jeudi 9 mai 2019

PRESIDENTIELLE 2019 : Un cycle politique qui n’en finit pas de finir


Nous arrivons évidemment à la fin d’un cycle politique qui a commencé à la veille de l’indépendance nationale et qui a survécu jusqu’à présent aux multiples bouleversements que le pays a connus. Le système politique mauritanien est en train de muter pour donner, espérons-le, quelque chose de neuf et de nouveau. De «neuf» dans la forme et de «nouveau» dans le contenu.

Si l’on prend comme référence le Congrès d’Aleg de 1957, on peut considérer que la première phase de ce cycle a été la plus longue parce qu’elle s’estompe avec la libéralisation de l’espace politique public qui a donné les partis (1991).
Cette phase se caractérise par le monopole exercé par l’Autorité publique sur la vie politique et, conséquence de cette mainmise, l’obligation pour les voix «discordantes» à s’exprimer dans la clandestinité. Les outils et supports de cette expression sont le tract, le graffiti, les chants anonymes, la mobilisation «au noir»… ce qui a donné les groupuscules politiques qui ont animé les frondes des années 60, 70 et 80 : les nationalistes arabes et/ou négro-africains, les gauchistes d’obédience communiste (staliniens, maoïstes, trotskistes…), les islamistes…
C’est l’époque de la floraison des courants monolithiques qui ont imprégné la scène et qui ont fini par en être l’idéologie nourricière. Le travail politique s’est alors limité à une lutte frénétique pour la proximité du pouvoir. Le jeu consistait à approcher, pour les manipuler, les apparatchiks du pouvoir en place. Et pour ce faire, œuvrer pour éloigner voire éliminer toute velléité concurrente. Le rapport violent de la relation entre acteurs est né de cette volonté de tout prendre à soi en excluant – en «mettant hors d’état de nuire» - tout autre acteur politique concurrent. Chaque mouvement a ainsi participé à la répression des autres en la justifiant et même en jouant le rôle de l’indic.
Quand survient la démocratisation en 1991, les mouvements et groupuscules sont tous passés par la case de victime d’une répression et par celle de commis de l’appareil répressif. La scène publique était devenue un champ de recyclage d’anciens prisonniers torturés qui reprenaient du service, le temps de se venger sur les autres en manipulant l’Appareil d’Etat. C’est d’ailleurs parmi les acteurs politiques – les leaders et activistes de mouvements clandestins – que se recrutaient les hommes de renseignements. Cela permettait à l’Appareil de suivre «de l’intérieur» et aux mouvements d’investir les officines pour pouvoir les manipuler.
La naissance des partis, conséquence de l’ouverture politique imposée par la situation internationale, devait aboutir à la disparition progressive des méthodes et des logiques qui ont marqué les trente premières années de la République. Une période de transition va suivre caractérisée par la cohabitation entre le système totalitaire et ses méthodes et une démocratie limitée à l’existence de partis politiques réduits à des faire-valoir pour un régime qui ne lâche finalement rien.
Les dérives autoritaires laissent des blessures profondes : 1989, 1990 et 1991… avec leur lot de tristesse, de massacres, de déportations et d’emprisonnements… La démocratisation, loin de régler les contentieux, donne raison aux expressions extrémistes avec la naissance des discours particularistes se basant sur l’instrumentalisation des tares sociales (esclavage) et des injustices nés des exactions commises durant les années de braise (89-91).
Les acteurs politiques, adeptes du «tout ou rien», adoptent le boycott comme forme de résistance. Ce qui contribue à les marginaliser et consacre la fin du processus de démocratisation.
Le blocage, la détérioration des conditions de vie des populations, l’échec évident des programmes d’ajustement dont l’expression marquante fut l’utilisation excessive des faux chiffres par le pouvoir, la destruction des mécanismes traditionnels de solidarité sociale, le dressement des communautés les unes contre les autres, la promotion des particularismes, la privatisation des biens communs au profit d’une minorité qui a fini par «acheter» (s’approprier) le pays, et, plus grave, la fragilisation de l’Appareil de défense et de sécurité qui a provoqué l’attaque de Lemghayti signe précurseur d’un effondrement planifié par le régime en place… tout cela va justifier – amplement justifié – le coup d’Etat d’août 2005.

