peur produite sur la société française en général, les médias font de Mohamed Merah un héros pour une jeunesse en mal dans sa peau. En France ou ici, ou encore ailleurs.
Deux leçons valent pour nous. La première concerne le seuil d’alerte qui doit être relevé les semaines à venir. Il ne faut pas écarter la possibilité d’une surexcitation produite par «l’effet Mohamed Merah».
La seconde – qui la sous-tend – est que les événements de Toulouse sont d’abord le fruit d’une surenchère politique accentuée par la campagne électorale de ces dernières semaines. Les excès de langage dans les propos sur les civilisations, sur le halal, sur l’intégration ou non de la communauté musulmane ont fini par participer à la stigmatisation de cette communauté. On l’a dit timidement, mais les polémiques des dernières semaines ont certainement participé à l’accélération du processus «d’auto-radicalisation» - on découvre ce mot ces jours-ci – de Mohamed Merah.
C’est pourquoi les politiques, partout où ils sont, doivent toujours réfléchir à ce qu’ils disent et aux conséquences que cela peut avoir. Dernièrement chez nous, nombre de discours politiques ont prêché la violence, certains allant même jusqu’à inscrire dans la case de la chahada (martyr) tout acte visant à renverser le pouvoir. C’est vrai que l’on utilise volontiers le mot «taghyiir» (changement) pour dire cela, mais ça ne change rien aux réelles intentions qui sont de pousser vers une radicalisation violente de l’espace politique. Dans un pays dont on reconnait pourtant la fragilité…  

jeudi 22 mars 2012

Le Dadis nouveau est arrivé


Ce qui se passe au Mali était attendu, ou presque. La situation de déliquescence de l’Etat, l’instabilité au nord avec notamment cette guerre larvée que mènent nationalistes de l’Azawad, Jihadistes de l’AQMI (d’Ansar Eddine aussi) et narcotrafiquants dans les deux tiers du pays, ainsi que les surenchères des politiques, tout cela ne pouvait qu’ouvrir sur une dérive. Qui pouvait – qui peut encore - prendre la forme d’une guerre civile ou celle d’une insurrection de l’Armée. C’est finalement cette dernière qui a eu lieu.
Des soldats, un ou deux officiers subalternes – le plus gradé étant un capitaine – ont pris le pouvoir ajoutant à la confusion qui régnait et au chao qui se dessinait. Des avatars du phénomène Dadis Camara de Guinée. Qui n’ont pas de projet, pas de revendication autre que celle d’avoir les conditions de faire la guerre. Et en attendant de les avoir et de repartir vers le champ de bataille, c’est contre la démocratie malienne qu’ils tournent leurs fusils. Rien de plus dangereux qu’une armée défaite sur le champ de bataille et qui se retourne contre les institutions politiques en vigueur.
C’est une fin politique tragique pour Amadou Toumani Touré (ATT) qui, à un moment, a incarné cette Afrique de l’espérance avec des leaders détachés du pouvoir et donc de ses aléas. A force de se contenter de jouer au plus fin, de manœuvrer pour gagner le temps, de laisser son entourage vivre sur les trafics de tout genre, de refuser de faire face aux défis sécuritaires, d’entretenir des relations équivoques avec les organisations du crime organisé qui ont fini par faire main basse sur une partie du territoire du Mali, ATT vit aujourd’hui cet épisode tragique et ce à un mois de son départ. Réfugié en Guinée, il pourra tenter de reconquérir le pouvoir mais avec qui ?
Vu d’ici personne ne semble pleurer son départ. Par contre tout le monde pleure déjà la démocratie malienne. Comment alors sauver cette démocratie ? C’est la question que le personnel politique malien doit se poser en ces jours de doute.
La seule formule qui vaille est celle qui consiste à restaurer l’ordre constitutionnel en désignant un intérim au président avec mission de mettre en place un gouvernement technique chargé de superviser les élections présidentielles prévues initialement le 29 avril prochain. Tout est déjà lancé, y compris la campagne. Rien ne doit s’arrêter. La seule exigence pour les Maliens doit être de sauver la démocratie pour laquelle ils ont sacrifié tant de vies. Parce que là-bas, la démocratie n’a pas été le fait du Prince, mais une conquête politique.
ATT, chef de la junte qui a démis Moussa Traoré à la faveur de manifestations populaires, a quitté le pouvoir parce que la classe politique n’a pas tergiversé et a exigé de lui et des militaires de sortir par la grande porte. Le gouvernement civil de Alpha Oumar Konaré qui a fait deux mandats, devait travailler pour raffermir les fondements de cette démocratie. C’est son premier passage qui devra permettre à ATT de revenir au pouvoir par les urnes. Deux mandats l’ont finalement usé. Mais il ne doit pas emporter avec lui un système démocratique qui a atteint un degré de maturité envié en Afrique : avec notamment la possibilité d’alternance pacifique au pouvoir.
En Guinée, le régime dictatorial avait détruit la scène politique empêchant tout développement d’une classe politique démocratique forte de son ancrage populaire et de ses pratiques. Au Mali, nous sommes en présence d’une classe politique qui a fait ses preuves et d’une société civile très forte. Aussi d’une société qui vit et pratique la démocratie. C’est pourquoi, le Dadis nouveau ne doit pas rester une heure de plus.

