mercredi 31 décembre 2014

Ce qu’il faut retenir de 2014 (3)

L’année politique se termine avec la perspective du renouvellement des deux tiers du Sénat. Plusieurs fois remises à plus tard, voilà qu’elle est décidée pour la mi-mars prochain. Cette élection se fait en l’absence, toujours, d’une partie de l’opposition, notamment des formations qui n’ont pas pris part aux élections municipales de fin 2013 : les conseils municipaux issus du scrutin de 2013 forment le collège électoral des sénatoriales futures. Des partis comme le RFD (rassemblement des forces démocratiques de Ahmed Ould Daddah), l’UFP (union des forces du progrès de Mohamed Ould Maouloud), entre autres partis du Forum pour la démocratie et l’unité (FNDU) ne feront certainement partie de la course. Alors que Tawassoul, Al Wiam, l’APP, l’AJD/MR pourront concourir, eux qui ont des conseillers.
L’on retiendra que le boycott prouve encore une fois qu’il ne procède pas d’une vision prospective et positive de l’exercice politique. Des partis ont ainsi choisi de se mettre hors jeu, sans prendre en compte la réalité du terrain et des rapports de force. Ils ont cru que l’absence pouvait occasionner une crise, voilà qu’elle crée un vide rapidement comblé par d’autres acteurs, pas forcément les plus attendus. L’on retiendra deux de ces acteurs.
Birame Ould Dah Ould Abeid doit beaucoup à l’absence des acteurs traditionnels. Son discours prenant en charge les frustrations les plus aigues, a profité du recul et/ou de l’absence d’un discours unificateur tout en étant revendicatif. La nature ayant horreur du vide, les frustrations étant réelles et parfois légitimes, le candidat Biram Ould Abeid a puisé dans ce terreau pour devenir l’homme politique qu’il est devenu. Avec ses 8%, il sentait l’air du fameux renouvellement de la classe politique devenu un leitmotiv ces dernières années.
Tawassoul, le parti des Islamistes est le premier des partis d’opposition ayant participé aux élections législatives et municipales de 2013. Il hérite à ce titre de la présidence de l’Institution de l’Opposition démocratique. Un tremplin qu’il va certainement utiliser dans la perspective de l’échéance qui se pointe en 2019 et qui coïncide avec la fin du deuxième mandat du Président Mohamed Ould Abdel Aziz.
Une première rencontre entre le Président de la République et le nouveau bureau de l’Institution ouvre déjà la porte à de nouvelles chances d’entamer un dialogue sain entre les acteurs. Même si Tawassoul reste prisonnier d’une recherche équilibriste entre un FNDU qui n’entend pas céder une once sur ses positions et qu’il ne peut envisager de quitter dans l’immédiat, et l’exigence pour lui de regarder vers l’avenir et de s’assurer l’accomplissement d’une stratégie de conquête de pouvoir plus ou moins murie.
Comment faire pour donner à l’Institution toutes les chances de réussir sans toutefois se heurter aux partenaires du FNDU ? Comment phagocyter les leaderships traditionnels, les canaliser pour s’en servir le moment venu ? Comment ne pas éveiller les suspicions des partenaires et des adversaires ? Comment définir les uns et les autres et sur quels critères ? Comment mettre en confiance Pouvoir et Opposition pour les ramener à la table de dialogue et s’imposer ainsi comme le facilitateur du moment ?
Dans le court et moyen termes, les rapports en politique dépendront des choix que feront les nouveaux partenaires que sont l’Institution de l’Opposition démocratique et la Présidence de la République. Si le courant rétabli aboutit à une ouverture politique des uns sur les autres et si l’Institution réussit à entrainer dans son sillage ne serait-ce qu’une partie des compagnons du FNDU, il est probable, même très probable, de voir aboutir une nouvelle dynamique plus ou moins inclusive. En tout cas un mouvement qui puisse signifier la reprise du chemin d’une certaine convergence.
A long terme, il faut envisager l’avènement d’un Monde nouveau débarrassé de certaines contingences qui nous freinent aujourd’hui, notamment des vieilles querelles qui tiennent et inspirent encore les acteurs de la scène. La transition qui durera encore produira nécessairement le renforcement des acquis en matière de libertés, surtout d’expression, d’association et de manifestation. Le processus de démocratisation entamé sans démocrates – les acteurs étant pour leur écrasante majorité produits par les écoles du monolithisme – trouvera enfin des animateurs à même de le faire avancer sur la voie du raffermissement de l’Etat de droit garant de l’égalité et de la justice entre ses citoyens.
Malgré les prophètes qui nous promettent malheurs et désolations, il faut espérer fermement que l’avenir, le meilleur, est devant nous.

mardi 30 décembre 2014

Ce qu’il faut retenir de 2014 (2)

Dans son numéro double 2 & 3 de juillet-décembre 2014, le bulletin de la Confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA), publie une interview accordée par Roberto Cesari, le négociateur principal de l’équipe européenne pour les Accords de pêche. Bien sûr le cas de la Mauritanie y est évoqué.
Le chef de l’unité Accords bilatéraux et contrôle de l’UE, rappelle que la réforme de la Politique commune de pêche (PCP) a axé sur la nécessité de «mettre au centre la soutenabilité, la préservation des ressources et la durabilité et le contrôle des activités de pêche».
A une question relative à la Mauritanie, le responsable reconnait : «Pour la Mauritanie, on a en effet un souci. La première année avait bien commencé, ils avaient appliqué à la lettre cette obligation de non-discrimination pour une certaine période pour la flotte russe par exemple. Je rappelle que cette règle de non-discrimination s’applique aux conditions techniques et financières : les mêmes conditions que notre accord doivent être appliquées aux autres accords que la Mauritanie conclut pour le même type de flotte qui cible les mêmes espèces».
Concernant les difficultés à renouveler l’Accord de pêche Mauritanie-UE, le négociateur européenne reconnait qu’il y a «encore beaucoup de choses à régler ; ce ne sera pas une négociation facile». Avant de préciser : «on est tout à fait disposé à suivre la ligne politique du Président Aziz réélu pour le secteur de la pêche mauritanien, c’est-à-dire de se concentrer sur la coopération dans le secteur de la pêche pour la création d’emplois et de richesses par le biais de l’accord».
Pour conclure : «On ne va pas remettre en cause les mesures techniques fondamentales qu’on avait bien négocié en 2012. Il faut bien sûr que la clause de non-discrimination soit appliquée et surtout que la transparence soit garantie».
Ces propos donnent une autre dimension des difficultés qui freinent les Européens. Il n’y a pas seulement cette volonté de reculer sur certains acquis au profit de la Mauritanie, notamment le niveau de la compensation, le paiement de l’effort effectif de pêche, la nationalisation de la pêche de fonds, l’obligation de débarquement, le niveau de mauritanisation du personnel embarqué, les quantités de pélagiques prélevées pour alimenter le marché intérieur mauritanien… Il y a aussi et surtout cette volonté de faire plier une petit pays qui a enfin pu traiter, manœuvrer pour tirer le maximum de profits de sa ressource.
Si le souci de l’Europe est d’instaurer un commerce équitable – accès à une ressource de qualité et à proximité, en contrepartie d’avantages somme toute raisonnables -, si la préoccupation de la soutenabilité de l’effort de pêche est réelle, les négociations doivent reprendre sur la base de conclusions techniques et non de considérations qui mélangent la politique et les humeurs.
Nous retiendrons que le sens de la solidarité nationale n’a pas manqué. Même si des voix et des plumes ont essayé de participer à l’effort de faire fléchir la Mauritanie. L’année 2014 nous enseigne que les intérêts personnels – des consignataires, armateurs…- et l’opposition à un pouvoir, opposition qui devient haine, peuvent faire oublier à certains d’entre nous ce qu’est l’intérêt national.

lundi 29 décembre 2014

Ce qu’il faut retenir de 2014 (1)

