mardi 20 mai 2014

Maalouma, le singulier et le pluriel

A-t-on besoin de le rappeler : Maalouma Mint Meydah sait extraire ce qu’il de mieux dans notre patrimoine pour l’envelopper dans ce qu’il y a de mieux chez les autres pour nous le rendre dans la meilleure des formes. Le pari de Maalouma est largement gagné avec son nouvel album Knou.
Le titre Knou est évocateur parce qu’il est une reprise d’un morceau d’anthologie de la musique traditionnelle Bithâne. Il s’agit d’un rythme qui se caractérise par la douceur qui exige une grande grâce pour les danseuses – parce qu’il s’agit d’une danse réservée plus ou moins aux femmes. Quand on regarde les femmes évoluer sur scène, on pense facilement  aux chancèlements d’un oiseau blessé, aux déhanchements d’une belle et grasse autruche sur le point de tomber entre les mains du chasseur qui l’a juste blessée sans la tuer… le temps pour elle de faire quelques pas de plus… au rythme d’un effort immense qui est rendu par la mélancolie de la musique qui instruit aussi sur le destin tragique et inévitable de l’oiseau… tout est dit dans le rythme et dans les mots qui ne veulent rien dire d’extraordinaire sauf qu’ils riment et qu’ils taisent plus qu’ils ne disent… «laaja likhriiv/n’udaana//nizegnen kiiv/bouzinaana»… «yom, yom…»…
C’est ici que Maalouma apporte sa première note : les mots racontent désormais une histoire, celle d’un ancien séducteur qui n’a plus que les souvenirs pour accompagner allègrement une déchéance certaine…
Le style «singulier» de Maalouma réside dans sa capacité à composer un rythme avant de lui trouver le texte qui va avec. Le défi pour elle, c’est de trouver les mots qui remplissent parfaitement le rythme sans prendre en compte la contrainte de la métrique traditionnelle. C’est ce qui lui permet de faire l’unité du thème et de la poésie. Et ce sont là les «petites» révolutions qui permettent à Maalouma de lancer la «oughniya» mauritanienne qui allait faire des émules en Mauritanie.
Celle à laquelle on s’en prenait pour avoir apporté du neuf dans la musique, bouleversant l’ordre séculaire, dépassant les tentatives timides de modernisation qui n’ont pas tenu devant les remparts de la tradition, celle-là est devenue un modèle. Elle est passée du statut de «griotte» à celui d’«artiste», pour sa capacité à innover, sa détermination à imposer un style et à réhabiliter la créativité et la création artistique.
Deuxième niveau de rénovation, le message véhiculé par l’art sert désormais les valeurs humanistes pour dénoncer les misères terrestres : l’injustice, l’arbitraire, la guerre, la famine, les inégalités…
Pour revenir à Knou, rappelons que ce rythme est si apprécié par les pratiquants et les connaisseurs de la musique Bidhâne qu’il a été joué dans plusieurs modes avec des variations qui n’ont en rien affecté le rythme fondamental. Certains le jouent dans le Vaghu de la Jamba el Kahla (la Voie noire), dans le K-hâl de la Jamba el baydha (Voie blanche), d’autres ont créé «knou el vayiz» dans le Sayni-karr… chacun y allant de ses petites variations pour célébrer ce rythme destiné à faire danser les plus belles femmes présentes. Car pour danser Knou, il faut répondre à un minimum de conditions physiques qui sont pour le rythme, déjà fantastique, une sorte d’ornements supplémentaires… 
L’un des chefs d’œuvres de l’album reste Gwoyredh, ce showr «piqué» dans le répertoire de son père Mokhtar Ould Meidah, l’un des plus grands maîtres de l’art traditionnel. Quelque chose qui révèle tout le talent de Maalouma. Il y a quelques semaines, j’écrivais ici :
«D’abord l’Ârdine, avec un flux intense, sans agressivité cependant, sans violence aussi… juste une série de sonorités qui vous transpercent… doucement… pas lentement, mais doucement… qui vous transportent… La voix de Maalouma arrive pour vous baigner dans l’univers du plus romantique des poètes amoureux de l’espace Bidhâne, M’Hammad Wul Ahmed Youra, le génie de tous les temps de cet espace…
«shmeshâna wu shga’adna/âana wunta hawn uhadna 
yal ‘agl ‘la daar Inzdna/giblit sâhil wâd Hnayna…»
 

Pendant qu’on s’oublie dans la méditation de ce dialogue que le poète entreprend avec son âme ingrate parce que voulant quitter ces lieux sans se donner le temps de pleurer le bonheur ici vécu, sans se souvenir pour rendre aux lieux quelques bribes du bonheur d’antan, en signe de reconnaissance… 

…«mâ vit âna wunta lathnayn/viddâr g’adna wu bkayna 
wu tmathnayna viddâr ilayn/min haq iddâr tnajayna»
 

Comme pour venir en écho au poète Lamartine qui, lui, interpellait le temps qui passe : 

«Eternité, néant, passé, sombres abîmes, 
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ? 
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes 
Que vous nous ravissez ?» (Le Lac)
 

On est perdu dans la comparaison des approches dans l’expression du bonheur perdu… en pensant que M’hammad a voulu faire de ce temps (qui n’est pas perdu pour lui), un espace qu’il vénère et pour lequel il exprime une profonde gratitude… Lamartine qui s’en prend à «ceux» qu’il croit responsables du vol de son bonheur… 
Et dans tout ça, la voix douce et mélancolique de Maalouma… On suffoque sous l’emprise de la complainte quand, soudain sortent les sonorités de la tidinît de Mokhtar Wul Meydah, le père de Maalouma… Il joue sa célèbre partition «Gwoyridh»… «dent-daan-denna-det-denadenadenna-den…» 
Une voix unique en son genre. Un jeu unique d’une tidinît unique… On plonge dans le passé… au sens de l’ancrage, du retour aux sources, de l’immersion dans l’Originel, de la restauration de l’Authentique, de la reprise du chemin perdu, celui de la création et de l’innovation… 
Retour à Maalouma, à l’ârdîne et à la poésie de M’hammad… le moment de flottement qui devrait se comparer avec celui de l’ivresse… qui met les sens aux aguets… tous les sens… quand arrivent les voix d’un chœur chantant un rap des plus modernes… avec des mots qui célèbrent la vie et qui donnent espoir… 
Silence. Méditations. On est encore sous les effets de cette magie qui associe ancien, moderne et postmoderne dans une harmonie parfaite…
» 

Ici, Mokhtar Ould Meidah, Maalouma et Bankofa ont marié tidinit, ârdine et rap… en une mélodie envoûtante, sans précédent. Avec ce talent «singulier», c’est un talent «pluriel» que véhicule tout l’album.