mercredi 21 mars 2012

Senoussi… reste, restera pas


On a appris hier soir qu’un avion spécial a quitté Tripoli pour Nouakchott où il a effectivement atterri vers deux heures du matin. Le vice-Premier ministre, chef de la délégation dépêchée à Nouakchott pour négocier l’extradition de l’ancien chef des renseignements de Kadhafi, a publié une information selon laquelle le Président Ould Abdel Aziz aurait été d’accord pour livrer Abdallah Senoussi aux autorités libyennes. Dans l’avion spéciale se trouvent, en plus de l’équipage, quelques personnages à l’allure de bodyguards… tout pour faire croire que la remise était pour aujourd’hui. Et qu’on en finisse.
Pour cette remise immédiate, deux soucis sont à prendre en compte : le premier est celui relatif à la nécessité pour les Mauritaniens de se plier aux termes de la Convention de Riad signée en 1983 et qui oblige tout Etat arabe à remettre les citoyens recherchés à tout autre Etat arabe ayant fait la demande ; le deuxième relève de la crainte de garder un prisonnier encombrant, recherché par tous et dont la mort, au fond, est souhaité par tous d’où la difficulté de le protéger.
Tout milite donc pour que nous croyions à un transfert imminent. Vers 13 heures, la délégation libyenne fait ses adieux au territoire mauritanien sans Senoussi. Le porte-parole de la délégation déclare la disponibilité de la Mauritanie à le livrer, après mesures administratives, à son pays d’origine. Très vite, la partie mauritanienne intervient auprès des médias pour tempérer l’optimisme des Libyens. Certains interlocuteurs vont même jusqu’à affirmer qu’il n’y a pas eu d’accord sur la question.
En fait, l’enquête ouverte par les services mauritaniens vient juste de commencer. Rien que la partie concernant le parcours de l’homme devrait durer quelques semaines. Suivront les questions relatives au traitement du dossier mauritanien par les renseignements libyens. Pendant des années, le pouvoir du colonel Kadhafi a essayé de prendre le pouvoir en Mauritanie. D’abord à travers des organisations politiques, estudiantines pour l’essentiel. Ensuite à travers des groupes paramilitaires formés ici ou en Libye. Et enfin à travers le financement de la vie politique en Mauritanie. Rares les hommes et les partis qui ont «refusé» l’argent du colonel. Mais beaucoup sont ceux parmi l’élite politique qui sont allés à Tripoli prêter allégeance au Guide de la révolution, plus ou moins publiquement.
Ensuite les enquêteurs devront passer à notre environnement immédiat. Au moment où éclatent les événements du Mali, il est important pour les Mauritaniens de savoir comment fonctionnait l’Appareil sécuritaire, avec il traitait et quel degré d’implication pour les autres pays. L’occasion de découvrir les autres théâtres d’opérations des renseignements libyens. Dans la foulée certainement, le soumettre aux multiples commissions rogatoires venant de France, d’Arabie Saoudite, du Maroc, des Etats-Unis, du Royaume Uni… tous les pays qui ont à affronter les redoutables renseignements libyens. 