L’année se termine avec deux procès dont on aurait pu se passer. Mais l’excès aura eu raison de l’atmosphère qui avait régné jusque-là. Une atmosphère caractérisée par la libération de la parole. Au point de voir se succéder manifestations et déclarations à longueur de journée dans Nouakchott et parfois à l’intérieur. Le mouvement revendicatif s’est soudainement réveillé pour prendre une ampleur nouvelle en Mauritanie. Par sa forme et dans son contenu.
Longtemps la revendication a épousé les contours des corporations (syndicats, partis et groupes politiques). Elle a, avec la gouvernance PRDS (parti au pouvoir entre 1991 et 2005), pris les contours de la tribu et de la région. Puis elle a été, ces dernières années, été réduite à une expression sectaire. Répondant ainsi à l’échec des regroupements qui n’ont pas pu – ou su – prendre en charge frustrations et exigences des uns et des autres.
Des snipers politiques ont alors trouvé une voie de placement, alors qu’ils avaient plus ou moins échoué dans la lutte de classement qui est réellement le moteur politique faisant déplacer les acteurs d’un point à un autre. Du coup, la classe politique traditionnelle s’est retrouvée dépassée par le mouvement qui est cependant resté superficiel.
Nous retiendrons en effet que le foisonnement politique en Mauritanie n’a pas fait bouger les lignes de démarcation fondamentales, comme il n’a pas pu faire la synthèse du processus d’évolution que nous avons connu depuis novembre 1946, date de la première élection du pays qui correspondait alors à un espace. Ces lignes de démarcation entre un Monde qui doit disparaitre (et avec lui ses stratifications, ses injustices, ses éparpillements, ses arriérations…) et un Monde qui est né de circonstances multiples dont la colonisation avec son corollaire qui est la naissance de l’Etat moderne dont la base est la renonciation volontaire aux différences qui régissaient et leur remplacement par le statut de la citoyenneté (donc de l’égalité, de l’équité, de la justice, de la solidarité…).
Les deux procès, de part leurs objets, serviront les thèses islamophobes en général, mauritanophobes en particulier. Il faut dire que les agissements des années 80 et 90 ont laissé des traces fortes dans la perception que l’opinion publique internationale a de nous et de notre pays. Longtemps, nous avons été assimilés au régime d’apartheid. Il en reste aujourd’hui que de nombreux journalistes et acteurs étrangers croient ferme que des marchés d’esclaves subsistent ici, que des maîtres castrent encore leurs esclaves (les propos sont ceux d’un militant ayant pris la parole devant les commissions spécialisées de l’ONU). C’est que les militants de ces causes n’hésitent pas à accabler, à exagérer une réalité déjà insupportable pour ce qu’elle est. Ils n’hésitent pas à donner les chiffres les plus incongrus, à décrire les situations les moins probables, alors qu’un cas d’esclavage, un seul cas est déjà de trop.
L’exagération sert à occulter le chemin parcouru, l’effort continu. A entendre aujourd’hui le débat au Parlement européen, à lire les articles parus ici et là, à écouter les différents acteurs, on se rend compte qu’aucune référence n’est faite à la feuille de route pourtant conçue et mise en œuvre sous la supervision de la Rapporteur spéciale des Nations Unies. Une maladie spécifique de nos latitudes : toujours donner l’impression que rien n’est entrepris, que rien n’est fait pour changer une situation… une autre façon de lutter pour garder le caractère immuable des lignes de démarcation. Une forme de résistance au changement.

dimanche 28 décembre 2014

Des secrétaires

Une première secrétaire. Une Peule, largement la cinquantaine. Le boubou ample sans extravagance, le mouchoir noué autour de la tête couvrant parfaitement ce qui doit l’être. Tout en elle sent l'expérience et le professionnalisme. Déjà la disposition des documents sur son bureau et le rangement des classeurs indiquent un sens méticuleux de l’organisation.
Gentiment, elle me demande, dans un Hassaniya sans accent : «vous désirez Monsieur?» Le ton comprend la majuscule, tellement il dégage le respect. J'explique que je suis venu déposer un courrier adressé à son patron. Elle propose d’abord de me faire une photocopie pour y apposer la décharge. J'en suis ravi.
«Mon patron est sorti, mais je vous promets qu'il recevra le courrier qui sera à sa lecture dès qu'il revient». J'en suis persuadé vu le ton ferme et rassurant. Je n'ai donc pas besoin d'insister comme il est d'usage.
Je reviens le lendemain. Cette fois-ci, je suis sûr que le patron a eu le courrier, mais je voudrai insister pour accélérer le traitement. Je reviens vers la dame d'hier. Elle m'explique que pour me faire annoncer à son patron, je dois m'adresser à une autre secrétaire…
A peine la quarantaine, le corps de la Mauresque, rabougri par des années d'inactivité, probablement de gavage par des produits augmentant l'appétit, le visage ravagé par les produits chimiques dits de beauté, l’air de rien…
Pour attirer l'attention de la dame, il me faut répéter les salutations d'usage plusieurs fois... Finalement, elle daigne suspendre la discussion avec son amie affalée sur deux des fauteuils de la salle d'attente. Juste pour me répondre : «alaykoum salam»… et replonger ensuite dans la discussion. Puis son téléphone sonne, «... Aywa, tu es toujours a Kaédi? Elmelhaf shimmaasi?...»
Apparemment le débat tourne autour du voile et de sa valeur à Kaédi, la capitale du Gorgol où vont les commerçantes de tout le pays pour s'approvisionner chez les teinturières... La conversation prend fin avec un soupir poussé par la secrétaire visiblement excédé de devoir revenir à moi qui suis toujours debout.
Elle s'adresse à sa compagne et lui dit : «C'est Jamila. Elle dit qu'elle dépense tout son argent et qu'elle n'a plus de quoi payer son voyage retour. Je lui dois ce que je lui ai emprunté le mois passé et elle me demande de lui envoyer de l'argent par Gaza Télécom, c'est près de Polyclinique... Monsieur vous ne savez pas où se trouve Gaza Télécom?». Je ne savais pas et même si je savais, ce n'est pas à elle que je vais l'indiquer...
Elle sent, elle comprend à mon regard et à mon air... Toujours est-il qu'elle se lève enfin et va dans le bureau de son patron. «Il est toujours occupé avec l'un de ses collaborateurs. Ils sont plongés dans une étude, d'ailleurs je n'ai pas pu lui parler». Puis elle s'affale à côté de son amie et commence à lui parler à très haute voix, comme si elle se trouvait dans un autre lieu. Le manège dure un quart d'heure. C'est son amie qui m'invite finalement à m'asseoir. Une discussion passionnée avant de sortir toutes les deux. «Nous allons chercher Gaza Télécom, fais attention aux lieux et si quelqu'un demande, dis que je ne suis pas loin».
Le Monsieur à qui est confiée la mission de garder la maison, est témoin de toute la scène que je viens de raconter. C'est sans doute pour cela que la minute qui suit, il entre dans le bureau du patron, visiblement pour m’annoncer. Il revient et me demande d’entrer…

Je m’arrêterai là dans ce récit. Parce que ce qui m’intéresse ici est de décrire comment peut-on être reçu dans une administration mauritanienne. Cela dépend finalement de l’aptitude du premier contact qui est la (ou le) secrétaire, et de sa disponibilité à remplir la mission qui est la sienne. Combiner professionnalisme et bienveillance sont des qualités qui demandent la compétence. Ce qui manque dans nos administrations.

samedi 27 décembre 2014

Vers la reprise des négociations Mauritanie-UE ?