La période de transition (2005-2007) devait servir à asseoir un système politique nouveau, mais les résistances de l’ancien monde ont obligé à passer par les secousses qui ont suivi : la fronde de 2008 puis le coup d’Etat, la logique de confrontation qui a marqué les dix dernières années, les boycotts et les participations ratées, les déchirures au sein des formations politiques…
Ce parcours cahoteux pour les acteurs politiques va leur imposer de subir le cours des événements sans jamais réussir à le changer, même pas à l’influencer. L’Opposition avait fini par parier sur le troisième mandat. Préférant mobiliser autour de cette éventualité au lieu de préparer l’échéance. Incapable d’identifier ce qui peut l’unir, elle est réduite aujourd’hui à aller en rang dispersé.

 Le plus grand des partis d’opposition, Tawassoul, a choisi le candidat par défaut après avoir refusé le principe de la candidature de l’intérieur de l’opposition. Pari risqué quand on sait que l’aventure va nécessairement prendre la forme d’une réhabilitation d’un passé par le biais du recyclage de ses hommes. Elle comporte aussi des risques pour ce parti qui se retrouve à la manœuvre dans cette opération de lifting. Le candidat du parti Tawassoul aujourd’hui incarne tout ce que les militants de ce parti prétendaient combattre.

L’Union des forces du progrès (UFP) réussit à légitimer l’absorption de l’héritage du Président Ahmed Ould Daddah et à s’allier ainsi au Rassemblement des forces démocratiques (RFD) à un moment où les deux partis venaient d’accuser un retard substantiel par rapport à Tawassoul notamment. Le boycott systématique des dialogues et des scrutins a affecté l’exercice politique et l’influence populaire des deux partis. En se lançant, comme ils l’ont fait, à l’aventure, les deux partis risquent leur survie : au cas où ils arrivent derrière le candidat de Tawassoul et/ou celui de Sawab/Ira, c’est une fin assurée qui attend cet attelage qui fait oublier, le temps d’une campagne, tout ce qui a pu opposer ces deux formations.

Le mariage contre-nature entre IRA et les Baaths de Sawab est une troisième variante des déviances qui caractérisent l’espace politique traditionnel et qui ne sont finalement que le signe précurseur d’un effondrement programmé. Même si le candidat Biram Ould Abeid peut se prévaloir d’être le premier candidat à s’être déclaré, le refus de ses compagnons de l’adopter comme «candidat principal de l’Opposition» en fait déjà l’expression d’un marginalisme évident. Le discours populiste aidant, le candidat Ould Abeid est condamné à jouer contre tous pour se présenter comme la promesse d’avenir. Tout dépend de comment va-t-il trouver le point d’équilibre entre le discours violent et revanchard et l’attitude raisonné de l’homme d’Etat rassurant pour une bonne partie de la population.

Il y a enfin, la candidature de Kane Hamidou Baba qui se présente comme étant «le candidat des communautés négro-africaines». Avant de créer son Mouvement pour la Refondation, il avait été un soutien inconditionnel du Président Ahmed Ould Daddah qu’il a suivi de l’Union des forces démocratiques (UFD), à UFD/Ere nouvelle puis au RFD qu’il a quitté au lendemain du coup d’Etat du 6 août 2008 qu’il avait soutenu avant de se porter candidat en juillet 2009.
Certains observateurs estiment qu’il va pêcher dans le même électorat que convoitent les candidats Mohamed Ould Maouloud (UFP/RFD) et Biram Ould Abeid. D’autres rappellent plutôt son résultat en 2009 quand il a eu 11.568 voix soit 1,49% des suffrages exprimés arrivant 7ème après Mohamed Ould Abdel Aziz (52,58%), Messaoud Ould Boulkheir (16,29%), Ahmed Ould Daddah (13,66%), Mohamed Jemil Mansour (4,76%), Ibrahima Moctar Sarr (4,59%) et Ely Ould Mohamed Val (3,81%).

