vendredi 3 août 2012

Il était une fois le 3 août (1)


Mercredi 3 août 2005. Dès l’aube, les principales artères de Nouakchott sont investies par les éléments de la garde présidentielle, le fameux BASEP (bataillon de la sécurité présidentielle). Partout, devant la télévision, la radio, les Etats Majors, ces éléments sont déployés. On comprend tout de suite que quelque chose se passait. Mais quoi ?
Une rumeur de coup d’Etat manqué fait le tour de Nouakchott. Mais les noms des supposés putschistes décrédibilisent l’information donnée très tôt. Personne ne peut croire à une tentative de la part de ceux qui étaient aux commandes des principaux corps et qui ont été arrêtés selon les premières informations. Nous saurons plus tard qu’il s’agissait d’une diversion de la part des «vrais» putschistes pour se donner le temps de maîtriser la situation. Ce ne sera pas difficile.
Les soutiens politiques de Ould Taya n’émettent aucune résistance. Le PRDS, parti au pouvoir, réservoir des partisans «supposés», est pétrifié. Ses responsables attendent tranquillement de savoir comment va finir ce qu’ils ont fini par percevoir dans sa vraie dimension : un renversement du régime. Pas trop longtemps, parce que, dans la journée, ils prendront acte.
Toujours dans un souci de témoigner pour une période récente, je vous propose une série sur le 3 août 2005 : les faits, les promesses, les ratages… Je commence par camper la situation d’alors, vue par La Tribune (N° 266 du 1er août 2005). Un dossier politique ayant pour titre : «Pistes de réflexion pour des vacances peu méritées». Avec comme exergue : «mashakilna min dûn had/mashakil willi shakil/mashakilna marâw had/ya’raf hall il mashakil» (nos problèmes infiniment/sont des problèmes mais le plus dur/ nos problèmes n’ont trouvé personne/qui sait résoudre les problèmes). Ce ‘gaav’ d’un poète anonyme de la région de M’Bout, résumait à lui seul la situation d’alors.
«Dans la vie d’une Nation, il est des moments graves. Pour ce qu’ils comportent d’incertitudes, de risques et de dangers. Trois mots (maux) qui n’induisent pas forcément les mêmes conséquences, et qui, conjugués avec la fragilité, entraînent nécessairement la chute finale». C’était le constat général.
La guerre comme premier facteur d’instabilité. Après Lemghayti (juin 2005), le système est sérieusement secoué. Une unité est envoyée à l’aventure aux confins de la frontière nigéro-malienne. Poursuivre un ennemi insaisissable et hors normes. Les officiers de l’Etat Major sont humiliés, grondés, insultés par le chef suprême des forces armées. Et comme pour aggraver la situation, le pays donnait l’impression de tourner à vide.
A part les marchés de gré à gré, les seules activités qui faisaient vivre la société sont la gazra et le thieb-thib. «Le pays connaît de sérieuses difficultés financières». Et pour cause : «L’actuelle équipe des finances a certes hérité d’une situation catastrophique, mais elle a été incapable d’opérer le redressement tout en suscitant la confiance. Alors que la Mauritanie est un pays dont l’économie fonctionne sur la base de la confiance : ‘itayarhum maa ‘and’hum shi’ (maudits soient-ils, ils n’ont rien). Cela suffit pour créer la pénurie, provoquer la hausse des prix et compromettre toutes les donnes économiques». Conséquences : «hausse des loyers, des prix en général sous prétexte que les revenus vont augmenter, immigration non contrôlée, guerres des tranchées entre groupes d’affaires, risques d’instabilité, appétits extérieurs, constitution de milices privées autour des sociétés de gardiennage…»
Sur le plan politique, le pays était incapable d’avancer. Le Parti au pouvoir – à l’époque le PRDS – est la première source de dévalorisation des institutions publiques. «Pris en otage par une administration qui lui dispute le champ politique par ses engagements zélés, le PRDS a été incapable de donner un contenu politique à l’action du gouvernement qui est sensé être son émanation». Plus grave, le PRDS était incapable d’être un parti au pouvoir.
«Alors que la société est en profonde déstructuration, que les normes culturelles traditionnelles volent en éclat, que l’urgence et les aléas nous agressent, nous sommes incapables de nous repenser, de nous comprendre et de prendre en charge notre mutation». Comme pour assombrir encore plus le tableau : «L’alternance est un tabou ici. Chefs de tribus, de partis, ministres, directeurs, n’entendent pas céder leurs places. Ils n’ont pas la notion de générations successives». Le plus dangereux, c’est l’absence d’un dauphin pour le Président de l’époque : «ni dauphin, ni même système capable d’assumer la transition sereine. Ses soutiens ne pensent nullement aux lendemains, à l’après-Ould Taya».
Le drame d’une jeunesse absente des préoccupations publiques dans un pays où plus de 70% de la population ont moins de 30 ans. «Ces jeunes sont formés à l’école d’aujourd’hui. Celle qui n’offre ni savoir, ni morale, ni technicité. Celle qui forme les monstres du futur. C’est après tout au sein de cette jeunesse ignorante, désœuvrée et sans idéal que se recrute la plupart des candidats au suicide collectif».
Pour nous à l’époque, le système devait vaincre ses peurs et innover. «Le changement espéré actuellement est celui que Ould Taya peut lui-même entreprendre en remettant en cause son système de gouvernement, sa méthodologie et surtout en vainquant ses peurs. Peurs des compétences politiques et techniques, de son appareil sécuritaire, de son entourage affairiste. Il a créé la plupart de ces hommes. Ils lui doivent tout et ne peuvent exister sans lui. Il est le seul à pouvoir en faire ce qu’il veut. Ce qui, soit dit en passant, ne veut pas dire qu’il peut compter sur eux : ils sont les premiers à le lâcher le moment venu. Ils ont réussi à en faire un fusible. En nous libérant d’eux, il se libère d’eux lui-même».
Sinon : «Il y a 27 ans, l’Armée prenait le pouvoir pour ‘mettre fin au régime de la corruption’, nous sortir d’une guerre coûteuse, redresser l’économie et engager un processus démocratique réel. 27 ans après, la corruption est devenue la valeur première, nous entrons dans une guerre qui n’est pas forcément la nôtre, l’économie ‘nationale’ n’existe plus pour être redressée et la démocratie reste une utopie pour nous. C’est essentiellement pour cela que nous craignons un autre coup d’Etat, un autre retour de l’Armée aux devants, d’autres promesses de lendemains meilleurs». On était le 1er août 2005… le 3 août suivait.