samedi 14 septembre 2013

Nous émanciper et nous unir

Nous avons tous tendance à magnifier le passé pour en faire l’objet de nos lamentations, de nos regrets. Les Hassanes de chez nous disent que ce qui empêchent les Marabouts de dominer le Monde, «c’est le fait de ressasser continuellement le passé». En fait, à force de ruminer le passé, il finit par perdre toute valeur «nutritive». Il devient juste un morceau de tissu qui a perdu toutes ses couleurs et sa consistance à force d’être mâché et remâché.
Dans l’une de ses célèbres correspondances aux illustres personnages du passé, Habib Ould Mahfoud disait que «le seul mérite du passé est qu’il est passé». Soit.
Le passé sert à éclairer le présent, à mieux l’asseoir en l’expliquant. Encore faut-il assumer son passé. Ce qui n’est pas le cas des Mauritaniens qui refusent de regarder en face ce passé fait AUSSI de razzias, de justifications de l’arbitraire, d’inégalités, d’injustices perpétrées par les uns et les autres, d’indignités…, et pas seulement de grandeurs édulcorées, de courage, d’abnégation, de piété, de ferveur religieuse… Le passé appartient aux classes dominantes qui ont souvent exercé leurs pouvoirs sans se soucier des conditions des plus faibles, sans même respecter les règles édictées par l’Islam, religion au nom de laquelle s’exerçait une part de cette domination : pour beaucoup, l’état de subordination allait de soi parce qu’il s’agissait d’un ordre céleste qu’il ne fallait pas déranger.
Les valeurs nées de cet ordre-là ne sont pas forcément les meilleures. Les plus nobles d’entre elles n’ont jamais été respectées par la société. D’où notre tendance à toujours enfreindre les lois et règlements. Dans notre entendement, les lois, qu’elles découlent du Livre Saint, de l’exercice des hommes et de leur Morale, ces lois ne sont pas faites pour être respectées. Maximes et sagesses restent de l’ordre de la légende.
Quand survient l’Etat moderne, ce fut une chance pour repartir sur de nouvelles bases. Celles qui consacrent la citoyenneté et l’Etat de droit. Qui dit «citoyenneté» dit égalité entre tous les habitants du pays. Qui dit «Etat de droit» dit justice dans l’exercice quotidien du pouvoir, sécurité du citoyen, préservation de sa liberté, régulation des rapports entre ses citoyens, égalité de traitement devant les Institutions, élimination de tous les privilèges liés à la naissance et/ou ceux indus, égalité devant la redistribution des ressources communes…
Nous n’avons peut-être pas voulu de cet Etat qui a fait partie du legs colonial. Mais avons-nous jamais voulu de la colonisation ? des migrations de pays en pays ? de tribalisation ? avons-nous jamais voulu être ce que nous avons fini par être ?

En fait, nous ne sommes que le produit d’une conjugaison se faisant dans tous les temps et à tous les modes. Celle qui a fait de nous un mélange d’africanité (noire et berbère), d’arabité et probablement d’européanité. Que l’on soit Arabe (Bidhâne), Peuls, Soninké ou Wolof, on est ce produit-là. Et rien d’autre que l’Etat de droit moderne ne peut nous unir. Un Etat qui a pour ambition de nous réunir en une somme d’individus égaux et respectueux les uns des autres. Un Etat capable – et voulant – nous émanciper de l’ordre inique qui a régi notre vie et nos rapports jusqu’à présent. Le Pacte fondamental est celui-là. Rien d’autre.