lundi 19 mai 2014

la fuite en avant

Qu’est-ce qu’on n’entend pas comme bêtises énoncées par les spécialistes, parfois les politiques les plus en vue à propos de l’enlèvement de deux cents filles par Boko Haram, cette secte nigériane désormais affiliée à Al Qaeda ? Comme si les activités de cette secte étaient nouvelles. Comme si la jonction entre elle et les mouvements Ashabab de Somalie et AQMI au Maghreb n’étaient pas attendues. Comme si les actions meurtrières n’avaient pas déjà fait des milliers de victimes au Nigéria (la plupart des Musulmans).
Depuis quelques années, on voyait se durcir les positions de la secte nigériane. La présence de Nigérians au Nord du Mali a été signalée dès 2006. Et toutes les analyses prévoyaient la mise en place d’un arc-de-feu qui lierait AQMI dans l’espace sahélo-saharien à la Corne de l’Afrique en passant par l’hinterland ouest-africain. Très tôt on avait même parlé de la menace que faisait peser la présence de cet activisme sur la façade atlantique de l’Afrique de l’Ouest : qu’est-ce qui empêcherait les combattants salafistes de la zone de faire la piraterie comme les Somaliens ?
Avec l’enlèvement de près de deux cents filles nigérianes, on a l’impression que le monde découvre la menace qui fait régner la terreur en semant la mort et le désespoir au sein des populations de la sous-région.
Si le cycle ayant mené à la naissance du Sud Soudan a été un artifice d’Hollywood dont les «citoyens»  ont réussi à embarquer avec eux l’administration américaine, l’action de la France en Afrique de l’Ouest et au Maghreb a déjà conduit à des désastres qui ne finissent pas de coûter aux pays et aux populations.
C’est d’abord l’aventure libyenne qui a pesé lourd sur la stabilité de la région. En suivant les postures d’un sombre philosophe au crépuscule d’une carrière faite de coups d’éclats médiatiques (BHL), le président Sarkozy avait commis une erreur très grave d’abord en poussant l’OTAN à détruire la Libye, ensuite en donnant son vert à l’assassinat sauvage du dictateur Moammar Kadafi. L’instabilité de la Libye et l’enracinement des groupes armés extrémistes dans ce pays allaient irradier toute la région. A commencer par le Mali dont une partie a été occupée par les groupes jihadistes.
C’est donc l’opération Serval ayant servi à libérer le Nord du Mali qui a été le deuxième acte «irréfléchi» des Français dans une zone qu’ils croient pourtant connaitre. Sans anticiper sur la réaction des populations du Nord et tout en faisant un mauvais calcul sur l’apport que pouvait avoir les groupes rebelles «amis», la France s’est engagée sur un champ de bataille qu’elle n’est pas près de quitter. Certes les Tchadiens ont été d’un grand concours, mais à quoi ont servi les autres armées africaines mobilisées dans le cadre de la MISMA (Afrique) puis la MINUSMA (ONU) ?
Sans attendre d’entrevoir l’issue de cette guerre, la France s’est ensuite engagée en Centrafrique. L’opération Sangaris est parue plus comme une couverture aux exactions commises contre les Musulmans de ce pays que comme une opération de pacification. Elle continue de coûter au contribuable français déjà en difficulté à cause de la crise économique.
C’est maintenant le Nigéria qui intéresse la France de François Hollande. Cinq chefs d’Etats viennent de prendre part à un sommet convoqué par le Président François Hollande à Paris. Pour discuter de la situation au Nigéria et de l’activisme de Boko Haram.
Au cours d’une conférence de presse tenue à l’issue de la réunion, le Président Paul Biya du Cameroun : «Nous sommes ici pour déclarer la guerre à Boko Haram». Mais avec quels moyens et comment ?
Aucune précision après le sommet. Le plan adopté se base sur les échanges de renseignements et d’informations, la coordination et la mutualisation des moyens, notamment de surveillance autour du Lac Tchad et la mobilisation d’une force d’intervention.

François Hollande de préciser quand même qu’«il n’est pas besoin pour la France de déployer des unités militaires» parce qu’«elles sont déjà présentes dans la région». Le problème pour le Président français, c’est qu’il a toujours mis en avant la pauvreté des pays «assistés» par l’envoi des troupes, alors que le Nigéria est quand même un pays riche, très riche et dont les forces participent à plusieurs opérations de maintien de paix dans le monde. Cet argument est donc tombé. Qu’est-ce qui restera donc du sommet de Paris ? Rien sinon qu’il aura été une étape de plus dans la fuite en avant des autorités françaises qui tentent de maintenir l’image d’une France influente et volontaire sur la scène internationale. Comme pour faire oublier les déboires intérieurs d’une politique à laquelle peu de Français croient encore.

dimanche 18 mai 2014

Staff de campagne

Le candidat Mohamed Ould Abdel Aziz a nommé son staff de campagne. La campagne nationale sera dirigée par Sidi Ould Salem, ancien ministre des finances du gouvernement d’union nationale de juillet 2009. Cadre du Rassemblement des forces démocratiques qu’il a quitté momentanément en 2004, avant d’y revenir comme beaucoup d’autres au lendemain du coup d’Etat du 3 août 2005, Ould Salem est connu pour son activisme dans la jeunesse opposante au régime de Ould Taya dans les années 90 et 2000. Sans appartenir au Mouvement des démocrates indépendants (MDI), il a longtemps flirté avec cette jeunesse libérale et laïque. Ses tendances profondément religieuses sont certainement à l’origine de sa réserve vis-à-vis du groupe. On lui retient aussi son militantisme anti-esclavagiste dans le Nord dont il est originaire (FDérick, Zouérate, Atar). C’est surtout son passage à la direction de la SOCOGIM qui lui a valu certaines suspicions de malversations de la part de ses détracteurs. A l’époque, ses proches accusaient les généraux d’avoir orchestré la machination qui avait abouti au passage fortement médiatisé de l’Inspection générale à la SOCOGIM.
Lemrabott Sidi Mahmoud Ould Cheikh Ahmed, ministre de l’intérieur de Ould Taya au moment du coup d’Eta d’août 2005, seconde Ould Salem à la direction nationale de campagne. Administrateur chevronné, commis de l’Etat, homme ouvert aux politiques, Ould Cheikh Ahmed a ses réseaux et sa connaissance du terrain qui sera d’une grande utilité à ce moment précis de l’histoire du pays. Il est chargé de la coordination générale de la campagne.
Nani Ould Chrouqa, actuel ministre des pêches et chargé des opérations électorales, est choisi pour ses compétences techniques informatiques. Directeur de cabinet du Premier ministre Zeine Ould Zeidane, il a été président de l’Autorité de régulation, poste qui a été pour lui l’occasion de révolutionner le secteur.
Ba Ousmane, actuel ministre de l’éducation, longtemps ministre secrétaire général du gouvernement, est bien indiqué pour s’occuper du matériel. Le notable politique, alerte et adroit, fait donc partie de la direction de campagne du Président sortant.
Mout’ha Mint el Haj dirige les relations extérieures de la campagne. Professeur de son état, Mint El Haj a gravi les échelons de l’activité politique, elle qui est née dans un milieu cosmopolite et ouvert. Ce sont surtout ces atouts-là qui lui serviront dans sa nouvelle mission à 100% politique.
Sidi Ould Tah, ministre des affaires économiques et du développement, est désigné pour diriger la campagne de Nouakchott. Il aura à relever le défi du taux de participation dans une ville naturellement «indifférente» sinon opposante au pouvoir en place.
Les autres membres du directoire de campagne sont moins connus ou ont moins d’expérience si l’on excepte l’ancien député d’Aleg, Hussein Ould Ahmed el Hady.
Avec cette nomination du staff de campagne la probabilité d’un report des élections s’éloigne définitivement. D’ailleurs, même si elle est fortement médiatisée, elle reste peu probable. A quoi cela sert un report ? Ceux du FNDU ne participeront pas de toutes les façons, quelles que soient les concessions. Parce que les partis politiques n’y ont pas intérêt et parce qu’il sera difficile pour le rassemblement de survivre à une telle décision (celle de participer). Le président Messaoud Ould Boulkheir ne peut plus – moralement du moins – se présenter lui qui dirige le Conseil économique et social où il a été nommé par décret présidentiel.
L’idée d’«élections consensuelles» relève de situations exceptionnelles, alors que le pays a quand même fait du chemin sur la voie de la démocratisation. Toute concession à cette opposition incapable d’apprécier les situations à leur juste valeur, peut être perçue comme une sorte de «prime à l’agitation» et ne peut en aucun servir la démocratie qui est d’abord l’expression d’un rapport de force où les protagonistes doivent accepter les règles tout en cherchant à les améliorer.
Par contre, si les élections présidentielles se déroulent, rien n’empêche les autorités d’engager de nouveaux pourparlers qui auront alors pour but d’ouvrir le jeu à tout le monde en reprenant les élections locales et en désignant de nouvelles instances pour superviser les opérations électorales. Tout le monde y trouvera son compte : le pouvoir en dépassant la crise de reconnaissance, l’opposition radicale en s’ouvrant à nouveau les portes de l’Assemblée et des conseils municipaux.

