vendredi 9 janvier 2015

Reprise de la guerre contre la gabegie ?

Il promet depuis un certain temps d’activer l’arsenal mis en place pour lutter contre la gabegie. On l’attendait sur les récentes affaires qui ont secoué le secteur financier à commencer par les banques puis le trésor public. Le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a enfin réagi en nommant un nouveau Gouverneur à la tête de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) et un nouvel Inspecteur Général de l’Etat (IGE).
Le nouvel IGE est Mohamed Lemine Ould Guig, ancien Premier ministre du temps de Ould Taya, ancien président de la Cour des Comptes et professeur de Droit à l’Université de Nouakchott. Le courage physique de l’homme a toujours été mis en avant pour expliquer son incapacité à s’adapter et à prendre ses marques du temps de la prédation. A chaque fois, il a vite été rejeté par le corps des hauts fonctionnaires composés essentiellement de prédateurs aguerris. Cette expérience lui servira à redorer le blason de l’IGE en imposant aux décideurs de donner suite à ses inspections et en rendant plus visible son action.
A la BCM, c’est Aziz Ould Dahi qui arrive. Tout le monde lui reconnait des qualités de compétence, de rigueur dans la gestion, d’humilité dans le comportement… Tout ce qui peut faire la réussite à la tête d’une institution aussi importante que la BCM. L’ancien ministre de la modernisation de l’administration et jusque-là directeur de la CNAM, préside aussi un cercle de réflexion, Mauritanie-Perspectives (MP) qui a vocation de proposer des réponses aux problématiques de développement, notamment la mal-gouvernance.
Ces nouvelles nominations arrivent dans un contexte particulier. Le système bancaire vit actuellement l’une de ses crises majeures avec le retrait de deux agréments, celui de la Maurisbank et celui de la FCI, une société financière d’investissements qui a monté le fameux Sukuk. Ce retrait est prématuré dans la mesure où on ne semble pas avoir cherché à trouver des solutions à ces deux problèmes, notamment celui de la Maurisbank.
Voilà une banque qui ne participe plus à la compense depuis près de huit mois, sans que cela suscite chez l’autorité de tutelle, la BCM, une quelconque réaction. Inutile de revenir sur les conditions de sa création et sur tout ce qu’on raconte sur le cursus de son promoteur, l’homme d’affaires Ahmed Ould Mogueya dont ce ne sont pas là les premiers démêlés avec le système bancaire.
Il suffit de s’en tenir au manque de prévoyance et à l’indulgence du contrôle des banques en général, vis-à-vis du processus de faillite de la Maurisbank. Comment la BCM n’a rien vu venir ? Pourquoi avoir attendu des mois pour réagir ? Pourquoi passer directement au retrait de l’agrément de la banque sans procéder à des tentatives de sauvetage dont certaines sont prévues par la réglementation ? Pourquoi par exemple la BCM n’a pas décidé la mise sous tutelle de la Maurisbank quand quelques dysfonctionnements sont apparus, notamment quand elle a commencé à s’absenter de la compense ?
Cette odeur de complicité se dégage aussi quand on découvre que de nombreux importateurs payaient les droits de douane en chèque certifiés par la Maurisbank. Les chèques sont ensuite déposés à la direction du Trésor pour être soldés auprès de la BCM. Seulement il est à remarquer qu’on laissait s’empiler les chèques au niveau du trésor. Jusqu’à hauteur de cinq milliards environ. Qui laissait faire ainsi ?
Le coup de balai que le Président de la République semble vouloir donner passe nécessairement par l’assainissement de la situation au niveau du ministère des finances. Pour se demander comment a-t-on laisser faire tout ce temps ? Pas seulement ces chèques, mais aussi la prédation qui a déjà abouti à la découverte de malversations au niveau des directions régionales et qui ont occasionné près d’une dizaine de milliards, rien que sur ce qui a été révélé.
Au niveau du Trésor, il y a deux payeurs, l’un suivant la situation extérieure, l’autre celle intérieur. Si le premier doit gérer des mouvements qui se font trimestriellement surtout, le second suit des mouvements quotidiens.
