mercredi 10 octobre 2012

L’obscurantisme rampant


Chinguit TV reçoit un jeune «présumé» faqih si l’on s’en tient à sa manière d’enrouler le turban, sa barbe hirsute et l’attribut de «shaykh» qui accompagne les questions de la journaliste qui est en face de lui. Quand je capte l’image, le jeune shaykh est en train de justifier l’interdiction pour la femme de faire du sport. A peu près en ces termes : «Se bâtir des muscles, c’est le propre des hommes. Quand je veux avoir une femme, c’est une femme que je veux, pas un homme… et puis à quoi me sert d’avoir une femme qui peut me battre si je devais la frapper…» Et de se lancer dans une longue diatribe contre l’autonomisation des femmes, la promotion de leur rôle dans la société… On peut se croire n’importe où dans le monde musulman sauf en Mauritanie. Ici, en effet, la caractéristique première de notre société est bien cette place de choix que la femme occupe, celle de patronne des lieux, survivance d’un matriarcat aujourd’hui occulté.
C’était sur les ondes de Radio Nouakchott (ANI). Cette chaine privée reçoit ce jour-là l’un des grands idéologues du Salafisme mauritanien, Mohamed Ould Zarouq dit Sha’ir (le poète). L’homme est très connu ici pour avoir fait partie des victimes des répressions qui ont visé, dans les années 90 et 2000, la mouvance islamiste. Très représentatif du courant salafiste, il bénéficie d’une grande aura en son sein.
Deux heures en face de Mohamed Mahmoud Ould Aboulmaaly, fin connaisseur de la pensée religieuse et journaliste professionnel, auront permis de comprendre que le mouvement salafiste dont certains pans cherchent à créer un parti, que ce courant manque de maturité. Aucune des questions fondamentales n’a été élucidée. Ni la position vis-à-vis de la démocratie qu’on veut pratiquer à travers les élections tout en considérant le Parlement comme une hérésie. Ni de la femme qui n’a pas le droit de diriger, ni d’être totalement autonome. Et, plus grave, on en est sorti sans avoir entendu une condamnation claire des actes criminels qui sont commis au nom de l’Islam.
Si j’en parle, c’est parce qu’il faut ajouter ces propos à tous ceux entendus – et dénoncés ici – sur la légitimation de l’esclavage, la place de la femme, l’utilisation des moyens modernes, la cohabitation avec le non-musulman… Il y a une espèce d’obscurantisme rampant qui étale son échappe sur la société et qui nous fait revenir… revenir n’est pas le mot approprié, parce que nous n’en avons jamais été là… qui nous condamne à une régression (au sens psychanalytique) sans précédent dans notre Histoire.
En face, personne ne semble relever la tête. Les politiques sont occupés ailleurs. Les intellectuels ne s’intéressent pas à ce genre de problématiques. La société civile est accaparée par ce qui se passe sur la scène politique.
Normalement, les Ulémas «éclairés», ceux qui ont toujours présenté la Modernité comme le véritable enjeu pour nos sociétés, normalement ceux-là auraient pu contester cette exégèse équivoque et dangereuse. Mais ils sont réduits au silence par la pratique du terrorisme intellectuel qui fait que la meute est toujours prête à les vilipender et à les traiter de «Ulema banava»…