samedi 17 mai 2014

Nouvelle Mederdra

Je suis sur la route de Mederdra où je suis invité par un ami, notable politique dans le département. Sidi Mohamed Ould Sidi (dit Mohamed el Khamess) organise une cérémonie de soutien au candidat Mohamed Ould Abdel Aziz. Cette précampagne qui s’exprime à travers les «initiatives», survivance d’un âge que nous ne voulons pas passer.
L’occasion pour moi de sortir de Nouakchott et de recommencer à respirer les airs intérieurs. Plus que 17 kilomètres à goudronner des cinquante qui séparent Tiguind de Mederdra. Les poteaux électriques devant servir le réseau qui s’étend de la ville vers les localités Ouest jusqu’à Boer Tores sont en phase de fin d’installation. Dans moins d’un mois, l’électricité arrivera certainement dans toutes ces localités. A ce moment-là aussi toute la route sera très probablement goudronnée. Mais déjà l’on voit les changements sur les populations suite à l’existence de telles infrastructures. Avec cette frénésie dans les constructions aux abords de la route et donc la mise en valeur des terres. L’on attend d’autres incidences plus importantes pour les populations, notamment les facilités de transport, l’existence de nouvelles activités, l’ouverture de nouvelles perspectives pour les marchés éventuels… cela ne s’arrête pas là.
Pour les habitants l’effet psychologique est très important.
Voilà une «vieille» ville qui n’a pas connu de grands changements depuis les années soixante. Une ville qui a subi en plein les effets dévastateurs des sécheresses qui ont frappé la région des années durant. Puis la pression politique, la ville ayant toujours été le foyer de la contestation et du refus de l’ordre établi, elle a fourni l’opposition en cadres et en idéologues, ce qu’elle a dû payer sous les régimes des cinquante premières années de l’indépendance.
Dans quelques mois, disparaitront certainement, les vieilles maisons en briques de ciment fortement mélangé au sable ocre des dunes environnantes, disparaitront aussi les vieilles portes en bois qui sont là depuis le début des années soixante. Parce que les habitants voudront donner de la valeur à leurs habitations, parce que la nouvelle route permettra d’acheminer plus aisément les matériaux nécessaires, les nouvelles conditions attireront des professionnels du bâtiment…
A Medredra, la mairie et les populations doivent travailler quand même à préserver ce qui reste de la ville historique : le lieu où le Cadi Hamed Ould Bebbaha (inégalable Erudit, somptueuse personnalité débordant de générosité et d’humanisme) rendait la Justice en toute conscience ; l’ancien gîte d’étape ; l’emplacement des anciennes prisons qui ont vu quand même passer Shaykh Hamahoullah, M’hammad Ould Ahmed Youra et quelques-uns des illustres résistants de l’époque coloniale et postcoloniale ; les maisons administrative (dyaar el bidh, école Folenfant, marché central, la tribune érigée en 1965, le château d’eau (l’ancien), la maison du préfet, les deux puits qui alimentaient la ville avant les années soixante…
Au lendemain du coup d’Etat de juillet 78, un nouveau préfet a été nommé à Mederdra. Sa première décision a été de vider la salle des archives dans la rue. Laissant disparaitre ainsi une mine d’informations sur une époque qui fait quand même partie de l’Histoire de ce pays. Pour s’expliquer plus tard, ce préfet devenu gouverneur pour ses hauts faits d’arme puis président de la Cour Suprême, disait qu’il fallait détruire les traces du colonisateur…
Il faut préserver quelque chose de cette histoire, ne serait-ce que quelques monuments.

vendredi 16 mai 2014

Incorrigibles politiques

Une rediffusion d’un meeting visiblement organisé par Tawaçoul avec la participation des leaders du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU). A un moment, le président du parti islamiste Jamil Mansour prend la parole. Très à l’aise comme à son habitude, il trouve utile de présenter les leaders un à un : nom, prénoms et fonctions. Il commence par Moustpha Ould Abdeiderrahmane, président du Renouveau démocratique (RD) et termine par  
l’Ambassadeur Mohamed Said Ould Hommodi président du Manifeste des Haratines.
Une vingtaine de personnes, peut-être un peu plus sont citées une à une. Quelques remarques.
On comprend que l’exercice, original en quelque sorte, visait à «installer» ces leaders dans l’atmosphère Tawaçoul : l’annonce de chaque nom est suivie d’applaudissements plus ou moins forts (c’est Salah Ould Hanenna de Hatem, le putschiste de 2003, qui gagne à l’applaudimètre). Une manière de galvaniser la foule présente. Une manière aussi de dire que «tout le monde est là».
Mais l’exercice était maladroit. Il est la preuve d’abord que ces leaders pourraient être mal connus par les militants de Tawaçoul. Alors qu’à entendre les noms des «nominés», il n’y a aucun inconnu dans le tas. Au contraire.
Il y a la catégorie des dirigeants politiques ayant fait leurs armes à l’ombre de tous les pouvoirs qui ont régné en maîtres absolus sur le pays les décennies passées. Manipulateurs, acteurs directs, ils ont été impliqués – et fortement impliqués – dans la gestion du pays durant toute la période qui a précédé le coup d’Etat de 2008. Ils ont été parfois des inspirateurs, parfois des bras pour les pouvoirs qui se sont succédés en Mauritanie. Est-il utile de souligner que la future présidentielle, sera la première du genre où certains d’entre ces grandes personnalités ne seront pas aux premières loges (dirigeant campagnes et communication) ? Toutes les présidentielles ont vu ces «cadres» mettre leurs compétences au service des «présidents sortants», leur dénichant les belles formules pour aborder les campagnes, écrivant de belles tirades pour fustiger leurs protagonistes (parfois les diaboliser). C’est donc la première fois qu’ils seront mis hors d’état de …servir. C’est peut-être tant mieux.
Il y a la catégorie des activistes dont les parcours n’ont jamais été aussi clairs et tranchants. Ils sont les «funambules» de la politique. Leurs positionnements ont découlé de la conscience chez eux de l’obligation de toujours s’adosser à un pouvoir parce qu’ils désespèrent de l’exercer directement. Ceux-là ont eu l’intelligence de ne pas se compromettre ouvertement avec les pouvoirs, de prendre des risques en dénonçant certains excès tout en «calmant le jeu» quand cela pouvait servir à se rapprocher un peu plus du cœur du pouvoir.
Il y a la catégorie des militants des groupuscules qui ont été orientés vers l’activité syndicale ou le travail dans la société civile. Ils sont un peu les «officiers traitant» pour le compte de leurs formations politiques d’origine. Intimement liés à elles, ils ont inféodé syndicats et ONG aux groupes politiques.
Il y a la catégorie des opposants «historiques» qui ont suivi des parcours chaotiques tout en restant quand même de forts symboles. C’est le cas du président Ahmed Ould Daddah qui se trouve noyé au milieu d’un «monde politique» qui a été pour beaucoup dans ses échecs, ses erreurs d’appréciation, sa diabolisation aux yeux de l’opinion publique, la réduction de son rôle comme «chef de file de l’opposition» (avec les modifications apportées au Statut de l’Institution de l’opposition démocratique), sa relégation à la troisième place aux élections de 2009… Pas un homme cité ce jour-là qui ne doit pas des excuses au chef du Rassemblement des forces démocratiques. A gauche, ceux qui l’ont présenté comme étant le Mal en 1992, à droite ceux qui lui ont volé son destin de président en 2007, au centre ceux qui lui ont refusé d’être le candidat unique de l’opposition, un peu partout ceux qui ont manigancé pour lui barrer toutes les routes… même les plus secondaires.
Même aujourd’hui, ce rassemblement qu’est le FNDU a vite pris l’allure d’une manœuvre visant à mettre hors jeu le leader Ould Daddah qui, le comprenant, avait d’abord refusé d’y prendre part, puis accepté avec les conditions qu’on sait (prise de parole à l’ouverture, interdiction d’inscrire la question du candidat unique à l’ordre du jour…). Le «noyer» aujourd’hui au milieu d’un parterre d’hommes politiques qui ont tous travaillé contre lui, c’est un peu le banaliser et en faire «un homme politique comme les autres»…
Il y a enfin la catégorie des «personnalités indépendantes» qui tentent de faire oublier leurs engagements politiques en s’inscrivant sous ce label. Bénéficiant d’un certain respect, ils sont pour la plupart d’anciens cadres, hauts fonctionnaires ayant évité la politique – s’ils n’étaient pas franchement au service comme les autres – et ayant eu des ambitions «présidentielles» à un moment de leurs vies.
Une question : qu’est-ce qui unit tout ce monde en dehors de la haine de Ould Abdel Aziz ?