Dans une lettre datée du 22 décembre adressée au ministre des pêches de Mauritanie, le directeur général des affaires maritimes et des pêches de la Commission de l’Union Européenne, a réitéré son «entière disponibilité à poursuivre la négociation en vue du renouvellement (du) protocole (de pêche)».
C’est la première correspondance depuis l’expiration, le 15 décembre, du Protocole couvrant la période 2012-2014. Une expiration qui fait suite à l’échec des négociations entre les deux parties. Le dernier round qui s’est déroulé à Bruxelles en novembre dernier n’a pas permis d’aplanir les obstacles nés de la divergence autour du niveau de la compensation. Pour les Européens, la somme de 47 millions devrait être le point de départ de la négociation, alors que pour les Mauritaniens, il n’était pas question de descendre en-deçà des 67 millions du dernier Protocole.
«Il est tout particulièrement souhaitable qu’un point de convergence puisse être trouvé sur les aspects financiers de cette négociation. Notre première offre faite à la Mauritanie demeure ouverte à discussion», poursuit le responsable européen. Tout en souhaitant «continuer à nous engager à vos côtés pour le développement d’une pêche durable et appuyer les orientations stratégiques du Gouvernement mauritanien». Allant jusqu’à noter «avec satisfaction que votre initiative visant à renouveler la stratégie sectorielle des pêches progresse de manière efficace en concertation avec les acteurs et partenaires du secteur».
La lettre remet sur le tapis la première proposition qui vise à prendre sur l’enveloppe de la compensation pour gonfler le volet «appui sectoriel». Si la compensation entre directement dans la trésorerie mauritanienne, l’argent de l’appui sectoriel est sujet à d’innombrables tracasseries bureaucratiques. Ses destinations et son décaissement restent soumis à l’assentiment préalable de la partie européenne et aux procédures qu’elle impose.
C’est ainsi que les Mauritaniens sont en droit de revendiquer six millions euros inscrits au chapitre «appui sectoriel» au titre du Protocole qui vient d’expirer. Alors que sur le Protocole précédent (2008-2012) l’apurement de cette enveloppe doit coûter plusieurs millions à l’UE. C’est naturellement, cette problématique qui doit dicter aux négociateurs mauritaniens leur comportement en la matière. La Mauritanie ne devant accepter de discuter les termes d’un nouveau Protocole que si le contentieux est entièrement apuré.
En fait, la partie européenne se trouve doublement piégée à cause des hésitations de ses négociateurs. D’abord en voulant imposer son diktat à la Mauritanie, on est passé par la remise en cause des procédures qui se limitaient à un échange de lettres après la paraphe du Protocole pour permettre à la flotte européenne de pêcher dans la zone mauritanienne. Conséquence : on en est venu à négocier l’effectivité du Protocole qui commence désormais avec la ratification par le Parlement, c’est-à-dire à la fin du processus. Deuxième conséquence : même si le Protocole avait été signé en novembre, il aurait fallu attendre plusieurs mois pour le voir ratifié par le Parlement, donc la date d’expiration aurait été inchangée (15/12).
Le deuxième piège est celui qui consiste à insister sur le gonflement de l’enveloppe «appui sectoriel». Si une telle option est bénéfique pour la Mauritanie, il va falloir solder les comptes des deux Protocoles précédents. Sinon, on aura hypothéqué une enveloppe nécessaire à l’instauration d’un commerce équitable entre les deux parties.
La réponse du ministère mauritanien devra nécessairement comporter des éléments opposables aux avances européennes qui continuent à faire fi – ou presque – de l’intérêt de la Mauritanie en se donnant une marge de manœuvre considérable.
Il est sûr que la démarche européenne ouvre la voie à la reprise de la négociation. Le futur round devant se tenir à Nouakchott, il s’agira pour les deux parties de chercher réellement des points de convergence, un terrain d’entente qui ne lèsera en rien leurs intérêts.
Entre David et Goliath, les rapports ne sont pas fatalement ceux qui se terminent par l’extermination de l’un ou l’autre des protagonistes. La raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure, surtout quand on trouve le point d’équilibre qui tienne compte de l’intérêt de chacun.

vendredi 26 décembre 2014

Ould Baya, président de l’Association des Maires

Ce soir les 219 Maires élisent le nouveau président de l’Association des Maires de Mauritanie et en même temps le bureau exécutif et le bureau permanent. L’Union pour la République (UPR) qui a une majorité absolue soit 147 maires, a préféré associer tous les partis politiques présents dans le collège électoral. C’est ainsi que cette élection a été le fruit d’un véritable consensus même si l’on a remarqué au finish 10 votes contre la proposition. Alors qu’elle a été adoptée par 209 maires présents.
L’Association créée en 1987 est une structure apolitique qui regroupe quand même tous les maires du pays. Ce qui en fait un excellent cadre d’échanges et d’entraide entre les communes de Mauritanie. Elle est aussi une interface entre le pouvoir exécutif et les structures locales, avec cette possibilité pour elle de promouvoir la décentralisation qui est une option fondamentale du développement en Mauritanie. L’un de ses objectifs étant de coordonner les actions des collectivités locales en vue de faciliter et de rendre plus efficient l’apport des ressources mobilisées à l’effet de les développer.
Mais le rôle le plus important de l’Association est celui de porter la voix de la Mauritanie à l’extérieur, de drainer, d’orienter les financements à travers les jumelages et la coopération internationale. L’Association des Maires de Mauritanie joue donc un rôle dans l’assainissement de l’image du pays au niveau de l’extérieur.
En choisissant Cheikh Ould Baya comme nouveau président, l’Assemblée générale des Maires de Mauritanie, a opté pour la redynamisation et la continuité de l’élan de modernité entamé par son prédécesseur Ahmed Ould Hamza qui a pu sortir l’AMM d’une longue léthargie.
Le mandat du Maire de Zouérate sera celui du travail en profondeur afin de faire quelques grands pas en avant dans le programme de décentralisation qui devra se concrétiser par plus de pouvoir aux collectivités locales. Cela permettra certainement aux communes de jouer un meilleur rôle dans l’éducation, la santé, la lutte contre la pauvreté…
Le mandat sera certainement aussi celui de l’ouverture sur l’extérieur et une plus grande association de tous les acteurs. Les aptitudes du nouveau président à discuter et à avoir des partenaires le maximum, son sens de l’intérêt général et du sacrifice sont des atouts dans le programme qu’il entend mettre en œuvre. Il sera soutenu par une équipe de Maires ayant expérience et compétence pour mener à bien la mission qui est la leur.
L’intensité du tir de barrage opéré à la veille de cette élection par ses détracteurs qui auront mobilisé plumes et voix en vue de déstabiliser le processus de l’élection – comme celui des négociations -, ce tir de barrage n’aura servi à rien. Cheikh Ould Baya a été élu haut la main président de l’Association des Maires de Mauritanie dans une atmosphère consensuelle (tous les partis étaient associés) et fraternelle, avec 209 voix sur les 219 inscrites. 

jeudi 25 décembre 2014

Abderrahmane Sissako nous donne le sourire

Ce matin, sur MEDI-1, la radio méditerranéenne, notre compatriote et son film «Timbuktu» sont célébrés par le chroniqueur du cinéma. Le journaliste rappelle que «la Mauritanie est toujours dans la course des Oscars grâce à ce film qui en a ébloui plus qu’un».
Entre le 9 et le 11 janvier 2015, le Jury de Los Angeles décidera de quels cinq films étrangers resteront parmi les neuf nominés pour les Oscars. La décision sera rendue le 15. Toutes les chances donnent Timbuktu parmi les heureux nominés.
D’abord la qualité du film, aussi bien sur le plan technique qu’au niveau du récit et donc du scénario. Le jeu excellent des acteurs et la musique extraordinaire venant ajouter à cette qualité incontestée.
Ensuite l’actualité du film qui raconte la vie sous le régime du Jihadistan dans le Nord du Mali. On vit avec les populations le profond trauma qu’elles ont subi et qui est merveilleusement rendu par cette scène où l’on voit des jeunes jouer au football sans ballon. On vit aussi la résistance et l’espoir de voir pointer une aurore éblouissante après une longue nuit d’oppression. On apprécie mieux le rôle de la femme dans des sociétés segmentaires comme les nôtres et qui arrivent à lui accorder une place de choix. On apprend comment de pieux Musulmans refusent le diktat des Jihadistes.
Une actualité qui met en évidence l’horreur que vivent les populations d’Irak et de Syrie, mais aussi de Libye sous le joug des hordes de l’Etat islamique. En Occident, on ne voit d’eux que les séquences de décapitation de quelques otages ressortissants de ces pays. Des zooms sont faits sur la souffrance réelle des Chrétiens d’Orient. Quid des Musulmans – Sunnites et Chiites - qui résistent, qui souffrent le martyr, qui fuient leurs terres ?
Timbuktu donne une idée de cette souffrance partagée, de cette Espérance toujours plus forte que l’oppression. C’est un mélange de fiction et de réalité, une sorte de téléréalité des pauvres… celle qui ne se joue pas contre de l’argent et qui n’a pas vocation à aller en-deçà du vécu quotidien des hommes et des femmes qui ont subi cet arbitraire-là.
Après Cannes et bien d’autres scènes du cinéma, Abderrahmane Sissako s’apprête à entrer dans un espace réservé aux meilleurs. Son film est déjà parmi les neuf nominés. Tant mieux et mille fois merci à celui qui oppose ainsi une dose de fierté aux prophètes de malheurs qui nous inondent en ces temps. Ceux-là veulent nous décourager de nous-mêmes, veulent nous marquer à jamais du poids de l’indignité, nous désespérer à toujours… Le succès de Timbuktu nous enseigne que nous avons encore quelque chose à offrir au Monde, quelque chose à faire partager et qui peut servir. Nous en sommes fiers.

