mardi 2 octobre 2012

Ce n’était pas un fait divers


Il s’appelait Hacen Ould Hadih. Un jeune délinquant de Nouakchott arrêté il y a quelques mois et attendant son procès dans une affaire de vol. à la fleur de l’âge, le jeune prisonnier ne manquait de punch et …d’orgueil selon ses codétenus que j’ai eu à entretenir. Il avait demandé à un avocat de l’assister pour avoir une liberté provisoire. Après âpres négociations, un prix a été fixé par les deux hommes. Mais, prudent, le prisonnier avait exigé que l’argent soit remis par le régisseur de la prison qui servirait ainsi de garantie morale, des avocats ayant abusé de la confiance de leurs clients qui n’ont d’autre recours que celui-là.
L’attente commença à durer. Perte de confiance. Le prisonnier décide d’interpeller le régisseur. Celui-ci déclare que parce qu’il avait remis l’argent à l’avocat, il ne se trouvait nullement concerné par l’affaire. Clash. Le jeune déborde et insulte le régisseur qui demande aux gardes de le mettre en isolement en attendant de le punir le soir même.
C’est une tradition dans cette prison de Dar Naim. Quand les prisonniers «débordent», ils sont mis dans des cellules d’isolement pour faire l’objet ensuite de représailles. Quand tout le monde aura dormi (ou fait semblant), ils sont sortis dans la cour et battus un à un par les gardes. L’exercice de la violence en dehors de toutes les règles pénitentiaires. Ici c’est la loi de la horde des gardes qui fait office de justice, non celle du droit et du respect des droits des prisonniers.
Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre, Hacen se retrouve avec trois autres codétenus. Le premier est un évadé, repris et qui devait être puni pour son évasion. Le second était accusé d’avoir violé un compagnon de cellule. Ces deux-là n’opposent aucune résistance aux gardes déchainés. Hacen, par orgueil sans doute, mais aussi par refus de l’injustice, résiste. Il a la force pour cela. Les gardes sont de plus en plus nombreux et de plus en plus violent. Un coup de trop et il meurt dans la cour où il a été battu…
La mort de Hacen n’est pas un fait divers mais un fait (au sens de phénomène) de société où toutes les failles du système pénitentiaire apparaissent. De l’avocat indélicat, au régisseur irresponsable, au garde bête et méchant, à l’administrateur incompétent… tout y est.
Quand la prison de Dar Naim a été construite, on avait cru qu’un nouvel ordre allait voir le jour. Les autorités avaient même élaboré une ordonnance portant créant statut d’un corps spécialisé dans la surveillance pénitentiaire. Il s’agissait de former des gens qui seront chargé de gérer l’intérieur des prisons. Les former pour les doter d’un savoir académique, d’une force psychologique, d’une éthique qui leur permettrait de respecter les droits des prisonniers et de les traiter, non pas comme des «choses» - je préfère cela à «animaux» qui méritent un respect aussi -, mais des humains. Je sais qu’un à un certain moment la coopération algérienne avait proposé de former les éléments de ce corps. Si ce corps voyait le jour, les gardes resteraient à l’extérieur des prisons, eux qui ont été formés pour le maintien de l’ordre et la répression des manifestations. La gestion pénitentiaire n’a rien à voir avec le maintien de l’ordre. Elle demande des compétences particulières et une éthique humaniste.
On peut se réjouir de la réaction des pouvoirs publics. L’impunité en la matière ne doit pas exister. Mais ce n’est pas suffisant de traduire quelques gardes devant la justice, il faut que les sanctions administratives tombent. Et vite. Pour dire qu’il n’est plus question de laisser faire en matière d’exactions.
Ce n’est pas suffisant aussi parce qu’il faut réformer au plus vite le système pourri par la mauvaise gestion. Il faut savoir que la régie de l’alimentation des prisons est la seule qui n’est pas conditionnée par l’aval d’Errachad. C’est bien sur cette régie que les ponctions sont opérées par les premiers responsables du ministère. C’est sur ce chapitre qu’on pompe l’argent public. On me dit d’ailleurs que la ration quotidienne est passée de 500UM/par jour et par prisonnier à 300. C’est déjà misérable, ce l’est encore plus. On se souvient des détournements décelés par l’IGE dans l’administration pénitentiaire, des millions évaporés, détournés par des administrateurs véreux. Qu’est-ce qui a été fait pour corriger le système qui reste ouvert à toutes les malversations ?
Ce qui vient de se passer dans la prison de Dar Naim n’est que la partie visible d’un mal profond. Dont une autre des expressions est la situation dans la prison des femmes de Nouakchott qui se transforme, la nuit tombée, en un grand lupanar au vu et au su des hiérarchies judiciaires (ministère de la justice) et sécuritaires (Garde nationale).

N.B : J’ai lu quelque part que «le fait divers fait diversion», selon les termes du sociologue français Pierre Bourdieu. La bavure de Dar Naim ne doit pas divertir de la vraie problématique des prisons en Mauritanie. Au contraire, elle interpelle pour nous rappeler la perversité d’un système que nous ne dénonçons pas assez.