Enquête



Quand le Mali perd le Nord, 
c’est toute la région sahélo-saharienne qui est dans la tourmente
Quelques clés pour comprendre ce qui se passe à côté



De rébellion en rébellion, les Touaregs peuvent-ils imposer un Etat indépendant ? L’Azawad dont ils revendiquent l’indépendance peut-il devenir un Etat ? Avec qui partagent-ils ce territoire ? Comment on en est-on arrivé là ? Quel rôle pour les jihadistes d’Ançar Eddine et ceux d’Al Qaeda au Maghreb Islamique ? Quels objectifs ? Quelles forces ? Quels rôles pour les factions en présence ? Pourquoi sont-elles en concurrence ? Qui est qui ?
Des questions auxquelles nous allons essayer de répondre à travers un dossier que nous espérons complet sur la question.
Mais d’abord qui sont ces Touaregs dont on parle tant…

I. Le pays des hommes bleus

Malgré la proximité géographique et socio-historique du monde de l’Azawad, il reste peu connu en Mauritanie. On sait en général qu’il y a des populations arabes avec lesquelles la majorité des Mauritaniens partagent la culture hassaniya qui a fait le Traab el Bidhâne (l’espace maure pour reprendre les concepts qui ont fini par être universellement connus). Et c’est sur cette base que la Mauritanie de la veille de l’indépendance avait, par la voie de son premier président Mokhtar Ould Daddah, demandé le rattachement de ces zones à l’Etat futur. Tout comme elle avait revendiqué le territoire du Sahara occidental.
Derrière cette démarche, se profilait l’idée, un moment envisagé, d’un Etat saharien correspondant grossièrement à cet espace maure. Avec une nuance : si l’administration coloniale avait pensé cet Etat comme une possibilité d’amputer l’Algérie d’une partie de son territoire, celle qui recèle les richesses, dans la tête de Ould Daddah se profilait surtout le vieux projet du «pays des Maures», un pays qui engloberait tous les espaces où se meuvent les populations hassanophones et même celles nomades considérées proches comme les Peulhs et les Touaregs. Un temps envisagé, ce projet a été abandonné à la faveur des indépendances, et surtout de la construction du panafricanisme qui se basait sur le principe sacro-saint de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation.
On sait vaguement qu’il y a des populations touarègues, appelées localement «La’jaam». Pour les désigner, les hassanophones ont repris le terme utilisé par les Arabes pour qualifier les non-Arabes. C’est une forme du concept de «barbare» dans la culture grecque. Le mode de vie imposé par le nomadisme, a donné naissance à de fortes similitudes dans la culture que se partagent souvent les deux ensembles sahariens (maures et touaregs).
Populations d’origine berbère, les Touaregs ont gardé leur langue et leur culture originelle même s’ils furent fortement islamisés. Le tamasheq, probable altération du mot «amazigh», s’est préservé comme langue commune grâce notamment à l’existence d’un alphabet, le tifinagh. Ce peuple vit dispersé dans et autour du Sahara central, au Mali, au Niger, en Algérie, au Burkina Faso, au Tchad et en Libye, avec plus ou moins de concentrations dans l’un ou l’autre des pays.
Réfractaires à toute domination extérieure, à toute forme d’administration ou d’organisation moderne, ces populations sont plus portées sur la sédition. Fils de l’endurance quotidienne dans un environnement hostile, ils sont marqués par un complexe de supériorité vis-à-vis de l’autre. D’où la culture communautariste qui reste aujourd’hui l’un des éléments fondamentaux pour la compréhension des évènements présents.
Nous allons aussi retenir pour comprendre les rivalités et les enjeux actuels, que ces tribus nomades sont fortement hiérarchisées. Entre les tribus guerrières, particulièrement féroces (Imajaghan et Ifoghas), celles maraboutiques (Ineslemen, nobles mais non guerrières), et les tribus vassales (Imghad) ou populations castées (forgerons Inaden, anciens esclaves Irawellen et Bellas, serviteurs Iklan…), entre toutes ces composantes, les lignes de fractures sont énormes et toujours vivantes.
Les Etats indépendants ont mal géré les espaces sahariens en les considérant comme des sources de problèmes à laisser à la marge. En Algérie comme en Libye, ce sont les gens du nord qui ont été aux commandes de l’Etat indépendant, le Sud fut laissé pour compte. C’est le contraire qui s’est passé au Mali, au Niger et au Burkina Faso où ce sont les cadres du sud qui furent les héritiers de la colonisation, chacun de ces pays oubliant son Nord, s’il ne l’a pas abandonné comme ce fut le cas pour le Mali qui nous intéresse.
Le conflit qui a éclaté le 17 janvier dernier, à la faveur du retour en masse des combattants touaregs revenant de Libye, n’est en réalité  pas né d’aujourd’hui. Il s’inscrit dans une série d’insurrections dont la plupart des acteurs sont encore vivants.
La première insurrection date de 1916 et se passe au Niger mais se fait au nom de l’ensemble touareg. Elle inspire le Mouvement populaire de l’Azawad qui demande la création d’un Etat touareg dès 1958. Entre 1962 et 1963, le Mali connait sa première rébellion touarègue, durement réprimée par les forces armées du jeune Etat. De là débute l’exode vers les pays voisins. Cet exode va s’accentuer avec les cycles de sécheresse qui frappe le Sahara et le Sahel en général. La mauvaise gouvernance et l’incapacité des jeunes gouvernements à répondre aux attentes des populations, vont encore pousser vers l’exil sous des cieux plus cléments.
Les années 70 coïncident avec la montée en puissance du panarabisme kadhafiste en Libye. Le Guide ouvre les portes de son pays aux arrivants et met à leur disposition ses ressources. Il embrigade ceux qui peuvent l’être dans ses légions islamiques lesquelles vont servir ses projets hégémoniques dans la région, notamment au Tchad. C’est cette diaspora qui est à l’origine de la création du Mouvement populaire de libération de l’Azawad en 1988.
Deux ans après, une rébellion éclate. Elle dure jusqu’en 1995. Elle touche et le Niger et le Mali. Des pourparlers sont ouverts. Ils permettent la signature d’accords à Tamanrasset en Algérie en 1991. Les nouvelles autorités maliennes acceptent d’élaborer un Pacte national et le font signer par toutes les parties en 1992. Il prévoit la prise en charge du développement du nord du pays et de ses populations, l’implication de celles-ci dans les affaires, l’intégration des éléments armés dans l’Armée régulière… Mais ceci ne permet pas cependant d’éviter les affrontements en 1994-95. C’est seulement le 27 mars 1996, à Tombouctou qu’une cérémonie dite de «la Flamme de la Paix» signe la fin officielle de la rébellion. Une partie de l’armement qui a servi pendant l’insurrection est détruite ou remise aux autorités et la plupart des rebelles s’insèrent dans la vie active.
Le Pacte national cache mal ses insuffisances. Peu à peu, il n’est plus qu’un prétexte pour les Touaregs de reprendre le chemin de la rébellion, pour les gouvernements maliens d’abandonner une portion de leur pouvoir à des caïds locaux, pour ceux-ci d’organiser les espaces contrôlés selon leurs bons désirs et pour les pays voisins de manipuler faisant de l’espace nord-malien un théâtre d’affrontements entre différentes velléités, notamment entre l’Algérie et la Libye qui mènent une lutte d’influence en vue de conquérir le leadership régional.
Les soulèvements continuent : le 23 mai 2006 au Mali. Un accord est signé le 4 juillet 2006 à Alger et entre 2007 et 2009 la rébellion touche aussi le Niger. Quand les accords sont signés sous l’égide d’Alger, l’insurrection est inspirée par la Libye qui utilise pour cela ses hommes dans le milieu. Et quand c’est la Libye qui préside les pourparlers, c’est l’Algérie qui souffle sur les braises.
Entretemps, la zone est devenue une zone de non-droit. Avec notamment l’installation et l’insertion sociale du Groupe Salafiste de Prédication et de Combat (GSPC) devenu Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI). Dirigé par des anciens combattants du GIA algérien, le GSPC-AQMI, va se fondre dans l’espace et embrigader ses habitants. Le Mali de Amadou Toumani Touré (ATT) refuse de réagir. L’Algérie, la plus puissante armée de la région, affiche l’indifférence. Le Niger et la Mauritanie subissent.
AQMI encadre et protège les trafics dont vivent les populations du Nord. Elle tente de remplir le vide laissé par l’absence de l’Etat central, surtout dans le domaine social et politique. Elle insère les réseaux de trafic, notamment de drogue, dans son circuit. Les prises d’otage se multiplient. Elles rapportent gros et supplantent le trafic de drogue dont le chiffre d’affaires augmente exponentiellement avec la démission de plus en plus forte des autorités centrales. Les milices se multiplient. Elles s’affrontent parfois. Mais elles réussissent à corrompre le cœur du pouvoir. Généraux et administrateurs maliens ont leurs parts des retombées du trafic et des prises d’otages. Certains hauts dignitaires du régime sont ainsi impliqués. ATT est impuissant. Il préfère jouer. Il perd le 22 mars, à un mois de la présidentielle qui devait le célébrer comme «président démocrate ayant accepté de quitter le pouvoir humblement». La chute de l’Aigle du Mali est terrible pour toute la sous-région.
Quand les bidasses chassent ATT de Koulouba – on ne peut pas dire qu’ils ont pris le pouvoir -, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) est déjà en action depuis près de trois mois. Créé le 16 octobre 2011, ce mouvement avait déjà déclenché les hostilités. D’ailleurs le prétexte principal des mutins n’était-il pas de se donner les moyens de combattre dans le Nord. En réalité, on l’a dit dès le 23 mars, ce sont les réflexes d’une armée vaincue et qui connait la débandade annoncée depuis des années.
La fulgurante avancée des rebelles du Nord et des factions islamiques qui ont finalement pris possession de tout l’Azawad en quelques jours était une issue fatale pour un Mali qui a refusé de livrer bataille pendant que cela était possible. Ce n’est pas le coup d’Etat qui a changé le cours des évènements parce que, sur le plan militaire, tout était prévisible, y compris la désertion des forces armées maliennes. Sur le plan politique, peut-être que ATT en aurait profité pour demander le report des élections. Rien de plus n’était envisageable.
Comment faire pour que le chao actuel ne dure pas ? C’est la question que tous les amis du Mali doivent se poser, la solution ne pouvant venir de l’intérieur du pays.
Le processus enclenché par la CEDEAO a consisté à adopter une attitude ferme vis-à-vis des putschistes, comme si remettre ATT en scelle pouvait résoudre le problème du Mali. Puis on a envisagé une intervention militaire à laquelle la France serait prête à apporter son soutien. Les chefs d’état-major réunis à Abidjan ont juste confirmé l’option qui viserait désormais à faire face à la rébellion du Nord. Un peu pour jouer les supplétifs de la France dans une zone qui ne demande pas tant.
Quelques trois mille hommes ressortissants de pays de la CEDEAO et appartenant à une force commune, seraient prêts à intervenir dans le nord du Mali. On ne dit pas comment, ni quand, encore moins avec quels objectifs. Est-ce seulement pour chasser les jihadistes ? Ou les rebelles touaregs ? Ou les deux ?
On ne dit pas non plus ce qu’on attend de l’Algérie ou de la Mauritanie. Ni comment et avec quelles forces maliennes, ceux de la CEDEAO vont agir.
On sait cependant que le Nigéria, pays pôle de l’organisation ouest-africaine, serait tenté d’en découdre avec les jihadistes du nord malien, principaux soutiens et inspirateurs de Boko Haram, le mouvement qui sème la terreur au Nigéria. On sait que Blaise Compaoré, le médiateur dans le conflit, est très intéressé par ce qui se passe. A plusieurs reprises, il a fait jouer à son pays un rôle de négociateurs dans les affaires de prises d’otages occidentaux. L’intermédiaire attitré dans ces affaires a toujours été Iyad Ag Ghali, le chef des jihadistes d’Ançar Eddine, aujourd’hui maîtres des principales grandes villes du Nord. On sait enfin que le Niger reste très concerné – plus que tout autre pays – par le développement des évènements du Mali. Comment va-t-il réagir ?



