mercredi 17 septembre 2014

De l’ami Kane Hamidou Baba

A la suite d’un posting qui a visiblement suscité beaucoup de réactions – parfois des incompréhensions chez certains de mes amis -, j’ai reçu ce message de mon ami Kane Hamidou Baba, président du Mouvement pour la Reconstruction (MPR). Comme je fais d’habitude, je le partage sans commentaire, comme si je le traitais en droit de réponse. L’occasion de rappeler à mes confrères qu’un «droit de réponse» est nécessairement accordé à une personne ou une institution ayant jugé qu’elle a été citée dans un article sans lui donner la possibilité de se prononcer sur les questions soulevées, non à quelqu’un qui n’a pas été cité et qui se contente de prendre la défense d’un allié ou d’un payeur.
Je sais cependant que le texte ici est plus une réponse-clarification à un ami qu’un droit de réponse.

«Cher ami, Bonjour,
Je suis à l’étranger depuis quelques semaines et mon attention a été attirée par l’un de tes brillants éditoriaux relatif au Congrès des FLAM. La critique que tu as portée contre ceux qui dénonçaient la présence de Jemil O/ Mansour à cette manifestation est d’une lucidité implacable. Heureusement, qu’il y a encore des mauritaniens qui ont la tête sur les épaules! Seulement, au détour d’une phrase, tu classes le MPR parmi les « partis sectaires ». Dans une autre livraison, tu avais également affirmé que le MPR était un parti nationaliste négro-africain. Naturellement, tout en te reconnaissant, ta liberté de jugement, je ne suis d’accord avec aucun de ces qualificatifs. Sauf, bien sûr, à me dire qu’en Mauritanie, un parti politique dirigé par un négro-africain est nécessairement nationaliste et/ou sectaire ? Et là, je dis tout de suite, attention de tomber dans les stigmates que toi-même tu dénonces ! Il me semble que la ligne d’un parti se définit avant tout par son programme et par les actes que ses dirigeants posent ; et au premier rang desquels, le Président du Parti lui-même. En ce qui concerne le programme du MPR, que j’ai moi-même largement inspiré, ses quatre piliers sont : une politique active d’intégration nationale ; l’enracinement de la démocratie ; le respect des droits de l’Homme ; et le développement économique et social dans l’équité. Vaste programme, me diras-tu ! Sur la question de l’intégration nationale et qui est notre crédo, instruits par l’expérience malheureuse vécue, par la communauté négro-africaine dans son rapport à l’Etat, mais qui a déteint sur ses rapports avec la communauté maure, nous prônons un Nouveau Pacte de Confiance, reposant sur un double contrat : entre l’Etat et les communautés d’une part ; entre l’Etat et les citoyens d’autre part. Je n’entrerai pas ici dans les détails, mais ce qu’il faut retenir : Sans renoncer à l’objectif fondamental de citoyenneté pleine et entière, il faut faire des concessions aux groupes primaires, au sens sociologique du terme, composantes nationales et sociales, y compris haratines, parce que la gestion délicate de ces questions a été menée par des politiques inappropriées, passe-moi l’expression «imbéciles» !
Evidemment, sauf à se réfugier dans la contemplation de l’observateur froid qui analyse les contradictions sociales, nous autres politiques, sommes condamnés à rechercher et à trouver des solutions. Or, je sais que depuis la Conférence de Bakou (1921) et peut être avant, les questions nationales ont toujours interpellé les révolutionnaires et démocrates. Ces questions sont à l’origine de l’éclatement de l’Union Soviétique, des problèmes dans les Balkans et plus près nous des conflits encore ouverts en Afrique. Malgré notre situation en Mauritanie, observant tous ces phénomènes de guerre sans merci entre frères de même race en Afrique, le cas du Sud Soudan est à cet égard caricatural, j’en arrive donc à relativiser nos problèmes faussement raciaux, faussement ethniques. Mais, j’ai appris à Sciences Pô