mardi 4 août 2015

Il ne faut s’en prendre qu’à vous

Chaque fois que les Jihadistes ou autres groupes armés frappent au Mali, une partie de la presse de ce pays s’en prend violemment à la Mauritanie l’accusant d’être la base de départ (et de retrait) des assaillants. Très souvent, les termes de cette presse malienne sont traduits et repris tel qu’ils sont par nos confrères d’ici. Alors que tous savent qu’aucune attaque ne peut partir du territoire mauritanien. Heureusement d’ailleurs que les autorités maliennes sont édifiées sur la question, sinon ces ragots auraient assombri les relations entre les deux pays. Mais que dire du citoyen lambda, du policier, du douanier, du gendarme maliens en faction sur l’un des points de la frontière entre les deux pays ? L’occasion de rappeler quelques faits.
Le 4 juin 2005, un commando du Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC, devenu depuis Al Qaeda au Maghreb Islamique, AQMI) attaque la garnison mauritanienne de Lemghayti. Les assaillants se retirent dans la région de Tombouctou après avoir assassiné une quinzaine de soldats mauritaniens et en emportant un sérieux butin. Le Mali se contente alors de fermer les yeux sur l’expédition punitive envisagée et même lancée par les autorités mauritaniennes de l’époque. Les Maliens n’interviennent à aucun moment pour aider à retrouver les assaillants. Même quand les unités envoyées loin de leurs bases arrières en Mauritanie, sont confrontées à de sérieuses difficultés d’approvisionnement (eau, nourriture, carburant…).
Le 24 décembre 2007, un groupe procède à l’assassinat de trois touristes français avant de fuir vers le Sénégal. Si deux des agresseurs sont arrêtés grâce justement à la coopération entre le Sénégal, la Guinée Bissau et la Mauritanie, le troisième trouve refuge au Mali où il est pourtant repéré en compagnie d’une autre figure du Jihadisme en Mauritanie, Hammada Ould Mohamed Khairou. Sans pouvoir être arrêté.
Le 27 décembre 2007, trois soldats mauritaniens sont tués par un commando venu du Mali. Les agresseurs repartent au Mali. Même s’ils sont repérés à plusieurs fois, aucune autorité au Mali n’a envisagé de limiter les déplacements ou les actions de ces groupes.
Le 15 septembre 2008, une unité de l’Armée mauritanienne tombe dans une embuscade tendue par des terroristes venus du Mali. Bilan : 12 morts et de façon terrifiante. Les assassins se replient tranquillement dans les environs de Tombouctou.
Le 29 novembre 2009, deux humanitaires espagnols sont enlevés sur la route de Nouadhibou par des individus ressortissants du Nord malien. Les assaillants se sont repliés au Mali où ils ont remis leur «butin» à AQMI à laquelle ils servent d’intermédiaires et de traiteurs. Deux semaines après, ce sont des Italiens qui sont enlevés par des groupes venus et repartis au Mali.
En février 2010, le Mali relâche de dangereux terroristes dont un Mauritanien, Boybe Ould Nave, dans le cadre d’un marché visant la libération du français Pierre Camatte. Sans en référer à la Mauritanie et sans se poser de questions.
A partir de juillet 2010 et jusqu’en juin 2012, l’Armée mauritanienne engage une guerre préventive contre les groupes terroristes tranquillement installés dans le Nord malien. La Mauritanie est alors accusée par les autorités maliennes et par les mêmes journalistes qui crient aujourd’hui, de «mener une guerre contre le peuple malien». Et quand les deux pays ont convenu de mener des actions coordonnées, des proches du Président Amadou Toumani Touré et certains officiers de l’Armée malienne ont renseigné AQMI sur les positions et le détail des opérations. C’est ce qui s’est passé dans la forêt de Wagadu quand l’Armée mauritanienne a essayé d’empêcher l’établissement d’une base d’opération AQMI en ce lieu. Bien des choses se sont passées depuis : Wagadu est effectivement devenue la base de lancement des opérations contre les villes et les postes maliens.
Tout ce que le Mali a vécu de drames, d’occupation et de crimes de guerre depuis est la conséquence du refus des autorités maliennes de l’époque de comprendre que la guerre menée par la Mauritanie servait d’abord le Mali qui voyait sa souveraineté remise en cause gravement. Ce sont les Maliens au pouvoir pendant les deux décennies qui ont vu les terroristes faire main basse sur le Nord de leur pays.
Les Salafistes qui frappent aujourd’hui le Mali sont pour la plupart ressortissants du pays. Peulhs, Touaregs, Songhaïs ou Arabes, ils sont pour les survivants d’évènements dramatiques, dommages collatéraux d’une guerre qui a été menée dans la plus grande opacité. Quand ils sont de Ançar Eddine, leurs revendications se recoupent avec celles des rebelles du Nord. Quand ils appartiennent à AQMI, ils croient se battre contre l’Occident et ses serviteurs.

