mardi 30 octobre 2012

Aux sources de la rumeur

Il était habillé sobrement : un boubou passablement terni, une chemise rose manches longues, des chaussures de grande qualité… Il s’est assis face à moi dans la salle d’attente d’un haut responsable politique de la place. On ne se connaissait pas, on se tournait donc le dos (en fait le regard).
Son téléphone sonne. «Wanni, wanni… ah, bon ? sur la chaine Al Alam, la chaine iranienne ? ah bon ? Je n’ai pas vu, mais je sais que c’est une chaine très sérieuse. D’ailleurs il y a quelque chose qui ne tient pas. Je vais prendre pour toi toutes les informations et te rendre compte. Mais je peux te dire d’ores et déjà que les médecins français qui l’ont traité ont effectivement exprimé beaucoup d’inquiétudes. Ça, gaa’, je le sais par une source digne de foi qui était à l’hôpital Percy… ah bon ? ils ont dit l’hôpital américain ? donc à l’hôpital américain, c’est là-bas qu’il s’est soigné… en tout cas les médecins disent qu’il est irrécupérable… non, ne t’en fais pas, je te donnerai l’information exacte, mais saches que tu dois être certain qu’il est mal en point…»
Est parti ainsi cette rumeur concernant des révélations qui auraient été faites sur cette chaine que peu, très peu, de Mauritaniens regardent. Une chaine qui n’a aucune prédisposition particulière à être plus informée que les autres et surtout pas que les Mauritaniens.
De retour ici, je me rends compte combien le pays a été secoué par les folles rumeurs de samedi dernier (27/10). Coup d’Etat, incapacité du Président, réunion du Conseil de sécurité… mais quel «conseil de sécurité» ? qui décide de l’incapacité du Président ? le Conseil constitutionnel ? qui dirige en son absence ?
L’esprit critique aurait permis à chacun de nous de faire les conclusions qu’il devait faire. Il n’y a pas de conseil de sécurité en Mauritanie. Si on me dit que l’Etat Major est encerclé, je vais voir ce qu’il en est. Si on me dit qu’un autre lieu est encerclé par des forces spéciales, je m’en vais contrôler. En Mauritanie tout peut être connu si l’on veut. Mais veut-on vraiment ?
Je ne pense pas pour ma part. Comme je le répète depuis des années, la vérité n’est plus l’objet de quête. La précision non plus. C’est ce qui explique le règne de la rumeur. On en vit désormais. Mais avec elle, nous perdons du temps et de l’énergie. D’abord à savoir comment, ensuite à savoir pourquoi…