mardi 28 mai 2013

Une révolte et non une révolution

Tôt ce matin, des centaines voire des milliers de travailleurs appelés ici «Journaliers» manifestent dans les rues de Zouératt, la capitale minière du Nord. Ils suivent en cela l’exemple de leurs collègues de Nouadhibou qui ont fait grève et engagé des pourparlers aboutissant à un accord avec le patronat.
Deux différences cependant avec l’exemple de Nouadhibou : la première est que la grève de Nouadhibou a été déclenchée dans les règles de l’art avec l’encadrement des centrales syndicales alors que celle de Zouératt a été dénoncée par ces mêmes centrales ; la deuxième différence qui en découle nécessairement, c’est qu’à Nouadhibou aucun acte de violence n’a été enregistré alors qu’à Zouératt nous allons assister à une casse pure et simple.
C’est ainsi que les travailleurs excités vont s’attaquer aux bureaux du Wali et à ceux de la radio régionale, saccageant et brûlant même tout sur leur passage. Avec une violence inédite dans le pays.
Même s’il est à noter que le même instinct de violence a conduit quelques transporteurs d’Aïoun à manifester violemment aussi dimanche dernier. Ils ont brûlé des pneus devant la Wilaya, attaqué la devanture de la BMCI, cassé des portes d’entrée. A noter aussi l’agression barbare dont a été victime le Préfet (Hakem) de Ryad il y a près d’une semaine. Tous ces actes de vandalisme sont l’expression d’un manque de conscience chez leurs auteurs qui ne semblent plus avoir de respect pour l’administration et pour l’autorité en général.
Pour revenir à Zouératt, il est utile de signaler que le principal animateur de ce mouvement de protestation n’est pas un «journalier» mais un contremaître de la SNIM. Que d’après les informations données par les connaisseurs, il s’agit d’un activiste politique qui a appartenu à l’UPR avant de le quitter pour El Wiam de Boydiel Ould Hoummoid. Et quand cette appartenance aux deux partis a tardé «à donner un résultat», il a réussi à avoir trois récépissés pour trois syndicats locaux (manutention, gardiennage et infrastructures). Dans l’esprit de l’administration, il s’agissait de déstabiliser les centrales syndicales les mieux implantées dans le Nord (CGTM et CLTM). Dans l’esprit de l’activiste en question, il s’agissait plutôt d’avoir des leviers à utiliser quand il faudra faire pression. Avec lui, semble naître «l’intermédiation syndicale».
Sous prétexte de revendiquer une gratification accordée aux employés de la SNIM, les Journaliers se mettent en grève pour une journée. Pas tous cependant parce que tous ceux parmi eux qui sont restés loyaux vis-à-vis des syndicats ne sont pas allés en grève.
Mauvaise réaction des patrons quand les grévistes ont voulu regagner leurs postes de travail : pas question pour eux de laisser les grévistes reprendre comme si de rien n’était. La goutte qui a fait déborder le vase.
Mardi, très tôt, ils se mettent en branle. La veille, il y avait eu une réunion autour de la validation du programme de développement de la région. La rencontre était animée par deux ministres, celui de l’intérieur et celui du développement économique (Mohamed Ould Boilil et Sidi Ould Taha). Les ministres et le Wali avaient quitté en fin de nuit la ville pour se rendre à Atar où ils devaient assister aux travaux de validation du cadre stratégique de la lutte contre la pauvreté. En laissant derrière eux une ville en ébullition et une situation explosive qu’ils n’avaient pas vu venir. Pourtant les déplacements de ministres à l’intérieur sont supposés servir (seulement) à prendre le pouls des situations locales. Il faut en déduire que les ministres n’ont pas pris cette peine-là.
Quand les violences éclatent, aucun des responsables restés sur place n’a la capacité de donner les ordres qu’il faut. Quand le chef est absent, rien ne peut être fait. C’est ce qui explique aussi les violences à Aïoun où le Wali titulaire était absent.
A croire aussi que le dispositif de sécurité présent à Zouératt est insuffisant. Il a fallu l’intervention de l’Armée pour rétablir l’ordre. Un accord a été finalement trouvé dans la journée. Après le retour en catastrophe du Wali et du ministre de l’intérieur qui est revenu par hélicoptère.
Toutes ces dérives violentes sont une mise en garde pour tout le monde. Pour les autorités qui doivent comprendre que la marmite bout. Pour les acteurs qui doivent savoir qu’il y a des limites à tout. Pour les militants et défenseurs des libertés publiques qui ont à sensibiliser autour de l’exercice des libertés.
Quelqu’un me racontait que feu Mohamed Abdallahi Ould Hacen – un (très) grand quelqu’un de par-là – avait fait face à un mouvement de colère des étudiants alors qu’il était ambassadeur à Dakar. Dans leur colère, les étudiants avaient brisé les vitres de l’ambassade et cassé une ou deux portes. Quand il a fallu discuter avec eux pour les ramener à la raison et trouver un accord, il conclut devant eux «…Le problème maintenant, c’est que tout ce qu’on va mobiliser de moyens doit d’abord servir à remplacer ce qui a été détruit et à réparer ce qui a été abîmé». Ce que détruisent des manifestants excités, c’est finalement la communauté qui va en supporter la réhabilitation. Ce n’est pas bien. Surtout que dans le cas d’espèce, personne ne semble payer pour les dérives. Aucune poursuite n’a été décidée…