vendredi 16 mars 2012

Une pensée pour eux


16 mars 1981… un lundi… il est neuf heures du matin quand crépitent des tirs de kalachnikovs dans les environs de la présidence. Moins d’une heure après tout le monde savait de quoi il s’agissait.
La première impression de l’étudiant que j’étais, est que tout le monde de Nouakchott était au courant de la folle équipée de ce groupe de vaillants officiers et sous-officiers et comptant quelques civils convertis pour l’occasion en militaires.
En réalité, nous le saurons plus tard, les autorités avaient été averties de l’arrivée et même des détails du projet du groupe. C’est pourquoi le président du CMSN Ould Haidalla était parti par avion vers le nord. La réunion du comité militaire de salut national initialement prévue ce jour-là fut reportée. Et chacun des hommes du pouvoir regagna son poste d’affectation.
On se demande encore aujourd’hui par quel canal les autorités avaient été averties. On accuse quelques personnalités de l’aile politique de l’Alliance pour une Mauritanie démocratique (AMD) d’avoir averti des parents et/ou des alliés pour être «du bon côté». On dit que ceux-ci auraient averti qui de droit. L’AMD, comme toutes les organisations politiques, était hautement infiltrée par les services de renseignements de l’époque. Il n’y a pas donc lieu d’être surpris si tout le monde était au courant.
Les colonels Kader et Ould Sidi sont arrêtés. Un seul des assaillants, Ahmed Ould N’deyatt, réussit à échapper aux services de sécurité et à gagner le Sénégal voisin. S’en suivit la plus grande rafle jamais opérée en Mauritanie : plus de quatre mille personnes se retrouvent en prison ou en résidence surveillée. Le délit de parenté fait son apparition en Mauritanie. Un procès est vite organisé. Des condamnations à mort dont quatre membres du groupe. La grâce est refusée par le président Ould Haidalla. Les quatre hommes sont exécutés et enterrés à la va-vite le 23 mars à Jreida…
Si j’en parle 31 ans après, c’est pour ne pas oublier ces moments de dérive profonde et de fortes douleurs pour nombre d’entre nous. Contre l’oubli de toutes les victimes, même s’il s’agit de militaires ayant participé à une tentative de putsch. Le fait que 30 ans après – l’année passée encore – le président de l’époque dit ne rien regretter, surtout pas le fait d’avoir refusé la grâce, ce fait nous oblige à rappeler les faits.
Je connais les deux colonels Kader et Ould Sidi. Pour des raisons évidentes, mes liens avec le second étaient beaucoup plus forts, beaucoup plus personnels. Je sais qu’ils étaient tous les deux brillants, honnêtes et profondément patriotes. Ils ne méritaient ni le parcours dans lequel les manigances des politiques de l’époque – les mêmes qui dominent la scène actuellement – les avaient menés, ni la fin qu’ils ont connu, encore moins l’oubli.
31 ans après, je ne pardonne pas à l’AMD, surtout pas à ses éléments politiques, le fait d’avoir poussé ses valeureux officiers et sous-officiers sur la voie du complot irréfléchi. J’attends depuis tout ce temps, des explications de ces hommes politiques qui continuent à encombrer notre espace public, sans vergogne et sans regrets.
Dans ce pays, les relations entre civils et militaires ont toujours mal fini. Chaque militaire qui entre sur la scène politique a été poussé par un groupe politique déterminé. Quand le coup aboutit à une prise de pouvoir, une période de grâce s’ouvre pour le groupe concerné, l’occasion d’exclure les protagonistes politiques, d’accaparer à soi tous les privilèges,de promouvoir les siens. Cela finit fatalement par la contestation, le blocage et un divorce entre les ailes militaire et civile du pouvoir. Toujours au profit de la première parce que la seconde (l’aile civile) n’a jamais eu les moyens de ses ambitions.
Si, par contre, le putsch n’ouvre pas sur une prise de pouvoir, les militaires sont abandonnés à leur sort et vite oubliés par les politiques qui les ont poussés sur cette voie. A ceux-là, à tous ceux-là je dis : honte à vous.