lundi 31 mars 2014

La Valls à deux temps

A Paris, l’après-élection pose problème parce qu’elle impose un changement de gouvernement. Le Président François Hollande est obligé de changer d’équipe après la débâcle du parti socialiste dans les élections de dimanche. Il va devoir remplacer Jean-Marc Ayrault pour en faire un fusible. Il promet d’intervenir ce soir à 20 heures pour annoncer de «grands changements». Mais c’était compter sans la curiosité des journalistes, sans surtout les ressentiments et les infidélités à l’intérieur du système Hollande…
Dès les premières heures de la matinée, la une des télévisions était celle-là : la démission de Jean-Marc Ayrault et son remplacement par Manuel Valls, le ministre de l‘intérieur. C’est bien le cabinet du Premier sortant qui avait fuité l’information. D’ailleurs, il avait refusé de venir à l’Elysée présenter sa démission lui-même au Président. Préférant, sans doute en signe de mécontentement, envoyer sa démission par l’intermédiaire de l’un de ses conseillers et se garder lui-même de faire le déplacement.
La fuite a eu un effet catastrophique sur le timing fixé par le Président Hollande. Du coup, son intervention a perdu tout de son importance. L’effet qui en était attendu s’est perdu parce qu’elle n’annonçait plus rien. Comme quoi la communication peut être une arme dangereuse. L’occasion de rappeler aux politiques qu’ils doivent tout à la communication. C’est par la communication qu’ils font passer leurs messages, qu’ils deviennent audibles et visibles. C’est par elle qu’ils peuvent influer sur le cours des événements.
On est frappé en Mauritanie par l’indifférence affichée par nos politiques vis-à-vis de cet outil. D’un côté comme de l’autre – pour ne pas dire de tous les côtés car les groupes et rassemblements donnent plusieurs nuances politiques -, on essaye de faire comme si on pouvait se passer de la communication.
Les autorités oublient d’imaginer une stratégie de la communication à même de restaurer une image positive du pays. Il n’y a pas plus dramatique de voir comment la Mauritanie est vue de l’extérieur : un pays esclavagiste où l’exercice de l’arbitraire est quotidien, où les libertés n’existent pas, où des milices tribales sévissent en toute impunité...
Les protagonistes du pouvoir ne sont pas plus conscients des enjeux pour la Mauritanie et pour la démocratie. Jamais, la liberté de presse n’a été au centre des combats politiques. Les grandes avancées dans le domaine sont le fait d’une lutte menée par les journalistes eux-mêmes. Ils ont su imposer, pendant la première transition, l’idée d’une grande réforme du secteur : introduction du régime de la régulation au lieu de celui de la surveillance, création d’une Haute autorité de la presse, libéralisation de l’audiovisuel… Pendant la seconde transition et après l’élection de 2009, seront introduites d’autres améliorations, notammant la loi de dépénalisation du délit de presse et celle régissant la presse électronique. Un chemin a certes été parcouru, mais rien ne l’indique de l’extérieur : en 2013, la Mauritanie a été classée par Freedom House dans la catégorie des «pays les moins libres». Ridicule !
Nous savons désormais que l’arme de la communication a emporté des pouvoirs – depuis le régime des Ceausescu en Roumanie en 1989 à celui des Ben Ali, Moubarak et Kadafi en Tunisie, Egypte et Libye. Elle a emporté des peuples et des pays qui ont sombré dans la guerre civile – depuis le Rwanda et son génocide à la Syrie et son hécatombe qui se déroule devant nous.
A chaque événement chez nous, nous voyons se déployer cette arme redoutable : manipulations, provocations, déstabilisation… fausses informations… analyses tronquées… tout est bon pour intoxiquer l’atmosphère et compliquer la situation. J’usqu’à quand ?

dimanche 30 mars 2014

Ould Mohamed Laghdaf à l’épreuve du dialogue

Lorsqu’il est nommé en août 2008 par le Général Mohamed Ould Abdel Aziz, Dr Moulaye Ould Mohamed Laghdaf est inconnu du sérail politique mauritanien. On lui connait juste un engagement au Rassemblement des forces démocratiques, plus pour le leader de ce parti que pour le parti lui-même. Cette première «sortie» politique lui vaut d’être nommé Ambassadeur à Bruxelles. Elle lui vaut aussi d’être dans les bouches chaque fois qu’il est question de nommer un nouveau Premier ministre. Il est même cité au moment où le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi prend les rennes du pouvoir.
En août 2008, il arrive et prend fonction dans une lourde atmosphère caractérisée par le refus du coup d’Etat aussi bien sur le plan national qu’international. Il réussit quand même à participer à faire passer le cap. C’est à lui qu’est confiée la direction du gouvernement d’union nationale issu de l’Accord de Dakar.
Cette mise en avant lui permet de faire ses preuves en matière de négociations et de mise en œuvre d’une entente politique comme celle que fut l’Accord de Dakar. Jusqu’à maintenant, il est tenue responsable par l’un des Pôles politiques de la manœuvre qui a permis au pouvoir de l’époque de ne pas se laisser bloquer par les résistances des autres parties : le fameux décret gouvernemental convoquant le collège électoral pour le 18 juillet 2009.
C’est naturellement lui qui est choisi par le Président Mohamed Ould Abdel Aziz, nouvellement élu pour diriger le gouvernement d’après élections. Il connait une grande stabilité malgré ses difficultés à imposer son autorité aux membres de son gouvernement. Certains ministres devaient beaucoup compter sur la proximité, supposée ou réelle, avec le Président Ould Abdel Aziz. Ils estimaient ne rien devoir au Premier ministre : entre ne rien devoir au Premier ministre et vouloir se passer de lui en établissant des relations directes avec la Présidence, le pas est vite franchi. Ils vont être vidés un à un et les derniers d’entre eux durent se plier pour ne pas avoir à payer «l’insolence».
Refaire le parcours de l’homme Ould Mohamed Laghdaf permet d’anticiper sur ce qui va suivre : est-il le plus indiqué pour engager un dialogue avec les oppositions (elles sont plusieurs nuances) ? a-t-il la marge de manœuvre nécessaire pour rassurer sur un futur partenariat ? jusqu’où peut-il aller ?
On peut diverger dans les appréciations et dans les compréhensions du moment, mais une chose est sûre : jusque-là ceux qui ont eu à discuter avec Ould Mohamed Laghdaf parmi les politiques sont plutôt confiants, au moins «satisfaits». Certains vont loin dans leurs commentaires pour dire son «engagement très fort et sa volonté d’arriver à une élection consensuelle». L’art de la politique, le grand art, ne s’exprime que quand il s’agit de diriger des négociations et de les faire aboutir. Le leadership ne consiste pas seulement à diriger une équipe acquise, mais aussi et surtout à pouvoir faire converger différents avis, différents points de vue. C’est le grand défi pour Ould Mohamed Laghdaf, saura-t-il le relever ?

samedi 29 mars 2014

De quel dialogue parle-t-on ?

