mardi 7 août 2012

Il était une fois le 3 août (5)


C’est en grande pompe que le passage de témoin entre le président du CMJD et le président nouvellement élu se passe. Un symbole : c’est le dernier des membres du Comité militaire de salut national (CMSN), jeune lieutenant le 10 juillet 1978, membre du Comité à partir de 1982, le colonel Ely Ould Mohamed Val qui passe le pouvoir au plus jeune membre du gouvernement déchu le 10 juillet 1978. Ce signe historique ne sera pas retenu. Nous sommes dans un pays où le cours de l’Histoire importe peu…
Quand il est élu, le Président Ould Cheikh Abdallahi doit faire face à de multiples problèmes nés du lourd héritage du mauvais exercice de ses prédécesseurs. La Mauritanie a besoin d’hommes neufs et imaginatifs, capables de redonner confiance et d’engager le pays sur la voie du travail et de l’efficacité. On en attend aussi de bien piloter la véritable transition qui comprend la remise à niveau de l’économie nationale, la normalisation de la vie politique et l’ancrage du pouvoir démocratique.
La nomination du jeune Zeine Ould Zeidane comme Premier ministre suit une logique mathématique : il est arrivé troisième de l’élection et a apporté son soutien à Ould Cheikh Abdallahi au deuxième tour. Le gouvernement qu’il se choisit est plutôt acceptable.
A la présidence, le Président Ould Cheikh Abdallahi se fait entourer par des amis de l’époque d’avant 78 et par des activistes de l’époque Ould Taya. Rien de grave cependant, les espérances de changement étant très fortes.
La première année passe avec de grands défis : le défi sécuritaire avec la recrudescence des actions d’Al Qaeda et le refus des autorités politiques de reconnaitre que «le terrorisme existe en Mauritanie», et celui de répondre aux attentes sociales qui va provoquer les premières manifestations de l’intérieur avec un mort à Kankossa…
Avril 2008. Le Président Ould Cheikh Abdallahi reçoit un groupe de journalistes à l’occasion du premier anniversaire de son investiture (19/4). Il parle franchement. Comment se voit-il comme Président ? Il veut résumer son sentiment en une image. Celle d’un artisan qui a deux boites d’outils, l’une à sa gauche l’autre à sa droite. La première contient les outils de ‘répression’ qui font le despote, la seconde les outils qui font la démocratie (concertation, participation…). «Nos compatriotes veulent que les deux boîtes soient utilisées pour qu’on y puise à tour de rôle selon les problèmes qui se posent. Ils tiennent beaucoup à la liberté, à la justice. Mais avec des pratiques, des comportements qui semblent rejeter qu’il faille payer le prix de la démocratie». Exemples : «quand vous dites que vous n’intervenez pas dans le cours de la justice, très vite on vous accuse de faiblesse, de laxisme… D’un autre côté, chaque fois qu’on porte atteinte à l’ordre public et que la police cherche à assurer l’ordre, tout le monde est scandalisé». La réflexion amène loin parfois dans ces conditions. «Pendant la campagne, j’avais pensé poser le problème de savoir si dans nos sociétés, la meilleure manière d’exercer la démocratie était la constitution de partis politiques. Mais j’avais craint qu’on ne me taxe de candidat indépendant qui voulait semer la confusion. Je crois cependant qu’il y a une réflexion qui n’a pas été faite de façon générale et qui demande peut-être une période de sérénité éloignée de tout enjeu politique, pour savoir comment le citoyen lambda peut se sentir le plus à l’aise, le plus présent dans la décision, avoir le sentiment de participer, de donner son avis». Pour lui, «le grand problème, c’est de trouver l’équilibre entre la gestion de possibilités limitées avec des gens qui veulent, chacun, avoir la part la plus grande». Et de conclure : «Les Mauritaniens parlent et exigent le changement, mais dans leurs comportements quotidiens, tout indique qu’ils tiennent au statu quo».
Il est dénoncé par l’ensemble de l’opposition qui considère que le Président «est faible et ne sait pas ce qui se passe autour de lui». Le RFD demande carrément sa démission. Tandis que, dans son camp, les voix s’élèvent pour le critiquer souvent de manière acerbe et démesurée.
C’est le moment qu’il choisit pour remercier Zeine Ould Zeidane et le remplacer par Yahya Ould Ahmed Waghf, son joker. Le gouvernement s’ouvre sur les partis d’oppositions comme l’UFP et Tawaçoul. L’aile militaire du pouvoir apprécie mal ce qu’elle juge comme une manœuvre visant à la mettre à l’écart et à reprendre les choses là où on les a laissées. Plus grave : les militaires estiment que «le pouvoir se concentre entre les mains des victimes de juillet 1978 et celles d’août 2005». Signe des temps : le Premier ministre Ould Waghf convoque dans son bureau les généraux Ould Abdel Aziz et Ould Ghazwani. Première provocation qui laisse entendre qu’ils avaient à se prononcer sur la constitution du gouvernement à venir.
Réaction : mobilisation des députés en vue d’une motion de censure à l’encontre du nouveau gouvernement. De maladresse en maladresse, on aboutit à une confrontation entre le Président de la République et l’aile militaire de son pouvoir.
Mercredi 6 août, il démet tous les chefs militaires au petit matin. Réaction de ceux-là : le coup d’Etat qui donne naissance au Haut Conseil d’Etat.
Fait majeur de l’ère qui s’ouvre : la naissance d’un Front national pour la défense de la démocratie (FNDD) opposé au putsch et demandant le rétablissement du pouvoir de Ould Cheikh Abdallahi. Rejoint plus tard par le RFD qui a d’abord soutenu le «mouvement rectificatif», le FNDD accepte finalement de tourner la page par la signature de l’Accord de Dakar en juin 2009 et la mise en place d’un gouvernement d’union nationale devant gérer l’élection présidentielle fixée au 18 juillet 2009.
Peu préparée et ayant refusé de s’unir autour d’une candidature unique, l’opposition perd au premier tour remporté par le candidat Ould Abdel Aziz à plus de 52% des voix. Elle court depuis derrière cette fin malheureuse d’un match qui a eu plusieurs prolongations, toutes en sa défaveur…
Nous sommes encore dans les prolongements d’un certain 3 août 2005… quand s’ouvrait une transition qui dure et qui va peut-être encore durer. Le temps pour le pays – et pour le pouvoir en place - d’asseoir un nouveau système de gouvernance, de nouveaux rapports à la politique.