vendredi 13 avril 2018

Politique : L’opposition dans tous états


Si dans le camp de l’opposition impliquée dans le processus de dialogue, donc dans «l’institutionnel politique», on attend plutôt calmement la désignation d’une nouvelle Commission électorale nationale indépendante (CENI), c’est l’ébullition dans le camp de l’opposition dite radicale. Ce terme désignant ceux qui avaient refusé de participer aux différents dialogues entrepris ces dernières années avec le pouvoir. Le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) et le Rassemblement des forces démocratiques.

La confrontation impossible

En fait la construction de ces rassemblements de l’opposition, a obéi à une logique de confrontation, toujours annoncée et chaque fois reportée faute de moyens. Elle découle d’une conclusion : «Si Ould Abdel Aziz appelle (ou propose) le dialogue, s’il accepte de discuter, c’est soit parce qu’il est malade, soit parce qu’il est aux abois. Accepter son offre, c’est le sauver d’une fin imminente et inévitable».
C’est cette logique qui a présidé à la création de la Coordination de l’Opposition démocratique (COD) et quand celle-ci a échoué dans le processus du «dégagisme», elle a été remplacée par le FNDU, lequel a été (presque) «absorbé» par le G8 pour permettre l’entrée de courants encore plus radicaux. Mais rien de tout ça n’a servi finalement. Tous ces courants de l’opposition se retrouvent aujourd’hui obligés de participer à un processus électoral dont ils ont refusé jusque-là l’éventualité. Rejetant de participer à ses démarches préparatoires que furent les dialogues successifs entre le Pouvoir et une partie de l’Opposition.
Rien de plus prévisible que cette fin pourtant. C’est donc sans surprise que le FNDU, par la voix de son président actuel, Mohamed Ould Maouloud, vient d’annoncer qu’il participait aux futures élections. Sans conditions et surtout sans préalables.
Le RFD quant à lui attend encore, mais le camp de la participation semble le plus fort. Même s’il existe un courant prônant le boycott et qui serait discrètement appuyé par Ahmed Ould Daddah, le président emblématique du parti. L’argument fondamental est celui de l’inutilité d’entrer en négociations avec un pouvoir dont on sait d’avance qu’il ne respectera pas ses engagements. «Il faut éviter de légitimer un processus qui vise au plus la pérennisation d’un système qu’on combat depuis tout ce temps». Il est sûr cependant qu’on prendra ici en considération la menace de dissolution du parti après l’absence à deux élections successives.
C’est pourquoi, malgré les réticences qui relèvent plus de positions individuelles, la tendance générale est celle de la participation. Cette tendance est d’ailleurs une décision prise sans ambages. Même si…
Des sites ont fait état de l’ouverture d’une négociation secrète entre le Pouvoir (ou la Majorité) et le FNDU. Que cette négociation a eu pour entrer en matière la question de la représentation du regroupement dans le choix de la CENI dont la formation est imminente. Le FNDU exigeant qu’il lui revienne de nommer deux des onze membres de la CENI.
Première réaction du FNDU : démenti catégorique de la part du bureau de la communication. Puis refus de donner des explications de la part du président en exercice du FNDU, Mohamed Ould Maouloud lors de la sortie de vendredi dernier. Pour enfin reconnaitre devant les compagnons du G8 (devenu G7 avec le départ des Forces du Changement, ancien FLAM), avoir entrepris des approches du genre.
C’est ce caractère «cachotier» qui imprime aux acteurs politiques mauritaniens cette image de «faux» qui leur permet d’entretenir un flou permanent sur ce qu’ils entreprennent. Ce qui va influer sur le cours des évènements et empêcher toute pacification de la scène politique. Ce qui explique aussi la désaffection du public vis-à-vis du politique.