On avance de plus en plus vers un schéma qui va mettre autour d’une table «trois pôles politiques mauritaniens», comme ce fut le cas en 2009 à Dakar. Avec cependant un changement d’acteurs.
Le pôle de la Majorité sera presque le même, avec l’Union pour la République (UPR) comme chef de file et quelques nouveaux partis ayant pu profiter de l’absence de l’opposition aux dernières élections pour faire leur entrée sur la scène publique avec notamment des élus à l’Assemblée et dans les mairies.
Le pôle de la Coalition pour une alternance pacifique (CAP) est constitué des partis ayant accepté de participer au dialogue ouvert en 2011-2012 : Al Wiam de Bodyiel Ould Hoummoid (10 députés), l’Alliance populaire progressiste (APP) de Messaoud Ould Boulkheir (7 députés) et Sawab, le parti Baath dirigé par Abdessalam Ould Horma qui n’est malheureusement pas représenté au Parlement.
Enfin le pôle du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) que composent Tawaçoul, le parti islamiste arrivé en tête des partis d’opposition lors des législatives avec seize députés, la Coordination de l’opposition démocratique (COD) où se retrouvent les anciens partis d’opposition (Rassemblement des forces démocratiques, l’Union des forces progressistes…) bien entourés d’un rassemblement hétéroclite d’anciens soutiens du régime de l’avant août 2005 et de celui de l’après.
Le FNDU vient juste de présenter, par la voie de son président Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine, de présenter ses propositions de dialogue au Premier ministre Dr Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. On ne sait pas encore si cette rencontre, survenue la semaine dernière, sera «le début de quelque chose» ou si l’on va revenir à la formule d’avant, celle qui consistait pour le Premier ministre à recevoir individuellement les leaders des partis. Les deux procédés ne pouvant aller ensemble, il va falloir rapidement faire le choix entre l’un ou l’autre.
La CAP quant à elle semble évoluer vers l’acceptation d’un dialogue inclusif après l’avoir publiquement refusé. La CAP a toujours considéré que ce qui devait être dit et fait a été dit et fait, qu’il n’est pas de leur faute si leurs amis de la COD ont raté le train.
La Majorité est poussée par la volonté personnelle du Président de la République qui se déclare prêt à tout discuter avec l’opposition. Tout ? Non, tout sauf de deux questions : le recul de l’élection pour ce qu’il demande de révision des textes constitutionnels, et la constitution d’un gouvernement d’union ou d’ouverture pour ce qu’elle parait inutile dans un système où la CENI prend totalement en charge l’organisation et le déroulement des scrutins. La recomposition de la CENI n’est pas à exclure dans la mesure où elle fait l’objet d’une demande express.
Quand on prend les pôles un à un, on se rend rapidement compte que leurs intérêts divergent à telle enseigne qu’on voit mal comment ils pourraient se retrouver autour d’une table pour discuter d’un avenir commun.
La Majorité a tout intérêt à garder le statu quo car elle n’est jamais sûre de faire les mêmes scores qu’elle a fait au cours des dernières élections. Encore moins de faire le score espéré pour la présidentielle (passage au premier tour). Il vaut mieux pour elle, tout en déclarant sa disponibilité à faire toutes les concessions nécessaires, de laisser le temps passer pour donner l’impression que la partie adverse fait blocage.
Pour la CAP, laisser la COD au bord du chemin sert certainement dans la démobilisation de ses militants et pourquoi dans leur débauchage éventuel. En attendant, sa mise à l’écart permet d’assouvir au moins quelques vieux ressentiments.
Pour le FNDU, la diversité des intérêts et des stratégies déployées par les uns et les autres ne laisse pas entrevoir une communauté de destin. Même au sein de la COD, les calculs ne paraissent nullement les mêmes. Entre l’UFP et le RFD, pour ne citer que les partis qui pèsent, les préoccupations sont différentes. Pour le parti de Mohamed Ould Maouloud, l’heure est à la reprise de la ligne originelle perdue avec le boycott. Pour le RFD de Ahmed Ould Daddah, tout doit servir à compliquer la situation en espérant qu’un bouchon explosera quelque part. Parallèlement à ces deux grands partis dont la position est déterminante, les groupes d’influence manœuvrent plus ou moins ouvertement pour trouver l’occasion d’un placement.
Autre composante du FNDU qui doit avoir son agenda propre, Tawaçoul qui n’aspire pas à présenter un candidat aux prochaines élections. Elles importent peu pour le parti islamiste qui déclare pouvoir soutenir un candidat unique de l’opposition, sans plus. Que le boycott soit ou non décidé, cela importe peu.

Et comme, par le passé, pendant qu’on essaye de lire, de surprendre une déclaration ici ou là, de voir une position significative, le temps continue d’avancer. La date du 7 juin s’approche inexorablement. Faut-il s’attendre à un remake du processus de 2013, celui qui a vu les délégations discuter 72 heures durant, sans résultats malgré le satisfecit affiché des deux côtés sur «l’atmosphère dans laquelle se déroulaient les négociations» ? à quoi sert une «bonne atmosphère» si elle ne permet pas d’avancer d’un pas ?

vendredi 28 mars 2014

Marième, ma sœur

Merci ma sœur, Marième Tamata-Varin, fraichement élue maire d’un petit village en France. Merci pour ton courage qui t’a amenée à briguer un mandat d’élu dans une région réputée «fief du Front national» et dans un petit village de 700 habitants. Merci pour avoir les cœurs de ces habutants.
Il parait que tu es venue ici seulement en 2008. En quelques six années, te voilà maire. Merci pour ton passage au premier tour à un moment où la France généreuse doute d’elle-même et de ses valeurs. La défaite de la Gauche et la montée de l’extrême droite sont l’expression de ce doute qui perturbe l’image que nous avons de la France, terre d’accueil et de refuge, berceau de l’humanisme et des droits humains… La France d’aujourd’hui est celle de l’exclusion, du rejet de l’autre, du racisme extrême, du refus de la pluralité et de la diversité… c’est du moins ce qu’on en voit d’ici en ces moments de tumultes…
Marième, ton élection est venue nous rassurer sur la marche du Monde en général, pas seulement sur le vieux et solide fonds de «la doulce France». Le Monde appartiendra ; appartient déjà, à ceux qui assumeront leurs devenirs et leur humanité. Aucune frontière ne peut se fermer devant cette loi naturelle du mouvement, cet instinct de la mobilité, du voyage vers l’Autre et de sa rencontre…
L’élection de Marième Tamata-Varin, musulmane d’origine mauritanienne, débarquée en France en 2000, intégrée depuis tout en gardant son identité originelle, cette élection fait l’effet d’une porte qu’on ouvre pour laisser entrer quelque fraicheur bénéfique. Elle est un espoir pour des générations de migrants qu’on tente depuis un certain temps de traiter en étranger.
Merci Marième. Merci infiniment.

jeudi 27 mars 2014

Pour rester au courant

Le livre a été écrit en 1966. Il vient d’être réédité par la maison Demopolis. Il s’agit de «Islam & capitalisme» de Maxime Rodinson, l’orientaliste très connu pour ses écrits lumineux sur l’Islam et les Musulmans. Il est l’auteur, entre autres œuvres, de la fabuleuse biographie du Prophète Mohammad. Dans son livre réédité cette année, il pose la problématique des rapports entre Islam avec le capitalisme, le développement en général. Nous choisissons de vous proposer en lecture, un extrait de  la préface du livre écrite par Alain Gresh, éditorialiste du Monde diplomatique :