mardi 20 mars 2012

Douleur et recueillement en France


Le sauvage assassinat des trois enfants et d’un père de famille de trente ans a ému la France toute entière. C’est normal. Même ici, cela émeut ceux parmi nous qui vivent le monde comme s’il s’agissait d’un petit village dont les habitants, nonobstant les distances, demeurent proches les uns des autres. C’est, je crois, l’un des drames de l’humaine condition : la douleur partagée dont nait nécessairement le devoir de solidarité.
Les débats restent ouverts en France malgré l’arrêt de la campagne présidentielle, un arrêt mécanique va-t-on dire parce que, comme l’a dit quelqu’un, la politique continue d’occuper l’espace public. Avec cependant une retenue qu’on peut envier à nos amis français. Comme s’il y avait des moments où les interdits existent. Comme s’il y avait des limites pour les politiques, des limites qu’il faut respecter, des limites que chacun respecte. Cela relève du pacte national.
Je retiendrai de tout ce qui a été dit, quelque chose qui doit valoir pour nous, journalistes, politiques et simples citoyens. Un criminologue qu’on interviewait pour l’amener à dresser le profil de l’assassin qui a, en plus des quatre personnes de confession juive, probablement tué aussi trois parachutistes (deux arabes de confession musulmane et un martiniquais), ce criminologue a eu cette réplique : «nous sommes au stade où l’on ne peut parler que de l’irréfutable, l’on ne peut analyser que l’irréfutable, ce qui est établi. Il faut justement éviter de se perdre dans les suppositions, les commentaires parce que cela non seulement relève de la mauvaise foi, mais peut influer négativement sur le cours de l’enquête». En substance, c’est ce qu’il a dit et j’ai pensé à notre espace public où la culture de la rumeur a effectivement remplacé celle de l’information et où aucune source n’est plus crédible.
Nous avons assisté à la dépréciation de la parole publique à travers des moyens de communication de masse (radio et télé) entièrement dédiés au culte de la personnalité du chef. Durant des décennies, on subissait ce mensonge qui nous martelait que nous étions dans le meilleur des mondes possibles. Puis nous avons glissé vers l’utilisation abusive du mensonge pour finir pris au piège de nos prétentions.
Quand Ould Taya faisait ses visites dans les régions, on s’empressait de déployer le même rituel qui commence par les accueils fastueux et se termine par les discours enflammés. Une entreprise de «tromperies» qui a fini par …ne plus tromper. Ou par excéder.
A la base de la culture de «tesfag» qui a pris racine en ces années-là, il y a toujours eu cet élan quasi-consensuel autour d’un mensonge (le soutien au chef, à la lutte contre l’analphabétisme, au kitaab, à l’obésité…). Cela a pris parfois des aspects dramatiques qui pèsent encore sur notre devenir. Parlons des plus récents.
Quand notre administration financière a créé les fausses statistiques, le fameux épisode «des faux chiffres» et que le pays, pour masquer ses déboires de gestion, adoptait la tricherie et le mensonge pour continuer à donner une image acceptable de lui-même. Si on ment à nos partenaires techniques et financiers (PTF), il n’y avait aucun mal à cela aux yeux de notre encadrement. A peine si cela ne participait pas au Jihad contre les mécréants. Et c’est ainsi qu’à la faillite économique, on ajoutait sciemment la faillite morale d’une société.
En 2007, nous avons, cette fois-ci tous, salué, avec plus ou moins de ferveur, l’élection présidentielle qui s’est déroulée dans la transparence et en toute régularité. Alors que nous savions, cette fois-ci tous, que les dés étaient pipés au départ et qu’en fait de «régularité», nous avons assisté au «dopage» de l’un des candidats par les autorités militaires au pouvoir à l’époque. Qu’à cela ne tienne, nous y sommes allés sans discernement… Quand intervient la crise politique dont le coup d’Etat d’août est un épisode, nous avons affiché la surprise alors que la plus pessimiste des analyses ouvrait sur un effondrement inévitable…
On prête au Prophète Mohhamd (PSL) ces paroles : «ma communauté ne fait pas unanimité autour d’une déviance (ou perdition)». Quelle déviance plus dangereuse et plus condamnable que le mensonge ?