Jusqu’à présent les «aventures» électorales ont été «passées» au registre des «pertes et profits». Ce qui explique le comportement quelques fois «incalculé», pour ne pas dire «irréfléchi», des acteurs politiques constamment à la recherche de la confrontation sans prise en compte du rapport de force sur le terrain.
Cette fois-ci, ceux parmi eux qui auront perdu la bataille devront se résoudre à quitter définitivement la scène politique. Ils ne pourront point s’accrocher au sempiternel argument de «la manipulation des élections».
Aucun de ceux qui se présentent aujourd’hui face au candidat de la Majorité, ne survivra au temps de l’échéance. Seul le candidat Biram Ould Abeid pourra faire partie du paysage futur, s’il réussit à gagner ce pari de la modération et donc de «l’utilité» pour une cause unanimement prise en compte, y compris par le candidat Mohamed Ould Ghazouani qui lui a consacré une partie de son discours.
Tous les autres mènent ici leur dernière bataille. C’est la survie des partis qui est ici en jeu.


mercredi 23 janvier 2019

"Mon" Président à moi

Parler de Mohamed Ould Abdel Aziz n’est pas chose aisée. Plus difficile encore d’en dresser le portrait. L’homme est méconnu. Tout comme le politique. Alors que son parcours dérange, ses manières dérangent… ce qui en a fait un malaimé.

En juin 2003, j’ai rencontré pour la première fois Mohamed Ould Abdel Aziz, à l’époque lieutenant-colonel, commandant le Bataillon de la sécurité présidentielle (BASEP). Il venait de vivre la dure épreuve du putsch du 8 juin. Il fut – je l’avais écrit à l’époque – l’élément moteur de l’échec de ce coup qui a coûté cher au pays (17 morts dont Mohamed Lemine Ould Ndeyane, chef d’Etat Major à l’époque). Son bureau portait encore les stigmates de la folle entreprise : vitres brisées, murs perforés, impacts de balles partout… de quoi se dire que le commandant du BASEP avait été un objectif.
«Tu sais, si ce type (Ould Taya, ndlr) ne tire pas la leçon de ce qui vient de se passer, le pays risque d’aller à la dérive». C’est à peu près ce que le colonel Ould Abdel Aziz m’avait dit en me racontant le retour épique de l’équipe à la présidence après plus de 24 heures passées soit en combattant (pour lui) soit en se terrant dans le camp de Garde (pour le Président et sa suite). Ce n’était pas facile pour un officier de l’époque de tenir de tels propos devant un inconnu qui plus est un journaliste.

Le 28 janvier 2006, au Palais des Congrès, feu le colonel Eli Ould Mohamed Val vient de pérorer sur le vote blanc, le présentant comme une troisième voie pour éviter les candidats civils. La salle est estomaquée. Le colonel Ould Abdel Aziz, toujours commandant du BASEP, se lève. Je lis la fureur sur son visage. Il ajuste sa tenue et se rend immédiatement à son QG. Il ordonne le déploiement de ses unités. Il me parlera plus tard d’une «tentative de coup» sur le processus de la part de son cousin, président du CMJD.
«Un officier n’a que sa parole à donner et nous nous sommes engagés à mener un processus qui doit nécessairement aboutir à une élection libre. Ni prolongation de la transition, ni entorse au processus ne seront permises». Fermeté et engagement pour faire respecter le chronogramme décliné à la suite des journées de concertations.

Juin 2008, je suis appelé par la présidente effective de la cellule de communication de la Présidence. Elle veut discuter de la situation politique du pays, me faire comprendre ce qui se passe. A l’expression de son visage, je vois que les choses se corsent. Comme je suis à la présidence, je vais voir le Général Mohamed Ould Abdel Aziz – devenu chef du cabinet militaire du Président.
«Tu vois comment la cellule de communication instrumentalise la presse contre moi, me dit-il en exposant des articles truffés d’insultes à l’égard de sa personne et de ses alliés. Je peux te dire qu’il n’y aura pas un coup d’Etat, que ce qui sera entrepris respectera la Constitution». J’en déduis que la crise est profonde. Je vais dans le bureau de Boydiel Ould Hoummoid, fraichement nommé ministre secrétaire général de la présidence. Je lui fait part de mes inquiétudes et lui expose ma lecture : son prédécesseur, et globalement l’entourage civil du Président Ould Cheikh Abdallahi, a engagé un bras de fer avec l’aile militaire du pouvoir, une démarche suicidaire et dangereuse pour l’équilibre du pays et pour la démocratie, j’interpellais en lui sa sagesse et son non engagement dans cette querelle pour essayer de recoller ce qui peut l’être.
Suivront les événements que l’on sait : tentative de régler le différent par députés interposés, offensive de l’aile civile du pouvoir, limogeage de tous les chefs militaires en pleine nuit et coup d’Etat du 6 août.