«Maxime Rodinson analyse minutieusement non seulement les rapports entre islam et capitalisme, mais aussi entre socialisme et islam. Ce dernier serait-il favorable au partage des richesses ? La question peut sembler saugrenue aujourd'hui, tant les perspectives d'une révolution paraissent lointaines, pour ne pas dire utopiques, et tant l'islamisme semble éloigné de toute ambition sociale radicale. Elle ne l'était pas au moment de la publication de ce livre. 
Nous sommes alors à la veille de la guerre de juin 1967, et le nationalisme arabe révolutionnaire incarné par le président égyptien Gamal Abdel Nasser est à son apogée. Nassérisme, baasisme, socialisme arabe, communisme : sous ces différentes dénominations, la gauche plus ou moins radicale domine la scène idéologique. Officiers, intellectuels, journalistes, fonctionnaires, classes moyennes des villes s'en réclament ardemment, même s'ils se disputent, voire s'entretuent, à propos de telle ou telle interprétation de la doctrine. Des expériences de transformation révolutionnaire se mettent en place en Egypte, en Algérie, en Syrie, en Irak, au Yémen du Sud; les monarchies semblent à la veille d'être emportées par une vague révolutionnaire. 
En plus de leur autoritarisme - la «
démocratie bourgeoise» est condamnée sans appel -, tous ces régimes allient un désir tenace de consolider l'indépendance nationale et de clore définitivement l'ère de la domination étrangère à une volonté de transformer la société. Ils mettent en œuvre des réformes agraires et impulsent un développement économique, notamment de l'industrie lourde, fondé sur le rôle central de l'Etat. Ils pilotent une politique résolue de redistribution sociale, d'éducation et de santé pour tous. Dans tout le tiers-monde, alors, «le fond de l'air est rouge»; l'heure est aux changements radicaux et, des maquis castristes d'Amérique latine aux «zones libérées» d'Indochine en passant par les guérillas d'Afrique australe, les forces révolutionnaires promettent des lendemains qui chantent socialistes, voire communistes. 
Dans le monde arabe, pour justifier leurs entreprises révolutionnaires auprès de populations restées profondément croyantes et en majorité agraires, les pouvoirs se devaient de mobiliser les ressources de l'islam. Comme le remarque Rodinson, «
ce que permet la fidélité des masses à la religion traditionnelle en vertu de facteurs d'identification nationalitaire, c'est l'utilisation démagogique (au sens strict) du slogan islamique, du prestige de l'islam comme drapeau pour couvrir des options plus ou moins socialisantes issues d'autres sources». 
Cette hégémonie idéologique du socialisme ou de ses interprétations allait contraindre même des organisations se situant hors de toute perspective révolutionnaire à se réclamer d'un «
socialisme islamique». L'un des best-sellers de l'époque, écrit par un dirigeant des Frères musulmans syriens, Moustapha Al-Sibai, s'intitule Le Socialisme de l'islam. Dieu, écrit l'auteur, «a prescrit la coopération et la solidarité sous toutes ses formes. (...) Le Prophète a établi l'institution de la solidarité sociale dans son sens plein». Et il conclut : «Le principe de solidarité sociale dans le socialisme musulman est une des caractéristiques qui distinguent ce socialisme humaniste et moral de tant de socialismes connus aujourd'hui. S'il était appliqué, notre société serait idéale et aucune autre n'approcherait son élévation». Ce qu'il ne dit pas, c'est comment il compte atteindre cet idéal, ni pourquoi ces principes n'ont pas été mis en œuvre. 
Ce discours ne surprend pas Rodinson. «
Certains courants de l'islam ont envisagé des restrictions drastiques au droit de propriété, sous la forme d'une limitation imposée des richesses», et la source de ces demandes peut se trouver dans tel ou tel texte, «dans l'idée religieuse que les biens de ce monde détournent de Dieu, qu'ils exposent au péché». 
Est-ce à dire que les partisans du socialisme peuvent se servir de la religion de la même manière que les forces de la réaction ? Non, rétorque Rodinson : «
Les interprètes réactionnaires bénéficient de tout le patrimoine du passé, du poids de siècles d'interprétation dans le sens traditionnel, du prestige de ces interprétations, de l'habitude qu'on a de les lier à la religion proclamée, affichée, pour des raisons nullement religieuses». Et d'insister sur le caractère le plus souvent conservateur des hommes de religion, caractère qui sera renforcé par la suite avec le poids grandissant de l'Arabie saoudite et la «wahhabisation» de l'islam. 
Par une interprétation particulièrement réactionnaire des préceptes religieux, par l'exportation, grâce à la manne du pétrole, de milliards de dollars et de dizaines de milliers de prêcheurs à travers le monde, le royaume a imposé à l'échelle internationale sa vision rigoriste, alliant défense de principes rétrogrades, notamment pour les femmes, adhésion à l'économie néolibérale et ancrage dans le camp occidental. Faut-il rappeler l'alliance stratégique entre les Etats-Unis, l'Arabie saoudite et les groupes islamistes à deux occasions au moins : la lutte contre le nassérisme dans les années 1960 et l'aide aux moudjahidins afghans dans les années 1980 ? 
Rodinson en conclut que l'expérience historique comme son analyse «
n'encouragent pas à voir, à l'époque actuelle, dans la religion musulmane un facteur de nature à mobiliser les masses pour la construction économique, particulièrement alors que celle-ci se révèle nécessairement révolutionnaire, destructrice de structures établies». 

mercredi 26 mars 2014

La «bonne» expérience politique

Il fait partie de la classe politique des premières heures. Je ne sais pas quand est-ce qu’il est entré en scène. Mais depuis que j’ai conscience du monde qui m’entoure j’entends son nom et le voit sur scène. C’est vous dire combien cela peut paraitre loin (n’est-ce pas ?).
Il a été le premier à faire ses valises pour quitter le mouvement des Kadihines, aller rejoindre l’aile du pouvoir politique de l’époque qui refusait pourtant le dialogue avec les Gauchistes d’inspiration (forte) communiste. Cette décision, qualifiée par certains de «trahison» et de «bravoure» par d’autres, est l’acte fondateur de la realpolitik en Mauritanie. Il est le premier à exprimer «la politique du ventre» qui devait régner plus tard sur les esprits et les engagements. Résultat immédiat pour lui : on lui confia l’une des officines des renseignements et analyses du ministère de l’intérieur. De là il pouvait «servir» dignement son patron qui le destinait à une brillante carrière dans l’administration. D’ailleurs, il en fit part au Président de la République de l’époque, le très sage Moktar Ould Daddah. Et malgré les réticences exprimées avec plus ou moins de clarté, le patron (ministre de l‘intérieur) passa outre les objections de son Président et promut l’Animal politique
Le ministre jugeait sans doute que «cet esprit lumineux et utile dans le démantèlement des contestataires de l’époque» méritait mieux et plus. Il voulut accélérer la promotion en brûlant les étapes de la carrière administrative et politique de notre homme. Excédé par les démarches du ministre, feu Moktar le reçut en aparté pour lui remettre une enveloppe ouverte. «Monsieur le Ministre, lisez ça tranquillement chez vous. S’agissant de ce cadre qui semble très satisfaisant, faites une proposition au conseil de demain, nous l’accepterons volontiers…»
Très enchanté de pouvoir enfin récompenser ce jeune homme intrépide, notre ministre s’en alla chez lui. Sans doute que c’est le travail qui lui fit oublier l’enveloppe et son contenu. C’est tard dans la soirée, au moment où il se préparait à se mettre au lit qu’il se rappela qu’il devait lire ce qu’il y avait dans l’enveloppe avant de rencontrer le Président le lendemain. Il ouvrit l’enveloppe et en retira deux feuillets A4 remplis d’écritures bien droites, bien aérées et sans aucune rature. Il entreprit la lecture depuis le début…
Le texte parlait du ministre et de ses «incartades», de ses «faiblesses dangereuses pour la fonction», de ses «choix malencontreux», de ses «réseaux criminels»… tellement de mal qu’on disait de lui qu’il s’empressa à aller vers le bas de la deuxième page en espérant y voir le nom de l’auteur de ces perfides propos… l’auteur n’était autre que «son» cadre chéri…
Toute la nuit, le sommeil ne vint point. Comment «faire payer à cet ingrat sa traitrise» ? Mais les gens de cette époque-là n’étaient pas rancuniers. Ils croyaient aussi que l’autorité ne pouvait jamais servir les ressentiments personnels et que l’administration doit être protégée de toutes ces considérations égoïstes. Au matin, le Ministre se dit que «son protégé» n’avait finalement fait que continuer à trahir ceux qu’il approchait : après tout, c’est bien pour cela qu’il l’avait engagé et promu, pour sa capacité à trahir.
Toujours est-il que le lendemain, il ne fut point question de proposition de nomination de la part du Ministre. Le Président s’abstiendra d’évoquer la question et on oublia peu à peu l’existence de l’homme. Il a existé depuis dans l’ombre avant de sortir à la lumière pour servir au grand jour les systèmes faits d’arbitraires et de tricheries…
Avec le temps, l’homme est devenu un «révolutionnaire» maintenant que c’est possible et que cela n’implique rien pour lui. Il moralise, fustige, dénonce, parle de temps en temps au nom du peuple… Tranquillement, il croit se refaire une virginité nouvelle (ou neuve) et compte beaucoup sur la «courte mémoire» de ses compatriotes. Comme d’ailleurs nombre de ses semblables…