mercredi 24 décembre 2014

Qu’attend-on des deux procès ?

Deux procès s’ouvrent en même temps en Mauritanie. Le premier à Nouadhibou où l’on juge le jeune auteur de l’article jugé blasphématoire pour le Prophète (PSL). Le second se tient à Rosso. Là on juge Birame Ould Dah Ould Abeid, président d’un mouvement anti-esclavagiste, arrivé deuxième à la dernière élection présidentielle avec plus de 8% des voix. Chacun des deux procès est lourd de conséquences pour la Mauritanie, pour le pouvoir en place, mais aussi et surtout pour le débat sociétal qui prend toute son ampleur avec l’éclosion de la liberté d’expression.
Le procès de Nouadhibou prend déjà l’aspect d’une Inquisition car le niveau de ceux qui jugent et de ceux qui défendent fait qu’on bloque autour de la question du repentir. Le repentir du jeune Ould Mkhaytir est-il sincère ou non ? est-il suffisant quand il s’agit d’atteinte à la personne de Mohammad, Paix et Salut sur Lui (PSL) ?
Le débat sur la loi mauritanienne est ainsi occulté. Nous apprenons ce soir que le jeune a été condamné à mort. Il ne pouvait en être autrement quand on a été incapable de s’extraire à la pression de la rue. La loi mauritanienne est pourtant claire.
Dans sa section IV intitulée «Attentats aux mœurs de l’Islam, Hérésie, apostasie, athéisme, refus de prier, adultère», le Code pénal mauritanien dit en son Article 306 : «Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur et aux mœurs islamiques ou a violé les lieux sacrés ou aidé à les violer, si cette action ne figure pas dans les crimes emportant la Ghissass ou la Diya, sera punie d'une peine correctionnelle de trois mois à deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 5.000 à 60.000 UM.
Tout musulman coupable du crime d'apostasie, soit par parole, soit par action de façon apparente ou évidente, sera invité à se repentir dans un délai de trois jours. S'il ne se repent pas dans ce délai, il est condamné à mort en tant qu'apostat, et ses biens seront confisqués au profit du Trésor. S'il se repent avant l'exécution de cette sentence, le parquet saisira la Cour suprême, à l'effet de sa réhabilitation dans tous ses droits, sans préjudice d'une peine correctionnelle prévue au 1er paragraphe du présent article.
Toute personne coupable du crime d'apostasie (Zendagha) sera, à moins qu'elle ne se repente au préalable, punie de la peine de mort. 
Sera punie d'une peine d'emprisonnement d'un mois à deux ans, toute personne qui sera coupable du crime d'attentat à la pudeur.
Tout musulman majeur qui refuse de prier tout en reconnaissant l'obligation de la prière sera invité à s'en acquitter jusqu'à la limite du temps prescrit pour l'accomplissement de la prière obligatoire concernée. S'il persiste dans son refus jusqu'à la fin de ce délai, il sera puni de la peine de mort.
S'il ne reconnaît pas l'obligation de la prière, il sera puni de la peine pour apostasie et ses biens confisqués au profit du Trésor public. Il ne bénéficiera pas de l'office consacré par le rite musulman.»
Ce Code pénal qui date de juillet 1983 (Ordonnance 83-162 du 09 juillet 1983) n’a jamais été revisité. Devant la pression de la rue, les Ulémas – dont certains avaient participé à la rédaction de ce texte – ont préféré se taire pour laisser la scène à des barbus de pacotille.
Le deuxième procès qui s’est ouvert ce matin ne peut que se transformer en procès politique. Procès du régime, de la société inégalitaire, probablement de la communauté Bidhâne… on ne peut plus éviter qu’il en soit ainsi dès lors que les mobilisations se sont faites sur la base des appartenances partisanes : c’est un peu l’Union pour la République (UPR) qui se dresse face à IRA qui bénéficie du coup du soutien plus ou moins annoncé des protagonistes du parti au pouvoir.
Il ne sera probablement pas question de la question de l’esclavage. Les uns et les autres refusant d’aller au fond des problématiques. Restera pour nous l’amère impression qu’on a risqué inconsidérément de ternir l’image du pays en engageant deux procès symboles : celui de Nouadhibou qui renvoie à la liberté d’expression et de culte, l’autre à Rosso qui reste lié aux Droits de l’homme. Des thèmes souvent utilisés par les activistes aux Etats-Unis, en Europe pour viser des pays et/ou des aires culturelles dans le collimateur.

mardi 23 décembre 2014

Les voleurs qui crient «au voleur !»

Je suis chaque fois surpris par l’arrogance de certains acteurs de l’espace médiatique et politique, une arrogance qui se double d’un manque de scrupule évident.
Quand un homme politique réduit l’action de son parti à la défense des intérêts d’une famille. Qu’il avoue, après avoir tourné autour du pot bien longtemps, que son aigreur vis-à-vis du régime s’explique par la volonté de celui-ci de viser une famille, une tribu…
Quand un homme politique s’impose en moralisateur et qu’il bâtit toute sa démarche sur ses ressentiments personnels, ses frustrations personnelles, son rapport personnel à l’Autorité. Quand il veut légitimer son ressentiment personnel, sa mésaventure personnelle, et l’effet de sa disgrâce personnelle, par un engagement soudain dans le combat qui concerne tout un chacun.
Quand un homme politique qui a roulé pour tous les régimes, participé directement et indirectement à la sape du projet démocratique, au pillage des ressources, aux exactions commises sous la dictature…, quand cet homme parle aujourd’hui comme s’il avait, depuis toujours, combattu l’arbitraire.
Quand un journaliste fonde son information sur la rumeur, s’empresse de la donner, de la commenter, d’en tirer les conclusions. Quand il se met au service d’un ou de plusieurs lobbies. Quand il signe des textes écrits par d’autres en vue de servir des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. Quand il est payé par des services officiels et/ou particuliers (privés, groupes politiques…). Quand il se sert de sa position pour servir sa tribu, sa région, son ethnie…
Quand un religieux – faqih ou autre – justifie les arbitraires, les inégalités, les injustices. Quand il refuse de les dénoncer. Quand il préfère s’en prendre au corps social le rendant responsable de toutes les dérives, de toutes les hérésies. Quand il n’a d’autre combat que celui qu’il dirige contre la femme, contre l’émancipation individuelle et finalement contre la Modernité.
…On ne peut parler de courage mais de couardise. Dire NON ne relève pas obligatoirement du courage. Dire NON ne demande pas toujours – et surtout pas maintenant – du courage. N’importe qui dit aujourd’hui NON à n’importe quoi. Parfois à la chose et à son contraire à la fois.
Dans la bouche de ceux qui nous couvrent d’une cacophonie indescriptible et qui veulent parasiter, intoxiquer, détruire toute espérance en un lendemain meilleur, le NON procède de la lâcheté. Après avoir béni la pire des situations, après avoir participé au sac organisé du pays, après avoir contribué à la corruption des mœurs, à la prédation, aux orgies collectives, après avoir mangé aux râteliers de différents oppresseurs, quelle crédibilité peut-on encore accorder à ce que disent ces gens-là ?
Le courage c’est de rester les yeux ouverts, en tous temps, en tous lieux. De dire exactement ce qu’on pense, de le défendre… comme disent «ceux de par là», de dire ce qu’il faut au moment qu’il faut.
Courage, abnégation, sacrifice… des valeurs que notre élite a cessé de cultiver (si elle n’a pas cherché à les détruire). Des valeurs qui subissent aujourd’hui le coup de grâce. Avec tous ceux qui prétendent moraliser, sauver, dénoncer, révéler, redresser… et qui ne font que décrédibiliser la vérité, trafiquer la réalité, instrumentaliser les causes légitimes…
Dans la culture hassaniya, on évoque souvent «ceux qui volent avec les voleurs et pistent avec les pisteurs». C’est bien de ces gens-là que je parle.