II. Un nouveau Jihadistan est né,
Qui est qui ? Le who’s who d’un chao

A écouter les médias occidentaux – principalement français – on croirait que dans le nord du Mali, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) est la seule force du pays et qu’il tient les «zones libérées». Sur le terrain la réalité est tout autre. Plusieurs forces se partagent cette «zone libérée».

1. Le MNLA, victime du sectarisme ?

Dans l’Azawad d’aujourd’hui, aucune grande ville n’est sous le contrôle du MNLA. Ni Tombouctou, ni Gao, ni Kidal, ni Tessalit… Toutes ces villes sont aux mains de factions islamistes jihadistes dont nous parlons plus loin.
Créé en octobre 2011, suite à l’arrivée massive de combattants des légions de Kadhafi dans la région, le MNLA rassemble les ex-Libyens, les militants du Mouvement national de l’Azawad (MNA) et les fidèles d’Ibrahim Ag Bahanga (mort en août 2011). Son chef militaire est Mohamed Ag Najim qui a dirigé les places de Bani Walid et de Tripoli pendant la guerre de Libye. Militant aguerri, Mohamed Ag Najim est un fin organisateur nourri à la littérature pan-arabiste de l’idéologie Kadhafi. Il est pour cela moins sectaire que les autres chefs du mouvement. Contrairement aux autres chefs politiques du mouvement qui ont  une aversion prononcée pour les autres habitants de l’Azawad notamment pour les Arabes, les Songhaïs et les Peulhs.
Sur le terrain, ce sectarisme a conduit au pillage des maisons et commerces arabes dès l’entrée des troupes du MNLA à Gao. Les Arabes n’ont eu d’autre choix que de faire appel aux jihadistes avec lesquels ils traitaient déjà dans le cadre des trafics. Ce sont les éléments du Mouvement pour Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) qui seront les premiers à venir à leur secours (voir plus loin). Même comportement à Tombouctou.
Les leaders du MNLA soutiennent que «les populations du nord et du sud du Mali sont trop différentes pour composer un État ensemble, comme le Mali et le Sénégal n'étaient pas faits pour être un seul pays. C'est pour ça que nous en appelons à la communauté internationale, afin qu'ils convainquent le Mali de nous donner notre indépendance» (interview de Mahmoud Ag Aghaly du bureau politique du mouvement à Jeune Afrique). Pour ses dirigeants «le MNLA n’est pas une rébellion, ni un groupe armé. C’est un mouvement révolutionnaire qui œuvre pour la libération des régions nord du Mali, que nous appelons Azawad. Le mouvement revendique le droit d’autogestion, le droit politique et le droit aux populations autochtones vivant sur ce territoire de décider pour elles-mêmes et par elles-mêmes. Aujourd’hui, suite à toutes les frustrations et toutes les déceptions nées des relations malsaines avec le Mali depuis des années, il est impératif de devenir indépendants et de s’octroyer le droit de s’autogérer». Le mouvement ne reconnait aucun accord du passé et veut créer un Etat laïc et indépendant.
Fortement implanté en Europe, en France particulièrement, le mouvement a pu faire adhérer une large part de l’opinion publique occidentale à la cause touarègue. Il utilise parfaitement l’arme de la communication et déploie un lobbying sur toutes les scènes politiques. Toléré, voire soutenu, par la France officielle, il semble avoir déçu avec notamment la sortie de l’ombre des groupes jihadistes. En effet, la justification essentielle fondant la légitimité du mouvement était de pouvoir «épurer» le nord du Mali «des bandes criminelles». Le voilà qui travaille côte à côte avec les fauteurs. La déception est si forte qu’on ne sait plus quoi en faire aujourd’hui.
Si le ministre français des Affaires étrangères continue d’affirmer qu’il faut continuer le dialogue avec le mouvement, ce n’est pas forcément l’avis des chefs d’Etats de la CEDEAO qui semblent vouloir en découdre avec toute la rébellion.
La France opterait pour l’utilisation des rebelles du MNLA dans la lutte contre les factions jihadistes. Cela se concrétiserait par un fort soutien militaire apporté aux rebelles du MNLA quitte à trouver un accord politique avec eux. Accord qui se traduirait soit par l’indépendance – ce qui serait dangereux pour toute la zone -, soit une large autonomie pour la province et des promesses d’aide au développement.
Mais cette perspective est-elle jouable quand on compte avec la présence d’Ançar Eddine ?