Non ! «on n’oublie rien… rien de rien…»

mardi 25 mars 2014

L’exigence de transparence

C’est l’une des exigences du Monde moderne. Mais c’est aussi l’une des utopies humaines et l’une des contradictions dans un monde où l’on reconnait que le pouvoir exige le secret, qu’une note d’opacité est un mal nécessaire dans les rapports humains.
Emmanuel Kant avait imaginé en ces termes une société qui existerait quelque part : «Il pourrait se faire qu'il y eut sur quelques autres planètes des êtres raisonnables qui ne pourraient penser qu'à haute voix, c'est-à-dire incapables d'avoir dans la veille ou en rêve, en société ou seuls, des pensées qu'ils n'exprimeraient pas aussitôt». Pour conclure ensuite : «A moins qu’ils fussent tous d’une pureté angélique, on ne saurait envisager comment ils pourraient arriver à avoir le moindre respect l’un pour l’autre et à s’accorder entre eux».
Evoquer cette «objection épistémologique» - et non «obstacle» - nous aiderait à comprendre, peut-être à accepter, que l’exigence de transparence doit être tempérée par la nécessité d’une dose d’opacité surtout dans l’exercice du pouvoir, n’importe lequel.
C’est bien parce qu’il y a des secrets qu’il existe une volonté de les percer. Et comme on dit «des gens qui veulent camoufler donnent nécessairement des gens qui veulent savoir».
L’exigence de transparence n’est pas nouvelle au sein de l’intelligentsia. Au 16ème siècle déjà, l’un des fondateurs de la philosophie politique écrivait qu’«il n'y a que les trompeurs, les pipeurs et ceux qui abusent les autres qui ne veulent pas qu'on découvre leurs jeux, qu'on entende leurs actions, qu'on sache leur vie, mais les gens de biens qui ne craignent point la lumière prendront toujours plaisir qu'on connaisse leur état, leur qualité, leur bien, leur façon de vivre» (Jean Bodin, auteur de Les six Livres de la République). Cependant, «toute opacité n’est pas criminelle, toute transparence n’est pas vertueuse», comme disent certains commentateurs.
Aujourd’hui la transparence est bien une exigence populaire. Avec le développement des moyens d’information modernes, des réseaux sociaux, avec aussi l’aspiration de plus en plus grande de l’individu à devenir acteur dans la cité et l’affirmation de plus en plus forte de la personnalité citoyenne, cette exigence est désormais exprimée au niveau de chacun.
Mais tout doit-il être transparent ? l’opacité est-elle un mal nécessaire parfois ? les citoyens peuvent-ils se transformer en procureurs ? Toutes ces questions peuvent aider à trouver un équilibre entre l’exigence de transparence et la nécessité de laisser l’exercice du pouvoir à l’ombre des regards. Mais est-ce nécessaire ?
Dans notre société – nos sociétés plutôt – où en est-on avec cette exigence et d’où vient-on ? Le chef du village est-il tenu de rendre compte à tous ? et le chef de la Jemaa ? l’habitat traditionnel qu’est la tente (chez les Arabes) et la case (chez les négro-africains)  ne prédispose-t-il pas l’esprit et la mentalité à un maximum de transparence ? La prmiscuité n’impose-t-elle pas la vie en commun ? Tout est sous la tente par exemple, toute la vie familiale s’y déroule, et même quand un étranger de passage trouve refuge sous la tente, cela ne change en rien le rythme de vie des propriétaires. Il en va de même pour les enclos de famille. Transparence naturelle ? Peut-être, mais est-elle exigible quand il s’agit des affaires publiques ?
On peut mal formuler la problématique pour une société comme la nôtre, une société en transition pour avoir quitté un système de valeurs et un mode comportemental, sans pour autant s’établir dans un nouveau système. Mais l’on est obligé de se poser la question, maintenant que n’importe qui peut prétendre à n’importe quoi et, pour ce, tout exiger sans réfléchir à justifier ou à expliquer cette exigence pour l’ancrer et en faire un fait, une revendication sociale bien acceptée. Cette revendication implique nécessairement le rejet du faux-semblant d’où qu’il vienne. Le démocrate qui n’en est pas. Le socialiste libéral. Le rebelle soumis. Le révolutionnaire calculateur. Le religieux mécréant. L’athée charlatan. Le moderne conservateur. Le progressiste esclavagiste. Le moralisateur menteur. Le leader imposteur… tout ce qui est fait notre élite d’aujourd’hui ou, pour être juste, la partie de notre élite qui occupe le plus l’espace public.

lundi 24 mars 2014

Manœuvres politiques

Les choses donnent l’impression de s’accélérer, mais seulement l’impression. Le tout nouveau Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU, cela rappelle-t-il quelque chose ?) rend public la composition de ses comités dirigeants. Visiblement on a essayé de mettre en «backoffice» les dirigeants politiques symboliques, surtout ceux de l’opposition «traditionnelle». Du coup, le gros de la troupe fait partie d’un sérail bien connu des Mauritaniens. Trois catégories de gens : 1. Quelques deux ou trois personnes qui ont toujours cherché à jouer les «indépendants» et qui bénéficient encore d’une certaine confiance dans les milieux intellectuels ; 2. Quelques-uns – un peu plus que les premiers – de cadres de partis ou syndicats partisans connus ; 3. La majorité est composée de caciques du PRDS, voire du PPM (parti du peuple mauritanien des années 70).
Il est vrai que la personnalité du président du FNDU peut faire passer le reste, mais il est impossible de ne pas remarquer la forte remontée sur la scène du groupe des «Kadihines», et qui n’en sont pas véritablement, mais c’est comme ça qu’on doit appeler tous ceux qui ont manœuvré la politique des décennies durant en manipulant les gouvernants…
Sitôt composé, la direction a tenu une conférence de presse au sortir de laquelle, le président Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine a été reçu par le Premier ministre pour discuter de la suite à donner au dialogue entamé individuellement avec les partis. L’avantage d’une telle rencontre, c’est qu’elle se déroule autour de propositions plus ou moins concrètes, en tout cas susceptibles d’être à la base d’un dialogue. C’est probablement le temps qui va manquer aux protagonistes.
En effet, nous sommes déjà à moins de trois mois du premier tour de la présidentielle. Les délais sont incompressibles parce qu’ils sont «constitutionnels». Il va falloir donc ne pas tergiverser et engager rapidement le processus. Il ne faut pas s’attarder sur les formes parce que le dialogue envisagé ne prendra jamais la forme de celui de 2011-2012. Ce renoncement à la forme doit s’accompagner de prédispositions à accepter d’abandonner les positions figées sur des questions qui n’apportent pas réellement un plus aux conditions renforçant la régularité du scrutin et la confiance de l’électeur.
Un gouvernement d’union ou d’ouverture (ou de consensus) n’a aucune incidence sur le processus électoral. C’est la CENI qu’il va falloir renforcer pour lui permettre d’exercer entièrement ses prérogatives. Faire attention à ne pas chercher vers un montage partisan car une CENI partisane comporte des risques alors qu’elle ne garantit aucune loyauté. L’expérience de 2009 nous enseigne là-dessus : quand le président de la CENI, proche du RFD, a démissionné, aucun des représentants de ce parti ne l’a suivi. A rappeler aussi qu’aucun des ministres des deux pôles de l’opposition n’a non plus démission quand leurs partis  ont dénoncé le déroulement des événements.