lundi 22 décembre 2014

Revue de la coopération Mauritanie-UE

Lundi s’est ouvert à Nouakchott la première revue du portefeuille de coopération entre l’Union Européenne (UE) et la Mauritanie. A l’image de ce qui se fait avec la Banque Mondiale, les deux parties entendent évaluer plus de trois décennies de coopération dans le cadre des accords de Cotonou.
Les FED – du Fonds européen du développement – se suivent. Nous allons retenir trois chiffres. Le premier est 669,32 millions euros qui est l’enveloppe globale qui a été destinée à la Mauritanie depuis le milieu des années 80. Le deuxième chiffre que nous allons retenir est celui de 191 millions correspondant à l’enveloppe du 9ème FED qui a couvert la période allant de 2001 à 2007. Le troisième est celui du 10ème FED qui a atteint un record avec 209,32 millions pour la période de 2008 à 2014, à 2013 en fait. On peut y ajouter pour comparaison, le chiffre prévu pour le 11ème FED, 195 millions couvrant la période de 2014 à 2020, date de l’expiration des Accords de Cotonou.
Au titre du 10ème FED, 57 millions soit 27,23% sont alloués aux infrastructures et aux réformes du secteur du transport, 46 millions pour l’appui budgétaire et les réformes des finances publiques, 20 millions à la décentralisation et au développement local, 17,22 millions à la sécurité alimentaire, 13 millions à la sécurité et au développement (lutte anti-terroriste), 7 millions pour la Justice et l’Etat de droit, 7 pour la société civile, la culture et les Droits de l’homme, 6 pour la prévention des conflits… pour ne citer que l’essentiel.
Pour comprendre le record du 10ème FED, il faut savoir que l’enveloppe initiale était de 156 millions seulement. A ce montant, se sont ajoutés des financements supplémentaires qui ont concerné surtout la sécurité du Sahel pour 25 millions et d’autres interventions pour 28 millions (interventions européennes à l’occasion de crises d’urgence notamment).
Dans le jargon des techniciens, on dit que la totalité de l’enveloppe a été affectée, mais cela ne veut pas dire que l’argent a été alloué ou transféré au profit de la Mauritanie. La lourdeur des procédures a toujours été décriée par les deux partenaires.
Les Européens arguant la faiblesse d’absorption de la Mauritanie qui s’explique par les lenteurs administratives, le manque de compétence des concepteurs des projets, l’absence d’efficacité…
Les Mauritaniens se plaignant de la complexité des procédures imposées par l’UE pour accéder aux financements. Dont une bonne partie revient souvent à des sociétés européennes qui remportent facilement les marchés, à des experts qu’il faut engager pour des études de validité…
Sur les 209,32 millions du 10ème FED, ce qu’on appelle les «engagements individuels contractualisés», terme qui désigne dans le jargon consacré l’engagement par contrats, ce titre a atteint 144,33 millions soit 68,95% du montant global. Alors que les paiements exécutés n’ont pas dépassé 57,14 millions soit 39,59% de ce montant contractuel.
Il arrive même que des chapitres prévus ne soient pas touchés. C’est l’exemple ici du chapitre de la Sécurité et du développement, de la prévention des conflits (dont les conventions ont été signées seulement le 15 de ce mois), de la Justice et de l’Etat de droit, de la décentralisation et du développement local. Aucun euro n’a été déboursé pour ces secteurs malgré la mise en place de structures de coordination pour les lancer.
Autre reproche fait à la partie européenne, tout ce qui se rapporte à «l’appui sectoriel» dans les Accords de pêche et qui n’a jamais voulu dire grand-chose. Dans le passé, la partie mauritanienne s’est résignée à le voir gonfler sans vraiment en profiter. C’est que le chiffre servait d’argument aux Européens pour rester sur certaines positions, notamment le niveau de la compensation.
La présente revue doit aussi servir à réinventer la philosophie de la coopération entre les deux partenaires. Une coopération qui doit prendre en compte la nécessité d’établir les règles d’un commerce équitable et l’urgence d’introduire des mécanismes de préservation de la ressource.

dimanche 21 décembre 2014

Elections en Tunisie

C’est, nous l’espérons, la fin d’un processus en Tunisie et le début d’un autre. Le processus qui doit nécessairement finir est celui de la révolution et de ses convulsions. Celui qui doit commencer est celui de la stabilisation et de la refondation de l’Etat de droit.
Depuis cet acte d’immolation qui a déclenché les soulèvements populaires de décembre 2010 à janvier 2011, depuis ce temps, bien des secousses ont failli perturber la marche de la Tunisie vers la démocratie. Mais deux atouts au moins allaient éviter au pays de sombrer : les acquis du Bourguibisme (de Habib Bourguiba, le premier Président de la Tunisie indépendante) qui vont de la scolarisation à l’émancipation des femmes en passant par le développement d’une société civile active surtout d’un mouvement ouvrier dynamique ; et le sens de la mesure adoptée par les Islamistes modérés au lendemain de la chute de Ben Ali, en refusant de chercher à accaparer le pouvoir à eux seuls, les Islamistes de Ennahda ont donné une chance à la démocratie en Tunisie.
Au deuxième tour d’une élection présidentielle pluraliste chaudement disputée, deux hommes s’affrontent : Béji Caid Essebsi, 88 ans, ancien premier ministre, homme ayant appartenu à tous les régimes, et Moncef Marzouki, Président sortant, ayant appartenu à l’opposition à Ben Ali. Le premier est un peu le candidat de l’expérience, celui qui rassure les Tunisiens quant à la méthode de gouvernement pour le futur. Le second se présente comme le candidat du renouveau de la Tunisie pour ce qu’il symbolise en termes d’opposition à l’ancien régime.
Le premier défi pour les deux hommes est d’être capables d’accepter le verdict des urnes. Il est demandé au gagnant d’aller au-delà des dérives verbales de la campagne électorale, de rassurer, de s’imposer comme le Président de tous les Tunisiens, d’éviter de confirmer l’image régionaliste qu’a donnée la campagne, de s’approprier les avancées faites pendant la longue transition et de se rappeler que le danger de l’extrémisme frappe déjà son pays.
Pour le perdant, il s’agira d’accompagner le Destin qui se dessine pour la Tunisie en imposant un système de veille démocratique. Le retour de la bête n’est jamais à exclure dans nos pays qui sont fragiles et peuvent à tout moment basculer dans le chaos.
Dans nos pays, le péché originel des acteurs politiques a été de ne jamais considérer que la démocratie est le fruit d’un long cheminement, d’une longue transition, d’une grande accumulation qui se fait le temps… qui se fait à travers heurts, échanges… un foisonnement qui fait pointer une lueur à l’horizon jusque-là assombri.