lundi 19 mars 2012

Senoussi… si,


On peut considérer l’arrestation de Abdallah Senoussi, le chef des renseignements libyens du temps de Kadhafi, comme une aubaine pour la Mauritanie. On peut la considérer comme un problème. Comme dans tout ce qui se passe, chacun ira de sa lecture qui lui sera dictée souvent par son positionnement…
L’homme le plus recherché du Maghreb Arabe avait sur lui un faux passeport malien. Il venait du Maroc. Etait-il seulement de passage dans ce pays ? y avait-il séjourné seulement ? d’où venait-il quand il est allé au Maroc ? par quelle voie a-t-il gagné le Royaume ? qui sont ses complices qui l’ont protégé jusqu’à présent ? où allait-il ? si c’est en Mauritanie, qui devait-il voir et chez qui devait-il être reçu ?
Autant de questions que beaucoup d’autres auxquelles les services mauritaniens essayeront de trouver réponse. C’est légitime. D’ici là on aura vidé la polémique autour de sa «livraison», à qui et comment ?
Nos avocats se sont empressés – comme il est de tradition chez nous – les uns pour dire que «la Mauritanie est tenue de le remettre à la CPI», les autres d’affirmer que «la Mauritanie n’est absolument pas tenue de le remettre aux autorités libyennes avec lesquelles elle n’est lié par aucune convention». Le premier oublie que la Mauritanie n’est pas signataire de la Convention de Rome qui fait de cette obligation une religion. Le second oublie que la Mauritanie est liée par la Convention de Ryad à tous les pays arabes et est tenue, par cet effet, à le remettre, tôt ou tard aux autorités libyennes.
Même si l’on doit y réfléchir à deux fois quand on prend en compte le sort qui pourrait être réservé à l’homme dans son pays. Comment lui assurer un traitement «normal», loin de toute vindicte comme cela s’est passé pour Kadhafi sauvagement assassiné par ses geôliers ou son fils dont on a coupé les doigts ? comment lui assurer un procès régulier, avec une défense librement choisie, une transparence acceptable et un verdict susceptible d’appel ?
Autant de questions que la Mauritanie doit poser aux frères libyens, mais aussi à tous ceux qui voudront avoir l’ancien chef des renseignements de Kadhafi (un chef de renseignements équivaut à un chef de la police ici), celui qu’on surnomme «la boîte noire» pour les secrets qu’il est supposé garder. Rien ne presse. Tout cela prendra du temps.
Le devoir moral de la Mauritanie lui dicte de ne pas avoir de pitié pour celui qui a été le bras qui frappe, qui exécute, qui torture, qui était aussi l’intelligence de tous les excès de Kadhafi. Des milliers de libyens attendent que justice soit rendue. Des dizaines d’étrangers attendent aussi que soit traduit cet homme pour faire le deuil des leurs. Abdallah Senoussi ne doit pas se soustraire à cette justice universelle, encore moins à celle de son pays. D’ailleurs son arrestation est bien la preuve qu’on doit toujours payer pour ses actes.
Que tous ceux qui ont participé aux crimes du passé méditent l’exemple de cet homme. Il y a un an, il aurait pu inverser les évènements et amener son mentor à quitter pacifiquement le pouvoir. Il a choisi de soutenir, d’accompagner son maître jusqu’à la fin. Il a été très probablement son «mauvais génie»… Ceux de chez nous doivent se le rappeler.  

dimanche 18 mars 2012

De la «tazouba»