jeudi 15 mai 2014

Retour au pays

Avec l’âge – je crois -, les liens avec le pays deviennent plus forts et plus pesants. Plus question de s’oublier dans les «délices de Capoue», dans la beauté des paysages toujours verts, dans les cafés toujours pleins, dans les animations d’une société de consommation frénétique… Dès la première semaine de l’absence, on commence à se plaindre, à «manquer de quelque chose» qu’on ne sait pas définir, à chercher «quelque chose qu’on connait»… Même s’il s’agit du Maroc qui est quand même un pays très proche, presque soi-même, on est vite en manque…
Alors le voyage du retour devient un événement majeur, intense, stressant et en même temps enivrant. Le temps pris à gagner l’aéroport, à faire les formalités d’enregistrement, puis les formalités policières et douanières, toutes les étapes se transforment rapidement en désagréments qui, dès qu’ils sont dépassés, sont oubliés parce qu’on aura fait un pas de plus vers cette Mauritanie qui nous manque. Le temps de penser à tous ces compatriotes qui vivent ailleurs pour différentes raisons…
Il y a ceux qui ont quitté pour des raisons économiques, des exilés à la recherche du travail : des qui ont étudié à l’extérieur et qui ont préféré y rester pour continuer dans leurs domaines de compétences. Il y a tous ceux qui, villageois et anciens campagnards, sont partis pour les mêmes raisons – chercher du travail – sans avoir de compétences particulières. Il y a cette jeunesse qui a fui le pays dans les années 80, 90 et 2000 pour absence d’horizons : mal formée, mal préparée, aucune chance pour elle de trouver du travail. Ce sont ces vagues qui se rendaient en Espagne en particulier pour les vendanges, aux Etats-Unis pour les petits boulots. Dans cette diaspora-là, il y a de grandes qualifications : on n’a pas oublié les Rencontres nationales d’experts mauritaniens de l’intérieur et de l’extérieur organisées par l’ANESP. Ce son bien ces Rencontres qui ont recommandé la création d’un département dédié aux Mauritaniens de l’étranger…
Il y a ceux de nos compatriotes qui sont partis pour des raisons politiques de persécutions. Ceux parmi eux qui ne sont pas revenus depuis que le pays est revenu à une situation normale où le danger d’écrire, de manifester, bref de s’exprimer n’existe plus, ceux-là sont restés par manque de confiance en l’avenir ou pour raisons de conforts personnels. Combien sont-ils en Belgique, en France, aux Etats-Unis, et disséminés un peu partout dans le monde ? Personne ne sait, mais ils existent en bon nombre.
A ceux-là il faut ajouter les nouveaux candidats à l’exil qui, pour être acceptés dans les pays riches du Nord, invoquent des raisons aussi farfelues que les persécutions pour «raisons sexuelles» ou «religieuses». Dans la première catégorie, on range ceux qui partent parce qu’ils ne «peuvent pas afficher publiquement leurs orientations sexuelles», autrement dit leur homosexualité. Dans la deuxième, les candidats racontent qu’ils sont poursuivis pour raison de «conversion au christianisme», ce qui est puni par la loi.
Mais la frange de nos compatriotes partant à l’étranger dans des conditions difficiles et parfois dramatiques, ce sont bien tous ces malades accompagnés de leurs familles qui sont obligés de partir en Tunisie, au Maroc, au Sénégal, au Mali pour se soigner souvent pour des maladies qu’on peut bien traiter ici. La présence de plus en plus évidente de malades mauritaniens et l’importance de la facture pour eux et pour l’Etat, doit amener les autorités à réfléchir à une solution au plus vite.
Il y a certes l’effort de moderniser le plateau médical en équipant les hôpitaux. Il y a eu toute l’évolution notoire de l’assurance maladie qui a permis de limiter les évacuations sanitaires. Il y a eu la création de nouvelles structures spécialisées dans la lutte contre des maladies qui tuent de plus en plus en Mauritanie. Mais il reste l’effort à faire au niveau de la ressource humaine, surtout de sa mise à niveau. On a comme l’impression que nos praticiens manquent de tout : expérience, connaissances (parfois), conscience… On peut en parler pendant des jours, ce ne sont pas les exemples ni les indices qui manqueront. Alors ?

En cette veille de campagne pour la présidentielle, la santé doit faire l’objet d’une sérieuse réflexion et de grandes propositions. Elle doit être au centre des débats. Tout comme l’éducation.

