mercredi 16 mai 2012

La leçon de Cheikh Mohamd el Mamy


J’aurai pu dire «l’une des leçons de Cheikh Mohamd el Mamy», tellement la vie et l’œuvre de cet érudit, véritable génie de son temps, a été studieuse pour ses semblables, contemporains et suivants.
C’est à lui que nous devons, entre autres concepts, la formule «al mankib al barzakhi» pour désigner cet espace qui allait devenir la Mauritanie. Il décrivait cet espace comme une espèce de «transition» entre le «Bilad el Makhzen» où règne l’autorité des Monarques alaouites, où il y a un semblant d’ordre, et le «Bilad Essoudaane» des confins soudano-sahéliens où cet ordre et cette autorité étaient absents, mais où règnent des Almamys aux fortunes diverses. Ce «mankib el barzakhi» se confond pour lui avec le «bilad essiba», un espace sans loi, sans ordre…
Nous en avons conclu qu’il s’agissait de décrire ce pays comme «une portion du Purgatoire», une sorte de ressac où les vagues viennent s’écraser, avant de reprendre avec force l’assaut des berges escarpées, de revenir sur elles-mêmes pour finalement revenir s’écraser… mouvement infini de vanité, de bruit et de fureur… éternité d’un mouvement qui dicte à la vague de venir s’écraser contre les parois rocheuses et qui donne à celles-ci la force de résister devant ces assauts qui n’en finissent pas d’être lancés.
Le tournis que produit ce mouvement dans le ressac, est semblable à l’effet produit par la contemplation de cette «portion du Purgatoire», cette «transition» entre deux mondes, cette «wagh entre deux rives… Les contemporains de Cheikh Mohamd el Mamy ne pouvaient saisir la vision du sociologue-anthropologue-érudit-poète-grammairien-astrologue-mathématicien-historien… qu’il fut…
Nous voyons depuis une cinquantaine d’années se dérouler devant nous le spectacle de ce «mankib al barzakhi», où les lois de la nature sont détraquées, où celles des hommes sont faites pour être violées. Où les jours se suivent et se ressemblent. Où l’horizon n’est jamais visible. Où la réalité n’est jamais perceptible dans sa vérité. Où l’imaginaire est prisonnier d’un sérieux qui n’en est pas. Où la vérité ne compte pas. Où tout va en se détériorant. Où le temps ne passe pas. Où l’Histoire est une négation du Progrès. Où les hommes sont pris d’une frénésie qui les empêche de voir au grand jour.
Le vénérable Cheikh Mohamd el Mamy avait trouvé que le meilleur pour lui et ses semblables, habitants de ces contrées qui ont vu s’effacer l’ordre et le temps, c’était de toujours savoir ce qu’on voulait et de ne jamais donner l’impression de courir derrière.
«wa nudriku maa nuuridu wa laa taraana/’alaa aathaarihi mutashadidiina»
Une qualité que de savoir avec précision ce qu’on veut. Une vertu que de pouvoir s’abstenir d’exprimer avec fracas ce désir. Une qualité et une vertu perdues aujourd’hui.
N’est-ce pas l’un de nos plus gros handicaps que celui de ne jamais savoir ce qu’on veut ? de toujours déclarer une intention, de déployer une stratégie qui sied pour une autre, de le dire de mille manières, de façon à noyer le sujet et à rester dans ce «flou artistique» qui laisse place à toutes les interprétations. On continue de tourner en rond à cause de cela…
Et pendant que nous tournons en rond, le monde avance autour de nous, la terre tourne, les hommes changent… et nous ?
Notre élite aspire à la Modernité, du moins normalement. Mais est-ce que son comportement quotidien exprime ce désir ? ses faits et gestes nous disent-ils ce que cette élite veut: le statu quo ou le changement social ?
Nos politiques revendiquent la démocratisation. Qu’est-ce qui nous le dit ? que font-ils pour cela ?
Nous voulons la transparence, la bonne gouvernance, la lutté contre la gabegie, une meilleure utilisation des ressources au profit de la communauté et non des particuliers… Et en même temps nous cherchons à perpétuer les comportements antérieurs, l’ordre ante, continuer à entretenir les intermédiaires politiques par les prébendes…