mardi 21 janvier 2014

L’état tribal

Personne, je crois, ne peut rester indifférent à la succession de reportages consacrés à la prise de parole d’individus se présentant «cadres» de telle ou telle tribu voulant «exprimer leurs remerciements au Président de la République pour les nominations et l’attention qui a été enfin accordée vis-à-vis de la tribu». Authentique.
Des jours durant, l’une des chaînes privées nous a abreuvés de déclarations du genre. Dans le temps, on voyait cela sous une autre forme dans la presse écrite avec mention : «ceux qui ont contribué à la réussite de la visite du Président…» Mais là, c’est encore plus dangereux dans la mesure où l’exercice consiste à décliner carrément la filiation tribale et de parler au nom d’un groupe social déterminé pour remercier en son nom le Président de la République.
La Mauritanie d’aujourd’hui est loin de ce qu’elle aurait dû être si son évolution avait été linéaire. Si la Modernité avait continué à prendre le pas sur le conformisme, on ne serait pas là à tourner en rond sans savoir ce que nous voulons faire de nous-mêmes. La période est propice cependant pour refonder le rêve commun.
La Mauritanie de départ s’engageait résolument contre les structures traditionnelles consacrant les inégalités sociales et le joug d’un arbitraire de naissance. Elle se voulait un pays offrant à ses citoyens le moyen de vivre librement, pleinement leur épanouissement. Elle ne se voyait pas en noir et blanc, mais en kaléidoscope dont la splendeur n’éblouit pas outre mesure. Juste ce qu’il faut de lumières pour éclairer le chemin et les alentours.
La Mauritanie de départ avait imposé l’autorité de l’Etat pour mettre fin aux structures émirales traditionnelles par extinction. Elle avait compris que l’école pouvait servir de creuset et de moule pour le citoyen de demain. Elle a été un cadre d’épanouissement, de rencontre et d’échanges entres des générations de Mauritaniens qui ont ainsi grandi sans prendre conscience de leurs différences d’origines comme des handicaps mais des atouts.
Puis vint la réforme de 1979 qui a consacré la division. L’école a alors formé des générations évoluant parallèlement, sans contact entre elles, sans partage, sans solidarité… Vint la démocratisation après le reflux de toutes les idéologies unitaires et égalitaires. Une démocratisation qui fut d’abord un moyen de reproduction du système inique d’antan. La légitimité du pouvoir très entamée par son passif humanitaire (et économique) dut faire appel aux vieux réflexes sectaires. D’abord l’ethnie, ensuite la région et enfin la tribu, le clan, la caste… Les particularismes deviennent alors un enjeu politique dans le positionnement et le placement. Ils sont cultivés sur la place publique et encouragés par le pouvoir et ses pontes.
C’est une Mauritanie émiettée qui en sort. On n’arrive pas encore à recoller les morceaux. La paresse des acteurs politiques, la mauvaise volonté générale, le manque d’engagement officiel et la propagande ambiante (celle véhiculée par nos médias et notre élite en général), tout cela contribue à exacerber justement ces réflexes sectaires. Comme si nous voulions aboutir à la formation de ghettos politiques et sociaux qui sont appelés à se confronter un jour. D’où la nécessité pour cette élite de réfléchir au plus vite et de converger vers un espace commun, un espace apaisé. La fragilité du pays doit dicter un minimum de circonspection et de sacrifice. L’avenir mérite des sacrifices. On perd beaucoup de temps dans la reprise des vocations de la Mauritanie de départ, ce qu’elle doit être, ce que nous voulons qu’elle soit…