dimanche 28 octobre 2012

Ahmed Ould Khoubah n’est plus


Que c’est dur d’apprendre la mort de quelqu’un, que c’est dur quand on apprend la mort de quelqu’un qu’on aime… c’est encore plus dur quand on est loin de ceux qui peuvent partager la douleur de l’instant…
Je suis seul… non, pas seul parce que je suis dans un métro parisien à une heure de forte affluence… si, je suis seul parce que personne de ce monde qui est là ne peut m’être d’un secours quelconque… aucun ici ne peut me soutenir en ce moment de faiblesse… aucun ne peut m’écouter tenter de résumer l’homme Ahmed Ould Khoubah dont je viens d’apprendre la mort, le résumer en quelques mots qui ne peuvent être dits que dans ma langue : «maa ‘alimna ‘alayhi min suu’in».
On se rend compte combien sont utiles ces rassemblements qui suivent la perte de quelqu’un et pendant lesquels on rivalise en discours oraisons, comme si l’on découvrait les qualités de la personne à laquelle on n’a souvent rien reconnu en son vivant. Quelqu’un me dira que le plus regrettable, c’est qu’on va dire d’Ahmed ce qu’on dit des autres morts. Non ! ce n’est pas juste.
Ahmed Ould Khoubah est l’un des premiers professeurs de mathématiques du pays. Jeune contestataire, il a appartenu à la mouvance des Kadihines, ce mouvement de gauche qui a marqué les années soixante et soixante-dix. Un avatar du mai 68 français. A l’époque où l’on ne savait pas encore que «le marxisme n’est qu’une autre façon d’occidentaliser le Tiers-Monde» (selon les termes de Claude Lévi-Strauss). La mondialisation a connu ici l’une de ses expressions.
Pour dire que Ahmed Ould Khoubah a marqué l’esprit de deux générations de Mauritaniens : celle qui est la sienne et celle qui avait fini par les voir en modèles. Je fais partie de la dernière, celle qui a vu les Kadihines se compromettre un à un et renier toutes les valeurs pour lesquelles ils avaient pourtant emballé des pans entiers de la société.
Contrairement à la plupart – pour ne pas dire tous ceux qui ont été aux affaires -, Ahmed Ould Khoubah a tenu malgré les coups du temps, malgré les tendances des «camarades», malgré les déviances sociétales… Il est resté Ahmed Ould Khoubah, un être rare pour ne pas dire unique : chaque homme peut être unique, mais rares sont ceux qui sont …rares.
Mes larmes ce jour-là pouvaient couler à la porte de la Gare de l’Est… Avec la perte de Ahmed Ould Khoubah, je perdais une inspiration, pas seulement un proche. Et comme j’étais loin, je n’avais d’autre consolation que celle-là…
Inna liLlahi wa inna ilayhi raji’oune.