qu’une question n’est jamais éternellement principale ou secondaire, elle l’est, lorsque les contradictions sociales en font une question principale. Ma conviction est que si les negro-africains de Mauritanie se dotait d’un Etat, peut-être plus qu’une autonomie telle que réclamée par les FLAM, ils allaient vite s’entre-déchirer entre Pulaar et Soninkés, entre Pulaar et Wolof, ou entre Pulaar eux-mêmes, parce qu’à la base le fait ethnique a été surdéterminant dans la création de cet ensemble autonome. Il en serait d’ailleurs de même si on avait créé un Etat ou un ensemble maure. Le fait tribal, voire régional eut été surdéterminant. Voilà pourquoi je suis un défenseur impénitent de l’intégration nationale. Sur ce point, tous les régimes passés n’ont, au mieux  qu’incarner ce problème de notre pays, sans jamais le résoudre ; les hommes ordinaires que nous sommes, devront bien tentés de le résoudre.  
Enfin, en ce qui concerne les dirigeants du MPR, et au premier rang desquels moi-même, j’ai bien la prétention d’être un patriote, mais pas un nationaliste ! En 1995, quand je suis rentré au pays à la suite d’une longue mission de consultation à la BAD (2 ans), j’ai trouvé à mon retour que l’écrasante majorité des négro-africains avait quitté l’UFD/EN, je ne les ai pas suivi, malgré l’insistance de certains cousins. Je leur avais dit textuellement ceci : « Moi, vous savez que je suis l’un des auteurs de la Déclaration de politique générale de l’UFD, je me suis absenté du pays pendant deux ans et à mon retour, j’ai trouvé qu’on n’a pas changé une virgule de cette Déclaration ». Bref, je ne situe pas mon engagement politique dans une dynamique communautaire, mais de principe.
J’aurai pu aussi te parler de l’action personnelle que j’ai menée pour dissuader en 91 certains jeunes cousins et neveux sortis du mouroir de Walata et qui n’avaient qu’une idée aller rejoindre la lutte armée des FLAM. Je ne l’avais fait pour le compte d’aucun régime et c’est peut-être bien la première fois que j’en parle ! Tout le monde connait les liens particuliers qui m’unissaient à Saidou KANE (Paix à son âme), au-delà de la parenté ; et je peux dire sans fausse modestie que j’ai le plus contribué à sa décision de faire abandonner aux FLAM la lutte armée, de démissionner des FLAM et finalement de rentrer au pays ! je ne l’avais fait pour le compte d’aucun régime. Seule ma conscience m’avait dicté.
Quant aux autres dirigeants du MPR, ils viennent d’horizons divers : de toutes les communautés avec des ex-UFP, ex Plej, ex Flam, ex-Prds, ex-Baasistes, et bien sûr ex-RFD. Mais, il y a surtout des mauritaniens lamda qui veulent faire la politique autrement et qui m’accordent leur confiance. Ils savent aussi, qu’ils soient Maures ou Négro-africains, que je n’ai pas de couleur et que j’ai déjà sanctionné au sein du Parti les dérives sectaires qui risquaient de le miner, quitte à me séparer de certains soutiens de la première heure. Tu peux le vérifier auprès de Sidi O/ Kleib.
Enfin, enfin, ce n’est pas à quelqu’un de Mederdra à qui je vais apprendre que j’ai la conscience historique d’être un multi culturaliste, appartenant à une longue lignée où le brassage des peuples a été rendu possible par des stratégies matrimoniales et une intégration qui a permis à la tribu des Oulad Deyman de devenir les collecteurs d’impôts pour le compte de Elimane Seydou Hountou Racine dans ce Grand Dimar, Saidou Kane dirait Damashg, qui envoyait aussi ses enfants auprès des lettrés Deyman pour leur inculquer le savoir coranique.
 Ce que nous ancêtres ont fait, avec les moyens qui étaient à leur portée, nous pouvons faire mieux !
Si j’ai tenu à faire cette mise au point, je ne m’adresse pas au journaliste, mais à l’intellectuel pour lequel j’éprouve un profond sentiment d’estime et de respect. Ceci n’est donc pas un droit de réponse.
Cordiales salutations»
Hamidou Baba KANE, en vacances au Maroc.