dimanche 15 décembre 2013

La révolution n’est pas la rébellion

A quelques jours de l’anniversaire du «suicide» de Mohammad Bouazizi, un jeune chômeur tunisien qui, excédé par l’acharnement de la police qui l’arnaquait tout le temps, se décida à s’immoler. Le désespoir qui a mené d’autres jeunes sur la voie des attentats-suicides, fait de Bouazizi le premier «martyr» d’une révolte qui va finalement emporter le régime de Zinedine Ben Ali. Comme si le geste désespéré avait été une objection de conscience à une population qui a trop longtemps accepté le règne de l’arbitraire.
On verse tout de suite dans les expressions sibyllines genre «la révolution du jasmin» qui est troquée plus tard contre «le printemps arabe», porteur croit-on de démocratie et de ruptures avec le passé.
La Tunisie va tomber en quelques semaines, suivie de près par l’Egypte où le pouvoir essaye quelques traitements d’un autre âge. L’épisode libyen donne une autre dimension, beaucoup moins romantique au mouvement.
Une dimension dramatique qui se traduit par l’intervention des forces de l’OTAN qui bombarde sans discernement. On ne saura jamais quel est le bilan réel de cette guerre qui va durer quelques mois et qui détruira les infrastructures libyennes, emportant avec elle les tissus sociaux, politiques et tout ce qui restait d’un Etat national centralisé. La mort tragique parce que violente (tout ce qui est violence gratuite produit plus d’effets) ajoute au trauma général. Surtout que les milices finissent par faire main basse sur les affaires, chacune au nom d’un groupe tribal, ethnique ou régional. La perspective la plus optimiste aujourd’hui pour la Libye est celle du retour à trois Etats distincts : la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan.
Mais c’est en Syrie que la dimension dramatique et absurde du «printemps arabe» prend toute son ampleur. Voilà un pays qui a été détruit sous prétexte d’y apporter la «révolution». Il y a moins de trois ans, la Syrie était certes dirigée par une dictature exercée par un pouvoir qui sévissait depuis une quarantaine d’années, le père passant le flambeau au fils. Mais voilà un pays qui, sans avoir les ressources nécessaires, était le plus moderne et le plus développé des pays arabes : pas d’analphabètes ou presque, autosuffisance alimentaire pour les céréales, industries développées, santé et éducation gratuites pour tous, universités performantes… Qu’en reste-t-il ? Le pays a été détruit et ses habitants errent et arrivent même jusqu’en Mauritanie où ils se muent en mendiants. Bachar Al Assad est toujours en place, son opposition dite «démocratique» a été largement dépassée par les groupes jihadistes venus de partout pour faire de ce pays un nouveau «Jihadistan» (terre de Jihad).
Ne parlons pas du processus yéménite qui a permis la restauration de l’ancien régime malgré le coût payé par la population. Ni du Bahreïn où une minorité sunnite continue de dominer la majorité chiite qui subit répressions et privations. Non plus du Soudan où la révolte a été réprimée dans le sang et dans le silence le plus total des faiseurs d’opinion dans le Monde arabe d’aujourd’hui (Al Jazeera et Al Arabiya).
Le premier bilan est plutôt catastrophique pour les Arabes. Les pays qui ont jusque-là joué le rôle de pôle de résistance devant les poussées impérialistes et sionistes ont été affaiblis (Egypte), s’ils n’ont pas été carrément détruits (Syrie). La question palestinienne n’est plus à l’ordre du jour. Et l’on pousse vers une guerre interreligieuse entre Chiites et Sunnites : on avance inexorablement vers des guerres civiles qui auront comme lignes de fracture les appartenances sociales et/ou religieuses.
Qui paye la facture ? En matière de destruction et de morts, ce sont les populations et les pays arabes concernés (Libye, Yémen, Syrie…). En matière de financements, ce sont les pays pétroliers du Golf qui remboursent aux Occidentaux le coût de leurs interventions. Ce sont donc les Arabes qui payent le prix total (destructions et financements).

Un espoir cependant : la Tunisie qui continue quand même à se chercher face aux extrémismes qui tirent chacun de son côté : les Salafistes serviteurs d’une idéologie rétrograde et les «laïcs» tout aussi obscurantistes parce que profondément intolérants et antidémocratiques. Mais l’espoir est entretenu parce que les forces «modérées» et ayant de réels projets pour le pays, ces forces continuent de travailler pour en sortir. Nous y reviendrons.