mardi 18 juin 2013

L’Ouguiya célébrée

C’est aujourd’hui que la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) a choisi de célébrer les quarante de son existence… un anniversaire qui se confond avec celui de l’Ouguiya, notre monnaie nationale. C’est en mai 1973, alors que le pays vit une sécheresse dont les effets sont catastrophiques sur l’environnement et sur la richesse animale, que la Mauritanie lance sa monnaie nationale : l’Ouguiya qui remplace le Franc CFA.
Le gouvernement de feu Moktar Ould Daddah accomplissait ainsi le troisième objectif de son programme qui vise à faire jouir le pays de l’indépendance politique (avec la révision des accords avec la France), de l’indépendance culturelle (avec l’arabisation du système éducatif) etde l’indépendance  économique (avec la nationalisation des richesses minières et la création de la monnaie nationale). C’était aux temps où les bêtes parlaient… aux temps où les élites avaient des visions qui les orientaient, des objectifs qu’ils voulaient atteindre et une saine lecture du devenir commun.
Comme tout le reste, l’ouguiya commença à se dégrader avec l’économie dans les années 90. La guerre du Sahara, et surtout le cumul des gestions catastrophiques des périodes 1978-80, 1980-84 et 1984-2005, tout cela va entrainer une dépréciation générale du pays, de son économie, de ses hommes… dévaluation, dépréciation, glissement… des mots pour dire une descente aux enfers pour une économie, un pays, un peuple… de «pays en voie de développement», à «pays (d)es moins avancés», à «pays pauvre», à «pays pauvre très endetté»…
Pour éviter de devoir faire l’historique d’un parcours chaotique, je choisis de me contenter du rappel suivant.
C’est en octobre 1992 que la monnaie connait sa première dévaluation officielle : elle perd 42% de sa valeur face au dollar qui est la monnaie de référence ici. Je rappelle que c’est l’occasion de la plus grande arnaque à ciel ouvert dans le pays : les hommes d’affaires (privilégiés, déjà) obtiennent la possibilité d’amasser le maximum de fonds qu’ils se font transférer aux anciens taux. Il leur suffira de remettre les devises sur le marché pour faire les bénéfices les plus faramineux, du jamais vu en Mauritanie.
Depuis cette date, la BCM est devenue l’une des plateformes du «thieb-thiib» officiel. Avec le ministère des finances (parfois du plan devenu «affaires économiques») et le Cabinet présidentiel, la BCM finit par former ce que l’on a appelé à l’époque «le triangle des Bermudes de l’économie mauritanienne». Pour ce qu’il engloutit de fonds noirs (et blancs) destinés à entretenir des renseignements toujours plus gourmands et une clientèle boulimique. Il n’y a pas que les passe-droits et les traitements privilégiés, il y a aussi les délits d’initié, les virements de fonds pour compenser les efforts de tel ou tel groupe dans une campagne électorale, l’octroi des agréments pour de nouvelles banques, le traitement de faveur pour certaines d’entre elles… tout ce qui a fait la gouvernance qui a détruit l’économie du pays toutes ces années. Et sa crédibilité. Parce qu’avec les faux chiffres produits par la BCM (et certains de ses cadres qui vont devenir les sorciers de l’étape), le pays entame un bras de fer avec les institutions financières internationales qui finissent par lui imposer leur diktat.
Il faudra attendre l’arrivée à la tête de la BCM d’un jeune cadre formé à la représentation de la Banque Mondiale pour voir un début de redressement. Avec notamment la reconnaissance de l’usage de faux et l’engagement d’une politique d’assainissement du secteur. Heureusement pour Zeine Ould Zeidane que le coup d’Etat du 3 août 2005 réussit. Il peut alors bénéficier d’un soutien politique franc. Mais il est emporté par la politique. Le processus de réhabilitation était quand même lancé.
Il fallait autonomiser la BCM et son gouverneur, réhabiliter son rôle dans le contrôle bancaire, stabiliser la politique de change, renforcer son rôle de régulateur du marché financier… Sur le plan institutionnel, de réelles avancées ont été faites. Sur le plan pratique, il faut signaler (et souligner) la baisse considérable du taux d’intérêt dans le marché des bons du trésor (qui passe de 11-14% à 2,5-3%), l’existence d’une réserve d’un milliard de dollars pour couvrir les importations (on est loin des périodes où le pays ne pouvait assurer au-delà de quelques semaines), la disparition des fonds noirs, notamment des traitements de faveur dans la disponibilisation des devises…
Manque cependant quelque chose… quoi ? «khammm !!!»
En 2004, la politique dite «d’assèchement monétaire» semble comprise comme une panacée par la BCM qui s’en sert pour tout expliquer. Aux termes d’une mission du FMI, j’écrivais alors dans les colonnes de La Tribune : «La mission met cependant en demeure les autorités dont elle exige «le maintien d’une politique monétaire prudente». Dans le jargon consacré, il s’agit de l’approche dite «assèchement monétaire». Approche qui a été l’explication officielle des problèmes de liquidité survenus en 2002 et 2003.
Pour les économistes, on parle d’assèchement monétaire quand on a choisit de raréfier la monnaie. «Tout ce qui est rare est cher». Partant de ce principe on espère donner de la valeur à la monnaie nationale. Dans un pays où l’économie est fortement privatisée, cela se traduit par la hausse des taux d’intérêt : ceux qui ont l’argent le placent pour gagner plus, ceux qui n’en ont pas font peu d’emprunts. Du coup la masse monétaire en circulation diminue. Dans les économies où l’Etat est encore très présent, la procédure consiste à diminuer de façon drastique, les dépenses de l’Etat. Dans l’un comme dans l’autre cas, le résultat devra se traduire par une maîtrise des prix à l’intérieur et le contrôle de la valeur de la monnaie nationale face à la devise.
Dans le cas de la Mauritanie, l’erreur de la BCM à l’époque, est d’avoir rationné l’alimentation en liquidité des banques primaires. «Il n’a jamais été question d’encourager une politique visant à refuser à un opérateur la jouissance de ses avoirs». Notre interlocuteur fait allusion aux multiples cas de refus des banques d’honorer le versement de chèques émis sur des comptes pourtant provisionnés. C’est la période, heureusement dépassée aujourd’hui, où il fallait faire le pied de grue devant les comptoirs des banques primaires pour avoir son argent !
Cette situation est donc le fruit d’une lecture erronée d’un concept, celui de l’assèchement monétaire.»

Heureusement qu’il est loin ce temps où le pays devait faire appel aux méthodes les moins orthodoxes pour boucler ses programmes et, parfois, ses fins de mois.