La «tazouba» est une notion cultivée par les marabouts dans l’espace Maure. On explique qu’il s’agit d’une Justice Immanente qui finit par venger l’arbitraire dont peut être victime le plus faible. Au début, il s’agissait en fait d’une sorte d’assurance que l’idéologie maraboutique avait cultivée pour compenser – ou tempérer – la victoire des guerriers Hassanes. Pour nombre d’entre nous, seul le marabout «izabi», parce qu’on a fait tailler un verbe à partir du nom «tazouba». D’où cette boutade que nous entendons partout : «izabi il maabouh shriif», un peu pour dire que ce n’est pas l’origine qui vous assure de profiter de cette Justice Immanente. Tout celui qui subit injustement un préjudice peut en fait en profiter. On peut y croire ou pas, c’est un concept très présent dans notre culture, même celle d’aujourd’hui. Un peu pour s’amuser, un peu pour expliquer l’inexplicable, nous avons souvent recours à l’expression «hadha muzabi» quand quelqu’un agit en dehors de toute logique, ou quand toutes ses entreprises sont vouées à l’échec.
L’autre soir, au cours d’une discussion autour d’un thé, avec quelques-uns de nos compatriotes exilés «économiques» au Koweït où ils travaillent dignement et en entretenant une belle image de notre pays et de ses habitants (sérieux, compétence et sociabilité), au milieu de ces compatriotes et au milieu d’une discussion autour des erreurs et des parcours politiques des uns et des autres, j’ai dû faire recours au concept de «tazouba» pour expliquer l’inexplicable.
Je disais que l’élite du pays, le pays lui-même, a été sujet de la «tazouba» de Mokhtar Ould Daddah qui a été vite oublié par tous, qui a été même vilipendé à une certaine époque. On n’efface pas facilement une page de l’Histoire d’un pays ou d’une société sans culpabiliser. Cette culpabilisation suffit à elle seule pour annuler tous les efforts… une explication acceptable peut-être pour vous…
Sidi Ould Cheikh Abdallahi a subi la «tazouba» d’Ahmed Ould Daddah, son alter ego qu’il dribblé en acceptant de jouer le jeu des militaires en 2007. Lequel Ould Daddah a subi la «tazouba» de Ould Cheikh Abdallahi pour avoir participé à sa démission du pouvoir. C’est certainement la «tazouba» de Ould Daddah qui poursuit ceux de l’UFP, de Tawaçoul, de l’APP, du RDU, de ADIL, du PRDR… pour l’avoir soit trahi à un moment, soit empêché de réalisé son dessein suprême…
Et tous, parce que chacun de nous est poursuivi par une «tazouba», tous, nous sommes poursuivis par la «tazouba» de la Mauritanie… 

samedi 17 mars 2012

Le modèle koweitien


On entend peu parler de la démocratie dans les pays de la région du Golf. Quand on vient au Koweït et qu’on se frotte au monde politique et médiatique, on se rend compte qu’on est en présence d’un système démocratique authentique. Dans la mesure où il est le fruit d’une évolution intérieure qui a pris le temps de s’enraciner.
Dans les années 20 et 30, le Koweït, encore sous occupation, décide d’élire un Conseil consultatif qui a pour mission d’assister l’Emir. Puis on passe aux conseils locaux élus. Si bien que le premier acte de l’indépendance fut la rédaction d’une Constitution qui consacrait ce processus électif (1961).
Avant l’occupation en 1990, le Koweït, avec le Liban, étaient les premiers pays arabes du point de vue de la liberté d’expression et de la qualité de l’exercice des libertés. Beaucoup d’intellectuels arabes y allaient à la recherche de cette clémence vis-à-vis de la pensée libre. Le trauma de l’occupation allait faire oublier ce fait. Mais les évènements de 2010 et 2011 et l’évolution présente dans le monde arabe doivent permettre de tourner le regard vers ce petit Etat qui développe, dans le calme, une expérience assez riche.
Mercredi dernier (14/3), nous sommes au Parlement koweitien (Majliss el Oumma). Le Premier ministre, éminent membre de la famille émirale, est appelé à s’expliquer devant les élus dont la majorité s’inscrivent dans l’opposition. Il vient demander un temps pour raison d’occupations à l’extérieur (rencontres et visites d’homologues). La discussion s’enflamme puis les députés acceptent de lui donner deux semaines encore. On passe alors aux autres points de l’ordre du jour. Ici, c’est la commission de surveillance de la gestion du bien public qui demande la constitution de plusieurs commissions d’enquête : une pour auditer les comptes du ministère des affaires étrangères, une pour disséquer un contrat avec Shell, une autre pour voir ce qui retarde la mise en œuvre de la loi relative à la libéralisation de l’audiovisuel… Tout procède du consensus parce que tous sont d’accord, malgré les différences d’appartenances politiques et/ou confessionnelles, de l’utilité pour tous de telles enquêtes.
Certains députés arborent des rubans noirs, d’autres ont hissé des drapeaux noirs sur leurs pupitres. Ils entendent protester contre l’occupation du Parlement il y a quelques mois. Une occupation qui avait fait suite à un refus de l’ancien Premier ministre de répondre à une interpellation d’un parlementaire. Cet incident avait été à l’origine de la dissolution de la Chambre, de la destitution de l'ancien Premier ministre et de l’organisation de nouvelles élections qui ont donné la majorité à l’opposition – particulièrement les partis islamistes. Ceux qui arborent le noir tentent d’imposer le principe d’une condamnation de l’acte du viol de l’enceinte du Parlement de manière illégale.
La semaine dernière, les douanes sont en grève et pour ceux qui ont accès à Al Jazeera, vous n’aurez certainement pas manqué cet échange entre le ministre du pétrole qui disait que la grève n’affectait en rien les exportations, et le porte-parole des douaniers qui soutenait le contraire en disant qu’aucun produit ne peut sortir sans le visa de ses services.
Tout ça dans le calme et la sérénité. Et surtout en termes polis… à bon entendeur…