Le cheminement démocratique est une recherche constante de l’établissement d’un système de valeurs à même d’assurer une meilleure utilisation des ressources dans l’intérêt général des populations, une sorte de rénovation de l’Etat qui devient effectivement celui de tout le monde, l’Etat qui émancipe, qui contribue au bonheur de chacun et de tous, qui assure l’égalité, la justice, l’équité…  

samedi 20 décembre 2014

Le G5 du Sahel est lancé

La réunion des Chefs d’Etats du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad a permis le lancement effectif du G5 du Sahel. Un regroupement qui vise la mutualisation des efforts et des stratégies déployées en vue d’éradiquer le crime organisé sévissant dans la région.
Le sommet a permis l’adoption des textes fondateurs du Groupe et du Programme d’investissement prioritaire chiffré à 15 milliards de dollars environ, ainsi que la désignation d’un Secrétaire Permanent en vue de la mise en œuvre des décisions prises.
La convention est le fondement juridique du regroupement. Elle se fonde sur «les liens séculaires et multiformes qui unissent les peuples du Sahel» et a pour objectif de «faire du Sahel un espace de paix, de prospérité et de concorde». Elle part du principe qu’il n’y a pas de sécurité sans développement, et vice versa.
La convention énumère les défis que le regroupement des Etats devra relever : «a. Le renforcement de la paix et la sécurité, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière ; b. Le besoin d’institutions démocratiques stables et pérennes avec une forte implication des populations ; c. La nécessité de promouvoir les zones les moins développées ; d. Le déficit en infrastructures et services de base (transport, énergie, hydraulique et  télécommunications) ; e. La sécurité alimentaire et le pastoralisme ; f. Le développement humain (démographie, santé, éducation, formation technique et professionnelle) ; g.  Les changements climatiques et la gestion de l’eau».
A travers cette convention, les Chefs d’Etats présents «réaffirment la priorité qu’ils accordent à la sécurité et au développement de la région et réitèrent leur plein engagement à promouvoir la démocratie, les droits de l’Homme, et la bonne gouvernance». Ils s’engagent aussi à coopérer et à négocier ensemble avec les partenaires techniques et financiers, publics et privés en vue de réaliser leurs objectifs fixés d’un commun accord.
L’article 4 de la convention indique : «Le G 5  Sahel  a pour objet : (i) de garantir des conditions de développement et de sécurité dans l’espace des pays membres ; (ii) d’offrir un cadre stratégique d’intervention permettant d’améliorer les conditions de vie des populations ; (iii) d’allier le développement et la sécurité, soutenus par la démocratie et la bonne gouvernance dans un cadre de coopération régionale et internationale mutuellement bénéfique et (iv) de promouvoir un développement régional inclusif et durable».
L’article 5 quant à lui stipule : «Le G 5 Sahel contribue à la mise en œuvre des actions de sécurité et de développement dans les Etats membres grâce notamment : Au renforcement de la paix et la sécurité dans l’espace du G 5 Sahel ; Au développement des infrastructures de transport, d’hydraulique, d’énergie et de télécommunications ; A la création des conditions d’une meilleure gouvernance dans les pays membres ; Au renforcement des capacités de résilience des populations en garantissant durablement la sécurité alimentaire, le développement humain et le pastoralisme».
Les Chefs d’Etats ont évalué positivement la situation au Mali avant de demander la mise en place d’une patrouille composée des forces africaines présentes dans le cadre de la MINUSMA et de l’Armée malienne. Ils ont demandé au Conseil de Sécurité des Nations Unies d’entrevoir la possibilité d’une intervention militaire en Libye avec l’assentiment de l’Union Africaine. Ils ont aussi salué les efforts des Etats riverains du Lac Tchad en vue de lutter contre Boko Haram. Ils ont enfin exprimé toute leur solidarité avec les pays ravagés par l’épidémie Ebola.

vendredi 19 décembre 2014

Conférence de presse réussie

La veille, il y a eu la foire d’empoigne à l’occasion d’une première sortie du Président de la République devant la presse. C’était quand il avait exposé les résultats du sommet du Processus de Nouakchott devant les journalistes. Impossible d’aller au-delà de la première question. La cohorte – pour ne pas dire la meute – couvrit l’espace de mille cacophonies. Chacun cherchant à poser la question qu’il estime la plus intelligente, chacun voulant passer avant les autres, chacun tentant désespérément d’éclipser les autres en occupant le plus d’espace et en faisant le plus de bruits. Cela s’est traduit par le retrait immédiat du Président qui a voulu éviter à ses hôtes ce spectacle désolant. Mais à qui la faute ? bien sûr à ceux qui ont invité cette cohorte et qui la traitent comme s’il s’agissait d’êtres normaux, de journalistes sérieux…
Aujourd’hui, la salle est beaucoup plus aérée. Les organes de presse présents existent soit sur la toile, sur les satellites, soit sur le papier… Les journalistes qui les représentent sont plus ou moins responsables et savent à peu près de quoi il ressort. Résultat : une excellente sortie du Président de la République à qui a été donnée l’occasion d’évaluer les deux sommets de Nouakchott, de rendre public les conclusions du G5 du Sahel, et incidemment de répondre à des questions relatives à la situation du pays.
En attendant de revenir sur le sommet sahélien, je reviendrai ici sur la réponse du Président Mohamed Ould Abdel Aziz à la question relative aux rapports avec l’Institution de l’Opposition et aux possibilités de dialogue. Pour remarquer d’abord qu’il a délibérément choisi de répondre en Arabe alors que la question était posée en Français. Ce qui dénote du soucis de se faire entendre par la grande majorité des Mauritaniens et surtout par les intéressés.
Le Président Ould Abdel Aziz a réitéré sa volonté d’ouvrir un dialogue constructif et sérieux avec l’ensemble des acteurs politiques qui le désirent. Il a expliqué que l’ancien bureau de l’Institution de l’Opposition Démocratique n’a jamais accepté ses invites à le rencontrer, ni d’ailleurs de participer aux cérémonies officielles. Parce qu’il ne reconnaissait rien de tout ce qui nous occupe.
Le nouveau bureau a répondu favorablement à la première invitation qui lui a été adressée. Ce fut l’occasion, a-t-il indiqué, de faire le tour d’horizon de la situation nationale comme le préconise la loi. «Nous leur avons exprimé notre entière disponibilité à dialoguer avec toutes les parties, de tout, sans tabou. C’est une attitude de principe que nous adoptons et que nous croyons être la meilleure en vue de faire face aux problèmes de pauvreté, de développement, d’insécurités… à tout ces défis que nous devons relever».

L’établissement de cette passerelle prévue par la loi constitutionnelle, ouvre inévitablement de nouvelles perspectives politiques au pays. Il est peut-être l’entrée en matière d’un dialogue qui peut être ouvert autour des questions qui sont restées pendantes tout ce temps. Y compris celles se rapportant aux élections et aux garanties pour leur transparence, ou aux ouvertures politiques possibles, aux propositions en matière de gouvernance, aux solutions alternatives et surtout à l’apaisement des rapports entre les acteurs qui ont continué ces dernières années à s’insulter et à se haïr. Le temps des reconnaissances mutuelles est certainement arrivé. Avec lui, la sérénité dans les échanges et probablement – du moins on l’espère – le renforcement du front intérieur à un moment où la Mauritanie a besoin de l’intelligence, de la compétence, de l’expérience, de l’engagement sincère de tous ses fils.