2. Le mouvement Ançar Eddine

Cest un mouvement d’inspiration salafiste jihadiste. Il est lié à celui qui l’a créé, Iyad Ag Ghali, un fervent religieux qui a épousé les thèses salafistes après un passage dans les mosquées de Nouakchott dans les années 2000. Son dernier séjour ici daterait de 2006, alors que le pays était en pleine transition. Il aurait alors écrit un livre sur la polémique de l’obligation de faire la prière du vendredi dans l’Azawad. Célèbre dans les milieux de la prédication, cet ancien nationaliste qui a fait la guerre du Liban de 1982 et qui a été lié à toutes les rébellions touarègues du Mali, devient incontournable pour le gouvernement malien. Surtout qu’il est déjà très ancré dans le tissu social touareg.
Issu de la noblesse Ifoghas, il est l’héritier d’une longue tradition de savoirs et de pouvoirs. A l’instar du mythique Mano Dayak, et plus récemment des leaders Ibrahim Ag Bahanga et de Hassan Fagaga, il allie autorité politique légitimée par le rôle joué dans les rébellions, et enracinement traditionnel. C’est sans doute ce rang qui lui permet de diriger le Mouvement populaire de l’Azawad (MPA).dont la création remonte à 1988 et qui déclenchera la rébellion de juin 1990. Il prend langue avec le gouvernement malien et participe aux pourparlers de paix.
Mais c’est seulement en novembre 2007 qu’il est nommé conseiller consulaire à Djeddah en Arabie saoudite. On le dit proche de ATT qui le maintient malgré les réserves de la partie saoudienne laquelle finit par le renvoyer.
Il s’installe alors chez lui et commence à tisser ses réseaux. Il participe pour le compte de nombre de gouvernements dont celui de son pays et le Burkina, dans les négociations visant à libérer les otages occidentaux retenus par AQMI, principalement la branche dirigée par le redoutable Abu Zeyd. Il prêche et tente de reconstituer le noyau initial du MPA.
En 1991, au lendemain de la première rébellion, ce mouvement s’est scindé en trois groupes : le Front populaire de libération de l’Azawad (FPLA) dirigé par Mohamed ag Ghissa avec comme secrétaire général, Zeidane ag Sidalamine, l’Armée révolutionnaire de libération de l’Azawad (ARLA) de Abderamane Ghala, et enfin le nom historique de MPA qui revient à Iyad Ag Ghali. Il s’agit alors d’une force constituée d’un millier d’hommes, tous des Ifoghas. C’est ce groupe qui soutiendra le Pacte national de 1992, d’où l’extrême diligence du gouvernement malien à son égard.
Sentant le vent tourner et fortement impliqué dans les histoires d’otages et de trafics, il reprend la route de la guerre à la faveur de la rébellion du 17 janvier dernier. C’est au début du mois de mars que la présence des éléments de Ançar Eddine devient évidente aux côtés des combattants du MNLA. D’ailleurs deux des Mauritaniens appartenant à AQMI meurent dans les combats d’Aguelhok.
Ce sont donc les éléments de ce mouvement qui commettent les exactions de Aguelhok, notamment l’assassinat de 83 soldats maliens appartenant à des ethnies autres que celle des Touaregs. On croit alors à une manœuvre du pouvoir d’ATT qui reçoit personnellement les images sur clé USB et qui les distille par la suite. On inscrit cela dans le cadre d’une tentative de détruire l’image du MNLA sur la scène internationale. Mais l’on n’oublie pas qu’il s’agit là aussi  d’une manière d’attiser les ressentiments ethniques et tribaux pour entraîner le Mali dans une nouvelle guerre civile. Les réactions ne tardent d’ailleurs pas. Un peu partout, en commençant par Bamako, les populations blanches, Touaregs et Arabes (Maliens et non Maliens) sont violemment prises à partie par une population déchainée. L’exode commence. Et avec lui, les misères et la souffrance. Ce qui nourrit les sentiments anti-maliens. Mais c’est le coup d’Etat du 22 mars qui donne un coup d’accélérateur à l’insurrection généralisée. C’est aussi à ce moment que les factions jihadistes décident d’y aller carrément.
Plus rapides, plus mobiles, mieux équipées et plus aguerries que les combattants du MNLA, les unités salafistes s’empressent de prendre les villes les unes après les autres.
C’est à Kidal que ces groupes vont décider de faire sans le MNLA. Au moment du siège de la ville, l’une de ses «entrées» est confiée au MNLA qui négociait déjà avec le commandant de la place, le colonel El Haji Gamou. Celui-ci pose ses conditions pour le ralliement : le laisser sortir avec ses hommes, sécuriser ceux parmi eux qui n’appartiennent pas aux tribus de l’Azawad et annoncer plus tard son ralliement au mouvement de rébellion. Ce qui fut fait. Pas du tout du goût des factions jihadistes qui décidèrent alors d’éjecter le MNLA de la ville. Et surtout de faire vite pour occuper le maximum de villes du Nord avant le MNLA. Ce qui fut fait.
La grande ville de Tombouctou tombe et c’est le moment pour les jihadistes de pavaner.
Tous les chefs se retrouvent aux côtés d’Iyad Ag Ghali qui déclame ses objectifs. «Nous voulons imposer la loi islamique dans notre pays. Pour y arriver, nous suivons le chemin du prêche et de la bonne parole, selon les préceptes édictées par Allah et son Prophète, notamment en assistant les plus faibles et en combattant les impies jusqu’à ce qu’ils témoignent de l’unicité de Dieu». L’objectif n’est pas la partition du Mali, mais son islamisation et l’application de la Chari’a dans tout son espace.
Dans une déclaration publiée par nos confrères de l’ANI, le chef de Ançar Eddine déclare que son mouvement n’est pas «un rassemblement ethnique ou tribal, encore moins racial, mais nous appartenons à tous les musulmans, à toute la Umma islamique et nous n’avons d’ennemis que les impies et les incroyants». Il ajoute dans la même déclaration : «nous appelons ceux de nos frères et de nos familles de la province de Tombouctou à travailler avec nous en vue de la réalisation de nos objectifs». Lesquels se résument ainsi : islamisation et application stricte des préceptes islamiques ; normalisation la vie quotidienne par le retour aux activités dans la ville ; soutien du développement de la région. Son mouvement a installé un conseil provisoire dirigé par Cheikh Oussa, deuxième figure du groupe Ançar Eddine, à Kidal et un deuxième à Tessalit dirigé par Brahim Bonneh.
Ainsi donc le Mollah Omar de la région sahélo-saharienne vient-il donner son onction à Al Qaeda au Maghreb Islamique en recevant ses différents chefs chez lui et en appelant à l’application stricte de la Chari’a. Reste à savoir si c’est l’objectif réel d’AQMI ou si c’est plutôt, pour elle, une catastrophe.

3. Le MUJAO, cibler l’Algérie d’abord

Le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest est le dernier-né des groupes jihadistes opérant au sein de la nébuleuse AQMI. Il est dirigé par Sultâne Ould Badi, un Arabe malien de Gao. D’ailleurs la majorité de ses combattants sont de Gao. Les autres appartiennent à l’ensemble maure, soit du Sahara occidental (camps de réfugiés sahraouis), soit de Mauritanie. En fait, le porte-parole actuel n’est autre que Hammada Ould Mohamed Khayr, évadé de prison en Mauritanie en 2006 en même temps que Khadim Ould Semane, condamné à mort plus tard. Interpellé par les autorités maliennes, il sera libéré en contrepartie de la libération d’un diplomate canadien fin 2007. Des négociations où, soit dit en passant, Iyad Ag Ghali a joué son premier grand rôle.
Pour comprendre le mouvement, il faut rappeler qu’il est une réaction au refus des chefs d’AQMI de confier la direction d’une Seriya (unité) à un Maure. La seule Seriya dirigée par un non Algérien est celle que dirige Abdel Kerim Targui, le proche parent d’Iyad Ag Ghali. Cette seriya dépend de la katiba (bataillon) Tarek Ibn Zeyad de Abdel Hamid Abu Zeyd, rendu célèbre à la suite des différents assassinats dont il serait coupable.
C’est une partie de l’élément maure (de Mauritanie, du Mali et du Sahara) qui a fait scission. Est-ce vraiment une scission ?
Le 23 octobre 2011, trois humanitaires européens – deux Espagnols et une Italienne – sont enlevés par un groupe armé en plein jour dans le camp de réfugiés sahraoui de Rabouni, non loin de Tindouf. On sait immédiatement que les opérateurs directs ne sont que des intermédiaires. Ils sont en contact direct avec Bella’war qui les dirige pendant les premières vingt-quatre heures qui ont suivi l’enlèvement. Il semble prêt à prendre possession du «butin» et demande par intermittence s’il s’agit de la «bonne qualité», sous-entendu s’il s’agit d’Espagnols, de Français, d’Italiens… de ressortissants de ces pays qui acceptent de payer les rançons. Les Anglais dont le pays ne paye pas, ne sont pas appréciés comme denrée.
Alors que tous les services de renseignements de la région et même du monde sont braqués sur l’itinéraire que pourraient suivre les ravisseurs, Bella’war se défile brusquement et disparait des radars de contrôle. On apprend alors l’existence d’un groupe appelé Unicité et Jihad en Afrique de l’Ouest qui revendique le rapt. Inconnu jusque-là, il s’impose comme une nouvelle katiba, sinon un avatar de l’une des katibas existantes.
Son deuxième fait d’arme est l’opération du 4 mars dernier à Tamanrasset. Un attentat à la voiture piégée est perpétré contre un centre de sécurité. Le modus operandi, la symbolique de la cible (Tamanrasset est le siège du commandement unifié des forces antiterroristes des pays du champ), les moyens utilisés… tout indique que c’est AQMI. Surprise : le MUJAO revendique l’attaque. On comprend alors que derrière ce mouvement se cache un objectif, celui de toucher l’Algérie, de lui faire ressentir l’effet boomerang de AQMI.
Les évènements de cette semaine révèlent une animosité particulière vis-à-vis de ce pays de la part de cette excroissance de la nébuleuse terroriste. En effet, le premier acte du mouvement à Gao qu’elle occupe, est l’enlèvement du consul algérien dans la ville et du personnel du consulat d’Algérie à Gao. En occupant les locaux du consulat, ils ont brûlé le drapeau algérien et saccagé le bâtiment. Une preuve de plus que l’inspiration première est de «mordre dans l’Algérie».
De leurs côtés, les chefs AQMI, Bella’war, Abu Zeyd et Abul Hammam ont tenu une réunion à Tombouctou autour de Iyad Ag Ghali dans les locaux utilisés un moment par l’Armée mauritanienne comme base avancée dans la lutte contre AQMI. Un air de revanche symbolique à défaut de signifier quelque chose sur le terrain.
Malgré cette inspiration anti-algérienne et le parcours de sa deuxième personnalité, le Mauritanien Ould Mohamed Khayr alias Abu Qoulqoum, le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest reste au niveau de la simple milice. Surtout que son chef, le Malien Sultâne Ould Badi est un trafiquant notoire. Alors que Ould Mohamed Khayr a toujours été jugé comme un aventurier par ses compères d’AQMI qui n’ont jamais eu confiance en lui.
Un autre mouvement partage le souci de cibler l’Algérie. Un peu plus marginal que le MUJAO, le «mouvement des fils du Sahara pour la justice islamique», composé essentiellement des ressortissants des zones sahariennes algériennes. Né en 2007, il a eu à son actif une attaque célèbre : l’opération de Djanet effectuée le 8 novembre 2007 et à la suite de laquelle les autorités algériennes ont ouvert des pourparlers avec le mouvement. Pour ce faire, elles auraient utilisé les services des notabilités locales pour avoir une accalmie. Le mouvement réapparait en septembre 2011 à travers un violent communiqué annonçant que le mouvement prend ses bases dans le nord malien avec pour objectif de s’attaquer au pouvoir algérien. Les combattants de ce mouvement seraient aujourd’hui sous la bannière du MUJAO pour certains, de Ançar Eddine pour d’autres.

