mardi 2 septembre 2014

Savoir ce qu’on veut (surtout ce qu’on peut)

Pour revenir au congrès du FLAM (front de libération des Africains de Mauritanie), il faut souligner le comportement des autorités. Ce congrès signe la concrétisation du retour définitif de l’organisation (non reconnue) sur le territoire national. Il arrive au bout d’un processus qui a vu les dirigeants du mouvement plusieurs fois reçus par le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz. Ce qui a été ressenti comme une «normalisation» d’un mouvement dont la diabolisation a constitué l’inspiration de la politique officielle durant les années 90. Surtout que ces dirigeants ont été reçus par les chefs de partis (certains d’entre eux) plus ou moins officiellement.
Le 8ème congrès arrivait donc pour donner l’occasion à ce mouvement d’investir le champ politique «normal», en attendant probablement la reconnaissance formelle d’un parti. C’est donc sans surprise que la direction du mouvement a eu l’autorisation de tenir son congrès annoncé en grande pompe à Nouakchott pour les 29 et 30 août.
Quelques jours avant la tenue du congrès, un article est publié sur le net avec comme titre : «un mouvement séparatiste tient un congrès à Nouakchott». S’en suivit une cabale générale qui rendait coupable le pouvoir de Ould Abdel Aziz de «laisser saper l’unité nationale». Un grief de plus à formuler par les détracteurs du régime, déterminés à le faire chanceler. L’article a suffi pour que la préfecture de Tevraq Zeina où le congrès devait se tenir signifie sa décision d’interdiction pour la tenue d’une telle manifestation.
Il y a quelques semaines, les jeunesses affiliées au parti islamiste Tawaçoul (ou proches de ce parti) avaient eu l’autorisation de tenir des journées de retraite à Aïoun au Hadh el Gharby. Ici encore, un article publié sur le net faisait de cette manifestation «le début de l’embrigadement militaire des jeunes islamistes». Décision de l’administration immédiate : interdiction de la tenue de la manifestation. L’administration se rétractera plus tard, quand les chefs de l’initiative avaient déjà décidé de l’organiser dans un espace privé (exactement comme le FLAM qui a fini par tenir son congrès dans le domicile de son chef, Samba Thiam).
Ces deux événements dénotent de l’une incapacité de l’administration à accompagner le climat général qui règne sur la Mauritanie, et qui est celui de la libre expression, du droit aux réunions et aux rassemblements. Au moment où elle ne lève pas le moindre doigt pour empêcher la tenue de réunions tribales. Cette administration n’a pas encore pu s’affranchir de ses anciens réflexes qui tendaient à étouffer toute velléité d’expression jugée «hors cadre».
Si l’administration ne veut pas se conformer aux lois en vigueur, elle doit au moins accompagner – à défaut de servir – la volonté du Président Mohamed Ould Abdel Aziz dont la première fierté est d’avoir sécurisé le pays et d’avoir laissé s’épanouir la liberté d’expression. Ce sont là effectivement deux des «acquis» qui ont été largement mis en avant lors de la dernière campagne électorale présidentielle.
La sécurisation du pays est effective depuis que l’Armée a pu recouvrer le contrôle de l’ensemble du territoire national dont les deux tiers étaient abandonnés aux trafiquants et intervenants illégaux de toutes sortes pendant plus de deux décennies. Les menaces concrètes sur la stabilité du pays et sur la sécurisation des biens et des personnes pèsent beaucoup moins aujourd’hui. Elles sont entrées dans le domaine du gérable, de «l’acceptable» dans la mesure où ce qui peut arriver ici est du même ordre que ce qui peut arriver à Paris, à Rabat ou à Moscou. Nulle part, on est à l’abri de quelques actions désespérées. Par contre, nous devons être heureux (et fiers) d’avoir repoussé définitivement les menaces qui pesaient sur notre devenir.
A l’intérieur, la libéralisation effective de l’espace audiovisuel, de la parole et du rassemblement a elle aussi contribué à sécuriser le pays dans la mesure où elle sert d’exutoire pouvant nous éviter un trop-plein de frustrations. C’est en général sur ce trop-plein d’aigreurs que se développent les courants violents et sectaires. Tant que la liberté d’expression et de rassemblement existe, les acteurs s’en tiendront à confronter les idées (s’il y en a), à rester au niveau des mots et des concepts.
Il y a des Mauritaniens – d’éminents essayistes, de politiques emblématiques – qui ont soutenu ici la nécessité de créer un Etat propre aux Arabes (Maures), Touaregs et assimilés pour résoudre les problèmes de coexistence dans l’espace sahélien. Personne n’a crié au scandale parce qu’il s’agit d’une proposition qu’il faut laisser passer sans commentaire ou qu’il faut discuter, chacun étant libre d’apprécier ou non.
D’autres Mauritaniens ont souhaité, parfois explicitement, le renversement du pouvoir par la violence (coup d’Etat, révolte populaire, assassinat…). D’autres ont chanté les Jihadistes pourtant coupables d’assassinats sauvages et d’attentats contre l’Armée mauritanienne. Ils ont traité en martyrs des criminels qui ont tué froidement souvent des policiers, des soldats, des officiers mauritaniens, des amis de la Mauritanie étrangers parmi nous. Cela n’a suscité aucun émoi public et c’est peut-être tant mieux. Dans la mesure où nous sommes encore dans la phase de maturation des discours et de l’action politique, et où il est difficile aussi de discipliner une élite habituée à ne pas rendre compte de ce qu’elle dit ou fait. Ce qui lui donne l’impression de bénéficier d’un statut d’impunité irrévocable.
Je crois que l’administration mauritanienne – le ministère de l’intérieur et dépendances – ne doit plus avoir peur de quelque expression que ce soit. Par la voix de son chef, le Président de la République, l’Autorité publique a déclaré refuser de limiter l’espace des libertés. Par lui, la promesse était donnée de ne plus envoyer un citoyen en prison pour ses idées ou ses positionnements politiques. La dépénalisation du délit de presse est effective parce que consacrée par la loi.
Nous voulons un espace ouvert. Totalement ouvert. Parce que nous n’avons plus peur de confronter nos idées, de nous écouter les uns les autres… nous pouvons désormais ce que nous voulons. A notre administration de se libérer de ses réflexes monstrueux d’antan.