Reste à concevoir un package qui comprendra l’avant et l’après, y compris la dissolution du Parlement et des municipalités. Pour une fois, nos politiques doivent penser loin et agir vite. Ce sont là des qualités qu’il faut avoir en politique.

dimanche 23 mars 2014

Entre barbus, on se teint plutôt mal

Le premier barbu est un commerçant. Il se présente comme quelqu’un qui a été floué par un autre barbu. Ce deuxième barbu est un ministre de la République qui plus est des affaires islamiques. L’affaire commence par une démarche singulière du ministre qui fait appel au premier barbu de lui «faire fructifier» quelques 44 millions. Après quelques temps, le ministre demande à son homme de faire les comptes. Le barbu «bookmaker» - parce qu’on lui demande de faire des affaires rapides et bénéfiques en faisant des placements (comme des paris) – prend avec lui le ministre pour lui montrer certains «investissements» dans l’immobilier avant de lui remettre la somme de 20 millions.
Passe le temps et pas de nouvelles du premier barbu, celui à qui a été confiée la somme de 44 millions. Récemment, le ministre trouve une astuce pour récupérer «son» bien. Il appelle son traitant pour lui dire qu’il a quelques milliers de dollars, quelques milliers d’euros et quelques autres du Dirham Emirati. En tout, la valeur de 27 millions. Le ministre revenait de voyage du Golfe et il est plausible (visiblement) qu’il ait ces sommes.
Au bout de quelques heures, le barbu bookmaker arrive avec ses 27 millions. Le ministre le laisse dans le salon du rez-de-chaussée pour «mettre l’argent en lieu sûr et ramener les devises». Mais au retour, le ministre ne rapporte que 3 millions, «je garde le reste parce qu’il me revient». Catastrophe !
Branle-bas de combat et mobilisation générale. Le premier barbu essaye par tous les moyens de récupérer cet argent en arguant qu’il s’agit d’un pactole ramassé chez des opérateurs de place (tous des barbus). On ne sait pas comment le contact direct est fait entre le ministre et ceux qui prétendent être les véritables propriétaires de l’argent. Certainement à travers les réseaux tribaux qui sont devenus le cadre de toutes les combines mafieuses.
De ce qui a été publié, on voit clairement que les barbus «propriétaires» avaient comme objectif d’enregistrer les déclarations du ministre sur la question pour utiliser éventuellement l’enregistrement comme moyen de pression. Finalement, les choses sont allées très vite et l’enregistrement fut publié sur le net.
Maintenant on sait que le ministre a refusé de rendre l’argent et qu’il dit que la manière utilisée est «légale». Que le premier barbu a dit qu’il était prêt à rembourser l’argent du ministre qu’il a utilisé pour l’achat de terrains et de maisons. Que les barbus, «vrais propriétaires», tiennent à poursuivre le ministre avec lequel pourtant ils n’ont aucun rapport.
Mais on ne sait pas d’où vient l’argent du ministre. On ne sait pas non plus pourquoi le Parquet ne s’est pas mêlé de l’affaire ne serait-ce que pour voir clair dans l’activité de ces banques parallèles. Ni la police financière, ni les services de contrôle de la BCM ne sont intéressés par l’affaire.
Ce qui est discutable dans les procédés, c’est d’abord l’activité «commerciale» du ministre. Au moins sur le plan moral. Et même sur le plan du «légal» (shar’i). Le bon sens, caractéristique de tout système législatif, ne peut ouvrir la voie à la personne lésée pour se faire justice. Sinon, c’est une grande partie des Mauritaniens qui doit vouloir se faire justice elle-même, l’état des créances et des affaires étant celui qu’on connait. Le ministre Ahmed Ould Neyni est sans doute l’un des meilleurs connaisseurs de la science religieuse islamique (malékite), n’empêche que sa position est indéfendable.

Ce qui est indiscutable, c’est qu’il s’agit d’une «affaire» qui doit être éclaircie devant l’opinion publique. Ce qui est – ou parait – indiscutable aussi, c’est le crédit moral dont jouissent les protagonistes de cette histoire… ce crédit est-il justifié ? c’est la question qu’on finit par se poser quand on voit toutes ces figures auréolés de grandes barbes – bien ou mal taillées – et marquées par les traces des prosternations régulières, toutes ces figures les unes trompant les autres et toutes trompant tout le monde.

samedi 22 mars 2014

Le nouveau Yalta

Le 14 février dernier, ici même : «Il y a comme une odeur de magouilles internationales. Le monde bouge et se recompose. Encore suivant le clivage Est-Ouest. Cette fois-ci l’Est englobe tout l’Orient, avec des puissances comme la Russie, la Chine, le Japon et de grands pays comme l’Inde, le Pakistan, l’Iran… une aire de civilisation qui en commun l’espace et le fond culturel. L’Ouest quant à lui, c’est en gros l’espace de civilisation judéo-chrétienne. C’est l’Europe (Union Européenne), l’Amérique (USA, Canada).
Le monde «civilisé» a besoin de redistribuer les rôles et les cartes. C’est ce qui est en train de se passer sous nos yeux. Les déchirements en Egypte, en Libye, en Syrie, au Bahreïn, au Yémen, mais aussi en Centrafrique, au Kenya, au Soudan, au Congo, au Nigéria…, ces déchirements ne sont que des manifestations de cette lutte d’influence. Chacun voulant garder son pré-carré, sa zone d’influence. Les engagements sont parfois directs, parfois par pays ou par factions interposées. Dans ce jeu, les monarchies du Golfe jouent le rôle du financier après avoir essayé vainement de jouer celui du gendarme.
Autour des pourparlers de Genève (I et II), c’est la carte du Monde qui est dessinée par les puissances. A la Russie on abandonnera une zone d’influence donnée : la Syrie au Moyen-Orient et dans une moindre mesure l’Egypte, l’Asie centrale et une partie de l’Europe de l’Est. La Chine pourra prendre pied en Afrique et dans des enclaves du Golfe. Le reste reviendra à l’aire d’influence occidentale.
Dans ce jeu des puissances, nous avons à réfléchir à ce que nous pesons. Autant dire rien. Avec trois millions d’habitants, nous ne constituons pas un marché attractif. Nous avons été incapables jusque-là de cultiver ce que nous savons le mieux faire : le sens du commerce et des affaires pour jouer pleinement notre rôle de charnière entre les deux bords du Sahara. Nos choix dans l’éducation ont donné un résultat catastrophique : nous n’avons même pas pu former pour les marchés d’aujourd’hui.
Que faire pour continuer à exister dans un monde sans état d’âme ?»
Ce qu’il y a à ajouter et qui se précise de plus en plus : 1. Dans le Monde arabe, on évolue rapidement vers l’éclatement du Conseil des pays du Golfe, avec tout de suite un clivage Arabie Saoudite-Qatar, et plus tard un troisième front autour du Koweït et des petits Sultanats qui ne voudront pas prêter le flanc aux nouveaux positionnements de l’Iran. La dérive du Conseil prendra effet avec la fin de la guerre en Syrie qui va certainement être à l’avantage du régime en place.
 2. La crise ukrainienne est d’abord un affrontement entre la Russie de Poutine et l’Union Européenne. Le rêve de Poutine est de créer un ensemble genre «Union Eurasie» qui comprendra certaines parties de l’Empire russe et qui pourra faire face à l’UE et probablement signer son reflux, pour ne pas dire sa décadence en tant qu’ensemble.
Le rôle de la Russie dans ces deux conflits est crucial. Le premier résultat sera peut-être la réorientation de l’aiguille qui n’indiquera plus le Nord et l’Ouest, mais l’Est et le Sud. La réforme tant attendue de l’ONU s’imposera alors d’elle-même.