4. AQMI, parrainage risqué

Si l’on fait le parallèle entre ce qui s’est passé en Afghanistan et ce qui se passe encore dans la zone sahélo-saharienne, on pourrait dire que le mouvement Ançar Eddine serait à AQMI et aux autres factions jihadistes, ce que les Talibans du Mollah Omar ont été à Al Qaeda et à Ben Laden, un parrain protecteur.
Les retrouvailles de Tombouctou entre les chefs de différentes factions indiquent le degré d’implication de l’ensemble des groupes armés jihadistes. Mokhtar Belmokhtar alias Bella’war chef de la katiba des Mulathamine (bataillon des enturbannés), Abdel Hamid Abu Zeyd chef du bataillon Tareq Ibn Zeyad et Abul Hammam, qui dirige le bataillon Al Furqan se seraient retrouvés autour du chef du groupe Ançar Eddine, Iyad Ag Ghali. Pour parler probablement de la création d’un Etat islamique salafiste et du rôle futur de chacune des factions. Ou pour préparer les contre-attaques éventuelles, venant ou non de l’extérieur. Ils peuvent déjà se congratuler.
Créé en 1998, le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) est venu s’implanter dans cet espace sahélo-saharien, créant un Emirat qui a vécu du rapt d’Occidentaux et des trafics notamment de drogue.
Dirigé depuis 2004 par Abdel Malek Droukdal alias Abu Mus’ab Abdel Wedoud, ce groupe a pris langue avec Al Qaeda. Le 11 septembre 2006, le deuxième homme de la nébuleuse, Ayman Al Dhawahiri, annonçait le ralliement du GSPC à Al Qaeda mère. Ce qui sera confirmé par Droukdal deux jours après.
Mais il faudra attendre le 24 janvier 2007 pour voir le GSPC changer de nom et devenir Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI). Droukdal rêve d’un Emirat au Sahara. «Nos objectifs principaux sont les mêmes qu’Al-Qaïda mère, affirme-t-il dans une interview au New York Times en 2008. Concernant le Maghreb islamique, le plus important est de sauver nos pays des tentacules de ces régimes criminels, qui ont trahi leur religion et leurs peuples. Parce qu’ils sont tous les sécrétions de la colonisation qui a envahi nos pays pendant deux siècles et permis à ces régimes de gouverner, les intérêts occidentaux ne peuvent être protégés».
Il nomme Yahya Jouady à la tête de l’Emirat du Sahara (9ème région après les huit de l’Algérie). L’Emirat couvre cet espace sahélo-saharien qui s’étend sur les frontières du Mali, du Niger, de la Mauritanie, de la Libye, du Tchad et même du Nigéria (plus tard). A l’origine, Yahya Jouady alias Abou Ammar devait supplanter Bella’war accusé d’être plus occupé à faire des affaires qu’à développer le Jihad dans la région. Son arrivée en 2007, ne changera rien dans le dispositif existant. Bella’war est déjà assez implanté dans le tissu social pour se laisser faire facilement. Scellant des alliances avec les tribus locales à travers les mariages et l’assistance sociale en cas de besoin. La première approche consistera à susciter la création d’autres bataillons, afin de marginaliser Bella’war.
La katiba Tarek Ibn Zeyad, appelée aussi El Fatihine, voit le jour. Elle est dirigée par Abdel Hamid Abu Zeyd rendu célèbre par l’assassinat de certains de ses otages, notamment le Britannique Edwin Dyer et le Français Michel Germaneau. Il opère plus à l’est, vers la frontière avec le Niger. Il serait derrière le rapt des cinq français travaillant à Arlit au Niger.
Un autre bataillon voit le jour. Il est constitué autour de Yahya Abu Hammam, plus proche d’Abu Zeyd que de Bella’war. Sa katiba s’appelle «Al Fourqane». C’est lui qui va s’occuper un moment du dossier Mauritanie. Il est derrière toutes les attaques perpétrées contre notre pays, et participe en personne à certaines d’entre elles.
Bella’war, le plus saharien et le plus ancien de tous, dirige la katiba des «Moulathamine». Il est le moins brutal de tous et le plus lié aux trafics de tout genre. C’est le preneur d’otages numéro un. Des otages qu’il négocie toujours et qu’il libère en contrepartie de sommes faramineuses (trois à quatre millions d’euros par tête en moyenne), ou de libération de prisonniers jugés proches de son réseau.
Enfin, pour couronner l’opération d’implantation et d’insertion sociale, une quatrième katiba a été créée. «Al Ançar», c’est son nom, est dédiée aux Touaregs salafistes jihadistes. Elle est dirigée par l’un d’eux, Abdel Kerim Targui, proche cousin de Iyad Ag Ghali qui créera plus tard Ançar Eddine. Le prosélytisme salafiste jihadiste a porté ses fruits dans une région de non-droit, abandonnée par les pouvoirs centraux et où le crime organisé s’est développé à la faveur de ce foisonnement d’organisations combattantes illégales.
Ils seraient entre quatre et cinq cents combattants dont la moyenne d’âge est de 25 ans, venant de tous les pays de la zone sahélo-saharienne : Algérie, Maroc, Mauritanie, Mali, Niger, Burkina, Tchad, Sénégal et même Nigéria. Ils auraient largement profité du chao libyen pour acquérir de nouvelles armes, plus sophistiquées, plus meurtrières que celles qu’ils ont utilisées jusqu’à présent.
Que veut AQMI ? Créer un Emirat islamique qui servira de base pour «combattre les impies», gouvernements jugés à la solde de l’ennemi de l’Islam (l’Occident), populations ne se pliant pas aux «préceptes originels de l’Islam», intellectuels, cadres, femmes dévoilées… et surtout lutter contre la démocratie considérée comme une apostasie, source des malheurs des peuples de la sous-région. C’est du moins l’objectif officiellement exprimée des chefs de l’organisation.
Dans la vie de tous les jours, on les voit se mêler aux trafics les plus illicites : drogue, armes, personnes, cigarettes et même alcool. Et s’ils ont réussi leur insertion sociale dans cet espace sahélo-saharien, c’est bien parce qu’ils ont pu «accompagner», couvrir et promouvoir les activités qui font vivre les populations et qui sont nécessairement des activités illégales.
Avec la prise des grandes villes du nord malien par ses alliés d’Ançar Eddine et ceux de MUJAO, AQMI aura à faire une mutation. De mouvement faisant des montagnes Tegharghar un Tora Bora saharien, AQMI est désormais adressée dans des villes comme Tombouctou, Gao ou Kidal. Peut-être pas ses éléments algériens, mais son élément africain, surtout malien et mauritanien. Est-ce à dire qu’il est plus facile désormais d’éradiquer le mouvement ? Rien n’est moins sûr maintenant qu’elle a de nouveaux armements, des bases fixes et un territoire à défendre.
Les spécialistes ont souvent parlé de la volonté d’Al Qaeda de provoquer l’arrivée sur ses territoires d’opération d’un élément militaire occidental. Cela lui permet à chaque fois de transcender le débat sur la légalité de combattre une armée d’occupation, et en même temps de justifier de nouveaux recrutements. C’est la théorie de «l’ennemi lointain» qu’il faut amener à proximité en combattant «l’ennemi proche» que sont les gouvernements locaux (Jean-Pierre Filiu).
Certains considèrent que les attaques du 11 Septembre ont été une catastrophe pour Al Qaeda et ses protecteurs Talibans, pour ce qu’elle a signifié de désastres, de morts ciblées, de démantèlements de réseaux, de perte d’initiative… D’autres estiment par contre qu’elle a permis à la nébuleuse de vivre une multitude de vies et sur tous les continents.
Qu’en sera-t-il de l’expérience que nous voyons se déployer au Mali ? Va-t-elle servir AQMI en en faisant un mouvement de libération nationale, ou, au contraire, va-t-elle la desservir en mettant à nu son caractère encombrant pour les populations ? En d’autres termes, dans les jours qui viennent, l’enjeu ne sera pas seulement «quelle intervention pour éradiquer le mouvement ?», mais celui de savoir qui des protagonistes présents, aujourd’hui alliés, va servir l’autre (ou le desservir).