mercredi 14 mai 2014

Touche pas à «mon» opposition

En Mauritanie, la plupart du ceux qui s’activent sur la toile (ils doivent être en-deçà de 3000) exercent un véritable terrorisme intellectuel à l’égard de toutes les voix différentes à celles qu’ils veulent entendre. Gare à vous si vous êtes capables de dire ce que vous pensez de la situation du pays sans être un opposant radical, un esprit sectaire, un raciste invétéré (anti ceci ou cela). Il faut, pour avoir le soutien (ou l’indifférence) des commentateurs anonymes dans la plupart du temps (signe d’une grande lâcheté qui fait qu’on n’assume pas ce qu’on exprime), verser dans le sens d’une Mauritanie en état de putréfaction ethnique, sociale, économique et politique. Il faut défendre par exemple une communauté contre une autre, décrire une situation de l’esclavage où l’on trouve des marchés d’esclaves, des pratiques avérées (qui existent mais en nombre de plus en plus limité), nier toute avancée, s’interdire de critiquer les voix qui dominent par la cacophonie qu’elles produisent… Le politiquement correct ici est d’imposer un pessimisme ambiant qui cherche à donner une image d’un pays sans avenir et sans passé.
En lisant l’interview du chercheur Vincent Bisson et les réactions qu’elle a suscitées parmi le lectorat francophone, je suis surpris par tant de haine et de mauvaise foi. Je sais, pour l’avoir expérimenté à mes dépens, que remettre en cause la «pensée unique» d’un spectre d’opposants très déterminés à ne rien lâcher sur le net, relève du grand risque de se voir lynché par une foule (de doigts, non de personnes) se préservant quand même derrière le confortable masque de l’anonymat.
Qu’a dit ce chercheur, grand spécialiste de la Mauritanie (auteur notamment d’une belle thèse sur les dynamiques comparées d’urbanisme en milieu rural en Tunisie, Jordanie et Mauritanie) pour irriter les cyber-activistes radicaux ?
Que «l’opposition mauritanienne considère que les conditions ne sont pas réunies pour la transparence du scrutin (présidentielle de juin prochain, ndlr). Donc elle ne veut pas servir de caution démocratique à la réélection du président Mohamed Ould Abdel Aziz». Pour aller plus loin que Vincent Bisson, l’opposition a toujours considéré comme erreur le fait d’avoir participé aux élections de 2009 suite à l’Accord de Dakar. Alors que l’erreur à ce moment-là c’est d’avoir cru pouvoir louvoyer en essayant de reculer les échéances : en signant les Accords, les représentants des deux pôles politiques de l’opposition tablaient sincèrement sur l’impossibilité de respecter les délais légaux. Oubliant que l’Accord avait l’assentiment de la communauté internationale et qu’elle allait obliger toutes les parties à en finir. Deuxième erreur – peut-être s’agit-il d’une carence plus que d’une erreur – c’est le choix des représentants dans la CENI et au sein du gouvernement d’union nationale devant superviser les élections : aucun de ses représentants n’a accepté de démissionner quand les partis l’ont demandé pour éviter d’en arriver au terme du processus. Troisième erreur de taille : avoir refusé de reconnaitre immédiatement les résultats comme le préconisait l’Accord et exiger la suite (dialogue inclusif).
«Les raisons en réalité ne sont pas valables» nous dit Vincent Bisson. Qu’on le veuille ou non, toute lecture juste de la situation nous renseigne sur les tenants et aboutissants des tergiversations de l’opposition mauritanienne. C’est d’abord son incapacité à faire une analyse froide et objective de la situation. D’où la multitude de positionnements qui paraissent plus relever de la concurrence pour le classement des acteurs les uns par rapport aux autres que de la recherche d’un intérêt général. C’est ensuite tous ces rendez-vous manqués avec l’Histoire : de 1992 avec le boycott des premières législatives et municipales jusqu’en 2013 avec le refus pour de grands partis de participer à ces élections, en passant par les attitudes mitigées vis-à-vis des changements violents.
«On est face à une population qui, dans sa majorité, pas dans sa totalité, ne vote pas pour un parti ou pour un programme. On vote d’abord pour quelqu’un qui peut vous apporter la sécurité et de quoi manger. A partir de là, aujourd’hui le président Ould Abdel Aziz est en position de force». Etranger qu’il est, Vincent Bisson a parlé avec plus de gens du peuple que la plus part des leaders politiques mauritaniens qui se suffisent de ce qu’on leur rapporte ou d’entretiens avec quelques notables et intermédiaires en rupture momentanée avec les régimes qu’avec la masse.
La fraude ? «On ne peut pas faire un procès à charge du régime et prétendre que les élections ne seront pas transparentes». Pas seulement parce que «Ould Abdel Aziz n’a pas besoin de la fraude pour gagner», comme dit le chercheur, mais parce que les réformes introduites ont permis d’éloigner réellement le spectre de la fraude : bulletin unique, carte biométrique, obligation de remettre une copie du PV à chaque représentant de candidat, publication des listes électorales sur le net permettant un audit du fichier à temps, l’existence de plusieurs instances de contrôle, la prise en charge par la CENI de toute l’opération… Comment peut-on frauder aujourd’hui ?
L’un des espoirs de l’opposition, a toujours été de mobiliser l’opinion publique nationale et les partenaires au développement étrangers. Les deux ans de lutte pour faire «dégager» le régime ont lamentablement échoué. Alors qu’il a été impossible pour les partis d’opposition d’embarquer avec eux la moindre opinion de l’extérieur. D’ailleurs les ressentiments franchement exprimés vis-à-vis de ces partenaires a ajouté à la décrédibilisation de l’action de cette opposition qui donne l’impression de ne rien pouvoir faire si elle n’a pas le soutien des pays étrangers.
Cela exclut-il de futurs mouvements ? Non, selon le chercheur qui pense qu’«il y aura de nouvelles contestations, c’est sûr. Tous les débats que l’on a vus ressurgir ces derniers mois, c’est-à-dire autour de la question des rapatriés, de l’esclavage, ces débats sont positifs. Effectivement ce sont des dossiers qui sont lourds, qu’il faut traiter parce qu’il y a une situation effectivement critique dans le pays sur ces questions-là. De là à remettre en cause la légitimité du président ? Je n’y crois pas».
Pas besoin d’être devin pour savoir que les arguments développés aujourd’hui par l’opposition à Ould Abdel Aziz ne portent plus. D’abord pour la désuétude des discours. Ensuite pour le discrédit des personnes les plus en vue pour les porter. Les opposants plus ou moins légitimés par le combat mené durant les années «dures» ne sont plus en première ligne. Ce sont les ministres de l’époque de la dictature aveugle, de l’exercice de l’arbitraire, des exactions contre les populations civiles, du pillage systématique des ressources, de la fraude à grande échelle…, ce sont ceux-là qui nous abreuvent de leurs écrits et nous assourdissent par leurs paroles. Leurs vociférations feront-elles oublier tout le mal qu’ils ont fait au pays ? difficile à croire.

En définitive, Vincent Bisson qui connait sûrement le pays plus qu’une grande partie de notre élite, a juste fait une lecture objective et mesurée de la situation en Mauritanie. Pas celle du Congo démocratique. Pas non plus celle de la Libye.

mardi 13 mai 2014

Des fiches avant de nommer

On l’apprend par notre confrère alakhbar.info, l’un des heureux promus au cours du dernier Conseil des ministres est un …condamné à 1 an de prison ferme. Il s’agit d’un fonctionnaire qui a été condamné le 5 mars derniers pour avoir agressé un collègue à lui. Les raisons invoquées sont encore plus graves que les faits eux-mêmes : le Tribunal de Nouakchott l’a condamné sur la base de faits avérés d’agression sur son collègue qui a refusé de baigner avec lui dans une combine visant à ajouter le nom de candidats sur la liste close du Baccalauréat. Coups et blessures de la victime, flagrance des faits et absence d’une solution à l’amiable entre les deux protagonistes.
Ce qui n’empêche pas le Conseil des ministres de nommer le condamné au poste de directeur adjoint de l’enseignement privé, ce qui n’est pas rien. Ce n’est pas la première fois qu’il y a méprise de la sorte, toujours parce que les nominations ne sont pas précédées d’établissement de fiches particulières sur chaque promu.
Il est cependant à remarquer que l’un des sources les plus répandues de la méprise est la confection de CV plus ou moins «travaillés». Vous avez ainsi des ministres qui parlent plusieurs langues alors qu’ils n’en parlent réellement qu’une seule. Ce qui fait que certains d’entre eux sont incapables aujourd’hui de mener à bien leurs missions. Ils ne participent jamais aux réunions internationales qui les concernent, ne semblent pas jouer le rôle qui doit être le leur dans la décision qui les concerne…
Il y a eu l’épisode des équivalences de diplômes, des ingénieurs qui n’en sont pas, des docteurs qui n’en sont pas, des enseignants qui n’en sont pas…
Cette affaire qui semble la plus dangereuse de toutes – pour toutes ses implications – doit amener les autorités à mettre en œuvre un système de promotion (et de recrutement) qui incluse l’établissement de fiches détaillées concernant tous ceux qui peuvent intéresser.

lundi 12 mai 2014

La gloire de Sissako

Timbuktu. Le chagrin des oiseaux. C’est le titre du film que présente notre compatriote Abderrahmane Sissako au prestigieux Festival de Cannes en France. Avec ce film, il montera enfin les marches, ce qui est déjà une reconnaissance du talent de ce réalisateur extraordinaire. Une consécration aussi pour cela qui a longtemps flirté avec Cannes sans pouvoir y aller en officiel et en «concourant».
En 1993, il a accepté dans la sélection officielle «Un certain regard» du Festival, sélection destinée à promouvoir le cinéma qui se fait sans gros moyens et avec énormément de talents et qui raconte des histoires venues d’ailleurs. Octobre, c’est le titre du film, raconte l’amour impossible entre une Russe et un Africain.
Puis en 2006, Sissako présente Bamako hors compétition à Cannes. Ce film est une révolte contre le diktat de la Banque Mondiale qui y est décriée comme la source des grands problèmes de l’Afrique. Le cinéaste a tout simplement donné la parole aux populations pour en juger.
Mais la relation avec les festivals commence pour Sissako en 1991 avec Le jeu qui fait une entrée remarquée au Fespaco de Ouagadougou. Le succès est relatif parce qu’il est finalement acheté par Canal+ (c’est son argent qui sert à tourner Octobre. C’est bien au Fespaco qu’il signe son plus grand succès avec En attendant le bonheur (Heremanco) en 2003 où il obtient le grand prix Etalon de Yenenga qui est la plus haute distinction du festival du cinéma africain.
Refusant de verser dans la facilité, le cinéaste se refuse à produire la fiction pure, peut-être parce que les réalités africaines sont déjà assez émotives pour créer cette communion entre le public et le produit artistique, nécessaire à tout succès du cinéma d’aujourd’hui. Ce succès dépend d’abord de la capacité du récit à rendre l’image et tout l’accompagnement technique (cadrage et reste), à en faire un langage universel qui parle aux cœurs et à la Raison. D’où ces notes de réalisme, ce soucis de coller à la réalité des événements relatés, tout en suggérant l’affection, la mélancolie, l’émotion provoquée par le beau… Des fresques qui vous font voyager tout en vous rappelant toutes les misères du Monde.
En attendant le bonheur a servi à fixer les désillusions d’un jeune mauritanien qui, après des années d’exil et de séparation, retrouve les siens dans des conditions de vie difficile. Bamako, c’est le procès à la Banque Mondiale et à l’Ordre mondial inique. Aujourd’hui, avec Timbuktu. Le chagrin des oiseaux, Abderrahmane Sissako raconte certainement – je n’ai pas vu le film – le destin tragique d’une ville qui a été la splendeur de l’espace sahélo-saharien avant de devenir le fief d’une idéologie qui se fonde sur la négation de la vie. Timbuktu, une ville-martyre, abandonnée peu à peu, puis brutalement à son sort. Destruction des monuments historiques dans une (vaine) tentative de nier cette Histoire pleine d’enseignements allant à l’encontre de toutes les lectures et postures des apostats qui se revendiquent pourtant de la Religion. Répression de toute émotion chez une population oubliée de ses frères, de ses amis, de ses semblables… Plus le droit de sortir, de fumer, de s’aimer, d’apprendre, de chanter, de danser, de manifester, de parler librement, même de parler sans rien dire…