vendredi 16 mars 2012

Une pensée pour eux


16 mars 1981… un lundi… il est neuf heures du matin quand crépitent des tirs de kalachnikovs dans les environs de la présidence. Moins d’une heure après tout le monde savait de quoi il s’agissait.
La première impression de l’étudiant que j’étais, est que tout le monde de Nouakchott était au courant de la folle équipée de ce groupe de vaillants officiers et sous-officiers et comptant quelques civils convertis pour l’occasion en militaires.
En réalité, nous le saurons plus tard, les autorités avaient été averties de l’arrivée et même des détails du projet du groupe. C’est pourquoi le président du CMSN Ould Haidalla était parti par avion vers le nord. La réunion du comité militaire de salut national initialement prévue ce jour-là fut reportée. Et chacun des hommes du pouvoir regagna son poste d’affectation.
On se demande encore aujourd’hui par quel canal les autorités avaient été averties. On accuse quelques personnalités de l’aile politique de l’Alliance pour une Mauritanie démocratique (AMD) d’avoir averti des parents et/ou des alliés pour être «du bon côté». On dit que ceux-ci auraient averti qui de droit. L’AMD, comme toutes les organisations politiques, était hautement infiltrée par les services de renseignements de l’époque. Il n’y a pas donc lieu d’être surpris si tout le monde était au courant.
Les colonels Kader et Ould Sidi sont arrêtés. Un seul des assaillants, Ahmed Ould N’deyatt, réussit à échapper aux services de sécurité et à gagner le Sénégal voisin. S’en suivit la plus grande rafle jamais opérée en Mauritanie : plus de quatre mille personnes se retrouvent en prison ou en résidence surveillée. Le délit de parenté fait son apparition en Mauritanie. Un procès est vite organisé. Des condamnations à mort dont quatre membres du groupe. La grâce est refusée par le président Ould Haidalla. Les quatre hommes sont exécutés et enterrés à la va-vite le 23 mars à Jreida…
Si j’en parle 31 ans après, c’est pour ne pas oublier ces moments de dérive profonde et de fortes douleurs pour nombre d’entre nous. Contre l’oubli de toutes les victimes, même s’il s’agit de militaires ayant participé à une tentative de putsch. Le fait que 30 ans après – l’année passée encore – le président de l’époque dit ne rien regretter, surtout pas le fait d’avoir refusé la grâce, ce fait nous oblige à rappeler les faits.
Je connais les deux colonels Kader et Ould Sidi. Pour des raisons évidentes, mes liens avec le second étaient beaucoup plus forts, beaucoup plus personnels. Je sais qu’ils étaient tous les deux brillants, honnêtes et profondément patriotes. Ils ne méritaient ni le parcours dans lequel les manigances des politiques de l’époque – les mêmes qui dominent la scène actuellement – les avaient menés, ni la fin qu’ils ont connu, encore moins l’oubli.
31 ans après, je ne pardonne pas à l’AMD, surtout pas à ses éléments politiques, le fait d’avoir poussé ses valeureux officiers et sous-officiers sur la voie du complot irréfléchi. J’attends depuis tout ce temps, des explications de ces hommes politiques qui continuent à encombrer notre espace public, sans vergogne et sans regrets.
Dans ce pays, les relations entre civils et militaires ont toujours mal fini. Chaque militaire qui entre sur la scène politique a été poussé par un groupe politique déterminé. Quand le coup aboutit à une prise de pouvoir, une période de grâce s’ouvre pour le groupe concerné, l’occasion d’exclure les protagonistes politiques, d’accaparer à soi tous les privilèges,de promouvoir les siens. Cela finit fatalement par la contestation, le blocage et un divorce entre les ailes militaire et civile du pouvoir. Toujours au profit de la première parce que la seconde (l’aile civile) n’a jamais eu les moyens de ses ambitions.
Si, par contre, le putsch n’ouvre pas sur une prise de pouvoir, les militaires sont abandonnés à leur sort et vite oubliés par les politiques qui les ont poussés sur cette voie. A ceux-là, à tous ceux-là je dis : honte à vous.