La beauté du Monde est la rapidité avec laquelle les évènements se déroulent.

vendredi 21 mars 2014

Le Président et les jeunes

L’idée était sans doute excellente même si elle comportait de nombreux risques. Le risque d’être perçue comme étant le déclenchement d’une précampagne : nous sommes à quelques semaines de la présidentielle et tout peut prendre la forme d’une campagne. Le risque d’être rejetée par une jeunesse très contestataire à un moment où les repères disparaissent et où les horizons restent couverts par de noirs nuages que les éclaircies n’arrivent pas à percer. Le risque de ne pas avoir le niveau attendu. Le risque d’être infiltré par des «malintentionnés» dont la présence perturberait le déroulement de la cérémonie…
Finalement tout s’est bien passé. Ils étaient près de six mille à postuler dont quatre cents furent sélectionnés. De nombreuses compétences et une représentation équitable de l’échiquier mauritanien.
Le décor était parfait en terme de communication. D’abord le lieu : la nouvelle faculté de médecine, en phase de finition. Tapis rouge et arc de fleurs. Le Président de la République arrive seul. Il vient prendre place au milieu des majors des écoles d’excellence, en face du jeune public. Il prend la parole pour introduire le sujet. Il parle de la jeunesse et de son rôle. Du pays et de ses avancées. De ses projets pour le pays.
Dix ateliers qui doivent être présentés chacun par un interlocuteur principal. Pour chaque atelier, on donne la parole à trois intervenants. Le Président se permet parfois d’en ajouter un et même deux. A la fin des interventions, le Président répond aux éventuelles questions.
Quelques moments : 1. L’expert-comptable qui a été très critique vis-à-vis de la gestion, faisant référence aux rapports de Transparency international et invoquant «la corruption à la direction des impôts». Dans sa réponse, Ould Abdel Aziz devait s’en prendre à l’organisation internationale en rappelant son empressement à condamner les Africains et son silence quand il s’agit des richissimes pays du Golf. Faisant allusion aux campagnes contre «les biens mal acquis» quand il s’agit de l’achat par un président africain d’une villa à 500.000 euros et les silences quand il s’agit d’un prince arabe qui achète toute l’avenue des Champs-Elysées.
2. Un enseignant parlant au nom de ses collègues de Nouadhibou a arraché la parole. Agressif dans ses propos, le jeune fut invité par le Président pour prendre la parole. Il fustigea les conditions de vie des enseignants, dénonça les niveaux des salaires. Le Président lui demanda de rester pour répondre à quelques questions. Cela aboutit à savoir que l’évolution des salaires est nette depuis six ans. «Ehna maana mitdaayguiine», une manière de calmer le jeune excité sans se fâcher.
Quelques points saillants : Le Président réfute toute idée de limiter la liberté d’expression ; Il déclare que l’époque des BR (bulletins de renseignements) est révolue ; Il reconnait les dysfonctionnements du système éducatif et s’engage à multiplier les centres de formations technique destinés aux jeunes ; Selon le Président, le pays est sorti du cercle des 50 pays les plus pauvres ; Le chômage qui était à 31% est aujourd’hui à 10% selon une étude du BIT ; «S'il n'existait pas une évolution en matière de lutte contre la gabegie, on n'aurait pas dépassé une réserve de 1,7 milliards de dollars» ; «Les derniers agissements que vous connaissez étaient orientés vers la déstabilisation du pays à des fins politiques. La religion appartient à tous les Mauritaniens et doit être mise à l'abri de la politique. Après avoir tenté vainement de déstabiliser le pays, des politiciens ont essayé d'exploiter la religion. C'est le lieu ici de préciser qu'après les investigations aucune preuve matérielle n'a été trouvée pour justifier une éventuelle intention criminelle derrière l’acte de profanation du Saint Coran.
La destruction des biens publics et privés pour soutenir l'islam n'est -elle pas un paradoxe ? . L'Etat veillera à la préservation des symboles sacrés de l’Islam et c'est son devoir d’éditer le Coran, de créer une chaine du Coran et de construire une grande mosquée avec des moyens de l'Etat
»…
En somme une opération de communication réussie…