Comment l’une des merveilleuses cités de l’Islam médiéval, l’un de ses plus grands centres culturels ayant rayonné sur le Monde, l’un des trésors de l’Humanité a-t-il été pillé, comment a-t-il été abandonné, comment ses populations ont-elles vécu le drame de l’occupation… ? beaucoup de questions qui pourront rester sans réponse mais qui auront le mérite d’être reposées. Cette fois-ci avec la force de l’art.

dimanche 11 mai 2014

Désinformation & consort

Tôt ce matin, j’ai lu une information sur une déclaration qu’aurait faite le diplomate algérien Saïd Djinnit depuis Dakar. Le représentant spécial des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest – c’est son titre – parlait devant les chefs de mission de paix des Nations Unies dans la région, quand il a fait une sortie sur la Mauritanie en exigeant que le dialogue soit repris pour avoir des élections inclusives et acceptées par la communauté internationale.
Les propos arrivaient au lendemain des déclarations faites par l’Union européenne laquelle, tout en souhaitant une élection «transparente» et «ouverte» n’insistait pas outre mesure sur le dialogue préalable. Un revers pour les acteurs politiques détracteurs du régime qui, on le sait, compte d’abord sur les positions des partenaires avant leurs capacités à mobiliser les foules en Mauritanie. La sortie de Saïd Djinnit prenait donc toute sa dimension politique dans la mesure où elle allait à contre-courant. D’autant plus qu’il s’agit d’un diplomate chevronné qui connait parfaitement bien le dossier mauritanien, qui plus est un Algérien… On voit d’ici le poids des mots quand ils sont prononcés par un diplomate comme Saïd Djinnit…
C’est vers quatorze heures que le démenti est tombé. Nos confrères de l’ANI (édition francophone) ont pris la peine de prendre les contacts nécessaires (c’était quand même bien gros). Cela a donné a démenti cinglant et ferme de la part du responsable onusien.
«Je déments formellement avoir lancé un appel aux partis politiques mauritaniens dans ma déclaration à la presse du vendredi dernier 9 Mai à l’issue de la réunion de concertations entre les chefs de mission de paix des Nations Unies en Afrique de l’Ouest. Je déplore que ma déclaration ait été déformée pour la rapporter à la situation en Mauritanie.» 
Que s’est-il passé ? Saïd Djinnit précise : «Dans ma déclaration, j’avais fait état des élections qui sont attendues en Afrique de l’Ouest en 2015 et au-delà et souhaiter qu’elles se déroulent dans des conditions pacifiques et inclusives pour préserver les acquis démocratiques et la stabilité dans la région
Contrairement aux premiers propos qui n’apparaissent nulle part que dans des médias mauritaniens, cette déclaration a fait le tour des agences. Pourtant, à part un aucun des sites qui avaient publié en première l’information, n’a daigné reprendre le démenti. Même après la publication de ce démenti, certaines chaînes de télévisions (privées) n’ont pas hésité à la donner à la une le soir même, c’est-à-dire des heures après le démenti.
Quand le Président Macky Sall accédait à la présidence du Sénégal, exactement au lendemain de la nomination de son gouvernement, j’ai lu que son ministre de l’hydraulique avait fait une déclaration sur la volonté de son pays de reprendre le fameux projet des Vallées fossiles. Je cherchais alors dans tous les sites d’information sénégalais, puis sur ceux de la région, nulle trace de cette déclaration qui constituait un casus belli au niveau du gouvernement mauritanien qui a toujours estimé qu’un tel projet changeait le cours tranquille des eaux du Fleuve et qu’il remettait donc en cause tous les accords précédents. Pour dire qu’il s’agit là d’une information de première importance.
J’appelais le directeur du site qui me donna le nom du journaliste qui avait écrit l’information. Un jeune très volontaire mais qui ne parle d’autre langue que l’Arabe, d’autre dialecte que le Hassaniya (utile à savoir pour le reste). Je lui demandais poliment s’il était sûr de son information parce que j’allais la reprendre. Il confirma ajoutant une longue relation de discussions qu’il aurait eues récemment avec le ministre en question et en présence de son homologue malien en marge d’une réunion de l’OMVS à Bamako (sic). En quelle langue ont eu lieu ces discussions ? Le jeune journaliste cafouilla et je compris qu’il s’agissait d’un scoop qui n’en était pas. Un genre dans la méthode du «çina’at il khabar» (la création de l’information). N’importe lequel de nos confrères vous dira que «la vraie information aujourd’hui est celle qui va au-devant des faits, qui les provoque…, le journaliste professionnel, c’est bien celui qui peut anticiper sur le cours des événements et qui n’hésite pas à prendre des risques en donnant l’information probable, possible…» D’où toutes les dérives que nous constatons. D’où aussi la décrédibilisation du fait et de la vérité en général. D’où enfin cette culture du mensonge et de la rumeur qui a pris le dessus dans notre société.
La bataille, la bonne cause, est bien de rétablir les vérités, de réhabiliter la vérité des faits. Elle mérite d’être menée.

mercredi 7 mai 2014

L’image qu’on veut nous imposer

Je suis dans une librairie de Rabat à la recherche du dernier ouvrage de Michel Onfray (Le réel n’a pas eu lieu. Le principe de Don Quichotte). Je cherche par moi-même pour découvrir autre chose que l’ouvrage. Je suis plongé dans l’univers des livres quand je fus interpellé par mon nom : «Ould Oumeir, vous êtes ici…». Une jeune fille qui paraissait l’âge de mon ainée et que voyais pour la première fois. Drapée d’un voile bien de chez nous, elle avait bien l’air de quelqu’un que je connaissais, mais je n’ai pas le temps d’imaginer de qui il s’agit.
«Comment va la Mauritanie ? monsieur le journaliste» Je m’en vais répondre par une formule toute faite pour satisfaire la curiosité de la jeune fille : «ça va, la situation est plutôt normale, ça va…» Encore une fois, la fille reprend la parole : «Vous les Mauritaniens, vous êtes bizarres. Chaque fois qu’on vous demande comment va ce pays, vous essayez de le dépeindre comme s’il s’agissait de l’enfer… Alors que pour nous, et ce n’est pas notre pays, nous le regardons comme si c’était le paradis sur terre, nous lui souhaitons toute la prospérité qu’il mérite à nos yeux, nous croyons fort qu’il avance résolument, mais quand on vous rencontre vous détruisez tout l’optimisme qui est en nous…» Tout a été dit avec politesse, avec cependant un réel sentiment de désaffection ou même d’aigreur…
Elle disparut après avoir acheté le livre qu’elle était venue chercher. «Je suis venue prendre une commande que j’avais faite d’une traduction en Arabe de L’Amour aux temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez que j’ai déjà lu en Espagnol…»
Peu m’importait ce qu’elle était venue chercher, ni qui elle était. Parce qu’il me restait ce sentiment de culpabilité d’avoir répondu spontanément pour dire qu’en Mauritanie, «il n’y avait rien qui pouvait inquiéter» d’où l’appréciation «normale» émise à propos de la situation. Combien de fois j’ai entendu des compatriotes faire preuve de la même désinvolture quand il s’agissait de donner un jugement sur le pays ? Il est rare de nous voir justes et précis avec notre pays. L’une de nos caractéristiques étant la facilité à la critique, voilà l’image que nous laissons de notre pays : le «dernier bastion de l’apartheid», là où existent encore «les derniers marchés d’esclaves», le pays du million de truands, le pays du faux, de l’ignorance, de l’ignominie, de l’incompétence, des trafics de drogue, d’armes, de cigarettes, d’organes…
La Mauritanie n’est pas ce pays lugubre qu’on nous impose de voir sous la mauvaise lumière que l’on y projette par mauvaise foi parfois, par malveillance souvent. Il n’y a pas de marchés d’esclaves en Mauritanie, même si les survivances de pratiques aussi abjectes que l’esclavage subsistent. Mais de tous temps, des voix se sont élevées pour les dénoncer et les combattre. Depuis des siècles : à commencer par les Ulémas du 17, 18 et 19èmes siècles (Nacer Eddine, Lemrabott Ould Moutaly, Ould Bellamach…), cela a continué avec certains Emirs qui ont vu dans l’émancipation de la force de travail une possibilité d’assurer une prospérité pour la communauté par la revalorisation de la production, puis avec la Mauritanie indépendante qui a fondé son existence sur le Projet de créer un ensemble égalitaire et juste…
La Mauritanie n’est pas un pays où s’exerce une chape de plomb. Au contraire, la Mauritanie est un pays libre où aucune limite n’est fixée à la liberté d’expression à part celles définies par la loi.
La Mauritanie est un pays qui a ses problèmes certes, mais elle a tout pour les vaincre. Il suffit que ses élites lui imaginent des projets à même de provoquer l’adhésion des masses. Il suffit de croire en soi et de cesser d’annihiler tout effort parce qu’on refuse à ce pays d’exister normalement.