De dialogue en dialogue

En juillet 2010, le chef de file de l’opposition démocratique avait (enfin !) accepté de rencontrer le Président Ould Abdel Aziz dont il ne reconnaissait pas la légitimité. Les partis de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) avaient alors amorcé un mouvement de rapprochement avec le pouvoir, suivi de peu par les Islamistes de Tawaçoul qui allaient finalement rejoindre la Coordination. Seul le Président Messaoud Ould Boulkheir semblait hésitant, posant une condition : que le Président Ould Abdel Aziz exprime publiquement la demande de dialogue. Ce qui fut fait le 28 novembre 2010, à l’occasion du message à la Nation.
La COD engagea une réflexion interne sur une plate-forme commune qu’elle devait présenter lors de ce qui allait être les conciliabules pour un vrai dialogue. Survinrent les évènements de Tunisie et d’Egypte. La COD exigea alors le départ de Ould Abdel Aziz. Seuls les partis APP de Ould Boulkheir et El Wiam de Boydiel Ould Hoummoid (rejoint par Sawab de Abdessalam Ould Horma) continuèrent dans la logique du dialogue. La cérémonie d’ouverture de ce dialogue fut solennelle. Le Président de la République ouvrant lui-même le processus. Quelques semaines suffiront à faire le tour des questions, celles initialement fixées par le document de la COD que les «dialoguistes» se sont appropriées. Une commission chargée du suivi des résultats de ce dialogue fut mise sur pieds. Elle réussit à faire passer toutes les réformes, y compris les plus complexes (réforme constitutionnelle, esclavage, augmentation de la représentation populaire…).
Deux ans (ou presque) pour mettre sur pieds une CENI chargée de mener le processus électoral de bout en bout. C’est elle qui annonce la date des élections, qui reporte cette date après accord politique, qui engage le recensement à vocation électorale et qui doit superviser le scrutin.
Alors qu’elle voyait les portes se refermer devant elle, la COD a finalement accepté de renoncer à son exigence de départ pour accepter enfin de discuter avec la Majorité des conditions qui lui permettront de participer. Profitant des avances faites par le Président Ould Abdel Aziz lors de sa conférence de presse à Néma (août 2013). Autour de trois axes principaux : report de la date des élections, ouverture de la CENI et création d’un Observatoire des élections. En plus, s’il y a lieu, d’un audit du fichier électoral. Le report fut décidé : du 12 octobre au 23 novembre. Mais la prise de conscience du danger d’une CENI partisane empêcha de traiter la question.

Manœuvres dilatoires

La composition de la délégation de la COD renseigne amplement sur ses intentions. On perdra du temps à expliquer à certains des membres de la délégation de quoi il s’agit, alors que d’autres se moqueront bien du temps que cela prendra et de la tournure que cela prendra. Le président Mohamed Ould Maouloud a toutes les capacités pour mener à bien des négociations, même s’il a en face de lui le chef de délégation de la Majorité qui lui a arraché l’Accord de Dakar (Mohamed Yahya Ould Horma). Mais Ould Maouloud ne peut pas compter sur le concours de ceux qui l’accompagnent, leur niveau étant ce qu’il est. La tactique fut de tenter de trainer pour faire perdre le temps et arriver à l’échéance pour obliger, encore une fois, à la reporter. Ce qui n’a pas réussi.
Le dialogue rompu, la COD appela «à faire échouer le processus électoral unilatéral». Nouveau boycott sauf pour Tawassoul, la deuxième grande composante du regroupement après le RFD. Les élections ont lieu, ce qui permet à Tawassoul d’entrer dans le jeu institutionnel et même de prendre le leadership de l’Institution de l’Opposition démocratique.
En mars 2014, une nouvelle entame de dialogue est lancée. Trois pôles sont impliquées : le Pouvoir (Majorité), la Coalition pour l’Alternance Pacifique (CAP regroupant APP de Messaoud Ould Boulkheir, Wi’am de Boydiel Ould Hoummoid et Sawab de Abdessalam Ould Horma) et la COD.
La Majorité a tout intérêt à garder le statu quo car elle n’est jamais sûre de faire les mêmes scores qu’elle a réalisés au cours des dernières élections. Encore moins de faire le score espéré pour la présidentielle qui suit (passage au premier tour). Il vaut mieux pour elle, tout en déclarant sa disponibilité à faire toutes les concessions nécessaires, de laisser le temps passer pour donner l’impression que la partie adverse fait blocage.
Pour la CAP, laisser la COD au bord du chemin sert certainement dans la démobilisation de ses militants et pourquoi pas dans leur débauchage éventuel. En attendant, sa mise à l’écart permet d’assouvir au moins quelques vieux ressentiments.
Pour le FNDU, la diversité des intérêts et des stratégies déployées par les uns et les autres ne laisse pas entrevoir une communauté de destin. Même au sein de la COD (qui devient le FNDU dans la foulée), les calculs ne paraissent nullement les mêmes. Entre l’UFP et le RFD, pour ne citer que les partis qui pèsent, les préoccupations sont différentes.
Pour le parti de Mohamed Ould Maouloud, l’heure est à la reprise de la ligne originelle perdue avec le boycott. Pour le RFD de Ahmed Ould Daddah, tout doit servir à compliquer la situation en espérant qu’un bouchon explosera quelque part. Parallèlement à ces deux grands partis dont la position est déterminante, les groupes d’influence manœuvrent plus ou moins ouvertement pour trouver l’occasion d’un placement.
Autre composante du FNDU qui doit avoir son agenda propre, Tawaçoul qui n’aspire pas à présenter un candidat la présidentielle de juin 2014, et déclare vouloir soutenir un candidat unique de l’opposition s’il en existe. Tout le monde sait qu’il n’en existera jamais. Donc, que le boycott soit ou non décidé, cela importe peu.