5. La drogue, le nerf de la guerre

En Mauritanie, les saisies de drogue ont connu une multiplication au lendemain du coup d’Etat du 3 août 2005. C’est à cette date-là que, partout en Afrique de l’Ouest, les saisies augmentèrent. L’on découvrait alors l’ampleur du phénomène et son implantation. On se souvient combien chez nous cela a été laborieux de mettre à nu les réseaux et leurs commanditaires.
On estime que ces années-là voyaient passer entre 80 et 100 tonnes de cocaïne en transit sur le continent africain. Particulièrement par les pays de l’Afrique de l’Ouest. On découvrait, au milieu des années 2000, que des Etats étaient en passe de devenir des Rogue States (Etats voyous). La Guinée Bissau, la Guinée Conakry, le Mali, le Nigéria, un peu le Sénégal, la Mauritanie, la Gambie.
Les routes que prenait le trafic de drogue allaient des côtes vénézuéliennes, de Colombie et d’autres pays latino-américains, traversaient l’Atlantique pour aller dans les ports africains, et souvent dans les déserts. En Mauritanie, les réseaux de ce genre ont été vite démantelés au lendemain du putsch de 2005 (comme si le changement avait mis à nu des réseaux de trafic qui ne prenaient pas de précaution particulière). Cela continua dans le désert malien où l’existence de foyers de tension multiples était propice à l’absence d’autorité sur place.
Les réseaux impliquèrent des dignitaires du régime, comme partout ailleurs en Afrique de l’Ouest. Et, plus grave, les groupes terroristes commencèrent à en vivre. Soit en faisant payer des droits de passage aux trafiquants, soit en leur proposant protection et patrouille de sécurité moyennant une partie des bénéfices.
L’argent généré sert à corrompre les hautes sphères de l’Etat. Pour AQMI, il sert aussi à faire des actions sociales qui lui permettent de se rapprocher des populations. On estimait que l’argent de la drogue servira à certains politiques dans les élections initialement prévues le 29 avril prochain. Le coup d’Etat intervenu a peut-être cassé le rythme, remettant en cause l’establishment lié au trafic de drogue. Ce qui a accéléré l’évolution sur le terrain des mouvements armés qui sont souvent – très souvent – des milices formées et organisées dans la seule perspective de protéger les réseaux.
Ce n’est pas par hasard si certains officiers appartenant aux communautés du nord malien, se sont donnés dans la résistance à l’avancée des factions armées, en fait ils ne faisaient que défendre leurs intérêts. En filigrane se dessinait la bataille pour le contrôle des routes commerciales transsahariennes des trafics, notamment de drogue. Les communautés qui risquent d’être supplantées sont celles des Arabes – fortement présents dans les réseaux – et celle des Imghad. Elles le seront par des éléments Ifoghas et ceux des groupes AQMI qui se seront convertis carrément dans le trafic.
La première conséquence «sociale» de ce changement de parrains, est la mise à l’écart de l’ensemble arabe qui n’aura plus d’autre choix que de se jeter dans les bras des factions AQMI. Dans un environnement comme celui qui va suivre le départ de l’armée malienne du Nord et l’arrivée en puissance des Touaregs, les Maures de Tombouctou, de Gao et du Nord en général vont rallier en masse les groupes armés dits salafistes. Ne serait-ce que pour se défendre.

Dossier réalsé par Ould Oumeïr
La Tribune N°590 du 8 avril 2012



Lutte contre AQMI :


Après l’Etat Major conjoint, la force commune

Cela ressemblait plus à une mission de reconnaissance qu’à une unité de combat ayant une mission militaire active. Nous sommes jeudi 19 mai, au petit matin, quelque part dans le désert mauritanien, du côté de Lemghayti. Une patrouille de l’Armée nationale prend en chasse une voiture 4x4 qui refuse de s’arrêter. Nous sommes dans une région militarisée depuis février 2010. En fait, un couloir qui va du Dhar de Néma au sud aux frontières algéro-mauritaniennes du nord-est, soit toute la Majabaat el Koubra.
C’est ici que, depuis quelques années, les groupes armés mais aussi les trafiquants internationaux ont choisi de fructifier et d’agir. Le 4 juin 2005, il y a eu l’attaque de Lemghayti qui a coûté 15 vies à notre Armée nationale. Le 27 décembre, c’est à Ghallawiya que les terroristes ont tué trois des nôtres. Le 15 septembre 2008, 12 des nôtres sont tués à Tourine. C’est cette dernière attaque qui décide le pouvoir à «épurer» la zone. Première démarche : contrôler l’ensemble du territoire national. Deuxièmement, constituer des unités mobiles légères et bien équipées pour pouvoir agir à tout moment et en tous lieux. Troisièmement couvrir ce vaste territoire et obliger les passants à suivre des couloirs bien déterminés. Quatrièmement enfin, entreprendre des actions de prévention et ne pas attendre que l’ennemi se manifeste.
Cette stratégie a été payante. Jamais depuis septembre 2008, les terroristes n’ont attaqué de front l’Armée mauritanienne dans son territoire. Les incursions, après les réussites dans deux prises d’otages (novembre et décembre 2009), ont diminué. Toutes les attaques préparées par les terroristes contre la Mauritanie ont échoué (Néma, Nouakchott…). De nombreux circuits de trafiquants ont été démantelés et leurs commanditaires arrêtés.
L’opération du 19 mai vient confirmer cela. Après un échange de tirs qui n’aura duré que quelques minutes, les occupants de la voiture ont abandonné le combat. Ils étaient deux hommes armés. L’un d’eux a été grièvement blessé. Il décédera des suites de ses blessures.
Il s’agit effectivement d’un élément d’AQMI activement recherché par les autorités mauritaniennes depuis juin 2005. Il faisait en effet partie des assaillants de Lemghayti. Il serait originaire des tribus arabes du nord malien.
Le deuxième qui faisait office de chauffeur, est aux mains des forces de sécurité qui l’interrogent. On ne sait rien encore sur leur mission. On peut simplement dire que le véhicule ne transportait rien d’autre que les deux hommes. La mission pourrait être une mission de reconnaissance. Comme elle peut être destinée la fiabilité du dispositif mauritanien. Surtout qu’on fait état d’une seconde voiture interceptée quelques jours avant.
Cinq jours avant (14 mai), un Algérien et un Libyen, appartenant tous deux à AQMI, avaient été arrêtés cette fois-ci en Tunisie. Ils avaient des explosifs en leur possession, en plus d’un GPS et de quelques téléphones. Comme l’arrestation s’est déroulée non loin des frontières avec la Libye, cela a relancé fatalement le débat sur la possible mainmise d’AQMI sur le théâtre de guerre libyen. L’exemple somalien est encore dans les esprits. Les insurgés libyens sont profondément marqués par l’idéologie salafiste. Et l’absence d’autorité profite largement aux bandes armées vivant de trafics d’armes, de drogue et de traite des personnes. Quoi de plus attirant pour AQMI qui commence à subir les effets de la pression militaire exercée par les pays du Sahel et l’Algérie.
C’est justement dans ce cadre qu’il faut situer le dernier accord entre la Mauritanie, le Mali, le Niger et l’Algérie, accord visant à créer une force commune pour lutter contre AQMI et le crime organisé en général.
La force devrait compter jusqu'à 85 000 hommes. Elle devrait être opérationnelle d'ici 18 mois. La mission de la force sera de patrouiller dans la région désertique du Sahel et de combattre le crime organisé transfrontalier.
"Plus que jamais, nos peuples et nos pays sont exposés à la menace terroriste, à l'existence d'armes lourdes en errance, à la persistance du trafic de drogue et au recours à la prise d'otages", a déclaré Soumeylou Boubèye Maiga, ministre malien des affaires étrangères. "Nous sommes prêts pour ce combat, pour cette lutte contre Al-Qaïda", a-t-il ajouté.
Les quatre pays ont un état-major opérationnel conjoint (Cémoc), basé à Alger, qui "a clairement identifié la contribution de chaque Etat en terme de forces terrestres et aériennes", a précisé le ministre malien. Tout en apportant une précision de taille : "Nous voulons faire des actions durables et faire du Sahara une zone de stabilité en matière d'actions, de coopération militaire". Et non une zone de guerre comme en Afghanistan.
La démarche des Etats reste ouverte aux autres pays de la région intéressés. Au Maroc, à la Tunisie, au Sénégal, au Burkina Faso… Chacun de ces Etats subit déjà des menaces sérieuses de la part de l’organisation terroriste implantée dans l’espace sahélo-saharien. 
(publié dans l'édition N°550 du 22 mai 2011)




