mercredi 26 mars 2014

La «bonne» expérience politique

Il fait partie de la classe politique des premières heures. Je ne sais pas quand est-ce qu’il est entré en scène. Mais depuis que j’ai conscience du monde qui m’entoure j’entends son nom et le voit sur scène. C’est vous dire combien cela peut paraitre loin (n’est-ce pas ?).
Il a été le premier à faire ses valises pour quitter le mouvement des Kadihines, aller rejoindre l’aile du pouvoir politique de l’époque qui refusait pourtant le dialogue avec les Gauchistes d’inspiration (forte) communiste. Cette décision, qualifiée par certains de «trahison» et de «bravoure» par d’autres, est l’acte fondateur de la realpolitik en Mauritanie. Il est le premier à exprimer «la politique du ventre» qui devait régner plus tard sur les esprits et les engagements. Résultat immédiat pour lui : on lui confia l’une des officines des renseignements et analyses du ministère de l’intérieur. De là il pouvait «servir» dignement son patron qui le destinait à une brillante carrière dans l’administration. D’ailleurs, il en fit part au Président de la République de l’époque, le très sage Moktar Ould Daddah. Et malgré les réticences exprimées avec plus ou moins de clarté, le patron (ministre de l‘intérieur) passa outre les objections de son Président et promut l’Animal politique
Le ministre jugeait sans doute que «cet esprit lumineux et utile dans le démantèlement des contestataires de l’époque» méritait mieux et plus. Il voulut accélérer la promotion en brûlant les étapes de la carrière administrative et politique de notre homme. Excédé par les démarches du ministre, feu Moktar le reçut en aparté pour lui remettre une enveloppe ouverte. «Monsieur le Ministre, lisez ça tranquillement chez vous. S’agissant de ce cadre qui semble très satisfaisant, faites une proposition au conseil de demain, nous l’accepterons volontiers…»
Très enchanté de pouvoir enfin récompenser ce jeune homme intrépide, notre ministre s’en alla chez lui. Sans doute que c’est le travail qui lui fit oublier l’enveloppe et son contenu. C’est tard dans la soirée, au moment où il se préparait à se mettre au lit qu’il se rappela qu’il devait lire ce qu’il y avait dans l’enveloppe avant de rencontrer le Président le lendemain. Il ouvrit l’enveloppe et en retira deux feuillets A4 remplis d’écritures bien droites, bien aérées et sans aucune rature. Il entreprit la lecture depuis le début…
Le texte parlait du ministre et de ses «incartades», de ses «faiblesses dangereuses pour la fonction», de ses «choix malencontreux», de ses «réseaux criminels»… tellement de mal qu’on disait de lui qu’il s’empressa à aller vers le bas de la deuxième page en espérant y voir le nom de l’auteur de ces perfides propos… l’auteur n’était autre que «son» cadre chéri…
Toute la nuit, le sommeil ne vint point. Comment «faire payer à cet ingrat sa traitrise» ? Mais les gens de cette époque-là n’étaient pas rancuniers. Ils croyaient aussi que l’autorité ne pouvait jamais servir les ressentiments personnels et que l’administration doit être protégée de toutes ces considérations égoïstes. Au matin, le Ministre se dit que «son protégé» n’avait finalement fait que continuer à trahir ceux qu’il approchait : après tout, c’est bien pour cela qu’il l’avait engagé et promu, pour sa capacité à trahir.
Toujours est-il que le lendemain, il ne fut point question de proposition de nomination de la part du Ministre. Le Président s’abstiendra d’évoquer la question et on oublia peu à peu l’existence de l’homme. Il a existé depuis dans l’ombre avant de sortir à la lumière pour servir au grand jour les systèmes faits d’arbitraires et de tricheries…
Avec le temps, l’homme est devenu un «révolutionnaire» maintenant que c’est possible et que cela n’implique rien pour lui. Il moralise, fustige, dénonce, parle de temps en temps au nom du peuple… Tranquillement, il croit se refaire une virginité nouvelle (ou neuve) et compte beaucoup sur la «courte mémoire» de ses compatriotes. Comme d’ailleurs nombre de ses semblables…

Non ! «on n’oublie rien… rien de rien…»