Octobre 2008, je suis convoqué à la présidence. Le Général Ould Abdel Aziz semble serein malgré toutes les menaces qui pèsent sur son pouvoir : refus de la communauté internationale de le reconnaitre, contestations intérieures et essoufflement du pays qui vit sous la menace de l’instabilité depuis quelques mois. Il parle des Etats généraux de la démocratie. Je lui dis qu’ils ne signifieront rien si l’opposition n’y participe pas.
«Elle va y participer. Nous ne ferons aucune démarche politique qui n’inclut pas tous les acteurs ou en tout cas la majorité d’entre eux. Même s’il y a des élections, ce ne sera qu’avec tout le monde».

Janvier 2011, nous revenons d’un voyage en Afrique du Sud quand je suis reçu en cabine première par le Président de la République. Nous parlons de la situation en général et j’arrive à provoquer une discussion autour du dialogue espéré entre le Pouvoir et l’Opposition.
«Rien, absolument rien, ne doit rester tabou et tout ce qui sera décidé sera appliqué dans les délais impartis». Je ne peux m’empêcher de soulever la question des limites que doit prendre la réforme constitutionnelle envisagée. Est-ce qu’elle va toucher les articles limitant les mandats ?
«Non ! Ce n’est pas notre objectif. Ceci dit, si de l’autre côté, on essaye de faire sauter le verrou de l’âge, je ne vois pas pourquoi les nôtres n’auront pas le droit de soulever cette question». Un an plus tard, il renouvelle en ma présence la même détermination sur la question. Puis une autre fois en février 2013. J’écris alors un texte avec pour titre : «2019, c’est déjà demain». J’entreprends aussi une démarche en vue de sensibiliser les grands acteurs de la scène politique sur l’importance de ce rendez-vous qui doit nécessairement constituer une alternance même mécanique à la tête du pouvoir…
Des moments qui résument pour moi cette personnalité : le franc-parler, la fermeté, la témérité et la détermination. Des qualités autrement perçues par ses détracteurs qui voient en lui un homme «introverti», «emporté», «rustre» et «méprisant». Oubliant que cet homme-là les a menés en bateau jusque-là.
D’abord pendant la première transition en les emmenant, pour la plupart, à voter Ould Cheikh Abdallahi, un candidat sorti d’on ne sait où. Ensuite en 2008, en jouant l’ordre constitutionnel pour dénoncer le retour en force du système décrié de l’avant août 2005. En les amenant plus tard à signer l’Accord de Dakar et à organiser conjointement des élections où il s’est présenté comme le promoteur du changement contre une alliance contre-nature entre soutiens et opposants de l’ancien régime.

Aujourd’hui encore, il a porté un coup majeur à ses détracteurs qui lui ont toujours dénié la faculté de discerner ce qui est bien pour lui, pour son peuple et pour son pays. Ceux-là ont véhiculé l’image d’un dictateur sans foi ni loi.
Et voilà que par le renouvellement solennel de sa volonté de respecter la Constitution après tant de tumulte, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz dément tous les pronostics et détruit les préjugés entretenus à coup de rumeurs imbéciles.
L’officier qui a libéré le pays du joug d’une médiocratie assassine en août 2005, qui a refusé d’abdiquer en 2008, est l’homme qui a pris sur lui le devoir de remettre le pays sur les rails.
Après dix ans de construction et de refondations, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz accepte de diriger un passage de témoin, une alternance pacifique et, quelque soit celui qui lui succédera, une normalisation voire une stabilisation du système politique mauritanien.
C’est possible. Mais seulement si l’ensemble des acteurs regardent le moment présent comme une nouvelle opportunité de convergence…