jeudi 18 décembre 2014

Le chaud et le froid de l’UE

Nous sommes le 12 décembre. Le représentant de l’Union européenne (UE) au Sahel, Michel Reveyrant Dementhon, est en Mauritanie où il est reçu par les premiers responsables du pays. Au sujet de l’arrestation de Biram Ould Dah Ould Abeid, l’émissaire européenne déclare à la presse : «En tant qu’Européens, nous trouvons un peu bizarre qu’un homme politique puisse être incarcéré quelque soit ce qui s’est passé. Mais on peut aussi comprendre le type de raisonnement des autorités mauritaniennes qui disent que la société mauritanienne est complexe, il y a des tensions ouvertes et qu’il ne faut pas jouer avec le feu». Avant de préciser que l’intéressé «est un homme politique mauritanien d’abord qui défend un certain nombre d’idées et prend position sur certains sujets et il a sa stratégie logique que nous respectons. Mais lorsque la société civile devient des acteurs politiques (sic), c’est toujours un sujet délicat pour la Communauté internationale, parce qu’on a envie de continuer de travailler avec elle vu qu’elle remplit des fonctions sociales tout à fait importantes notamment dans les pays du Sahel dont fait partie la Mauritanie». Pour finir en insistant : «La priorité aujourd’hui, c’est que le cours de la Justice soit respecté, que les choses avancent comme il se doit dans un cadre légal».
Cette attitude «compréhensive» est vite éclipsée quelques jours plus tard avec d’abord le déroulement d’un round du dialogue politique entre l’UE représentée par les Ambassadeurs des pays présents à Nouakchott et le Gouvernement mauritanien dirigé par son Premier ministre Yahya Ould Hademine.
La séance est certes l’occasion de faire le tour des questions de coopération, les ministres concernées par les secteurs d’intervention de l’UE sont présents. Mais le point d’orgue des discussions va tourner autour de l’Accord de pêche en fin de validité. La position mauritanienne est réitérée : le Protocole signé le 31 juillet 2012 pour deux ans aurait pu être reconduit tel quel ou en y ajoutant les quelques amendements acceptés entretemps par les deux parties, parce que sa non dénonciation par l’une ou l’autre des parties est l’expression de la satisfaction de chacune d’elle. On rappellera que le dernier round des négociations avait fait avancer les choses, ne laissant comme point d’achoppement que le niveau de la compensation : 47 millions euros pour les Européens, 67 pour les Mauritaniens.
Au cours de cette réunion, il fut aussi question des Droits humains et surtout de l’arrestation du président et des militants de l’IRA à Rosso. Pour la partie mauritanienne, il s’agit simplement d’une affaire pendante devant la justice pour troubles à l’ordre public… Mais les Européens ne l’entendaient pas de cette oreille. Pour eux il s’agit bien d’une atteinte aux Droits qu’il faut corriger au plus vite.
La réunion se passait en même temps que se préparait à Strasbourg la motion votée par le Parlement et demandant la libération immédiate de Biram Ould Dah Ould Abeid et de ses compagnons.
Naturellement, toutes ces démarches sont ressenties en Mauritanie comme une tentative de faire plier le pays devant le négociateur européen. Surtout que la balle étant dans le camp des Européens, ils tardent à réagir. Comme si on faisait un remake de l’interminable aller-retour qui a accompagné l’adoption de l’Accord arrivant à terme (2012-2013). Le travail des lobbies d’armateurs des deux parties prenantes avait retardé sa ratification par le Parlement européenne.
Aujourd’hui, la partie européenne espère pouvoir fléchir la position mauritanienne sur le dossier de la pêche en instrumentalisant ce qu’elle estime être une défaillance du pouvoir dans l’exigence du respect de la liberté d’expression et de manifestation. Oubliant que la Mauritanie a une marge de manœuvre considérable qui lui permet d’atténuer les effets négatifs de l’absence d’accord. D’ailleurs, on ne trouve nulle trace de l’argent provenant de la pêche dans la loi de finances en cours de validation. Comme en 2012, les autorités se sont abstenues d’inscrire ce pactole et de compter là-dessus en termes de ressources budgétaires. Un atout pour les Mauritaniens qui ont aussi fermé la porte aux interférences politiques qui pesaient par le passé. L’Accord est un «objet technique» qui doit répondre à un souci gagnant-gagnant, donc qui doit être confié exclusivement à des techniciens capables d’en discuter les termes.
Que ceux dont les intérêts sont touchés, en Mauritanie ou ailleurs, payent des campagnes de presse pour dénaturer les enjeux réels, pour vilipender ou déstabiliser les négociateurs mauritaniens, ne pèsera pas dans les décisions européennes. Ces gens savent comment se passaient les négociations, qui en profitait et quels usages politiques on en faisait.
Le socle de valeurs qui fait l’essence du camp progressiste aujourd’hui – en Europe, en Amérique, en Asie mais aussi en Afrique – est celui qui milite pour une gestion équilibrée des ressources et pour un commerce équitable. Deux soucis auxquels répond le dernier Protocole d’accord de pêche entre la Mauritanie et l’Union Européenne. Deux fondements qu’il faut défendre.

Dans quelques jours, se tiendront les assises de la première revue de la coopération entre l’UE et notre pays. Comme cela se fait avec la Banque Mondiale et d’autres partenaires techniques et financiers, il s’agira d’évaluer le volume, la qualité, l’efficacité et les résultats de l’apport considérable de l’UE dans l’effort de développement de la Mauritanie. L’occasion probablement aussi de redéfinir la philosophie d’ensemble qui soutient cette coopération. Celle qui fait du respect mutuel la base du traitement d’égal à égal.

mercredi 17 décembre 2014

Le coup de gueule des Africains

Le forum de Dakar a finalement été l’occasion de laisser exploser les représentants africains. Ce qui a fait dire au Président Macky Sall du Sénégal à la fin des discussions que «la parole s’est libérée ce soir». Ce qui aussi a fait faire de nombreuses grimaces au ministre français de la défense, Jean-Ives Le Drian.
Sur la question libyenne, c’est le malien qui donne le ton en estimant que «tant que le problème sud-libyen ne sera pas résolu, nous n’aurons pas la paix». Explication de texte par le Sénégalais Macky Sall : «« Malheureusement, la Libye est un travail inachevé. Il faut que ceux qui l’ont entamé puissent nous aider à le terminer. A cela, il faut ajouter les influences venues d’Egypte, avec les Frères musulmans qui, par vagues, rejoignent ce pays ; et le commerce du pétrole qui se poursuit et qui alimente le financement de l’armement. Donc, c’est véritablement une poudrière pour la zone sahélienne, qu'il convient de traiter de manière appropriée.» Rebondissant sur ces propos, le Tchadien Idriss Déby précise que «le travail en Libye, les Occidentaux et l’Otan l’ont bien achevé puisqu’ils voulaient tuer Kadhafi et qu’ils l’ont bien tué ! Le problème, c’est qu’ils n’ont pas mené le service après-vente.» Et de poursuivre : «En Libye, la solution n’est pas entre nos mains, mais entre celles de l’Otan, qui doit détruire les terroristes comme elle a détruit Kadhafi.»
Mais la plus forte des grimaces du ministre français était en réaction aux propos du Président Mohamed Ould Abdel Aziz qui a préféré s’attaquer à l’indulgence des partenaires occidentaux quand il s’agit de financer les groupes terroristes. Pour lui, les partenaires de l’Afrique doivent s’abstenir de payer des rançons qui vont renforcer les capacités des terroristes. L’on sait que la moyenne payée par les Occidentaux pour libérer leurs otages dans le Sahel atteint les trois millions euros par personne. A elle seule, la France a payé 58 millions euros depuis 2008, sans compter le dernier échange. Elle a fait pression sur le Mali notamment pour libérer une dizaine de terroristes depuis l’affaire Pierre Camatte en 2010. Dans son intervention le Président Ould Abdel Aziz a annoncé la mise en place prochaine d’une force d’intervention rapide au niveau africain, insistant sur la nécessité pour le continent de se prendre en charge pour faire face aux dangers qui le menacent, notamment le terrorisme et le trafic de drogue.
Le forum de Dakar se tient à quelques heures du sommet de Nouakchott qui a pour thème «La Processus de Nouakchott» dont l’objectif est de lancer un package comprenant l’approche sécuritaire, la démarche développement et l’effort en vue d’une restructuration sociale des communautés en Afrique.
Ce processus enclenché par l’Union Africaine (UA) en 2013 n’est pas du goût de tout le monde, notamment de la France. Comme pour le contrecarrer, il y a ce Forum de Dakar qui suit une autre logique pour traiter du même problème.
Ce n’est pas la première fois que l’ancienne puissance coloniale interfère pour torpiller un processus de l’UA. On n’oublie difficilement les interventions en Libye et en Côte d’Ivoire qui ont été décidées alors que l’UA était sur le point de trouver une solution plus raisonnable. Pour la Libye, des négociations devaient aboutir au départ de Kadhafi et à la mise en place d’un gouvernement d’union et de transition qui aura pour tâche d’amener la Libye à bon port.
En Côte d’Ivoire, le Président Laurent Gbagbo avait déjà accepté le principe de retrait politique au profit de Alassane Ouattara quand les forces françaises sont passées à l’attaque.
Dans l’un et l’autre des cas, la volonté guerrière de la France de Nicolas Sarkozy l’avait emporté sur la Raison et la solution réfléchie. Résultat : la Libye a sombré dans le chao et la Côte d’Ivoire reste fragile, très fragile… 