Attentat de Marrakech :
Le label AQMI, c’est sûr

Il s’appelle Adil Al Etmani, pas encore la trentaine. Son parcours est typique de tous ces jeunes qui finissent par verser dans la violence. Une scolarité perdue. Une jeunesse sans repères et sans objectifs. L’oisiveté continue. Et on finit par prendre le chemin tracé depuis quelques années par les Salafistes Jihadistes. Pas besoin d’appartenir à un groupe. Il suffit d’épouser l’esprit et d’ambitionner d’utiliser les méthodes.
Voilà Adil Al Etmani cherchant d’abord à rallier les théâtres de combat en Tchétchénie, puis en Irak. Chaque fois, il est remis aux autorités de son pays, le Maroc. Il essaye en 2008 du côté de Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), avec deux de ses copains, aussi jeunes que lui. Ils viennent même en Mauritanie, dans l’espoir de s’ouvrir la route vers les camps du nord Mali. Rien à faire : la peur de l’infiltration probablement empêche AQMI d’adouber de nouvelles recrues qui plus est venant du Maroc. Les chefs d’AQMI traînent avec eux cette appréhension «algérienne» vis-à-vis du Royaume.
Il revient chez lui, à Safi où le débat avec ses copains sur l’opportunité de porter la violence en terre d’Islam, commence. Lui est convaincu que le Jihad se justifie partout, y compris sur le territoire marocain, ses copains moins. Petits boulots, petits projets.
Il y a six mois serait né chez lui un projet fou, celui de faire exploser un hôtel ou un restaurant, pour lui haut lieu de débauches. De préférence dans une ville touristique connue pour ce que les salafistes appellent «la perdition et la permissivité». Marrakech, la ville rouge, vieille capitale du mouvement réformiste almoravide (11ème siècle), symbole d’un Maroc ouvert et progressiste, sera la cible de Adil Al Etmani.
Il apprend sur le net comment fabriquer un engin explosif, comment l’actionner à distance. Ne reste plus que le choix du lieu. Ce sera ou le Café de France ou l’Argana à Marrakech. C’est là où l’on retrouve le plus de touristes étrangers se désaltérant et profitant de l’atmosphère carnavalesque de Jama’ el Fenaa.
L’objectif de Adil Al Etmani est de produire un attentat similaire à ceux de Londres, Madrid avec «l’effet d’un 11 septembre». Il confectionne «sa bombe» avec un puissant explosif, des clous, des débris de verre, tout ce qui peut tuer, les place dans deux cocottes-minutes, les met dans un sac et s’en va dès l’aube à Marrakech. On est mercredi 18 avril, touristes et autochtones profitent du printemps pour aller se balader dans ce haut lieu de tourisme culturel.
Déguisé en néo-hippie, avec une perruque, il se présente comme un client ordinaire, cheveux longs et sape de saison. Il commande à boire et reste près d’une heure sur la terrasse, se donnant l’air de quelqu’un qui profite de ses dernières heures sous le soleil éclatant d’un Maroc radieux. A un moment, il paye la note et s’en va. Laissant derrière lui le sac et les bombes.
C’est seulement à l’extérieur qu’il actionne sa machine à tuer. Semant la mort au premier étage de l’Argana. Le bilan est lourd : 14 morts sur le champ, puis deux autres, et enfin un mort plus tard. Au total 17 morts dont la majorité étrangers.
La police marocaine tombe sur les débris du portable ayant servi à faire exploser la charge. Heureusement que la puce est encore utilisable. C’est la traçabilité de ce portable qui permettra d’identifier le propriétaire. Le reste va de soi, du moment que Adil Al Etmani est connu de la police de son pays. Il est arrêté avec ses deux copains moins de dix jours après l’attentat. Il passe aux aveux et déclare avoir agi seul. Les deux copains étaient au courant de son projet, mais avaient refusé d’y participer parce qu’ils contestaient la légitimité d’un tel acte en terre d’Islam.
Même si AQMI a réfuté toute responsabilité dans cet acte, tout l’accuse : le cursus de l’auteur présumé, les motifs, le mode opératoire et l’objectif. On se souvient que quand les quatre touristes français avaient été tués en Mauritanie (24/12/2007), AQMI avait refusé d’endosser l’acte. Pourtant on saura plus tard que les auteurs du meurtre ont obéi à une directive de l’un des Emirs du groupe jihadiste. L’un des présumés assassins – aujourd’hui tous condamnés à mort – a d’ailleurs trouvé refuge dans le nord du Mali. Les deux autres ont été arrêtés en Guinée Bissau alors qu’ils tentaient de rallier le nord malien en passant par l’Algérie.
En fait, il s’agit d’actes perpétrés par des éléments actifs – ou prétendants – de AQMI qui peut endosser ou non après la responsabilité de l’acte. Le communiqué publié par nos confrères de l’ANI – et qui n’a pas été authentifié – laisse entendre que AQMI soutient et compte sur la révolte populaire pour faire trembler le régime en place. AQMI reconnait que l’acte perpétré le 18 avril ne peut servir que les ennemis des réformes.
Et qui entreprend les réformes ? C’est le Roi Mohammad VI qui a choisi d’anticiper sur les demandes de changement pour ouvrir le grand chantier de la modernisation des institutions. Et qui est contre les réformes ? Tous ceux qui sont porteurs de vieilles idées fascisantes et rétrogrades, cela va de la vieille garde makhzénienne à… l’ensemble des courants nourris de l’idéologie salafiste dont AQMI n’est que la variante la plus visible.
Il y a quelques semaines mourait un journaliste italien, assassiné à Gaza par des salafistes jihadistes. J’en profitais pour écrire : «Quand il y a eu les révoltes de Tunisie et d’Egypte, les ennemis de cette évolution heureuse se sont manifestés d’abord en nous, parmi nous. Leur grand souci fut de détourner, de dénaturer l’ébullition qui prenait l’allure d’une libération de l’homme arabe, pour en limiter les effets et la portée. Ne nous étonnons pas de voir ranimés les déchirures religieuses en Egypte, tribales et sectaires ailleurs. Ne nous étonnons pas non plus de voir les adeptes de la violence politique, expression de l’obscurantisme idéologique longtemps cultivé chez nous, ne nous étonnons pas de les voir reprendre du service. Tout cela procède de la même logique : ramener le Monde Arabe en arrière. Reste à savoir si les pas franchis n’ont pas donné une évolution irréversible». Nous l’espérons…

Ould Oumeïr (N° 548 du 4 mai 2011)
 
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SNIM :
D’un directeur à l’autre

