samedi 26 novembre 2011

L’unité nationale en question

C’est sur initiative de notre confrère du Rénovateur quotidien, Cheikh Tidjane Dia que la journée a été consacrée à la discussion autour du thème de l’unité nationale.
Respect des préceptes de l’unité nationale dans le dispositif juridique mauritanien, discours politique : antagonismes idéologiques et question nationale, système démocratique et gestion des contradictions, système éducatif et impact sur l’unité nationale, et enfin quelles solutions à la problématique de l’unité nationale.
Présentateurs-introducteurs des thèmes : Bâtonnier Ahmed Salem Ould Bouhoubeyni, Mme Salimata Lam, Sal Amadou, Bilal Ould Hamza et moi-même. Je prends la liberté de vous proposer en lecture la contribution qui a été la mienne. Mais avant, j’aimerai remercier les jeunes organisateurs qui ont ainsi permis un échange riche et fructueux.

Le système éducatif et son impact sur l’unité nationale

Pourquoi moi ? J’ai compris qu’en me confiant cette partie de la réflexion – sur l’impact de l’éducation sur l’unité nationale – mes amis interpellaient l’ancien enseignant plus que le confrère actuel. C’est pourquoi, la paraisse aidant, je m’en vais me limiter à vous proposer quelques questionnements qui m’ont obnubilé tout         au long d’une carrière qui aura duré un peu plus de sept ans dans les classes et deux ans dans l’administration centrale.
J’ai très tôt buté contre un premier écueil : l’absence d’un manuel scolaire pour le programme d’histoire et géographie que j’enseignais en langue française. Recours donc aux manuels en langue Arabe. Des manuels édités par l’Institut pédagogique national (IPN), vivant à l’époque ses dernières heures de gloire.
Je découvris qu’il y avait un découpage de l’Histoire qui épousait mal le processus historique vécu par le pays. L’empire du Ghana était ainsi classé parmi les «Empires des peuples noires de la savane et de la forêt». Dans la présentation, on vous dit qu’il fait partie de l’histoire du Mali. On ne parlait même pas de l’emplacement de sa capitale, encore moins de son aire de développement et de sa population.
Le mouvement almoravide était classé dans le registre des «mouvements de réforme» Maghrébins, côté Maroc et venait dans le prolongement des Croisades (?). Les Almoravides eux-mêmes étaient traités d’envahisseurs venus du nord pour islamiser le pays du Soudan.
L’épopée d’El Haj Oumar Tall était inscrite dans le cadre du commerce des esclaves parce que le combat de ce Saint aurait visé la domination d’un espace qui pourrait le fournir en esclaves vendus plus tard aux européens. Et quand on parle de sa mort dans les chutes du Bandiagara, on n’hésitait pas à dire qu’il a préféré …se suicider au lieu de se rendre. Pour un Mufti, un exégète de la trempe de El Haj Oumar el Fouty, le suicide est un acte de désespoir qui ne peut être que la résultante d’une profonde incroyance en Dieu.
Sur tout l’horaire des classes du collège, seulement trois heures étaient consacrées à l’Histoire et à la Géographie de la Mauritanie. Dans les classes de Lycée, deux heures seulement.
Je me souviens qu’à la suite de ma première inspection au Lycée d’Aïoun, j’ai reçu comme inspecteur le professeur Saydou Kane (rahmatou Llahi alayhi) devant lequel j’ai exposé ce que j’estimais être des insuffisances notoires. Il m’expliqua que les manuels en question avaient été très probablement écrits par les conseillers pédagogiques tunisiens. Leur pays a vu venir les Almoravides au lendemain des Croisades, au moment de leur reflux de l’Andalousie. Ils connaissent mal l’espace sahélien et croient que le Sahara est une barrière absolument infranchissable et qui a séparé les populations de ses deux rives (nord et sud). Que le suicide est un acte de bravoure et de détermination à leurs yeux.
Je compris des échanges que j’avais eus avec le valeureux inspecteur qu’il y avait d’abord un contenu à donner à notre enseignement. Un contenu qui devait permettre aux enfants mauritaniens de connaitre leur pays, son Histoire, ses cultures, ses composantes, son relief, son climat, ses ressources, ses gloires passées, ses potentialités à venir…
Nous étions en 1984. Toutes les années, j’ai fait un rapport que j’ai envoyé à l’inspection avec ampliation au ministère sur la nécessité d’orienter l’enseignement de l’Histoire-géographie sur la Mauritanie, d’y introduire probablement un aspect d’enseignement civique. Nous sommes en 2011 et l’enfant mauritanien d’aujourd’hui est encore plus ignorant de son pays.
Quand on dit système éducatif, on pense d’abord à une stratégie suivie par un pays, une société pour préparer les hommes et les femmes de demain. On pense à une école capable d’être le moule où l’on fabrique la personnalité de demain.
Le fondamental doit avoir pour objectif de former le citoyen, de jeter les bases de la personnalité future. C’est là que les valeurs citoyennes devraient être inculquées : égalité, équité, justice, respect de l’autre, respect de la chose publique, de la loi et des règlements, de l’ordre… C’est là aussi où se cultivent patriotisme et humanisme. A toutes ces valeurs positives devrait s’ajouter la culture de la probité, de la vérité, de la transparence.
Au secondaire et au supérieur, c’est le responsable de demain qui est préparé. La formation assure la constitution d’une élite capable de prendre en charge les problèmes de développement du pays, et capable de se prendre en charge elle-même.
Tout le cursus demande un cadre égal pour tous, une uniformisation des conditions à même d’atténuer les différences d’origine sociale liées soit à la naissance soit à la richesse soit à la fonction occupée par les parents. Où en est-on aujourd’hui ?
Il suffit d’aller devant une école publique de Tevraq Zeina pour voir l’ampleur des dégâts causés par la déconfiture de l’école mauritanienne. Il n’y a que les enfants de gardiens, pour la plupart des Haratines, qui envoient leurs enfants dans les écoles publiques. Les générations de demain évoluent déjà dans un système profondément «fracturé».
Le fait que l’élite envoie ses enfants dans les écoles privées a une autre conséquence qui aggrave le reste : personne ne s’occupe vraiment aujourd’hui de l’amélioration du service public dans le domaine de l’éducation. Le discours des politiques est sensiblement le même et le manque d’action – et de propositions – en la matière est évident.
La réforme de 1999 est intervenue pour :
  1. Unification du système par la suppression des filières linguistiques créées par  la réforme de 1979 ;
  2. Prolongement de la durée de l’enseignement du premier cycle du secondaire de 3 à 4 ans ;
  3. Renforcement de l’enseignement des sciences et introduction de la physique et de l’informatique dans le premier cycle du secondaire ;
  4. Renforcement de l’enseignement des langues étrangères (français, anglais).