Ces groupes ne peuvent être vaincus que par la mise en commun des moyens des Etats de la région. Ce n’est pas en essayant de semer la zizanie entre nos Etats déjà affaiblis par la conjugaison de facteurs multiples, que nous allons contribuer à leur émancipation. Encore moins à la préservation de leur intégrité. 

lundi 3 août 2015

Dix ans déjà !

Il n’est pas question ici de revenir sur le déroulé des évènements du 3 août 2005. Nous savons depuis le début que l’acte était pensé et mis en œuvre par deux jeunes officiers – Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Ghazwani – qui ont dû recourir aux ainés d’une part pour faire passer le coup auprès de l’encadrement de l’Armée constitué essentiellement de vieux des comités militaires qui ont régné avant la démocratisation de 1992 et d’autre part pour rassurer l’establishment bien implanté dans les articulations du système.
Sur quand est né l’idée, nous savons désormais qu’elle a commencé à germer avec la répression qui a suivi la deuxième vague d’arrestations des sympathisants et parents des Cavaliers du Changement en août 2004. Les conspirateurs seront bousculés par les suites données à l’attaque de Lemghayti le 4 juin 2005. Cette agression déséquilibre militairement et surtout mentalement la tête du pouvoir. Les officiers doivent faire vite et le déplacement du Président en Arabie Saoudite est une occasion rêvée. Le reste suivra…
Mais le projet des jeunes officiers est vite compromis par les manœuvres dilatoires des pontes de l’establishment politique qui n’hésitent pas à manipuler, à instrumentaliser certains leviers du pouvoir pour faire de la transition et des offres de neutralité et de changement une simple promesse sans fondements sérieux.
L’appel au vote blanc lors des présidentielles de 2007 est une ultime tentative justement de déstabilisation et de remise en cause du processus. L’échec des forces centrifuges à perturber le processus à ce niveau, est vite pallié par la récupération réussie de ce qui sort des urnes.
Les manœuvriers politiques qui ont acquis un grand savoir-faire en matière de manipulation du pouvoir, arrivent à faire main-basse sur la présidence avant d’engager une bataille entre l’aile civile et celle militaire du pouvoir du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. De maladresse en maladresse, on arrive à la crise ouverte qui aboutit au limogeage des principaux responsables militaires puis au coup d’Etat qui n’est finalement qu’une étape du processus de la guerre ouverte entre les deux segments du pouvoir en place.
L’Accord de Dakar qui devait mettre fin à la crise politique n’est pas l’occasion de revenir sur les refondations engagées avec la transition de 2005-2007. Rien de cette période ne sera retenu. D’ailleurs, le pouvoir issu des élections s’acharnera contre cette transition et contre ce qu’elle a apporté de neuf et de nouveau. Comme si le souci premier de la classe politique était de maintenir le statu quo ante. Celui d’une scène où la passion l’emporte sur la raison et où les vrais problématiques du développement et de la démocratie sont occultées par les polémiques autour de la légitimité et de la légalité des uns et des autres. La recherche effrénée d’arrangements politiques va faire oublier aussi la nécessité pour l’élite politique de préparer l’avenir et d’asseoir les règles fondamentales de la démocratie : pluralisme, dialogue, ouverture, institutions efficientes… tout ce qui peut rétablir la confiance entre acteurs d’abord, ensuite chez le commun des Mauritaniens vis-à-vis du politique.
En dix ans, la Mauritanie aura fait de réelles avancées. Quoi qu’en disent les détracteurs du régime actuel, la liberté d’expression aujourd’hui n’a rien à voir avec l’avant 3 août 2005 ; avancée aussi sur le plan de la gouvernance économique avec notamment une meilleure gestion et une meilleure affectation des ressources ; affirmation plus forte des fondements de l’Etat citoyen (avec notamment la criminalisation de l’esclavage et le règlement même partiel de passifs qui ont lourdement pesé sur la cohésion nationale…) ; sécurisation des frontières et remise aux normes des forces armées nationales ; retour sur l’échiquier régional et international du pays…
Le 1er août 2005, je résumais ainsi la situation du pays : «Il y a 27 ans, l’Armée prenait le pouvoir pour «mettre fin au régime de la corruption», nous sortir d’une guerre coûteuse, redresser l’économie et engager un processus démocratique réel. 27 ans après, la corruption est devenue la valeur première, nous entrons dans une guerre qui n’est pas forcément la nôtre, l’économie ‘nationale’ n’existe plus pour être redressée et la démocratie reste une utopie pour nous. C’est essentiellement pour cela que nous craignons un autre coup d’Etat, un autre retour de l’Armée aux devants, d’autres promesses de lendemains meilleurs» (La Tribune N° 266 du 1er août 2005).
Regarder d’où l’on vient n’empêche pas de porter un regard critique sur l’après-3 août 2005. D’abord sur l’incapacité à apaiser les rapports, à rétablir le principe de la concertation pour mener la société – et le pays – vers plus de convergence, plus d’ouverture, plus d’implication des acteurs sociaux et politiques. Ensuite la promotion du mérite et l’abandon total et définitif des choix sur des bases subjectives tantôt d’origines, tantôt d’accointances. Enfin le renforcement des Institutions par le respect scrupuleux des textes et règlements en vigueur.
Pour conclure, ce rappel à l’ordre du dramaturge allemand Berlolt Brecht :
«Vous, apprenez à voir, au lieu de regarder
Bêtement. Agissez au lieu de bavarder
Voilà ce qui a failli dominer le monde.
Les peuples ont fini par en avoir raison.
Mais nul ne doit chanter victoire hors de saison :

Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la chose immonde» 

dimanche 2 août 2015

Comment vendre le riz mauritanien ?

Une production record ou presque pour la contre-saison de cette année : 80.000 tonnes de paddy sont attendues par les autorités. Alors que déjà sont stockés dans les magasins de la Société nationale d’import-export (SONIMEX) près de 40.000 tonnes de riz prêt à la consommation. Un riz de qualité qu’on cherche aujourd’hui à écouler. Mais comment faire face au riz importé ?
Les autorités semblent avoir opté pour la multiplication des barrières devant l’importation de cette denrée de première nécessité. Lourdes taxes douanières et accentuation des contrôles devraient amener les commerçants qui importent à relever les prix du riz étranger de manière à le mettre hors de portée du consommateur mauritanien qui devra alors se rabattre sur son propre produit. La fédération de commerce et les principaux importateurs sont déjà avertis par qui de droit.
Mais ces autorités oublient l’autre levier qui devrait être actionné pour provoquer un engouement réel et définitif chez les Mauritaniens pour leur riz : celui du contrôle de la qualité et du prix qui doit défier toute concurrence.
L’interférence des usiniers et leur capacité à passer outre toutes les règles de contrôle de la qualité, provoquent des pressions énormes sur l’administration à différents niveaux. C’est ici le Comité interministériel et là la SONIMEX (principal acheteur et premier vendeur) qui plient devant les manœuvres, parfois dilatoires, des usiniers décortiqueurs qui vivent sur les vrais producteurs. Sans avoir à supporter le coût de production, ils ont imposé un système dont ils sont les premiers bénéficiaires dans la mesure où les plus importantes subventions vont à eux.
Autre aspect à travailler : le maintien du niveau des prix à la consommation au plus bas de leur niveau. Environ 20% de la structure actuelle des comptes d’exploitation à la tonne du paddy vont sans raison dans les comptes des usiniers, alors que les producteurs élèvent de plus en plus la voix pour dénoncer cette situation. Ils estiment que si les comptes d’exploitation sont revus pour mieux apprécier les coûts de production, les autorités pourront alors acheter le riz décortiqué beaucoup moins cher, «au moins 20% de moins», affirme l’un d’eux. Il serait alors question de le vendre aux commerçants aux environs de 130 UM le kilogramme au lieu des 200 envisagés à présent. Plus le prix d’achat est élevé, plus le prix le sera pour le consommateur. Un contrôle efficient des structures de prix permettrait aux autorités d’éviter de subir le diktat des usiniers.

En attendant, une véritable bataille est engagée par le gouvernement par la voie de la SONIMEX qui multiplie les contacts pour permettre un engagement réel des commerçants dans la politique du «consommer mauritanien» qui reste à lancer. La question principale reste cependant : le consommateur va-t-il suivre ?