mardi 16 décembre 2014

L’UE exerce la pression

Comme par hasard, au moment où l’Accord de pêche entre l’Union européenne et la Mauritanie arrive à échéance, le dialogue politique est engagé entre les deux parties. Une expression sibylline pour désigner le cadre institutionnel par lequel l’UE impose à un pays ses points de vue sur la démocratisation, les Droits de l’Homme, la gouvernance… C’est officiellement l’occasion de passer en revue les avancées réalisées et d’évaluer les retards et manquements relevés. Bien entendu, c’est l’affaire Birame Ould Dah Ould Abeid qui a eu droit à la plus grande attention, la partie européenne trouvant ici la défaillance.
Au même moment d’ailleurs que s’engagent les discussions à Nouakchott, les regards sont déjà tournés vers Strasbourg où une commission des Droits de l’Homme doit se prononcer sur le cas mauritanien. Comme si la Mauritanie n’a pas élaboré, en collaboration avec les Nations Unies, une feuille de route visant à éradiquer l’esclavage et ses séquelles. Il sera certainement question d’atteintes aux droits humains et d’injonctions faites à la Mauritanie.
Ce soudain intérêt pour ces questions et la reprise du dialogue politique interviennent effectivement à un moment où les Européens sont attendus sur de nouvelles propositions concernant l’accord de pêche dont l’effectivité a pris fin hier 15 décembre. Date choisie par les négociateurs européens qui avaient pensé mettre la pression sur la Mauritanie en remettant en cause les procédures initiales : de tous temps, la signature de l’Accord et l’échange de lettres suffisaient à ouvrir la zone de pêche mauritanienne aux partenaires européens, mais depuis la contestation faite au printemps par ses derniers, il faut désormais attendre la fin de tout le processus d’approbation (conseil des ministres, ratification par le Parlement…).
Au dernier round des négociations, la partie européenne avait proposé de rabaisser le niveau de la compensation à 45 millions euros au lieu des 67 du dernier Accord. Alors que les Mauritaniens, estimant offrir aux armateurs européens l’accès à une ressource de qualité et se trouvant à proximité des marchés européens, croient que rien ne justifie la remise en cause des termes du dernier Accord considéré comme historique.
En fait cet Accord qui prend ainsi fin répondait à toutes les exigences du monde d’aujourd’hui. Il était un premier pas vers un commerce équitable. Il participait aussi à l’effort de préservation de la ressource parce qu’il prenait en compte les capacités de prise. Mais, last but not least, il mettait fin à la surexploitation du poulpe qui devenait, par décision mauritanienne, une exclusivité réservée à l’armement artisanal.

Avec cet Accord, c’était un peu la fin d’un style, d’une méthodologie et de relations équivoques… Un style, une méthodologie et des relations qui donnaient fatalement un perdant – la Mauritanie. On a cru un moment redresser un peu pour approcher d’un point d’équilibre… était-ce trop espérer du partenaire européen ?

lundi 15 décembre 2014

Des imposteurs

Notre rapport à l’histoire est décidément ambigu. Deux façons de l’aborder : en la ruminant ou en la remaniant, pour reprendre l’expression d’un cowboy de l’Ouest américain. Soit donc en répétant ce que tout chacun sait de lui-même et de son ensemble. Soit en cherchant à «corriger» pour édulcorer, réaménager, rectifier, reprendre, remettre à jour…, les objectifs sont multiples, mais le procédé est le même : censurer la réalité des faits et mettre à la place la réalité imagée (ou imaginée).
A entendre les Mauritaniens d’aujourd’hui, on a l’impression que la résistance au colon a été générale. Que cette résistance était alimentée par une conscience aigue des intérêts d’une Nation appelée la Mauritanie. Que cette résistance a finalement poussée le colon à partir. Que les Mauritaniens ont arraché leur indépendance pour forger un Etat-Nation.
Alors que ce pays est le produit de calculs coloniaux qui ont d’abord visé à créer une sorte de marchepied entre les territoires au nord et ceux au sud du Sahara. L’espace appelé aujourd’hui Mauritanie est une copie corrigée du projet de Xavier Coppolani, le symbole pour les Mauritaniens d’aujourd’hui de la colonisation «abjecte».
Pour son indépendance, il y a eu certes un mouvement nationaliste qui s’est formé à partir du début des années 50 et qui n’a réellement pris forme qu’au milieu et surtout à la fin de ces années-là. Animé essentiellement par les cadres produits par l’école coloniale, ce mouvement ne s’est jamais inscrit dans une logique de rupture ou de confrontation armée (ou non). Les plus radicaux d’entre eux sont ceux qui vont finir par se diriger vers le Maroc pour soit demander à s’adosser au Royaume pour avoir l’indépendance, soit épouser carrément les thèses annexionnistes du parti Istiqlal et de son leader historique Allal al Fassi. Certains d’entre eux n’hésiteront pas à animer des opérations armées contre le pays dont la marche vers l’indépendance était déjà certaine. Les attaques à partir du Nord provoquèrent l’opération Ecouvillon par laquelle Français et Espagnols mirent en commun leurs efforts pour mettre fin à ces velléités de libération des territoires sous occupation étrangère (non marocaine). Les instigateurs de cette entreprise guerrière durent transférer leur point de commandement au Mali. A partir de ce pays, et jusqu’après l’indépendance de la Mauritanie, des opérations seront lancées pour déstabiliser le nouveau régime et remettre en cause cette indépendance.
Les hommes de l’époque avaient leurs raisons : ils ne croyaient pas à la viabilité d’un projet d’Etat rassemblant ces populations naturellement séditieuses. Certains d’entre eux entendaient payer à Moktar Ould Daddah son leadership de jour en jour évident.
Nous pouvons juger ces hommes et leur époque. Mais nous avons le devoir d’être équitables envers eux. L’équité ce n’est pas d’ignorer ce qu’ils ont cru devoir faire, ce n’est pas de le cacher honteusement (eux n’avaient pas honte de le faire), ce n’est pas de le censurer, mais de l’expliquer après l’avoir fidèlement rendu.
54 ans après l’indépendance, nous avons toujours parmi nous des gens, du reste bienpensants, qui ne croient pas à ce pays. Des gens qui font publiquement le constat de l’inanité de ce qu’ils considèrent encore à l’état de projet. Ils se limitent à faire le constat et dans leur action quotidienne, ils cherchent à décourager, à saper les espoirs d’un lendemain meilleur. Si ces gens existent et se permettent de dire haut ce qu’ils ont à dire, comment ne pas être indulgent vis-à-vis de ceux qui vivaient dans un pays qui n’avait d’autre existence que celle que lui rêvaient certains de ses fils dont Moktar Ould Daddah ?
On nous a appris que l’Histoire est le récit des événements du passé, que nous connaissons ces événements soit par des écrits, soit par des monuments. On a compris depuis le jeune âge où l’on nous ingurgitait cette définition, que nos compatriotes ont peur de l’Histoire. Parce qu’ils la vivent encore, et la vivent très mal.

Pourtant, le passé est passé, c’est là son seul mérite, comme disait feu Habib Ould Mahfoud.