mardi 6 mai 2014

L’UE, ok ?

C’est par communiqué de l’Ambassade (représentation) de l’Union Européenne que l’on apprend la teneur des pourparlers qui ont eu lieu aujourd’hui entre le Premier ministre, Dr Moulaye Ould Mohamed Laghdaf et la délégation européenne dirigée par l’Ambassadeur à Nouakchott entouré par les représentants des pays de l’UE présents ici (France, Espagne, Allemagne et Royaume Uni). Cette réunion entre dans le cadre des accords de Cotonou qui prévoient des mécanismes de suivi de la coopération et de surveillance en même temps des évolutions en matière politique, économique et social. Le moment choisi répond au souci de la partie UE de célébrer «la semaine de l’Europe» en Mauritanie. On nous apprend justement que cette célébration comprendra cette revue de coopération, «une journée de la société civile et des autorités locales et une journée verte dédiée aux questions environnementales».
Le communiqué nous relate le contenu des discussions suivant les axes suivants :
  1. Au lendemain des élections législatives et municipales et à quelques semaines de la présidentielle, le volet politique a visiblement bénéficié de la plus grande attention. «Les deux parties se sont félicitées du climat de stabilité et de croissance économique qui règne dans le pays et ont échangé sur l’organisation des prochaines élections présidentielles, en soulignant leur souhait d’avoir des élections libres, transparentes et ouvertes à tous». Aucune mention des fameuses «élections inclusives» qu’on utilisait en 2009 pour signifier l’exigence de la présence de toute l’opposition. Pas de réserve particulière non plus sur les dernières élections ni sur la future.
  2. La présentation par le Premier ministre de la Feuille de route comportant les 29 points pour lesquels la Mauritanie s’est engagée en vue d’éradiquer l’esclavage, a été l’occasion pour la partie de saluer l’initiative et de réitérer «sa volonté d’appuyer les autorités mauritaniennes et la société civile dans le domaine des droits de l’homme». Non plus aucune réserve exprimée sur ce plan.
  3. L’axe économique semble avoir été l’objet d’une satisfaction totale : «L’Union Européenne a aussi salué les progrès majeurs réalisés en matière de coopération et en termes économiques, mettant l’accent sur la nécessité, dans la lutte contre la pauvreté, d’une approche de redistribution qui bénéficiera, d’une façon équitable, à toute la société mauritanienne».
  4. Au plan diplomatique, «l’Union Européenne a également félicité la Mauritanie pour sa nomination à la Présidence de l’Union africaine, et l’a remerciée pour son rôle qui a contribué à la réussite du Sommet «Union européenne-Afrique» qui s’est tenu en avril 2014».
  5. «L’Union Européenne a, en outre, loué le rôle joué par la Mauritanie dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé dans le Sahel ; et ses efforts pour la stabilité de la région». S’engageant en plus de disponibilité dans l’approche adoptée par le G5 du Sahel.
  6. Dernier point abordé, celui de l’Accord de pêche qui est l’objet de discussions ouvertes cette semaine à Bruxelles. «Les deux parties ont pris note du démarrage des négociations pour renouveler l’actuel protocole, dans le cadre d’un partenariat stratégique qui vise la création d’emplois et la préservation des ressources halieutiques». Ce sont bien ces deux considérations qui ont été à la base des dernières négociations qui ont permis enfin à la Mauritanie de recouvrer une partie de ses droits, au moins de discuter d’égal à égal et de faire accepter à ses partenaires le principe d’un «commerce équitable». Les pressions exercées par les lobbies d’armateurs espagnols, européens en général, et mauritaniens n’ont rien changé à l’Accord qui donnait à la Mauritanie un minimum de profits d’une ressource qui a été jusque-là l’objet d’un pillage organisé avec la complicité des fonctionnaires et des opérateurs du secteur. Salué comme l’une des «grandes réalisations» de l’ère Ould Abdel Aziz, le protocole ne peut être révisé à la baisse, les Européens finissant par comprendre que les pressions sur des pays faibles peuvent être source de déstabilisation. De nombreux pays européens, la plupart des députés et des décideurs européens dont de fervents militants de la cause de l’équité dans les échanges et pour le développement durable : ce sera pour eux l’occasion de défendre les positions mauritaniennes qui entendent faire profiter le pays tout en préservant cette richesse formidable qu’est le produit de mer.
  7.  En se quittant, «les deux parties ont convenu de la nécessité de poursuivre les concertations, dans le but de raffermir les relations entre la Mauritanie et l’Union européenne, et de relever les défis dans un esprit de partenariat fructueux».

Ainsi donc, il faudra compter sans les pressions européennes pour les détracteurs du pouvoir. Nous savons tous que l’élément «pression extérieure» a toujours été central dans les analyses faites par les opposants en Mauritanie. Il a même toujours primé sur la mobilisation populaire et l’action intérieure. C’est d’ailleurs ce qui a fait le bonheur des pouvoirs en 1992 (au lendemain de la présidentielle), toutes les années qui suivirent, puis en 2008 et enfin en 2009. Chaque fois, l’opposition mauritanienne a espéré, imaginé jusqu’à être sûr que l’intervention étrangère était sur le point de faire basculer l’équilibre. Certains leaders n’hésitant pas à annoncer des dates et à compter sur cela pour la chute imminente du pouvoir.
L’Union européenne est sans doute le partenaire le plus «lourd» (financièrement, politiquement…) pour la Mauritanie. Par sa proximité géographique, par les rapports historiques avec certains des pays la composant, par le portefeuille de la coopération, sa diversité, sa nécessité, l’Europe est l’ensemble le plus influent pour la Mauritanie.