samedi 1 août 2015

A la jeune Iman

En d’autres temps et en d’autres lieux – les temps se confondent avec les lieux sous nos latitudes – j’aurai pensé à vous faire des remontrances pour avoir célébré publiquement votre oncle Oumar Ould Beibacar. J’aurai été vieux jeu et profondément injuste envers vous. Parce que je comprends ce désarroi qui vous amène à défier les règles d’une pudeur sociale qui nous impose de ne pas nous mettre en valeur par nous-mêmes. Notre société, par son refus de reconnaitre les mérites des uns, nous pousse à dire nous-mêmes ce que les autres auraient dû dire de nous et des nôtres. Votre libre-expression est d’abord un cri de détresse, une sorte d’objection de conscience à vos ainés qui n’ont pas apprécié la valeur du colonel Oumar Ould Beibacar…
C’est par vous que j’apprends la retraite – du reste méritée – de cet officier qui doit effectivement inspirer la fierté non seulement de sa famille restreinte, ni de sa tribu, ni seulement de sa communauté, mais de toute la Mauritanie et de tous les Mauritaniens. Ne serait-ce que pour son comportement exemplaire de courage et d’humanité quand, jeune officier, il a imposé aux autorités qui l’avaient nommé de sauver ceux qui survivaient au bagne de Walata… c’est toute une histoire qui mérite d’être longuement évoquée… mais revenons à Oumar…
C’est seulement à Aïoun, au Hodh, que je découvre cet officier de la Garde nationale que j’aurai pu connaitre bien avant mais que je n’avais jamais rencontré (je ne sais pas par quel miracle malheureux). Je l’ai approché, puis mieux connu à la fin des années 90, toujours dans cette belle ville d’Aïoun, centre de convergence respirant bonté et pureté. Trois choses à dire pour avoir une idée de Oumar… une idée… seulement une idée.
D’abord Oumar l’Homme. Pour reprendre les termes d’un philosophe français, Oumar allie «la force d’exister» et «l’art de produire la douceur». Franc-parler abrupt, spontanéité généreuse, disponibilité permanente, jovialité contagieuse, sens de l’honneur aigu, rigueur douce… tout ce qui fait laghdhaf dans notre culture, un concept qui englobe les facultés à être ce qu’on doit sans pomper l’air aux autres, sans les écraser de sa présence et de son égo, en plus de quelques dimensions de baraka : celui qu’on qualifie ainsi doit irradier le bonheur de vivre tout autour de lui. Sa compagnie est donc recherchée parce qu’elle procure d’immenses instants de plénitude.
 Ensuite Oumar le Juste. Le 29 août 1987, le jeune lieutenant Oumar Ould Beibacar débarque à Néma comme nouveau commandant du Groupement de la Garde. L’intérimaire lui rendit compte de «la perte de l’un des prisonniers de Walata». Soupçonnant les mauvaises conditions, il décide immédiatement de se rendre sur les lieux. Il doit faire vite avant l’arrivée du nouveau gouverneur de région récemment nommé. Le même jour, il entre dans le bagne et voit l’ampleur du désastre : les prisonniers sont mourants à cause de la famine et des maladies. L’un d’eux, le poète Ten Youssouf Guèye se bat courageusement contre une maladie qui le rongeait inexorablement et qui devait l’emporter quelques jours après.
Le lieutenant prend les mesures nécessaires pour changer les conditions effroyables des prisonniers et alerte immédiatement les autorités. Il arrive à faire parvenir un chiffré par l’intermédiaire du gouverneur adjoint, un ressortissant de la Vallée qui a beaucoup hésité de peur d’être accusé d’accointance avec les prisonniers. Les autorités supérieures réagissent promptement sans pouvoir éviter le pire : la mort d’une partie des prisonniers et la détérioration de l’état des survivants. De mauvais officiers, de mauvais administrateurs sont passés par là. Oumar a sauvé ceux qui pouvaient l’être. Non sans conséquences pour lui et sa carrière. Le sens de la justice, du droit, de l’équité, de l’humanisme l’a emporté chez l’homme.
Enfin Oumar le militant. Une cause qu’il défend encore : la mémoire de nos fils tombés sur le champ d’honneur, en défendant le pays durant la guerre du Sahara. Il a interpellé tous les anciens chefs d’Etat Major dont certains furent aussi des chefs d’Etat pour savoir combien de morts mauritanien durant la guerre du Sahara (1975-1978). En vain. La dernière fois qu’il m’en a parlé il estimait que les morts de l’Armée se situaient entre 2500 et 3000, ceux de la Gendarmerie entre 250 et 300 et ceux de la Garde nationale entre 150 et 200. Il a récemment cherché à les faire reconnaitre en temps que Martyrs du pays, il a suggéré que l’Office des anciens combattants dont les membres actuels vivent un tranquille crépuscule, que cet Office revienne aux survivants de la première guerre menée au nom de la Mauritanie et pour la défense de son intégrité (la deuxième guerre est celle qui a été menée contre les groupes terroristes)… Mais qui prête attention aujourd’hui aux morts, aux blessés, aux survivants de la guerre du Sahara ?
Je peux partager ici des moments intenses de débats passionnés pendant lesquels, l’officier commandant le Groupement nomade fustigeait publiquement les pratiques du puissant PRDS (parti républicain démocratique et social) au pouvoir de 1991 à 2005. Où il défendait avec passion les causes justes, la veuve et l’orphelin… aux temps où cela coûtait d’adopter de justes positions…
Encore du courage. Encore le sens de l’équité. Encore le franc-parler. Encore la dignité… Encore Oumar Ould Beibacar.