jeudi 15 mars 2012

La guerre, toujours présente

Avec les Koweitiens, la discussion finit toujours autour de la guerre provoquée par l’occupation du Koweït par son puissant voisin du nord, l’Irak. Et quand on voit que vous n’êtes pas convaincu, on finit par vous entraîner au musée de la libération, un musée dédié aux relations avec ce voisin, et surtout à cette guerre.
Mascottes, figurines, miniatures… tout est mis en œuvre pour raconter ce qui fut un trauma pour le Koweït… et une catastrophe pour l’Irak et pour la région en général.
Au matin du 2 août 1990, les armées de Saddam Hussein occupent le Koweït. En quelques jours, presque tout le territoire est sous contrôle malgré la résistance d’une petite armée et d’un peuple plutôt pacifique mais héroïque. Une occupation qui mettra six mois après avoir été le prétexte pour une coalition internationale de déployer ses forces dans la région.
Les conséquences de l’expédition «Tempête du désert» sont énormes. On parle encore des milliers de cadavres sur les routes, des quantités énormes de matériels militaires abandonnés ou détruits sur le chemin du retrait irakien. En plus du choc produit. Une folle équipée qu’on tente ici d’entretenir pour cultiver la ferveur.
On vous dit que le Koweït est une petite entité située entre trois géants devant lesquels il ne fait pas le poids. D’une part un Irak depuis toujours belliqueux vis-à-vis de ce qu’il considère être une partie de lui-même. Dernier incident : le port de Bamyan situé sur une île appartenant au Koweït et dont la construction gêne la partie irakienne qui ne s’en cache pas. Il en a été question – sans solution – lors de la visite qu’effectue aujourd’hui le Premier ministre irakien au Koweït.
D’autre part l’Iran qui menace les équilibres régionaux et qui peut, dès qu’il se sent menacé par les Occidentaux, faire du Koweït un champ de bataille. Culbuter le petit Etat comme avaient fait les Allemands pour la Belgique en 1939.
De l’autre côté le «frère» Saoudien sur lequel on n’est obligé de s’adosser, mais qui est, par moments encombrant.
La géopolitique apprend donc à cette population et aux structures de l’Etat la rationalité. Pas d’extravagance dans les rapports avec l’autre, pas d’arrogance, «juste la conscience de notre taille pour avoir les ambitions qui sont les nôtres». C’est, selon le secrétaire général du ministère de la communication (Wakil comme on l’appelle ici) et qui se trouve être un membre de la famille émirale, ce qui a amené le Koweït à refuser la proposition de rachat d’Al Jazeera, faite dans les années 90 par des groupes dont la BBC. «Nous ne pouvons pas afficher des ambitions qui ne doivent pas être les nôtres. Nous préférons évoluer dans le calme et en toute humilité».
Partout dans les rues de Koweït-city, s’affichent deux chiffres : 51 et 21. Le premier pour les 51 années d’indépendance, le second pour les 21 années passées depuis la libération de l’occupation du pays par son voisin du nord.

mercredi 14 mars 2012

Qu’est-ce qui presse ?