L’intransigeance mène à la capitulation

C’est naturellement le blocage qui s’en suit. Encore une fois le monde politique se laisse aller sans chercher à anticiper sur l’avenir. Le niveau du débat et ses objets restent les mêmes : dialogue inclusif sans toutefois préciser qu’est-ce qui peut en être l’objet. A entendre les plus radicaux, on croirait aisément qu’on en est encore à «exiger» le départ du Président Ould Abdel Aziz et de son pouvoir. Aucune leçon ne semble avoir été tirée de l’expérience des dernières années. On ne semble pas non plus croire que les élections législatives et municipales de 2013 et la présidentielle de juin 2014 constituent un tournant. Mais le plus grave est sans doute le refus de mettre en perspective l’échéance de 2019.
2019, c’est la fin du deuxième et dernier mandat du Président Mohamed Ould Abdel Aziz. Le Président a, par lui-même, décidé de respecter ces dispositions de la Constitution. Rien ne semble pouvoir l’amener à remettre en cause ses engagements et tout indique au contraire qu’il quittera tranquillement le pouvoir après avoir accompli ce qu’il a pu. On jugera plus ou moins sereinement du bilan, mais une chose est évidente : la Mauritanie a changé dans le sens d’une nette évolution qui lui ouvre de belles perspectives d’avenir.
Le retour sur la scène internationale, le règlement du passif humanitaire, notamment de l’esclavage avec la mise en œuvre d’une feuille de route visant à l’éradiquer, la liberté d’expression qui devient un acquis irréversible, et surtout la stabilité et la sécurité dans un environnement fragilisé par les conflits de toutes sortes. Quoi qu’en disent ses détracteurs, Mohamed Ould Abdel Aziz n’est pas resté les bras croisés.
En février 2014 pourtant on est en passe de parvenir à un accord qui vise la reprise des élections législatives et municipales pour permettre la participation d’un plus grand nombre de formations. Devant les élus de sa Majorité, le Président Ould Abdel Aziz insiste sur l’importance pour lui du dialogue «qui ne découle pas d’une conjoncture particulière – ni faiblesse du Pouvoir, ni menace sur sa pérennité – mais d’une conviction qu’il est nécessaire d’ouvrir la voie à tous les acteurs de la politique nationale pour leur permettre de s’impliquer d’avantage dans le devenir de la Nation». Mais non… encore un refus.
Une attitude grave et largement partagée : l’Opposition qui refuse de prendre acte et d’opter pour l’avenir dès à présent, la Majorité qui a peur de cet avenir qu’elle a toujours mal préparé. C’est un dilemme qui provoque l’inertie chez la classe politique.
L’avenir appartient à ceux qui auront compris que l’action politique a besoin de deux jambes pour marcher debout : la responsabilité et l’exemplarité.
L’exigence de responsabilité exclut tous les prophètes de malheur qui dépeignent continuellement de sombres présages pour le pays et qui sont donc incapables de véhiculer l’espérance en un futur viable.
L’exigence d’exemplarité exclut tous ceux qui, aux commandes et au service de différents pouvoirs, n’ont pas pu et/ou n’ont pas cherché à influer positivement sur les événements pour améliorer la gouvernance, pour promouvoir la citoyenneté et l’égalité, la justice et l’équité, la tolérance et l’humilité. 
C’est déjà trop demandé à notre classe politique. N’est-ce pas ?


