dimanche 21 avril 2013

Sentiments mitigés


Comme d’habitude, je me suis réveillé très tôt ce matin-là. Vendredi matin, les courses obligatoires, devenues routinières : Mosquée, boulangerie, retour à la maison. Télévision. J’apprends plusieurs nouvelles qui font naitre chez moi plusieurs sentiments. Je partage avec vous quelques-uns de ces sentiments.
Soulagement et réconfort. Les Moulin-Fournier, cette famille française enlevée au Cameroun par la secte Bokou Haram, les Jihadistes du Nigéria qui ont fait allégeance à Al Qaeda. Parmi les victimes du rapt, quatre enfants. Les images publiées par les ravisseurs pour faire pression avaient scandalisé la communauté musulmane. Parce que rien, absolument rien, ne pouvait justifier une telle barbarie. Même pas les raisons fallacieuses avancées par eux.
Après d’âpres négociations, les Français ont réussi à libérer les leurs. Un dénouement qui permettra au Président François Hollande de redresser sa notoriété, lui qui paraissait si malmené par les sondages. Mais qui ne résout rien de la problématique du terrorisme qui a fait de la France une cible privilégiée.
Le gouvernement français soutient qu’il n’a pas versé de rançon et qu’il n’a pas accédé aux doléances des terroristes ravisseurs en aucune manière. Il préfère louer la coopération avec les pays concernés (le Cameroun et le Nigeria). Le croit-on ? difficilement.
Selon toute vraisemblance, une rançon a été versée soit par un pays tiers (le Qatar ? le Burkina ? les deux pays ont des passerelles avec ces organisations), soit par la société qui emploie le père de famille. Le Cameroun aurait libéré des membres de la secte. Tandis que le Nigéria préparerait une loi d’amnistie qui en concernerait d’autres.
Révolte et déception. J’ai prié tous ces jours pour que l’attentat de Boston n’ait aucun lien avec l’Islam ou les Arabes. Finalement, la deuxième grande information du jour après la libération des otages français, est bien la cavale des deux auteurs de l’attentat. Il s’agit de deux frères d’origine tchétchène arrivés aux Etats-Unis en 2001 ou 2002, dont l’un était parfaitement intégré, obtenant la nationalité en 2012.
Le plus âgé des frères Tsarnaev s’appelle Tamerlan… un prénom de destinée parce qu’il s’agit de ce turco-mongol qui a semé la terreur dans la partie oriental de l’Empire musulman au XIVème siècle, avant de fonder une principauté autour de Samarkand. Le Tamerlan d’aujourd’hui, c’est celui qui visiblement avait de l’ascendant sur son frère cadet, Djokhar – le premier avait 26 ans, le second 19. Bons musulmans – plutôt musulmans fervents -, les deux jeunes ont été embrigadés à travers les réseaux sociaux. Ils ont bien préparé leur coup.
Aux Etats-Unis, l’incompréhension est grande. Comment des jeunes se comportant comme tous les jeunes de leur âge, peuvent-ils basculer de la sorte ? Surtout que Tamerlan avait une fille d’une citoyenne américaine qu’il avait convertie à l’Islam. Les analystes et les commentateurs semblent avoir oublié que les deux Tchétchènes transportaient avec eux leur haine de l’Occident, du libéralisme, de l’Autre en général quand ils sont venus s’installer au Massachussetts. Leurs déboires sur place n’ont fait qu’exacerber ce qui était déjà là et qui pouvait provoquer à n’importe quel moment un accès de folie meurtrière. Pas besoin d’aller loin dans les enquêtes se rapportant au cursus de chacun : la haine qu’ils avaient trimbalée en eux a été entretenue et excitée par les sites faisant l’apologie de la violence, aboutissant à ces explosions de Boston.
Surprise et honte. C’était sur I-TV, une chaine française d’information continue. Une édition spéciale consacrée à la libération de la famille Moulin-Fournier. Deux journalistes interrogent le spécialiste maison de l’Afrique et des groupes terroristes, un certain Olivier Ravanello que j’avais entendu plusieurs sur le Mali et dont les connaissances – du moins sur la région - me paraissaient très approximatives. Aujourd’hui, il s’agit de commenter cette libération d’otages…
Le «spécialiste» qui a certainement pris le temps de préparer cette «expertise» se lance dans une longue litanie où il parle de «forces kenyanes» qui seraient remontées vers le Nord «du Kenya» pour mater la «secte kenyane» qui veut imposer l’application de la Charia «à tout le Kenya». Les «relations de la France avec le Kenya», de la France «avec le Cameroun» ont permis de dénouer la situation. En quelques minutes, l’expert aura prononcé le nom du Kenya au moins six fois. Ce qui est surprenant, ce n’est pas seulement la confusion dans les propos du spécialiste, mais aussi et surtout le silence des deux journalistes qui sont en face de lui.
Cela m’a rappelé que quand il a voulu s’excuser pour ses propos sur le Président mauritanien, le député français Noël Mamère avait prétexté qu’il s’agissait d’un défaut de langage, qu’il pouvait dire «le Président de l’Algérie, du Mali, du Niger…», n’importe lequel… Comme le mépris que cette élite française affiche est sans limite. Entre le Kenya et le Nigéria, quelle différence ? Tous deux des pays africains. Olivier Ravanello, le spécialiste de la question aurait pu citer l’Ouganda, l’Egypte ou le Botswana… quelle différence ?