lundi 19 août 2013

Jawv Terenni

Nous devons d’abord passer la route qui lie Kiffa à Tintane, une route en construction depuis plus de quatre ans alors que les travaux devaient s’accomplir en 24 mois. Elle arrive, dans sa partie goudronnée, jusqu’aux abords de Zrafiya, juste à l’entrée administrative du Hodh el Gharby. Sur les soixante kilomètres qui restent avant d’arriver à Tintane, il faut suivre des chemins chaotiques, faire des pistes de sable à certains endroits.
Nous croisons une voiture transportant de nombreux passagers, en panne à moins d’un kilomètre de Dev’a. Panne sèche. J’ai l’habitude de m’arrêter dans de pareils cas, mais quand j’apprends la raison de l’arrêt, mon premier réflexe me dicte de quitter. Comment ne pas prévoir sa consommation en carburant quand on fait du transport une profession ?
Les femmes derrière, installées sur le pick-up, ne me laissent pas le temps de réfléchir : «Nous avons une dame qui est en train d’accoucher, nous devons nous rendre d’urgence à Tintane, c’est le seul centre qui dispose de compétence en la matière». Comme je n’ai pas de place, je m’engage à leur faire parvenir du gasoil au plus vite. C’est à Dev’a que j’en trouve. Je reviens pour les fournir et ne peut m’empêcher de faire la leçon au chauffeur qui a fait preuve d’irresponsabilité et de désinvolture.
La route est longue et l’objectif est d’aller jusqu’à Jawv Terenni, à quelques 20 kilomètres au sud d’Aïoun sur la route de Kobenni. Un lieu mythique parce qu’il annonce la proximité d’une ancienne ville, aujourd’hui en ruines, Terenni. Une ville qui a appartenu probablement à l’espace de l’Empire du Ghana dans sa partie berbère sanhadjienne. Personne ne s’est jamais intéressé à cette portion de notre Histoire et personne non plus n’a accordé d’intérêt aux vestiges des anciens temps. Nous avons comme une honte (refoulée) de notre passé. Ce qui est grave et compromettant pour tout ce que nous entreprendrons : tant que nous n’avons pas entamé une réelle réconciliation avec ce passé, il ne faut pas espérer d’avenir radieux pour nous. Mais ça c’est une autre histoire qui mérite plusieurs propos.
La bat’ha descend la montagne pour serpenter ensuite tout au long d’une vallée encaissée, pour s’élargir de plus en plus qu’elle avance au milieu de la pierraille. Des milliers d’années d’activités, de climats contrastés alternant chaleur, froid et humidité, ont produit ce paysage bien organisé malgré le chao qu’il présente. Des blocs de pierre qui se sont détachés depuis des siècles et qui se maintiennent comme suspendus. D’autres qui semblent «vouloir» tomber à tout moment et qui n’effrayent pas l’habitant. Quand on regarde encore les plus petits morceaux de pierre, on a l’impression, en les suivant dans leur succession, que nous prenons la route d’un roulement produit d’un éboulement chaotique qui n’a pas fini de finir… «Pierre qui roule n’amasse pas mousse»… Mais elle produit un effet sur son passage pour créer une image nouvelle, un relief nouveau… et quand finit la pierre apparait un sable d’un blanc immaculé dont les abords sont couverts de verdure (aujourd’hui). Les acacias offrent leur ombre clémente au voyageur heureux. Les vieux jujubiers témoignent d’un temps autrement plus pluvieux, vestiges d’un temps oublié, ils vous promettent une douce production quand viendra le moment de cueillir leurs fruits. C’est une saison où il faut voir Jawv Terenni et …revivre.
La beauté du lieu a donné des idées. C’est ici que quelqu’un (?) a trouvé légal de marquer un territoire en l’entourant d’un barbelé sans doute destiné au tout début à protéger les cultures… avant de finir comme limite d’une propriété privée. Est-ce qu’il faut payer pour accéder à cette partie de la Bat’ha ? est-ce que le propriétaire prend soin de cette partie en empêchant les pollueurs de la ville de sévir ? Je ne sais pas parce que je passerai cette journée dans l’espace «libérée». Une journée où l’ardeur du soleil est tempérée par l’épaisseur des nuages de passage au-dessus de nos têtes, menaçant à tout moment de déverser leurs contenus, se suffisant quand même à laisser tomber quelques fines gouttelettes, ajoutant à la douceur du moment…