Politique : Quand l’UPR s’implante…


Une chose est sûre : l’affluence sur les opérations d’implantation de l’Union pour la République est très forte. «Trop forte». Au point de faire douter une partie de ses responsables sur l’éventualité «d’un complot visant à ridiculiser le processus». Mais qui a intérêt à faire échouer le processus de renouveau de l’UPR ?
Les guerres internes faisaient présager des difficultés pour certains pans du pouvoir pour lesquels «l’heure de vérité a sonné». L’image du Premier ministre Yahya Ould Hademine venant s’implanter à Djiguenni, son village natal, n’a pas lassé de surprendre. C’est la première fois que l’on voit un Premier ministre se situer «géographiquement» pour marquer «son territoire». C’est que son clan a besoin d’un engagement politique «supérieur» pour ne pas perdre la face. Surtout que les résultats du dernier référendum sont encore présents dans les esprits : c’est bien ici que le taux d’abstention le plus faible du Hodh a été enregistré et ici que le «oui» a eu le moins d’adhésion.
On craignait la sécheresse qui devait empêcher la grosse affluence. On craignait la désaffection du politique en général. Rien de tout ça. Les foules se rassemblent autour des bureaux d’implantation et s’enregistrer devient un véritable parcours de combattant. La concurrence entre les factions a fait son effet : chaque chef de file veut faire la démonstration qu’il est incontournable.
Quand le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a lui-même donné le ton en allant s’inscrire sur les listes, ce fut un signal fort pour dire que «le Parti, c’est l’avenir». Au moins son avenir à lui. Surtout que les réformes adoptées, notamment celle instituant un bureau politique comprenant les chefs de l’Exécutif et du Législatif et présidé par le président du Parti, ces réformes annonçaient le renforcement de la position du futur président de l’UPR.
C’est aussi très probablement, à partir des performances durant l’implantation, que seront déterminées les candidatures à toutes les élections de cette année : les Législatives et les Locales (municipales et régionales).
Cet engouement inattendu laisse perplexe, y compris dans les rangs de la Majorité. En effet la plupart des acteurs avaient parié sur l’échec du processus après avoir vainement demandé le report sous prétexte que cela n’intéressera personne. Il n’y avait que le Président Ould Abdel Aziz pour pousser la Commission ad hoc désignée pour rénover le parti à maintenir les dates. A présent que l’affluence est celle-là, les mêmes commencent à parier sur le report du processus dans la phase de désignation des structures de base et des délégués au congrès. Ce qui, obligatoirement retardera la tenue de ce congrès prévu initialement pour le 30 avril. La proximité du Ramadan va certainement bousculer pour précipiter les choses. L’essentiel étant que l’UPR «se normalise» avant d’aborder les échéances prochaines.
Trois élections l’attendent aux alentours de septembre 2018. La première, et sans doute la plus importante est celle qui doit désigner les 156 députés de la nouvelle Assemblée nationale, unique Chambre depuis la suppression du Sénat. Sur ce total, 88 sièges sont à pourvoir par la proportionnelle. Ce qui ouvre le jeu aux plus faibles.
20 sièges sur la Liste nationale, 20 sur celle des femmes, 18 pour Nouakchott, 4 pour Sélibaby, 4 pour Nouadhibou, 4 pour Kaédi, 3 pour Amourj, 3 Tintane, 3 Kobenni, 3 Kiffa, 3 pour M’Bout, et 3 pour Aleg.
Lors des dernières élections (novembre 2013), au total 64 partis et 13 coalitions entre formations ont participé à travers 438 listes en compétition pour 147 sièges. Ces sièges étaient répartis comme suit : 89 dans les Moughataas, 20 sur la Liste nationale, 20 sur la Liste des femmes, 18 à Nouakchott.
Avec 62 sièges, l’UPR n’avait pas obtenu une majorité absolue mais était arrivé largement premier. Obtenant 5 sièges sur la liste des femmes, 4 sur la Liste nationale, 3 à Nouakchott…
Au niveau des municipalités, il y avait 208 circonscriptions (communes). 47 partis et 4 coalitions de partis ont participé à la course à travers 1096 listes en concurrence pou 3726 sièges. L’UPR avait obtenu 2046 sièges, très largement devant les autres, alliés et concurrents.
Nous sommes loin de la situation où le parti au pouvoir partait mieux pourvu que les autres. L’émancipation politique, l’exigence de plus en plus grande de l’électeur, la performance des outils de surveillance pour assurer la régularité des scrutins, l’existence d’une CENI à compétences élargies, les expériences du passé… tout cela crée une atmosphère où la régularité peut être réalisée. D’où le défi pour le parti au pouvoir qui doit immédiatement faire face aux mécontentements créés par son implantation.