mardi 9 septembre 2014

Pourquoi chercher aussi loin ?

J’étais en train de lire un discours officiel quand je suis tombé sur le mot «irréfragable». Je n’avais jamais entendu ce mot. Ce n’est pas extraordinaire tant il est vrai que mon lexique reste très limité. Je fais partie de ceux qui savent juste ce qu’il leur faut pour pouvoir exprimer leurs idées et comprendre l’autre pour échanger avec lui. A l’école, on m’a appris très tôt à ne pas aller chercher trop loin pour dire ce que j’ai à dire. Bref, mon lexique est très, très limité.
Mais je ne sais pas comment on peut aller chercher un mot comme «irréfragable» pour dire certaines banalités. A toutes fins utiles, je partage avec vous le fruit de mes recherches pour comprendre ce mot qui sonnait comme un barbarisme.
J’apprends que c’est un mot «emprunté du bas latin irrefragabilisirréfutable»), dérivé du latin classique refragarivoter contre, s’opposer à»)». En droit, l’adjectif est utilisé pour qualifier «une présomption légale à laquelle on ne peut pas apporter de preuve contraire». Dans une circulaire de 2005 relative à l’épargne salariale, on note : «En application de l’article L. 132-2, seuls les représentants d’organisations syndicales représentatives sont habilités à conclure un accord. Conformément aux dispositions de cet article, cette représentativité peut résulter soit de la présomption irréfragable établie au bénéfice des syndicats affiliés aux organisations représentatives au plan national (arrêté du 31 mars 1966)». J’apprends aussi qu’en didactique, cela qualifie la chose «qu’on ne peut contredire, qu’on ne peut récuser», exemples : «Un témoignage irréfragable ; une autorité irréfragable». Comme synonymes, on propose «irréfutable» et «irrécusable».
La définition donnée par les dictionnaires de droit – c’est un qualificatif utilisé surtout dans le droit – est beaucoup plus explicite : «L’adjectif ‘Irréfragable’ qualifie certaines présomptions de droit lorsque la loi y attache un caractère absolu. L’irréfragabilité rend irrecevable l’offre d’administrer la preuve contraire. Par exemple l’autorité de la chose jugée au pénal sur le juge civil, soit quant à l’existence des faits qui constituent la base commune de la poursuite pénale et de l’action civile, ce caractère empêche l’adversaire de celui qui se prévaut d’un fait établi par une décision pénale d’offrir, de démontrer que ce fait n’a pas eu lieu. Lorsque les présomptions ne sont pas irréfragables, elles sont dites ‘simples’ ou ‘relatives’, ce qui permet à celui qui y a intérêt, d’obtenir du tribunal qu’il puisse apporter la preuve contraire. Exemple, la présomption de bonne foi ou encore la présomption de véracité qui s’attache à l’aveu ou au serment judiciaire».

Tout ce qui précède ne justifie pas le recours à un tel mot pour dire «la volonté politique irréfragable du Président de la République…» Il faut attendre peut-être, le quatrième niveau de compréhension qui dit que «la preuve irréfragable se distingue de la preuve péremptoire en ce que la première est conçue par rapport à une autre preuve, laquelle, lui étant contraire, serait inadmissible si elle était rapportée, tandis que la preuve péremptoire n’est conçue par rapport à aucune autre preuve qu’elle-même. La preuve est irréfragable quand elle ne laisse aucune place à un doute raisonnable ; elle est certaine. Elle devient réfragable quand elle peut être réfutée au moyen d’éléments de preuves contraires». Qui dit mieux ?