mardi 24 janvier 2012

Le pire est derrière nous


Arrêtons un moment cette hystérie qui prend une partie de notre classe politique, tandis que l’autre partie est plongée dans une inertie qui ressemble étrangement aux effets de drogues que l’on administre aux malades mentaux. D’un côté, nous avons ces gens-là, murés dans un silence d’hécatombe, incapable de réaction, parfois ne donnant aucun signe de vie. De l’autre, tous ces excités qui vocifèrent pour dire n’importe quoi. Rien ne semble plus les arrêter…
Parmi les absurdités que j’ai enregistrées ces derniers jours figurent ces parties de discours qui disent que «la période de Ould Abdel Aziz est la pire de ce que nous avons connues». Je ne veux pas discuter ici le jugement lui-même qui n’engage bien sûr que son auteur. Mais je crois qu’il est du devoir des Mauritaniens, de ceux qui s’expriment publiquement du moins, de faire l’objection suivante :
Au nom des milliers de Mauritaniens mis en prison, torturés, exécutés, expropriés, expulsés de chez eux, au nom des orphelins de cette période, des veuves qui courent encore derrière leurs droits, au nom de tous ces Mauritaniens dont le compte n’a jamais été fait avec exactitude et qui ont été réduits au silence parce qu’ils ont osé dire non, au nom de ceux qui ont subi l’arbitraire sans raison… en leur nom, je crois à l’indécence de tels propos.
Quand on a supporté la Mauritanie de 1980 à 2005, quand on a soutenu les pouvoirs d’entre ces dates-là, quand on a participé à l’exercice de ces pouvoirs…, on peut faire semblant et chercher à blanchir une époque. On ne peut plus cependant s’offusquer…
Nous ne vivrons jamais plu pire que ce que nous ont fait vivre les régimes de cette époque-là. En terme d’exercice quotidien de l’arbitraire, de pillage systématique des ressources, de sape des fondements de l’Etat, de déstructuration des solidarités sociales, de culture de l’indignité, d’usage de faux, d’appropriation des biens publics par des privés, de clientélisme, de népotisme… JAMAIS NOUS NE VIVRONS PIRE QUE CE NOUS AVONS VECU.
Le deuxième propos que je trouve écœurant, ce sont ces appels multipliés tantôt à une intervention de l’Armée, tantôt à une révolte populaire où les jeunes seraient prêts à mourir en vue de renverser le pouvoir.
J’ai perdu un fil : n’est-ce pas ces partis dont les leaders appellent aujourd’hui à «écourter» le mandat de Ould Abdel Aziz, n’est-ce pas les mêmes qui ont reconnu, les uns en 2009 les autres en 2010, son élection ? Alors pourquoi ne pas affuter ses armes en attendant la seule échéance qui vaille démocratiquement parlant : la fin du mandat ? Je crois que les politiques perdent encore une fois le sens de la lecture des rapports de force. Il ne suffit pas de venir demander aux populations de Magta Lahjar de «venir nous aider à renverser le régime» (sic) pour que le changement s’opère. Il faut beaucoup plus.
En terme de sacrifice d’abord. Ce ne sont pas les jeunes mauritaniens qui ont manqué de sens de sacrifice : en 1992, les militants de l’UFD se débattaient encore dans leur sang quand des pourparlers ont été engagés avec le régime qui leur avait tiré dessus. En 1995, les partis d’opposition ont été les premiers à appeler au calme face aux émeutes du pain qui ont failli pourtant être une étincelle. En 2003, alors que le pouvoir était dans la rue, ces mêmes élites politiques ont préféré rester «cachées» chez elles… Et puis, il faut le dire, si l’on excepte les jeunes officiers Ould Mini et Ould Hanenna traduits en justice en 2004-2005, aucun homme politique n’a jamais plaidé coupable sous nos cieux. Au moins depuis le milieu des années 70. C’est révélateur quand même.
Ces appels et ces discours sonnent comme l’expression d’une double incapacité : incapacité à produire un programme alternatif, incapacité de renverser le rapport de force.