Je ne retiendrai ici que le premier point pour expliquer d’où l’on vient. L’une des raisons qui m’ont amené à quitter l’exercice dans les classes était bien cette situation, dramatique à mes yeux, de devoir entrer dans une classe où il n’y avait qu’une des composantes du peuple mauritanien : dans une classe arabe où il n’y avait quasiment que des Arabes ; dans une classe dite bilingue où il n’y avait quasiment que des Négro-africains. Blessant et difficile à assimiler à la longue. La réforme de 1999 a voulu corriger cette grave réalité. Mais entre 79 et 99, des générations de Mauritaniens ont évolué parallèlement, sans contact aucun. Ne nous étonnons point aujourd’hui de voir, au niveau de l’université, des syndicats distincts pour chaque communauté, des revendications distinctes, des préoccupations distinctes…
En 1999, la question était de savoir comment réunir les Mauritaniens dans les mêmes classes. Elle a occulté tout le reste. La politique de l’époque, faite d’improvisations, n’a pas donné à cette réforme les moyens d’être mise en œuvre.
Le gouvernement n’a fait que renvoyer à plus tard la solution du problème. Accentuant du coup ses effets néfastes et nous éloignant un peu plus de la réalisation du meilleur pour nous.
Quelqu’un me disait récemment qu’on enseigne dans les classes de droit que la construction d’un Etat moderne se fait en trois axes : celui de l’unité et de l’organisation où l’égalité des citoyens doit être à la base ; celui de la non-appropriation de l’Etat où la règle de l’équité est de mise ; et celui de la multiplication des centres autonomes de décision où le mérite et le savoir-faire commandent. Et avant tout cela, une école performante est nécessaire pour former le citoyen et l’émanciper de toute pesanteur.
Douze ans après la réforme qui a voulu réunifier les enfants de tous milieux, cinquante-et-un ans après l’indépendance, nous en sommes encore à nous demander quelle école pour nous ?
Dramatique, n’est-ce pas ?