vendredi 18 avril 2014

Gabriel Garcia Marquez s’en est allé

Au début était le journalisme : Gabriel Garcia Marquez est arrivé à l’écriture littéraire en passant par le journalisme. Quand il publie Récit d’un naufragé en 1970, il ne fait que reprendre les éléments d’une enquête publiée au milieu des années 50 (sur quatorze articles). Huit marins colombiens tombent à l’eau alors qu’ils sont à bord d’un navire de guerre. Le gouvernement colombien invoque le «mauvais temps» (une tempête) pour expliquer le drame. Grâce à l’enquête journalistique de Garcia Marquez, on découvre qu’il n’y a jamais eu de tempête et que les marins ont été victimes d’un chargement frauduleux de marchandises à bord du navire qui n’avait pas vocation à transporter les marchandises.
C’est sans doute cette vocation de journaliste qui donne à l’auteur l’une de ses plus significatives figures de style : le réalisme dans la description des protagonistes et dans la relation des intrigues choisies. L’autre particularité de l’auteur étant sa force dans la «manipulation» des faits pour en faire un récit où le fantastique et la légende le disputent justement à ce réalisme dans le fonds. Avec lui, on est tangue toujours entre le réel, le vécu et l’imaginaire, le mythe. Là réside d’ailleurs sa première force.
Au milieu des années 70, la génération à laquelle j’appartiens se libérait peu à peu du joug de la pensée unique à multiples faces. Dans son apparence «sociétale traditionnelle», avec cet ordre profondément inégalitaire et dont les conservatismes inhibaient toute volonté de modernisme. Dans son apparence de mouvement de gauche, passagèrement marqué par les dérives autoritaristes du communisme qui nous vient de loin, largement flétri par le trajet et les interprétations.
On venait de s’ouvrir le Monde grâce à une émancipation que nous devions alors à des auteurs et des genres littéraires. Frédéric Dard avec la série San Antonio, la bande dessinée avec Goscinny et Uderzo (avec notamment la série Astérix), Franquin (notamment Gaston Lagaffe), mais aussi et surtout de grands auteurs que nous avalions avec délectation comme Ernest Hemingway (Pour qui sonne le glas, L’adieu aux armes), Faulkner (Le bruit et la fureur, Absalon absalon !), Dostoïevski (Crime et châtiment, L’idiot), Arthur Koestler (Le zéro et l’infini), Margaret Mitchell (Autant en emporte le vent)…
On commençait à humer pleinement l’air de la liberté, à goûter aux odeurs enivrantes de la création poétique et littéraire, à sentir le souffle de la force de l’imagination… Ce qui ouvrait grand notre appétit intellectuel… Tout ce qui n’était pas inscrit dans le programme scolaire nous emportait vers les frontières de ce qui nous paraissait relever de l’Infini.
C’est à ce moment-là que nous découvrions Gabriel Garcia Marquez, d’abord à travers Cent ans de solitude, puis La Mala hora avant de tomber littéralement sous la foudre de L’automne du Patriarche. Œuvre après œuvre, on s’inoculait un virus bienfaiteur qui allait définitivement nous affecter. Viendront les œuvres comme L’amour aux temps du choléra, Le général dans son labyrinthe, Chronique d’une mort annoncée, De l’amour et autres démons, Journal d’un enlèvement, et dernièrement Vivre pour la raconter (récit autobiographique).
Ce n’est certes pas l’attribution du Nobel de littérature à cet écrivain prodigieux qui nous avait influencés. En 1982, nous étions déjà malades de cette littérature, de cette façon d’écrire qui respirait la richesse d’un patrimoine immense et exprimait la force d’un engagement humaniste sincère.
L’une des caractéristiques de l’écriture de Gabriel Garcia Marquez, c’est qu’elle est exponentielle. Dans les années, j’aimais comparer un roman mauritanien où le personnage principal mourait dès les trois premières pages et le roman de Garcia Marquez où apparait un personnage nouveau toutes les deux pages. Cette écriture exponentielle s’accompagne chez Garcia Marquez par une prodigieuse capacité de description des personnages qui fait croire à leur existence malgré l’atmosphère fantastique dans laquelle ils évoluent. On est as loin, quand on s’arrête de lire un roman de Garcia Marquez, de s’attendre à rencontrer l’un des personnages au détour d’une rue de Nouakchott, dans un restaurant de l’époque ou dans un rassemblement du Nouakchott mondain. La description physique et morale des personnages est si précise qu’ils deviennent des amis, intimes ou pas, des adversaires et même des ennemis. La proximité est créée par le truchement de la perspicacité de la description.
A lire absolument de Gabriel Garcia Marquez :
L’amour aux temps du choléra dont la trame se construit autour d’un amour qui prend son ampleur alors que les «tourtereaux» ont dépassé les soixante-dix ans «alors que la mort est tout autour d’eux». Inspiré par l’assassinat de deux Américains autour desquels un mythe a été construit : on disait d’eux qu’à 80 ans, ils se donnaient rendez-vous chaque année à Acapulco pour revivre leur intense passion. C’est un peu la reprise de cette histoire – ces histoires plutôt – que va se construire le roman de Fermina Daza et Florentino Ariza, ce roman qui raconte leurs amours éternelles.
Cent ans de solitude qui raconte, à travers une saga familiale, l’histoire de l’Amérique Latine avec ses misères et ses splendeurs. C’est le plus apprécié de l’œuvre de Garcia Marquez malgré l’avis de l’auteur qui l’a toujours considéré comme une œuvre mineure.
L’automne du patriarche inspiré par la fuite du dictateur vénézuélien Marcos Pérez Jiménez. Selon l’auteur, il s’agit là d’«un poème sur la solitude au pouvoir». A travers la grandeur et la décadence de ce Général, Garcia Marquez a voulu dresser une portrait global de tous les dictateurs de son continent.
Chronique d’une mort annoncée qui est une enquête  sur un meurtre qui permet de remonter surtout le déroulement des évènements pour en connaitre les raisons. L’auteur y fait preuve d’une grande maitrise dans la relation d’évènements réels en les plaçant dans un cadre qui emprunte à la magie quelques attributs.
Carlos Fuentes disait de lui qu’il était «un homme semblable à son œuvre : solide, souriant, silencieux… maître d’un silence comme seules les forêts tropicales peuvent en créer».

Celui qui a dit «on ne meurt pas quand on veut, mais seulement quand on peut» est mort ce 17 avril.