La voilà heureusement qui lui reconnait quelques réussites : «le climat de stabilité et de croissance économique», la Feuille de route contre l’esclavage, «les progrès majeurs réalisés en matière de coopération et en termes économiques», la diplomatie, la sécurisation de la région du Sahel… De quoi renforcer la position d’un candidat qui ne manquera pas de mettre le mandat prochain sous le signe du changement qui continue.

lundi 5 mai 2014

Juste pour rire

J’ai lu ce matin que le Forum national pour la démocratie et l’unité a décidé le boycott de la future présidentielle. Habitué aux titres racolleurs de notre presse électronique, je suis allé directement au communiqué du FNDU pour découvrir qu’à la suite de sa réunion du 3 mai, le Conseil de Suivi et de Concertation du FNDU, le rassemblement «ne se sent pas concerné par les élections présidentielles découlant de l’agenda en cours». Ce n’est pas un boycott au sens politique du terme, c’est juste une déclaration d’intention.
Si l’on veut traduire en langage simple et populaire : «On n’est pas concerné par ce qui se passe ou va se passer». Passé le premier moment de perplexité, je relis le communiqué et je découvre la logique qui soustend sa rédaction : le FNDU «1. Constate que le dialogue amorcé ces dernières semaines se trouve dans une impasse du fait du refus du pouvoir d’accepter toute mention relative à un calendrier consensuel pour l’application des points d’accord éventuels et du fait aussi de son obstination à poursuivre son agenda électoral unilatéral en cours. 2. Affirme que les élections programmées dans le cadre de l’agenda fixant le premier tour des élections présidentielles au 21 juin 2014 ne sont nullement consensuelles et ne sont porteuses d’aucune réponse satisfaisante à la crise politique que traverse le pays. 3. Déclare que le FORUM reste convaincu qu’un dialogue sincère couvrant l’ensemble des préoccupations nationales reste la voie idéale pour aboutir a des élections consensuelles. Il confirme en conséquence sa disponibilité permanente à s’engager dans tout dialogue crédible fonde sur une volonté partagée de recherche d’une solution de sortie de crise servant les intérêts supérieurs de la Nation. 4- Par conséquent le FORUM ne se sent pas concerné par les élections présidentielles découlant de l’agenda en cours». 
Ou l’on a choisi de verser dans la subtilité pour atténuer l’effet de la décision en déclarant juste qu’on n’est «pas concerné». Auquel cas, il faut penser que toutes les portes restent ouvertes dans la mesure où «le FORUM reste convaincu qu’un dialogue sincère couvrant l’ensemble des préoccupations nationales reste la voie idéale pour aboutir à des élections consensuelles». Il faut alors en déduire que même après l’élection présidentielle le dialogue pouvait continuer. Ce qui serait bien possible dans la mesure où le pouvoir pourra saisir l’occasion pour arriver à un accord politique permettant l’ouverture du champ aux partis boycottistes par la dissolution de l’Assemblée nationale et des conseils municipaux en contrepartie de la légitimation de l’élection présidentielle (en tout cas sa non remise en cause). Il faut quand même rappeler qu’à part le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), toutes les autres parties sont peu ou pas intéressées (ou pas particulièrement intéressées, trouvez la formule qui vous sied) par la présidentielle. Alors tout est possible.
Si rien ne se cache derrière la formule trouvée par le FNDU, alors il faut juste en rire en ce 5 mai, journée internationale du rire. Dans un pays où le recul de la joie a eu plus d’effets négatifs que toutes les sécheresses réunies, que toutes les prédations, que toutes les opérations de sape perpétrées par ses fils, dans ce pays, le salut peut venir de la réhabilitation du rire et de la joie.
Quand on pense à tout le chemin parcouru depuis le Front démocratique uni pour le changement (FDUC), en passant le Front des partis d’opposition (FPO), la Coalition des forces du changement démocratiques (CFCD)… à tous ces acronymes qui ont finalement donné le FNDU pour un jeu de rôles dont les acteurs sont restés les mêmes, les méthodes les mêmes, les discours les mêmes, les outils les mêmes, pour une alternance qui est restée au niveau des lettres de l'acronyme (alternance consonantique avec un R qui remplace un S dans le cas du PRDS, un U un C ou un D un U)… 
Comme pour la sécheresse, il y a eu un phénomène de cycles qui s’est traduit tantôt par la participation engageant une reconnaissance de fait du pouvoir, tantôt le boycott avec l’affirmation du rejet de la légitimité de ce pouvoir qu’on finit par supplier d’aller au dialogue après avoir exigé son départ et sans le rapport de force à même d’imposer sa volonté.

Il faut juste en rire. 

dimanche 4 mai 2014

Entre le Maroc et la Mauritanie…

On peut ne pas faire attention à deux faits : l’Ambassadeur du Royaume du Maroc en Mauritanie exerce ses fonctions à Nouakchott depuis près de vingt ans ; pour sa part la Mauritanie n’a pas d’Ambassadeur à Rabat depuis près de trois ans. A eux seuls ces deux faits peuvent attirer l’attention sur l’existence d’un «refroidissement» dans les relations entre les deux pays. Mais par ailleurs, les relations entre le Maroc et la Mauritanie peuvent-elles être jugées à cette aune-là ? Certainement pas. Force est de constater qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Quoi ?
Il y a une dizaine de jours, l’intérêt des journaux marocains était capté par le déroulement des discussions du Conseil de Sécurité des Nations-Unies sur le Sahara. Un projet de résolution porté par les Américains a failli passer n’était l’effort titanesque fourni par la diplomatie marocaine. Ce projet voulait élargir la mission de la force onusienne (MINURSO) pour lui donner mandat de surveiller la situation des Droits de l’Homme dans la province saharienne. Les Etats-Unis, allié de premier ordre du Royaume retireront finalement le projet, mais le rapport du Secrétaire général de l’ONU, comportera quelques formules «dérangeantes» pour le Royaume.
Le sujet a occupé une bonne place dans la presse pendant quelques jours. Les opposants au gouvernement l’utilisant pour dénigrer la diplomatie du Royaume, les militants le prenant comme prétexte pour renouveler l’aspect «inaliénable de l’intégrité du Maroc» et la nécessité «d’unir les rangs autour de cette cause sacrée». Certains intervenants, notamment ceux originaires de Saguia el Hamra, n’ont pas hésité à accuser la Mauritanie plus ou moins directement d’être «devenue un allié de l’irrédentisme sahraoui». L’un d’eux est parti jusqu’à dire qu’il ne reste plus que «quelques milliers de personnes dans les camps du Polisario qui ont pu bénéficier du nouvel état civil mauritanien, certainement avec la complicité des autorités mauritaniennes». Dans toutes les déclarations et publications faites à l’occasion, il y avait toujours cette question qui apparaissait à un moment ou un autre du texte : «Le Maroc va-t-il perdre le Sahara comme il a perdu la Mauritanie ?» Dans ce tumulte apparaissent les rôles catastrophiques d’une diplomatie «de l’informel» qui fait qu’entre les deux pays, des émissaires privés vont de part et d’autre colporter mauvaises informations et analyses tronquées. Ceux-là ont plus d’influence de part et d’autre que les diplomates des deux pays.
En discutant ici et là, on se rend compte de la défiance de plus en plus grandissante entre les deux pays qui sont pourtant condamnés à vivre dans le même sillage. Ni la Mauritanie ni le Maroc ne doivent se résoudre à croire qu’ils peuvent prospérer l’un sans l’autre. L’un et l’autre sont des versants (Sud quand il s’agit de la Mauritanie pour le Maroc, Nord du Maroc pour la Mauritanie), des interfaces dont la complémentarité découle de l’Histoire et de la géographie des deux Nations.
Toute analyse qui mène à adopter à une attitude de défiance est préjudiciable à l’un et l’autre des pays. Pour la Mauritanie, l’existence d’un Maroc dynamique et prospère a certainement un effet bénéfique pour l’économie, pour le rôle sous-régional, pour les équilibres intérieurs… Pour le Maroc, la stabilité de la Mauritanie est un gage de sécurisation et d’ouverture sur le Sud. Elle est aussi un facteur de stabilité intérieure et d’épanouissement vers l’Afrique de l’Ouest.
Nos frères du Nord, Marocains comme Algériens, ont toujours oublié (ou fait semblant d’ignorer) que toute solution de la question du Sahara passe par une forte implication de la Mauritanie sans laquelle rien de pérenne ne sera fait dans la région. On peut toujours continuer à isoler la Mauritanie, à croire à sa chute imminente, à se convaincre que l’effondrement de ce pays peut mener à une résolution des différents maghrébins, mais une vérité historique et sociologique résistera à toutes les analyses : de part son positionnement géostratégique et humain, toutes les clés de l’intégration maghrébine et africaine se trouvent en Mauritanie.