mardi 10 mars 2015

Un parcours, un livre

C’est par hasard que mon attention a été captée par un entretien diffusé sur les ondes d’une radio privée locale. La voix de l’interviewé m’était très familière. Il parlait d’un livre-mémoire qu’il venait de publier. J’ai d’abord pensé qu’il pourrait s’agir de Mohamd el Mokhtar Ould Bah, ce destin digne de faire l’objet d’un récit. Au bout de dix minutes d’échanges avec le journaliste qui s’abstenait de relancer son invité, je compris qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre, ne serait-ce que parce qu’il a fini par évoquer Ould Bah.
Son Français était de grande qualité, ses idées clairement exprimées, ses paroles d’une sincérité évidente… De quoi capter vraiment l’attention de l’auditeur que j’étais. Je saurai à la fin de l’émission, au bout d’une quarantaine de minutes d’échanges qu’il s’agissait là de Yahya Ould Menkouss, ancien ministre, ancien administrateur. Mais c’est seulement un mois après que je tombe sur le livre écrit sous forme de mémoires.
«Un parcours mouvementé : Vie et carrière d’un administrateur civil mauritanien» raconte au bout d’environ 110 pages, le parcours de cet homme souvent perçu sous le seul angle de la chefferie Jlalva alors qu’il s’agit bien d’un acteur immédiat et d’un témoin privilégié des premières heures de la construction nationale. Le témoignage de cet homme mérite amplement d’être lu.
Pour sa sincérité. On sent, et c’est rare chez les gens de cette génération-là, qu’il n’y aucune velléité de se donner un rôle qui n’a pas été le sien. Il est évident aussi - et c’est rare pour être souligné – que l’objectif de l’écrit n’est absolument pas de régler un compte avec les contemporains avec lesquels les relations n’ont souvent pas été évidentes.
Pour sa qualité. L’écrit est limpide, sans recherche de style compliqué, sans recours à la rhétorique qui permet de combler les déficits en matière de relation des faits. Ce qui s’énonce bien, s’exprime clairement et les mots pour le dire arrivent aisément, une vieille sentence qui en dit long sur la simplicité des propos.
Ce qui étonne aussi chez ce vieux chef guerrier, c’est sa capacité à l’abnégation. Plusieurs fois victime de mauvaises appréciations de son action, il refuse de mettre cela sur le compte d’une inimité personnelle que lui vouerait le Président Mokhtar Ould Daddah pour lequel il a gardé un respect indélébile malgré toutes les incompréhensions. Quelqu’un d’autre aurait facilement invoqué les appartenances régionales, les conflits d’intérêt pour expliquer l’adversité du décideur. Yahya Ould Menkouss préfère expliquer ses mises à l’écart impromptues et souvent inexplicables, par les combines de l’entourage de la Présidence de l’époque. On en sort avec la certitude que cette valeur traditionnelle qu’est «al inçaav» - mélange d’équité, de tolérance, de justice et d’abnégation – est le fil conducteur de l’action de l’homme.
Nous avons tendance à négliger ces acteurs, à leur dénier le souci de l’intérêt général, de croire qu’ils sont la négation de l’Etat pour ce qu’ils sont socialement… Ceux parmi nous qui ne les connaissent pas – et ils sont malheureusement l’écrasante majorité de l’élite aujourd’hui – ne peuvent les apprécier. Alors que les générations qui les ont suivis ont essayé de leur coller l’image d’une classe rétrograde incarnation de tous les conservatismes.
C’est dommage parce que les gens comme Yahya Ould Menkouss ont beaucoup de choses à nous dire. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux. Surtout quand, comme lui, ils évitent de remanier l’Histoire, de ruminer de vieilles rancœurs, cherchant à assouvir une vengeance qui décrédibilise ce qu’ils ont à dire et embrouille le message par une rhétorique qui ajoute à l’artifice d’une mémoire largement affectée.

Merci à Yahya Ould Menkouss qui m’a permis de lire avec plaisir un parcours mouvementé pour redécouvrir ce qu’il fut réellement et, à travers lui, ce que furent les hommes de son époque.