jeudi 20 mars 2014

La Francophonie en Mauritanie

J’ai entendu récemment qu’un député de l’Assemblée nationale a déchiré le rapport de la commission financière sous prétexte que ce rapport était rédigé en Français. La Communauté urbaine de Nouakchott (CUN) a pris la décision d’interdire l’utilisation du Français dans son administration… La francophonie recule dans le pays. Mais a-t-elle jamais existé en Mauritanie ? Pour essayer de répondre, je vous propose un extrait d’un Mauritanide de Habib Ould Mahfoud :
«Les premiers “francisants” de Mauritanie ont appris la langue de Ben Jelloun et de Senghor à Marseille où il séjournèrent en qualité “de types indigènes des comptoirs français de l’Afrique de l’Ouest”. Ils revinrent avec de petits miroirs ronds, du savon, du sucre roux, des billes multicolores et des mots comme “cimong” (pour “ciment, avec l’accent marsellais”), perrong” (perron, véranda), “tou z’embêtes”, “tant pis”, “Vaichê” (fais chier), “wanter” (inventaire), “bongbong” (bonbon), etc...
Pas encore de quoi obtenir le tiers des sièges à l’Académie Française. Les premières écoles ouvrirent leurs portes au début du siècle. (Entre 1907 et 1911, je crois) à Atar, Boutilimit et Méderdra. On passait le premier semestre à apprendre à lire et à écrire “I, u, o, a, e, é, ê” et le dernier trimestre à se faire “teu, peu, neu, meu, reu, veu, leu, deu, beu”. La deuxième année, les élèves apprenaient les verbes du premier groupe, à tous les temps y compris le plus improbable (“encore eût-il fallu que tu le mangeasses”). La troisième année l’élève méritant était bombardé interprète, c’est-à-dire deuxième personnage du bled derrière le français de service. La qualité de cet interprétariat influença durablement les relations colonisateurs-colonisés, l’interprète n’interprétant que ce qu’il peut bien interpréter. Avec 5 voyelles, 9 consonnes et 12 verbes du premier groupe, même à l’imparfait du sub, ça ne peut pas chercher loin. Soit en Hassania ou Pular la proposition : “Dis au. Blanc qu’il nous emmerde chaque fois avec ses histoires de corvée de bois, d’eau et de gibier, On peut lui montrer une place où il peut avoir tout ça en même temps, si c’est ça qui l’a fait venir de chez lui ».
Ça passe par l’interprète et ça donne “toi, Mouasié, lui parier, lui parlassiez, heu… lui eûmes parlé toi monter aller arriver manger petit manger chercher”. Normal qu’après les français trouvent les Mauritaniens complètement zinzins et les Mauritaniens les français très, très bizarres.
Beaucoup plus tard, j’allai moi- même à l’Ecole. La Mauritanie était déjà indépendante (je le sus beaucoup plus lard) mais les programmes étaient restés inchangés. Le matin, du lever du soleil jusqu’à midi (je l’appris plus tard) on nous enseignait le français. Après la prière du Zohr et jusqu’à celle du ‘Asr on apprenait l’arabe. Je vais vous raconter un peu de mes souvenirs de francophone.
La première journée, parti tôt du campement avec les autres élèves, j’arrivai à l’unique salle de classe au toit pentu. Ce n’était pas du tout évident, l’école. Ce fut la croix et la bannière pour s’installer correctement sur la table-banc. Je reçus une dizaine de coups sur les genoux (et sur les hiboux-choux comme on me l’apprit plus tard), pleurai un peu, reniflai beaucoup, renversai l’encrier, regardai dans toutes les directions puis me lassai dans mon coin. Je pensais à prendre la fuite mais le campement était loin et je risquais de mourir de soif. Je me fis une raison et attendis, il y eut l’appel, extrêmement impressionnant. Les noms des élèves que je connaissais si bien eurent tout à coup des résonnances de jugement dernier, des noms étrangers, étrangers, inquiétants. “Mouhammad” devenait “Mohamed”, “Woull” devenait “Ould”, Moukhtaar” devenait “Moctar”, La majorité des élèves de la classe étaient des “professionnels”, c’est à dire qu’ils étaient dans cette classe depuis trois ou quatre ans, La salle unique fit qu’ils ne passèrent jamais en classe supérieure. Il n’y avait que le CP1. Ils restaient donc au CP1.
Et c’est pourquoi ils répondaient “Prézan” avec aisance alors que moi je me demandais encore à quelle sauce je serais mangé. J’étais en fin de liste. “Ould Mafod”, Je ne reconnus pas mon nom. Et de toutes les façons je ne savais pas quoi dire, “Prezan” étant encore d’un niveau un peu trop élevé pour moi. Je bredouillai un vague “ouay”, soufflé par l’un des anciens. Puis on passa à la leçon : “i”. Je ne voyais qu’un intérêt très limité à cet “i” - là néanmoins je m’appliquais à le regarder pour le graver définitivement dans mon esprit. Habitué aux récitations coraniques, je mémorisai très facilement le “i” bien que je le trouvai assez limitatif. Il suffit cependant à remplir largement cette première journée à tel point que la leçon d’arabe - un cours de métrique, mo’alaqa du 5e siècle à l’appui ! - m’échappa complètement. D’un côté Qais:
Gardiens de la Nuit qu’est-il advenu des aurores
Et qu’est-il advenu de ceux qui nous aiment?
Et qu’ont les Etoiles, suspendues au cœur des Amants, à briller sans répit?
De l’autre côté de Syllabaire :“i”. Qais mordit la poussière, J’avais cinq ans et je ne pouvais pas répondre aux questions que posait le Poète. Par contre je saisissais parfaitement l’intensité tragique du “i”, sa terrifiante simplicité, sa gratuité.
J’apprenais les voyelles et les consonnes mais je ne savais pas encore à quoi rimait tout ça. Je récitai de toutes mes forces “un enfant nu, un enfant vêtu, un épi de mil, un canari”. Je reçus beaucoup d’information; notamment que “Toto tape Paté, Paté tape Toto, Papa tape Toto et Paté”. Ça ne me faisait ni chaud ni froid vu que je ne connaissais aucun des trois protagonistes de l’affaire, qui n’étaient pas du campement. Je ne connaissais pas non plus pourquoi on pouvait se taper dessus, les gens du campement ne m’en ayant jamais fourni l’illustration. Un “ancien” de la classe m’apprit que tout le monde tapait tout le monde à cause d’une sombre affaire de quinqueliba ou de dolo. Le quinqueliba, me dit-il, est bon pour “la colique” (le mot favori de notre syllabaire). Le Dolo, par contre, personne ne savait ce que c’était, même pas l’instit. Et pour cause : c’était du vin de riz spécifique à certaines régions sub-équatoriales. Nous étions dans une région saharosahélienne et nous étions musulmans. Et si puritains que parler français était déjà à la limite du “haram”, presque aussi grave que boire du vin ou manger du porc. Il n’empêche. Nous fîmes un bon bout de chemin avec le dolo et le syllabaire. Nous allions de girafe en éléphant et de manguier en Kapokier. Et “la colique” faisait des ravages. Rémi, Babadi et Fofana allaient et venaient, portant des fagots ou des canaris, en pirogue et à vélo, sous l’œil impavide du chef du village, qui attendait le Commandant.
Ce n’était pas le monde que je connaissais, il fallait inventer un espace dans ma tête pour caser le Nouveau Monde apporté par le français. Heureusement que notre école n’était pas fixe. Elle se déplaçait avec le campement.
C’est ainsi que le premier voyage de l’homme sur la lune nous trouva à l’ouest d’Aachkirkit. Nous faisions classe sous la tente sous la férule d’un instituteur qui passera plus tard pour l’un des grands maîtres de la poésie populaire mauritanienne. Poésie baroque, faut-il préciser. Les cours se déroulaient dans le calme, perturbés de loin en loin par l’irruption de quelque serpent ou la manifestation de quelque “colique”. Nous étions maintenant au CE1 et nous avions troqué le Syllabaire contre un manuel français pour classes du CM1 et CM2. La Grande aventure commençait.
Et l’aventure ‘francophone’ continue donc avec les nouveaux livres où le vin remplace ‘le quinqueliba’ où le cantonnier’ remplace “le tisserand”, “le sous préfet” le ‘marigot’... etc.
Nous nous moquions totalement de tout ça, ne sachant pas de toute façon de quoi s’agissait-il. Nous savions qu’après avoir casé le premier monde francophone dans nos têtes avec ses tirailleurs et ses cynocéphales sans queue il fallait trouver de la place pour le nouvel univers francophone, ses chasseurs aux gibecières en bandoulières et ses moulins à vent. Ces mondes étaient aussi irréels l’un que l’autre. Nous n’avions aucun repère pour pouvoir les appréhender. Nous saurons plus tard ce que c’était, d’être “francophone”. Nous fîmes notre bonhomme de chemin sur fond de Musset, de fables de la Fontaine, de Hugo, de révision des accords avec la France, de retrait de la zone franc, de problèmes de train Thiès-Bobo Dioulasso. Le monde grandissait avec nous.
Les fautes d’orthographe prirent le statut de péché capital. Les accords grammaticaux ne furent pas dénoncés par Mokhtar Ould Daddah. Et Dieu sait qu’ils nous étranglaient plus que les accords militaires rompus en février 73.