La semaine dernière a vu la confirmation de Mohamed Abdallahi Ould Oudaa à la tête de la Société nationale industrielle et minière (SNIM). Il a jusque-là été ministre des mines et de l’industrie. Son ministère, comme nous le disions dans nos précédentes, a été dissout. Ce n’est donc pas lui qui est en question.
Il remplace, comme Administrateur-Directeur général (ADG), Taleb Ould Abdi Vall nommé ministre du pétrole, de l’énergie et des mines. Il aura passé dix-huit mois à la tête de la SNIM, un peu moins que Mohamed Ali Ould Sidi Mohamed nommé pendant la transition et qui a finalement fait vingt mois. Il aura cependant fait plus que Youssouf Ould Abdel Jelil qui n’a fait que quinze mois, plus encore que Kane Ousmane qui n’a fait que neuf mois. On est très loin des vingt ans de Mohamed Saleck Ould Heyine qui a marqué de son empreinte l’entreprise minière.
Pour la petite histoire, retenons que Ould Abdi Vall est le deuxième ADG, après Kane Ousmane, qui quitte son poste pour être Ministre. Que Ould Oudaa est le premier ADG qui vient directement d'un poste ministériel. Si l’on excepte Ely Ould Allaf nommé directeur général de la SNIM après avoir été ministre. C’est aussi la première fois qu’on assiste à une telle permutation (entre Ould Abdi Vall et Ould Oudaa).
Poussons un peu pour dire que, sans compter Ismail Ould Amar qui a été à la création, 50% des patrons de l’entreprise ont eu à y travailler avant de la diriger : Baba Ould Sidi Abdalla, Mohamed Saleck Ould Heyine, Kane Ousmane et Mohamed Abdallahi Ould Oudaa. Un seul venait cependant directement de l’intérieur de la boîte (Ould Heyine), les quatre autres sont revenus après des expériences ailleurs. Sur le plan exercice, ces cinq directeurs (50%) ont occupé 70% de la vie de la SNIM-SEM. Deux des autres ADG venaient d’organismes internationaux : Ould Abdel Jelil de l’UNICEF et Ould Sidi Mohamed du BIT. Kane Ousmane qui était à la BAD, est passé par la Présidence, pour devenir Gouverneur de la BCM avant d’aller à la SNIM. Enfin, six d’entre les ADG sont des ingénieurs de formation.
En partant, Ould Abdi Vall a envoyé une correspondance aux travailleurs de la société. «Il me plaît en ce moment particulier de vous dire combien j’ai été marqué par  votre esprit d’équipe  votre sens  de la responsabilité  et votre conscience professionnelle.
Votre engagement de tous les jours et votre appui constant nous ont permis  de négocier et de conclure un des financements de projets parmi les importants de notre pays tout comme ils ont été à l’origine des résultats inédits auxquels nous sommes parvenus au cours de l’année qui vient de s’écouler ; nous aurons assurément écrit, ensemble, l’une des plus belles pages de l’histoire de la SNIM.
L’horizon étant à présent dégagé à travers les différentes composantes du PDM, Il faudra maintenant aller de l’avant, chacun d’entre vous à la place qui est la sienne,  Cadres, Agents de maîtrise et Ouvriers, pour que la SNIM  demeure la locomotive de notre économie nationale et pour qu’elle puisse être toujours présente sur l’échiquier des grandes entreprises minières du monde
Evoluant dans un secteur de plus en plus exposé aux concurrences les plus rudes, aussi bien au niveau de la compétitivité  dans tous ses aspects  que de la qualité des produits proposés aux clients,  la SNIM  devra  en effet innover et  déployer des efforts  encore plus importants  en  mettant  à profit son expérience et son savoir faire pour  garder son rang, voire l’améliorer ; cela est parfaitement à sa portée, ayant  démontré dans un passé encore récent,  sa capacité d’adaptation aux situations les plus difficiles.
Je vous exhorte à persévérer dans cette voie pour la pérennisation de votre outil de production, la consolidation et l’élargissement de vos acquis sociaux dont la retraite complémentaire aura été le plus emblématique.»

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Affaire SONIMEX :
De l’art d’occulter l’essentiel,
Mais où sont passés les 12 milliards ?

Les «affaires» se suivent et se ressemblent : des fonds perdus dont on cherche à suivre les traces, des présumés «coupables» d’indélicatesses en prison, une levée de boucliers contre les autorités, des dénonciations qui débouchent fatalement sur l’instrumentalisation politique (et/ou sociale)… Et les fonds qu’on oublie pour avoir occulté l’essentiel.
Le 22 avril 2008, une convention est signée entre la BCM et la SONIMEX dans le cadre du fameux PSI (programme spécial d’intervention lancé à l’occasion de la crise alimentaire). Une convention qui parle de «plan d’urgence» au lieu de «PSI», alors que les autorités de l’époque évitaient ce label qui rappelle l’opération de 2003 qui avait coûté trop cher à l’Etat (une trentaine de milliards sans contrepartie).
La convention désigne la BCM comme «le prêteur», la SONIMEX comme «l’emprunteur». Au terme de la convention, «le prêteur» disponibiliser un montant de 45 millions dollars au profit de l’emprunteur. Il doit «emprunter en cas de nécessité, un montant équivalent à la BID pour le rétrocéder à la SONIMEX par le crédit de son compte en devises ouvert auprès de la BCM». Ce montant sera finalement de 48 puis de 50 millions dollars selon les périodes.
Toujours selon les termes de la convention, la SONIMEX «domiciliera les subventions, les prêts de l’Etat et les recettes provenant des ventes de produits de première nécessité, des intrants agricoles ou des aliments de bétail dans son compte MRO ouvert dans les livres de la BCM». En d’autres termes, un compte en ouguiyas est ouvert pour permettre à la SONIMEX de rembourser l’emprunt. Il ne faut perdre de vue le fait que 48 millions dollars constituaient le quart (1/4) de la réserve en devise du pays. En tout état de cause, les modalités d’application de la convention sont signées en juin 2008.
Nous apprenons par le P-V de réunion du 23 octobre 2008 – le jour où un nouveau directeur général est nommé à la place de Moulaye El Arby Ould Moulaye M’Hammed qui a signé et mis en œuvre la convention – que sur le montant total prévu de 48.607.020,62 dollars, il a été réalisé le montant de 39.696.933,56 dollars, retirés sur les réserves en devises de la BCM. Selon ce P-V, la BCM avait d’abord eu un engagement de Murabaha Agreement, filiale de la BID pour un montant de 43 millions, mais que la crise politique de l’époque avait tout compromis.
Le même P-V nous apprend que le Ministère des finances, présent à la réunion, a déclaré avoir avancé 3,4 milliards UM à la SONIMEX mais qu’il les a récupérés. «En revanche, il a réglé à la BNM un Milliard d’UM pour le compte de la SONIMEX». La BNM, c’est la banque nationale de Mauritanie chez laquelle, le directeur général de la SONIMEX avait préféré orienter les produits de vente de ses stocks au lieu de le faire dans le compte ouvert pour cela à la BCM.
Toujours à relever dans le P-V de cette réunion, «La BCM s’est engagée dans cette opération qui ne relève pas de son champ d’action classique», conformément aux décisions du comité interministériel chargé du Programme spécial d’intervention qui va se muer rapidement en un «Programme d’urgence II». Tant il sera l’occasion de multiples malversations.
Au même moment, la SONIMEX, par la voix de son directeur général sortant, reconnait avoir vendu pour 3,6 milliards de blé au CSA. Le produit de la vente a été domicilié au Trésor qui s’est fait rembourser. Explication : «La trésorerie sous-tendue (?) de la SONIMEX s’explique, d’une part par la non vente des stocks, d’autre part par l’auto-remboursement du Trésor».
En conclusion, la SONIMEX s’engage, à vendre les stocks pour rembourser la créance, et à «impérativement, comme le stipule la Convention, domicilier à la BCM» le produit de ces ventes. «La priorité des recettes de la SONIMEX doivent être destinées exclusivement à l’apurement de l’opération de refinancement». Ce P-V est signé par Moulaye El Arby Ould Moulaye M’Hammed, directeur général sortant de la SONIMEX. Il passe la main à Mahfoudh Ould Aguatt alors que la situation est celle-là : la SONIMEX, pour avoir domicilié les produits de vente ailleurs que dans le compte ouvert à cet effet, est toujours redevable à la BCM des montants utilisés. Le 27 août 2008 déjà, le directeur général encore en place adressait une lettre à la BCM «sur la commercialisation des produits importés dans le cadre du prêt BID et les prévisions d’encaissement pour le remboursement». Pour une somme globale de 41.523.612,60 dollars.
Le 24 février 2009, une réunion a lieu à la BCM avec pour objet : «clarifier la situation créée par le non respect de la SONIMEX des termes de la Convention relative au financement des importations de PPN (produits de première nécessité, ndlr) dans le cadre du PSI». Le nouveau directeur général invoque la situation créée par deux mois d’inactivité, les ventes suspendues, les pertes de stocks (?). Mais aussi la chute des cours des produits achetés et la dépréciation conséquente de leur valeur. Ce qui, selon lui, l’a obligé à vendre à bas prix ces produits. Il déclare enfin que les produits des ventes opérées ont été dirigés vers des banques primaires «afin de payer des dettes antérieures». Allusion faite ici au fait que la domiciliation des produits de vente à la BNM avait permis à cette banque de se faire rembourser une créance au sujet de laquelle une partie du patrimoine immobilier de la SONIMEX a été hypothéquée au préalable.
Dans cette réunion, la BCM considère que «le financement de ces importations a coûté un montant de 50 millions USD puisé sur les réserves extérieures de la BCM». Fait plus grave, la BCM considère que «la liquidité injectée sur le marché pour l’opération SONIMEX crée un excès de liquidité en ouguiyas sur le marché et pèse aujourd’hui (avril 2009, alors que l’ouguiya est en chute face à l’euro, ndlr) sur le cours de la monnaie nationale». Pour les cadres de la BCM, l’injection d’un tel montant sans contrepartie ne peut qu’affecter le cours de la monnaie nationale.
C’est au cours de cette réunion qu’une décision est prise : «le transfert immédiat» des fonds déposés auprès des banques commerciales vers le copte courant de la Société à la BCM, mise en place d’un échéancier précis et état des lieux des stocks…
Depuis plus rien. Jusqu’à l’arrestation récente des deux anciens directeurs généraux de la SONIMEX suite à un audit réalisé par un cabinet extérieur. C’est d’abord Moulaye El Arby Ould Moulaye M’Hammed qui reste plusieurs jours aux mains de la police économique. C’est ensuite Mahfoudh Ould Aguatt. Et c’est à l’occasion, des polémiques ouvertes ici et là sur les rôles des uns et des autres, les raisons des une et des autres, sur ce qui se cache derrière… Tout cela pour faire oublier l’essentiel : où sont passés les 50 millions dollars de la BCM ? La question reste entière malgré les efforts déployés par les uns pour l’occulter, par les autres pour la noyer. Mais où sont passés les 50 millions dollars ? 50 millions dollars, c’est près de 12 milliards d’ouguiyas. Où est passé ce pactole ?

