samedi 23 mai 2015

TEDx Nouakchott

Le concept est inconnu du large public. Surtout en Mauritanie où c’est seulement la deuxième édition de cette manifestation. Il s’agit d’une sorte de meeting qui voit l’intervention de gens qui ont «quelque chose à dire» ou, pour utiliser les termes consacrés, «des idées qui valent la peine d’être diffusées» (Ideas worth spreading). L’objectif étant d’«oser repenser» le monde à travers l’exposition d’expériences personnelles, de points de vue, de visions, de philosophies…
Créé par la Fondation Sapling foundation, le concept présente des conférences sur des thèmes variés avec des personnalités parfois inattendues, parfois connues, mais toutes ayant une capacité à bien présenter et à convaincre. L’objectif étant d’amener l’auditeur à «oser repenser» sa vie.
Pour sa deuxième édition, les promoteurs de l’idée – Mohamed Ali Bediyouh qui l’avait déjà organisée à Casablanca, Mohamed Salem Ould Ahmed Saleh l’informaticien de génie, Yousra Chérif et tous ces jeunes qui cherchent à se libérer et à libérer leurs compatriotes des contingences et pesanteurs de l’immobilisme -, les promoteurs ont choisi de multiplier les intervenants et les thèmes.
La protection du consommateur et l’expérience d’une association locale avec ce constat inquiétant : plein de produits périmés, de produits exposés sur le marché dans de mauvaises conditions, aux côtés de poisons, sous le soleil ; pas assez de contrôle et peu de réactivité des citoyens.
Puis l’expérience d’une tentative réussie de faire d’un produit local, jusque-là méprisé en tout cas classé dans la sphère de «l’inutile» parles Mauritaniens d’aujourd’hui, d’en faire une denrée précieuse dont les multiples dérivés servent dans différents aspects de la vie. Il s’agit de Toogga, ce fruit sauvage qui est destiné à être l’Argan de nos latitudes.
Mohamed Baba Said, l’un des promoteurs du projet, explique (très bien) le processus qui a vu naitre le projet, ses retombées sur le pays, les structures déjà mises en place pour sa mise en œuvre… Nous savons désormais qu’il faut 20 kilogrammes de fruits pour avoir un litre d’huile et que la capacité de la petite structure déjà fonctionnelle à Nouakchott est de 200 litres par an. On apprend aussi qu’il n’y a pas de déchets dans le processus de transformation parce que tout, dans le fruit, est utilisable. «Toogga emnav’ayn», disent les Hassanophones pour dire la multitude des services que ce fruit rend à celui qui sait s’en servir.
L’Ambassadeur des Etats Unis d’Amérique, Larry André devait lui intervenir sur le thème «l’objectivité, idéal impossible». Très pédagogue – très philosophe aussi -, l’Ambassadeur Larry André a mis à profit sa grande expérience pour inculquer la notion de relativité surtout quand il s’agit de la recherche de l’objectivité. Concertation (consultation) autour d’une question (avec tous les protagonistes), la compréhension de tous ses paramètres, la confiance en l’intuition, la sincérité et l’honnêteté dans le jugement à faire… sont autant de valeurs qui assurent une meilleure appréciation de la problématique et d’en avoir un regard plus objectif, en tout cas plus équitable. Assez pour avoir le meilleur angle d’attaque, décider et agir dans les temps utiles (il ne faut jamais laisser le temps passer dans les hésitations et le refus d’y aller).
Le point d’orgue de la soirée est sans doute ce monument qu’est Jean Sahuc, un ingénieur qui a débarqué en Mauritanie en 1954 et qui ne l’a plus quittée. Un témoin et un acteur de la construction de la capitale Nouakchott, de projets de routes et même du chemin de fer reliant Zouérate à Nouadhibou. Il faut l’écouter pour se rendre compte d’où nous venons et qu’est-ce que nous avons fait de nous-mêmes et de notre pays. «Repenser la Mauritanie», refonder les vocations premières, réinventer les objectifs premiers… Oser le faire…
Le féminisme a son mot avec Nejwa Kettab qui partage une profonde réflexion sur «le féminisme face à la norme sociale». Du concept de «carrière matrimoniale» pour désigner cette vocation à multiplier les mariages chez nos femmes, à l’illusion de l’émancipation consacrée par un rôle de premier plan accordé à la femme alors qu’il découle d’un mépris évident. Tout le cheminement mène à une vision machiste et parfois misogyne.
Pr Dia Al Housseinou, psychiatre «au pays des marabouts» parlera longuement (et efficacement) des interférences entre les thérapies traditionnelles et celles modernes, de cette tendance des Mauritaniens à toujours chercher à jouer sur deux tableaux : la Modernité et le Conservatisme. La schizophrénie commence ici (le constat n’est pas du Pr Dia).
Sidi Ould Sweyne’, jeune professeur à l’école des ingénieurs, grand connaisseur du Japon devait présenter un concept : IKI. C’est un concept né au Japon pour traduire la nécessité de trouver un symbole national à même d’imposer une identité à tout citoyen japonais. Cette recherche de l’identité a été l’élément moteur du décollage du Japon. Ould Sweyne’ propose un système éducatif sur la recherche d’un identifiant national (IKI), le développement de l’innovation et la motivation. En somme, la promotion de l’intelligence créative et innovante et la règle du mérite.

On finira la soirée par des propositions : «repenser l’écologie», et même «repenser la poésie»… Autant dire que l’objectif de «la bande à Bediyouh» - la sympathie qu’ils suscitent m’autorise à les appeler de la sorte – est largement atteint. Une manière de rappeler aux plus sceptiques d’entre nous qu’il existe une Mauritanie dynamique et entreprenante. A travers les jeunes de TEDx Nouakchott, ceux de Startup-Mauritanie, ceux de WikiStage-Nouakchott et bien d’autres, nous comprenons que la Mauritanie n’est pas seulement ce foisonnement d’oiseaux de mauvaise augure, d’intellectuels archaïques et conservateurs, de jeunes mal formés et sans éducation… que dans cette Mauritanie subsiste une frange de jeunes qui sont le vrai espoir de demain. Heureusement.