vendredi 7 septembre 2012

Le plus grand historien et sociologue du pays


On m’apprend que Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah n’est plus. Je suis très triste. J’ai entendu parler de lui pour la première fois quand je faisais la première année du cours d’Histoire à l’ENS de Nouakchott. A l’époque, Serge Robert nous dispensait un cours axé sur la Mauritanie et son patrimoine culturel ancien. Magistral dans son exercice, Serge Robert nous subjuguait et ça se voyait. Et comme pour faire le change, il nous raconta qu’il avait été lui-même subjugué une fois dans sa vie par…un Mauritanien.
C’était au cours d’une soirée très intellectuelle où se retrouvaient les têtes bien-pensantes de l’époque à Paris, avec leur diversité et leurs grands talents. Au milieu de la soirée, un silence gagna peu à peu l’assemblée qui semblait converger vers un point de l’espace. Ceux qui étaient devant commençaient à s’asseoir pour laisser aux plus éloignés l’occasion de voir qui parlait. Le silence devenait total. On n’entendait plus qu’une seule voix qui dissertait sur la civilisation grecque antique. Tous finirent par s’asseoir, écoutant religieusement ce jeune homme assis sur un tabouret et qui n’avait l’air de rien. Jusqu’au petit matin !!! «C’était Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah», concluait Serge Robert.
Je me rendis compte que je connaissais déjà l’homme à travers le premier livre d’Histoire de la Mauritanie, un manuel scolaire destiné aux classes de CM2 du fondamental et où il était présent sous son pseudo «Echennafi». On m’expliquera plus tard qu’il avait «taillé» ce surnom du nom de Mohamed Chenouf Ould Boubacar Ciré dont l’épouse, N’Data Mint Sidi Moyla a initié nombre de nos grands sociologues traditionnels à cette science. C’était pour lui une manière de rendre hommage à cette famille guerrière et savante, une manière de lui reconnaitre quelques mérites. C’était pour moi une marque d’honnêteté qu’on ne retrouvait nulle part ailleurs dans le milieu intellectuel mauritanien de chez nous. De quoi l’apprécier encore plus.
Je ne le verrai que dans les années 90 et ne discuterai avec lui que dans le milieu des années 2000. Quand j’étais à Al Bayane, j’avais essayé plusieurs fois de le faire écrire sur l’épopée des Almoravides, puis sur l’Empire du Ghana. Il était le meilleur connaisseur mauritanien de ce pan de notre Histoire. Mais son sens du perfectionnisme – il n’était jamais satisfait de ce qu’il écrivait – m’ont empêché d’avoir ce que je voulais.
Récemment encore, j’ai essayé de faire une série d’interviews avec l’homme, mais j’ai trouvé qu’il avait commencé le même projet avec un groupe de bien-pensants locaux. Je sais qu’ils ont fait de nombreux enregistrements. Je sais qu’ils ont la compétence et l’intelligence nécessaires pour exploiter ces interviews, mais quand est-ce qu’ils les mettront à la disposition du grand public ? C’est la question que je me pose aujourd’hui que Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah a disparu. Emportant avec lui son immense savoir, son courage à exprimer ce qu’il pense, son indulgence vis-à-vis de la médiocrité, sa force de caractère dans ses analyses, sa franchise dont la mémoire populaire a gardé quelques exemples, son mépris de la convenance quand il s’agit de faire de l’Histoire ou de la sociologie…
Je retiendrai pour ma société qui célèbre les prédateurs, fossoyeurs des valeurs humaines, tortionnaires zélés, corrompus et corrupteurs, bourreaux serviteurs de l’arbitraire…, je retiendrai pour cette société que la mort de Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah est presque passée inaperçue… En tout cas pas assez pour marquer le coup de la disparition d’un homme de cette dimension.
Avec Mokhtar Ould Hamidoune, Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah est l’une des plus grandes valeurs des sciences sociales de la Mauritanie des temps modernes. Il incarne une école qui allie ancrage traditionnel et lecture moderne de l’Histoire. Avec une connaissance précise – et encyclopédique – de notre espace sahélo-saharien.
Qu’Allah ait pitié de nous. Nous qui célébrons le vice et ses adeptes et ignorons la vertu et ses incarnations.