MFO
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AQMI :
L’objectif était de détruire le pays
Comment et par qui ?

Tout commence par une alerte donnée à partir des frontières mauritaniennes dès vendredi 28 janvier dernier. Trois voitures appartenant visiblement aux groupes terroristes d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) ont quitté un repaire situé au sud de Tombouctou, une sorte de forêt où les groupes de combattants trouvent refuge quand ils ne sont pas en plein désert. Les trois voitures se dirigeraient vers la frontière mauritanienne. L’alerte est immédiatement donnée.
Aux environs du 30 janvier, dimanche, les trois voitures traversent la frontière entre les villes de Djiguenni au Hodh Echargui et Kobenni au Hodh el Gharby. Elles avancent rapidement parallèlement aux frontières. Elles arrivent au Guidimakha et sont repérées avant de se perdre une nouvelle fois. Deux d’entre elles sont signalées par un poste de contrôle de la Gendarmerie dans la zone de Lexeiba I (Gorgol). Elles brûlent le contrôle mais ne sont plus que deux. On n’entendra plus parler de la troisième voiture qui assurait visiblement la logistique au reste du groupe.
C’est mardi 1er février, et par un heureux hasard, que l’une des voitures est retrouvée abandonnée dans la région de Maata Moulana, non loin de Rkiz au Trarza. Les gendarmes qui se rendent sur les lieux découvrent un arsenal important et une voiture bourrée d’explosifs, environ 1500 kilogrammes. De quoi faire sauter la moitié de la ville de Nouakchott. Un rapide ratissage permet d’arrêter un bissau-guinéen du nom de Youssouf Kalça alias Abu Jaafar. L’homme est connu des services mauritaniens. Agé de 29 ans, il a rallié les camps de AQMI au nord du Mali après un passage dans les écoles coraniques de Mauritanie. C’est là qu’il a été recruté en 2008. Il apparait dans toutes les vidéos tournées par le mouvement pour les besoins de propagande.
Il parle et donne des détails sur l’opération. La deuxième voiture se dirigeait déjà vers Nouakchott. Comme celle qu’il occupait avec ses amis, elle est bourrée d’explosifs. Il donne des noms. La traque continue. Mais il faut attendre un concours d’heureuses circonstances pour intercepter le deuxième véhicule. Après avoir essayé de forcer (ou de payer) les services de paisibles éleveurs, les terroristes les ligotent et les abandonnent. Ils seront secourus par hasard et donneront donc l’alerte. La voiture est à quelques kilomètres de la ville. Le Bataillon de la sécurité présidentielle (BASEP) qui est l’une des unités d’élite de l’Armée prend les choses en main. La suite on la connait : les terroristes qui foncent sur les unités lesquelles les font exploser. Nouakchott est secouée dans son sommeil. On dénombre 7 blessés au sein des unités mauritaniennes. Le ministère de la défense qui donne des détails, pas tous les détails cependant…
Mais où est passé la troisième voiture ? et où sont passés les deux autres occupants de la voiture abandonnée ? Pour la troisième voiture, personne ne sait encore. On suppose qu’elle doit être revenue à sa base parce qu’elle n’a pas été signalée depuis la première entrée du groupe. On suppose qu’elle assurait l’approvisionnement des deux autres véhicules jusqu’au point où ils pouvaient assurer leur autonomie pour aller jusqu’à Nouakchott. C’est plausible surtout qu’à bord du véhicule se trouvait l’2mir du groupe Tiyib Ould Sidi Ali. Il s’agit de l’un des plus redoutables combattants mauritaniens de AQMI. Il y a quelques années, il avait été arrêté en compagnie de son ami Hamada Ould Mohamed Khairou par les Maliens. En 2008, ils avaient été échangés contre les otages autrichiens enlevés en Tunisie. Avec lui à bord du véhicule un touarègue nommé Zakaria.
Tandis que les Nouakchottois se réveillaient difficilement du choc, les forces de sécurité continuaient la traque des deux fugitifs perdus quelque part dans le Trarza. Jeudi 3 février, un poste de gendarmerie près de Lexeiba II (Trarza) est averti de la présence de deux jeunes armés par des villageois. Sans prendre de précautions particulières, trois gendarmes prennent la route à bord d’un véhicule. Arrivés à la hauteur des deux terroristes, ils essuient un tir nourri. L’un d’eux est tué sur le champ et tombe. Son arme est récupérée par les terroristes qui pénètrent dans la forêt de Bezzoul au bord du fleuve. Alerte et encerclement de la zone par les gendarmes. On ne saura peut-être jamais comment les deux fugitifs ont pu sortir de là. On craint un moment de les avoir perdus complètement. Il faudra attendre l’intervention de l’Armée pour les retrouver une trentaine de kilomètres plus loin, non loin de Dar el Barka dans le lieu appelé Tessem 2. Les échanges de tir ne durent pas longtemps et se sentant perdus l’un des deux se fait exploser à l’aide d’une grenade tandis que l’autre est arrêté. Celui qui s’est fait exploser s’appelle Sidi Mohamed alias Zoubeir. C’est un ancien mauritanien des camps AQMI. Il apparait sur toutes les vidéos anciennes et récentes de propagande. Le second qui s’est fait arrêter s’appelle Saleck Ould Cheikh alias Abu Qaswara. Il est moins connu que son compagnon. Et contrairement à ce qui a été écrit un peu partout aucun des deux ne fait partie du groupe amnistié récemment.
D’ailleurs rares les noms publiés qui correspondent à la réalité. Le groupe était composé de huit terroristes : en plus de Saleck Ould Cheikh (Abu Qaswara), de Sidi Mohamed (Zoubeir), de Youssouf Kalça (Abu Jaafar), de Tiyib Ould Sidi Ali et de Zakaria, il y avait un algérien du nom de Saad, un nommé Mohamed el Mokhtar Ould Val et Mohamed Lemine Ould Alle alias Maawiya, tous trois morts dans la voiture qui a explosé dans les environs de Nouakchott.
L’opération visait plus que la déstabilisation du régime. Ce fut un projet de vengeance. Terrible s’il avait réussi. Il s’agissait de faire exploser, simultanément sinon successivement, l’Etat Major de l’Armée nationale et l’Ambassade de France à Nouakchott. Chaque voiture aurait été conduite par un kamikaze, tandis que les deux autres, armés de RPG et d’armes légères, devaient semer la mort dans les environs. Imaginons le carnage.
La Mauritanie est aujourd’hui considérée par les différents groupes de la nébuleuse AQMI comme «l’ennemi principal». Aucun des pays concernés par l’activité des groupes criminels de la zone n’a porté autant de coups aux activistes que la Mauritanie. C’est un peu pour lui faire payer cet engagement que les deux groupes, hier ennemis, «l’Emirat du Sahara» de Yahya Jwadi alias Abu Ammar et «Katibat el Mulathamine» (enturbannés) de Khalid Abul Abbass alias Belawar, se sont mis ensemble pour monter cette opération. Il faut signaler que ce rapprochement entre les différentes factions s’est soldé par la désignation du mauritanien Hassan Ould Khalil, participant à l’attaque de Lemghayti et jusque-là bras droit de Belawar, comme responsable de la communication de l’Emirat du Sahara de Abu Ammar. C’est le deuxième mauritanien qui monte en grade dans les structures de commandement de AQMI.
Le premier est  Brahim Ould Mohamed Ould Abdel Barka, alias Abu Anas Al-Chiguitty qui a été membre du Conseil de la Shoura de AQMI et principal juge du groupe. C’est lui qui a dirigé, recruté, organisé, opéré les branches mauritaniennes du mouvement. Il serait aujourd’hui entre les mains des services algériens si l’on en croit la presse algérienne. En tout cas, le quotidien Alkhabar a publié une photo récente de Abu Anas dont les prêches étaient d’une violence rarissime. Les Mauritaniens ont-ils été au courant de cette grosse pêche ? Peut-être pas. Sinon ils auraient certainement demandé son extradition, sinon son audition. En fait il était surtout chargé du dossier mauritanien. Et si demain il est traduit devant la justice algérienne il ne risque que des peines légères alors qu’il est mêlé à tous les crimes commis au nom du mouvement en Mauritanie.
Ayant échoué dans cette tentative de faire payer à la Mauritanie ses réussites dans la lutte contre le terrorisme, que peut faire maintenant AQMI ? C’est la question que les autorités du pays doivent à présent se poser. En attendant de savoir, répétons en chœur : «alhamdu liLlahi».

Ould Oumeir