jeudi 18 décembre 2014

Le chaud et le froid de l’UE

Nous sommes le 12 décembre. Le représentant de l’Union européenne (UE) au Sahel, Michel Reveyrant Dementhon, est en Mauritanie où il est reçu par les premiers responsables du pays. Au sujet de l’arrestation de Biram Ould Dah Ould Abeid, l’émissaire européenne déclare à la presse : «En tant qu’Européens, nous trouvons un peu bizarre qu’un homme politique puisse être incarcéré quelque soit ce qui s’est passé. Mais on peut aussi comprendre le type de raisonnement des autorités mauritaniennes qui disent que la société mauritanienne est complexe, il y a des tensions ouvertes et qu’il ne faut pas jouer avec le feu». Avant de préciser que l’intéressé «est un homme politique mauritanien d’abord qui défend un certain nombre d’idées et prend position sur certains sujets et il a sa stratégie logique que nous respectons. Mais lorsque la société civile devient des acteurs politiques (sic), c’est toujours un sujet délicat pour la Communauté internationale, parce qu’on a envie de continuer de travailler avec elle vu qu’elle remplit des fonctions sociales tout à fait importantes notamment dans les pays du Sahel dont fait partie la Mauritanie». Pour finir en insistant : «La priorité aujourd’hui, c’est que le cours de la Justice soit respecté, que les choses avancent comme il se doit dans un cadre légal».
Cette attitude «compréhensive» est vite éclipsée quelques jours plus tard avec d’abord le déroulement d’un round du dialogue politique entre l’UE représentée par les Ambassadeurs des pays présents à Nouakchott et le Gouvernement mauritanien dirigé par son Premier ministre Yahya Ould Hademine.
La séance est certes l’occasion de faire le tour des questions de coopération, les ministres concernées par les secteurs d’intervention de l’UE sont présents. Mais le point d’orgue des discussions va tourner autour de l’Accord de pêche en fin de validité. La position mauritanienne est réitérée : le Protocole signé le 31 juillet 2012 pour deux ans aurait pu être reconduit tel quel ou en y ajoutant les quelques amendements acceptés entretemps par les deux parties, parce que sa non dénonciation par l’une ou l’autre des parties est l’expression de la satisfaction de chacune d’elle. On rappellera que le dernier round des négociations avait fait avancer les choses, ne laissant comme point d’achoppement que le niveau de la compensation : 47 millions euros pour les Européens, 67 pour les Mauritaniens.
Au cours de cette réunion, il fut aussi question des Droits humains et surtout de l’arrestation du président et des militants de l’IRA à Rosso. Pour la partie mauritanienne, il s’agit simplement d’une affaire pendante devant la justice pour troubles à l’ordre public… Mais les Européens ne l’entendaient pas de cette oreille. Pour eux il s’agit bien d’une atteinte aux Droits qu’il faut corriger au plus vite.
La réunion se passait en même temps que se préparait à Strasbourg la motion votée par le Parlement et demandant la libération immédiate de Biram Ould Dah Ould Abeid et de ses compagnons.
Naturellement, toutes ces démarches sont ressenties en Mauritanie comme une tentative de faire plier le pays devant le négociateur européen. Surtout que la balle étant dans le camp des Européens, ils tardent à réagir. Comme si on faisait un remake de l’interminable aller-retour qui a accompagné l’adoption de l’Accord arrivant à terme (2012-2013). Le travail des lobbies d’armateurs des deux parties prenantes avait retardé sa ratification par le Parlement européenne.
Aujourd’hui, la partie européenne espère pouvoir fléchir la position mauritanienne sur le dossier de la pêche en instrumentalisant ce qu’elle estime être une défaillance du pouvoir dans l’exigence du respect de la liberté d’expression et de manifestation. Oubliant que la Mauritanie a une marge de manœuvre considérable qui lui permet d’atténuer les effets négatifs de l’absence d’accord. D’ailleurs, on ne trouve nulle trace de l’argent provenant de la pêche dans la loi de finances en cours de validation. Comme en 2012, les autorités se sont abstenues d’inscrire ce pactole et de compter là-dessus en termes de ressources budgétaires. Un atout pour les Mauritaniens qui ont aussi fermé la porte aux interférences politiques qui pesaient par le passé. L’Accord est un «objet technique» qui doit répondre à un souci gagnant-gagnant, donc qui doit être confié exclusivement à des techniciens capables d’en discuter les termes.
Que ceux dont les intérêts sont touchés, en Mauritanie ou ailleurs, payent des campagnes de presse pour dénaturer les enjeux réels, pour vilipender ou déstabiliser les négociateurs mauritaniens, ne pèsera pas dans les décisions européennes. Ces gens savent comment se passaient les négociations, qui en profitait et quels usages politiques on en faisait.
Le socle de valeurs qui fait l’essence du camp progressiste aujourd’hui – en Europe, en Amérique, en Asie mais aussi en Afrique – est celui qui milite pour une gestion équilibrée des ressources et pour un commerce équitable. Deux soucis auxquels répond le dernier Protocole d’accord de pêche entre la Mauritanie et l’Union Européenne. Deux fondements qu’il faut défendre.

Dans quelques jours, se tiendront les assises de la première revue de la coopération entre l’UE et notre pays. Comme cela se fait avec la Banque Mondiale et d’autres partenaires techniques et financiers, il s’agira d’évaluer le volume, la qualité, l’efficacité et les résultats de l’apport considérable de l’UE dans l’effort de développement de la Mauritanie. L’occasion probablement aussi de redéfinir la philosophie d’ensemble qui soutient cette coopération. Celle qui fait du respect mutuel la base du traitement d’égal à égal.