J’ai lu ces derniers jours de nombreux écrits à propos d'un marché relatif à la construction d’une centrale électrique qui devrait fournir 120 MW à la ville de Nouakchott. La préoccupation des auteurs des articles semblait tourner autour de la régularité de la passation du marché qui est quand même d’un montant de 135 millions dollars. Mon souci à moi se situe à un autre niveau.
Depuis deux ans, les autorités ont parlé de la construction d’une grande centrale dual, c’est-à-dire une centrale qui va travailler avec le fuel et le gaz. Le fuel sera très probablement importé, tandis que le gaz sera prélevé sur la production de Banda laquelle va démarrer très bientôt sa phase de développement pour le pétrole qui donnera 15.000 barils de plus et pour le gaz dont les quantités restent à déterminer.
La centrale en question devant produire 350 MW. Assez pour subvenir aux besoins des villes de Nouadhibou et de Nouakchott et des entités industrielles qui se trouvent dans la zone. L’Etat n’a trouvé aucun mal à mobiliser ses fonds propres, ceux de la SNIM et à impliquer Kinross-Tasiast pour le financement de cette importante infrastructure. L’étude technique a été confiée à TRACTABEL. Elle n’a pas encore fini de remettre les résultats de son travail que voilà que la SOMELEC lance le projet de construction de la centrale de 120 MW.
Le hic, c’est qu’on a choisi d’utiliser des groupes au lieu des turbines, ce qui revient beaucoup plus cher et qui pourrait compromettre, selon les techniciens de la chose, «l’accouplement» - je ne sais pas comment on appelle cela -, ah, le raccordement plus tard aux unités qui vont suivre.
Pour produire 120 MW, nous allons dire qu’il faut une quarantaine de turbines et qu’à ce niveau le coût de production du mégawatt sera de l’ordre de 800 à 900.000 dollars. Si l’on opte pour des turbines puissantes, le prix baissera. Plus la puissance augmente, plus le coût de production baisse pour atteindre les 700.000 dollars. Je ne fais que répéter ce que me disent les spécialistes.
Alors ma question n’est pas de savoir si le bureau d’études chargé de définir le cahier des charges et les spécifications avait ou non taillé sur mesures ses propositions, mais plutôt de savoir pourquoi la SOMELEC s’empresse à réaliser une partie d’un projet dont l’étude globale n’est pas encore achevée. On peut penser que quand l’étude sera achevée, il reviendra à la nouvelle société – appartenant à l’Etat mauritanien, la SNIM et Kinross – de lancer les appels d’offres et que pour cela la SOMELEC voudrait bien anticiper pour se donner un rôle. Mais est-ce suffisant ?

mardi 13 mars 2012

Lointain Koweït

Quand on arrive à l’aéroport de Koweït city, on est frappé par le temps pris par les formalités d’entrée. Heureusement pour nous que nous sommes d’un pays où la gazra est une culture. Il est facile pour nous de faire semblant de ne pas voir la file et de passer directement au comptoir. Malgré cela, nous allons rester une bonne heure à l’aéroport. Quand on vient de Dubaï, on est frappé par la taille de l’aéroport de Koweït-city. Beaucoup d’asiatiques et d’européens. On entend très peu le parler du pays qui a visiblement été fortement influencé par les accents asiatiques.
En l’absence de l’autorité qui nous a invités – nous sommes trois journalistes -, c’est l’Ambassade de Mauritanie qui nous ramène vers la ville. Nous sommes reçus par l’Ambassadeur Hammadi Ould Meimou dans une belle résidence d’un quartier chic. Je pense intérieurement à toutes ces résidences et bureaux de nos représentations diplomatiques. Cela doit coûter cher mais cela en vaut la peine.
Nous sommes dans un pays essentiel dans le dispositif des financements arabes, dans un pays frère que nous avons blessé un jour…
C’était en 1990/1991 quand le Koweït avait été le théâtre d’une guerre qui a commencé par son annexion par son voisin du nord. Le gouvernement mauritanien de l’époque, aveugle et sourd, avait opté pour le soutien de l’agresseur. Il avait oublié les points communs entre le Koweït et la Mauritanie. Deux pays qui se retrouvaient au début des années soixante à la porte des organisations internationales, entrain de batailler pour une reconnaissance contestée par leurs puissants voisins du nord. Oubliée aussi l’accompagnement par le Koweït du développement du pays et de son ouverture sur le monde arabe. Le premier journal arabe à parler en long et en large de «cette terre qui abrite le dernier bastion de la civilisation arabe originelle», c’est bien la revue koweitienne «Al Araby» qui allait d’ailleurs coller au pays la fameuse appellation «le pays au million de poètes» (balad el milioune cha’ir).
La communauté mauritanienne vit bien ici. Des professeurs de langue, de sciences religieuses et de… Français. Des étudiants aussi. L’Ambassade semble avoir accompli un grand travail ces derniers temps. Cela va de la normalisation des rapports à leur développement. Le contact politique et social est entretenu entre l’Ambassadeur et les leaders d’opinion de la place.
Il existe des salons appelés «diwaniya» (pluriel : diwaniyat) animés chez les grandes personnalités politiques, tribales, économiques, militants de la société civile (j’y reviendrai)… C’est un moment social et politique dont profite l’Ambassadeur Ould Meimou pour imposer une présence effective du pays…