Quelques années plus tard, la francophonie militaire nous revint dans le fracas des Jaguars. Et là elle marqua un point définitif: un vieux rythme de la musique maure, l’Asarbat, fut réarrangé, corsé par la guitare électrique et rebaptisé Jaguar.
On reconduisit ainsi et sans le dire les fameux accords militaires avec une nouveauté: les accords de guitare. Les accords du participe malgré l’arabisation galopante et l’accord de Madrid qui avait consacré la partition du Sahara Occidental en 1975. Le Sahara ayant le tort de causer espagnol, ce qui était un affront dans cette partie de l’Afrique si francophone. Jusque-là il n’y avait pas eu de problème parce que l’Espagne, qui parlait espagnol était dirigée par Franco, la moitié déjà du mot magique. Mais Franco mourut et le Sahara ne se justifiait plus aux yeux des francophones. Le coup d’Etat du 10 juillet 78 se fit connaître par un communiqué numéro un rédigé dans un français assez moyen et resté dans les mémoires à cause d’un épineux problème de H aspiré au début de “héros”. Nous étions suffisamment grands pour se gausser du “français militaire’. Et nous nous en gaussâmes. Nous rigolions désormais de qui osait employer le passé simple en parlant, mais le passé était tout sauf simple en Mauritanie. Et encore moins simple que le futur. Disons que pour ne pas simplifier, le présent existait à peine.
Se succédèrent les militaires. S’effrita le concept de Nation. S’exaspérèrent les frustrations. Nous ne grandissions plus. Nous ne riions plus. La faute était la norme. Suspect le “francophone”. Les nationalismes arabes avaient le vent en poupe. Le monde était encore assez con pour vouloir «la monoculture». D’une répression à l’autre, la Mauritanie se perdait.
Au sommet de la francophonie de Bujumbura, Haidalla apprit qu’il avait été déboulonné. Le nouvel homme fort du pays s’appelait – s’appelle toujours d’ailleurs – Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. “Un ami de la France”. Le chef de l’Etat-major des Armées françaises de l’époque, Jeannou Lacaze, rendu depuis à la vie civile et politiquement très très à droite, était le maître d’œuvre de “la restructuration du douze-douze”, comme on s’habitua à le dire par la suite, en français.
Je ne vous raconte pas les périodes où la Mauritanie, fâchée avec la francophonie, sombra dans le bordel le plus total, comme on dit chez nos valeureux dirigeants militaires si épris de paix, de liberté, de comptes en Suisse, de chamelles, de belles femmes, de Mercedes, de chocolats, de sandwiches et de justice, pour eux-mêmes, mais pour eux seuls.
 Cette période ne fut ni francophone ni arabophone. Ce fut la période du silence. On mourait dans les cachots, noyé dans la sueur et l’urine. On mourait à Oualata, dévoré par les yeux des geôliers. On s’aplatissait chez soi parce qu’on n’y était plus chez soi. On marchait à l’ombre pour ne pas avoir d’ombre. Rien ne se faisait. Tout mourait, se fanait, se flétrissait, pourrissait sur pied. Les années du silence.
Ould Taya arabisa ses ministres qui parurent à la télé bidon ânonnant des phrases arabes transcrites en français. Une nouvelle fois la France était l’ennemie. On sortait de la crise avec le Sénégal et de la guerre du Golfe. Le discours de François Mitterrand à La Baule, où il “conseillait’ la démocratisation à ses gardes-pays africains, était dans toutes les bouches. Radio et Télé Mauritanie raillaient la démocratisation imputée, ‘l’occidentalisation’, et saluaient l’interdiction du port du boubou sur les lieux de travail comme la décision du siècle, «attestant la clairvoyance et le patriotisme sans égal de la Direction nationale, et, à sa tête, le colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, Président du CMSN, Chef de l’Etat». Ce n’était même pas ridicule. Nous n’eûmes pas le temps d’intérioriser l’idéologie boubouesque perçue comme un bouclier contre le discours démocratisant de la Baule et un abri anti-vent d’Est qui blablabla cocotiers bla bla…
 Le 15 Avril 91, la voix monocorde pousse au suicide du Chef du CMSN, président de l’Etat. L’Excellent colonel M, nous annonce «une série de mesures» où l’on parle entre autres d’élections pluralistes, des partis, de Constitution et tout le tremblement de rigueur. La veille, Michel Vauzelle était passé par là. Dans les milieux arabophones, on l’appelait «l’initiateur du complot judéo-maçonnique, visant à démembrer la Mauritanie et l’Irak». Dans les milieux francophones, il passait intensément inaperçu. La Mauritanie survécut au silence.
La francophonie nous revenait avec la France, meilleure avocate de Ould Taya, deuxième formule. Entre-temps, nous nous sommes dotés d’une constitution le 12 juillet (1e12-7, en hommage à la mitrailleuse française qui s’est illustrée en guerre d’Algérie) et d’une dix huitaine de partis.
1993 est  l’année du grand amour Mauritanie-France. Ce n’est que rendez-vous galants, escapades, petits billets et dîners aux chandelles.
La Mauritanie officielle retrouve avec soulagement les frissons du conditionnel passé deuxième forme et les vertiges de la supposition et de l’opposition. Défilé de sénateurs dont Charasse, célèbre pour son français très pur, très soigné, avec les virgules bien en face des trous, et dont les mots d’esprit les plus célèbres sont - rien à citer de tout ça, faites chier! La dernière grande manifestation de la francophonie est la très actuelle histoire du marché des télécommunications, dont l’OPT est le maître d’œuvre et le Fonds Arabe de Développement Social (FADES) le financier à hauteur de 5 millions de dinars koweitis. Les principaux soumissionnaires ont été la société française Alcatel et l’américaine Harris.
Nouveau duel français-anglais, arbitré au début par des Allemands qui claqueront la porte très tôt parce que, disent-ils, en allemand, « les Mauritaniens ne sont pas foutus de défendre leurs propres intérêts ». Le fait était que tout donnait Harris gagnante, toutes les données objectives du moins: 14 millions et demi de dollars pour l’exécution des travaux en 10 mois, contre 16 millions pour Alcatel, sur 15 mois. Sans compter la fiabilité du matériel, sa performance, etc. Ce qui aurait permis à la Mauritanie d’économiser 175 millions d’ouguiya en cette période de vaches disons maigres pour être optimistes. Tout s’est joué en fait sur la foi des questionnaires adressés, en français, à Alcatel et à Harris.
 Je n’ai pas pu voir les questionnaires en question. Personne d’ailleurs ne les a vus. J’en serai réduit donc à imaginer leur contenu,
Première question:
“Que pensez-vous du processus démocratique en Mauritanie?”
Réponse:
- Alcatel Très satisfaisant. Et c’est mieux qu’ailleurs. (Citation de l’Ambassadeur de France en Mauritanie).
- Harris : C’est intéressant, Mais les résultats ne sont pas importants. (Citation de l’Ambassadeur US en Mauritanie).
Deuxième question:
“Qui a écrit la guerre des Gaulles?”
- Alcatel : Jules César.
- Harris : Charles de?
Troisième question:
“Qui est Rémi?”
- Alcatel: C’est le copain de Fati et de Toto et le fils de Papa.
-Harris : C’est un saint, we think so. Fête le 15janvier, non?
Quatrième question:
“Connaissez-vous les deux premiers vers du Britannicus de Racine?”
-Alcatel:
Quoi? Tandis que Néron s’abandonne au sommeil,
Faut-il que vous veniez attendre son réveil?
- Harris:
Quoi? Tandis que Néron pique un petit somme,
Alcatel nous pique le marché des Telecom?
Cinquième question:
“Quand on dit “téléphone”, à quoi pensez-vous?”
-Alcatel: A Jeanne d’Arc.
-Harris : A Harris.
Sixième question:
“Que ferez-vous d’une girafe si vous la trouvez?”
- Alcatel : On va la peigner,
- Harris: On va la peindre.
Septième question:
“Radio, téléphone, télévision?”
- Alcatel : Des voix qui crient dans le désert.
- Harris : Radio, téléphone, télévision.
Conclusion de la Commission gouvernementale : “On invite les gens d’Alcatel à dîner et on téléphone aux Américains”
Alcatel a gagné à cause des questionnaires. Vive la francophonie. Jeanne d’arc est vengée. Les voix ont eu raison des Américains qui, comme chacun le sait, ne sont que des Anglais améliorés ( ?). On ne pouvait pas nous, francophones, permettre que nos téléphones et radios causassent (si !) en sabir anglo-hispano-américain.
En attendant (qui? Godot est déjà là) la cellule d’enseignement de l’arabe à l’Institut Pédagogique National est charpentée comme il se doit pas un Français, ce qui consacre la victoire du “i’ sur la langue du «d» emphatisé.
 La francophonie, comme l’Histoire de l’Humanité, est une affaire de voix. Les élections présidentielles qui confirmèrent Ould Taya à la tête de l‘Etat en sont l’illustration. Les voix qui lui permirent de gagner participent de cette cacophonie immense sur la quelle il fallait bien plaquer un nom.

Les voix qui crient dans le désert criaient en français. Elles ont fini par voter Ould Taya. Et Ould Taya a voté pour Alcat elles.»