Il y a quelques années, la direction du Trésor avait demandé aux banques primaires de lui permettre l’accès direct aux comptes ouverts par ses bureaux de l’intérieur. Ce qui permettait un suivi immédiat des versements.
L’absence du système Rachad au niveau de l’intérieur est compensé par ce suivi et par l’existence d’une direction appelé pompeusement la Direction de l’audit et du contrôle. En réalité, cette direction n’a pas su créer un cadre lui permettant de bien remplir sa mission. En plus de l’absence d’un statut spécifique des auditeurs et d’une Charte pour engager leur moralité, il y a aussi une faiblesse de taille : absence de tableau de bord et de code de procédures pour l’audit. Les pesanteurs sociales et les carences personnelles viennent s’ajouter aux conditions déjà objectivement mauvaises.
Face au percepteur, l’auditeur/contrôleur qui n’a pas exploité le système d’information existant – les données au niveau de la BCM par exemple, l’état des comptes des différentes perceptions, de ceux des communes… -, cet auditeur ne peut que se satisfaire de ce que lui dira le percepteur. Le contrôle se résume alors à un arrêt de caisse et ne va pas au-delà des mouvements qui seront présentés par le percepteur qui peut alors surestimer les notifications de besoins (dépenses), sous-estimer les provisionnements et/ou gonfler les avances faites pour combler les déficits des communes.
Vient s’ajouter à ces données favorables à la mauvaise gestion et à la prédation, le système maffieux qui s’est installé peu à peu au ministère des finances et surtout dans les représentations régionales du Trésor. L’inamovibilité de certains responsables et l’obligation pour le ministère de procéder à des permutations au lieu de nommer et dénommer au bout d’un temps donné. Finalement ceux qui succèdent apprennent rapidement de leurs prédécesseurs, les mécanismes frauduleux qui ont été suivis jusque-là. Parce qu’ils pensent en user, ils protègent et couvrent ces prédécesseurs. Jusqu’à quel niveau la complicité existe ? C’est ce que le nouvel IGE doit découvrir au plus vite. Parce qu’il en va du système des finances déjà sérieusement affecté par l’incompétence ou la mauvaise volonté de ses responsables. Sinon comment expliquer les problèmes autour de l’appui budgétaire accordé par l’Union européenne (UE) ?
Mais la tâche de Aziz Ould Dahi, le nouveau Gouverneur de la BCM est plus urgente et demande beaucoup plus de tact. Il ne suffit pas de corriger les problèmes immédiats liés à la situation de la Maurisbank qui a désormais la latitude d’engager et de gagner un procès contre la BCM, tellement la procédure a été mal faite de bout en bout, il faudra aussi redresser ce qui peut l’être d’un système bancaire fragilisé par des pratiques peu orthodoxes.
D’abord sur le nombre des banques : une vingtaine de banques agréées pour une population d’environ 100.000 clients (les comptes sont estimés à 300.000) et une activité économique relative. Sans compter les institutions financières de microcrédits et celles des particuliers.
La décision de retirer les agréments révèle l’absence d’une garantie pour les déposants. En effet la BCM indique ainsi qu’elle ne garantit pas les banques primaires, la solidarité interbancaire qui a prévu un fonds alimenté régulièrement pour intervenir dans de tels cas, cette solidarité ne suffit pas à elle seule. Dans le cas de la Maurisbank, cette solidarité ne peut prévaloir dans la mesure où la BCM a tué cette banque.
Dans un pays où la bancarisation a toujours été un obstacle, il est à craindre de voir les gros déposants retirer au plus vite leurs avoirs parce qu’ils savent désormais que personne ne garantit la banque où ils ont choisi de déposer leur argent.
A tous ces problèmes il faut ajouter la nécessité d’assainir le portefeuille de chaque banque primaire, les prêts sont souvent accordés sur des bases clientélistes, parentèles ou affairistes, toujours subjectives.
C’est dans cette fourmilière que le jeune Aziz Ould Dahi devra mettre les pieds. C’est ce cocotier qu’il devra secouer. La question ici n’est pas de savoir s’il a les coudées franches ou si la volonté politique de vouloir assainir le système est réelle, mais la question est de savoir s’il y a le temps pour cela.