lundi 17 novembre 2014

Ces Jihadistes «made in France»

Il s’appelle Maxime Hauchard. Il a été formellement identifié comme ressortissant français faisant partie des éléments de l’Etat Islamique en Irak et au Levant qui ont exécuté les dix-huit soldats syriens captifs en même temps que l’Américain Peter Kassig dont la décapitation a choqué plus que celle des Syriens.
Je suis sûr avoir croisé plusieurs fois cet homme dont l’image apparait sur toutes les chaines françaises. Plusieurs fois, nous avons été sur la même ligne de prière dans la mosquée que je fréquente. J’avais remarqué qu’il ne maitrisait pas les préceptes et m’étais promis secrètement de l’aborder pour l’inviter à suivre des cours auprès de notre Imam. Mais chaque fois que j’essayais de l’aborder, je sentais un rejet de sa part, une sorte de refus de contact. Je n’insistais jamais, parce que finalement cela m’intéressait fort peu. En revoyant les images, je retrouve le même air détaché, mystérieux, un peu perdu. Je comprends alors son cheminement.
En général, ce sont ces êtres fragiles qui tombent facilement dans le piège de la rédemption par la voie du Jihad. Ils sont parfois les rebus d’une société violente dans ses rapports avec ses individus. Cela se traduit chez eux par un parcours plutôt chaotique qui les mène un moment à la grande délinquance. Il s’agit parfois d’âmes perdues dans le tumulte de la société de consommation et qui cherchent la tranquillité et la sécurité dans une foi rénovée. Pour se retrouver aux mains de gourous qui en font ce qu’ils veulent. Le Jihad est alors présenté comme l’un des piliers de l’Islam. Le ressentiment contre cette société qui était déjà «injuste» et «oppressante», se double d’une conviction qu’elle est «mécréante» et «satanique». Ce qui légitime toute action contre elle et contre l’ordre «inique et arbitraire» qu’elle impose aux hommes…
Au début était la guerre de Syrie, celle menée «pour mettre fin au régime de la dictature de Bachar Al Assad». Poussés par les monarchies de la région, les Occidentaux ont d’abord vu dans cette guerre le moyen de redistribuer de nouvelles cartes et de renverser le rapport de force en faveur d’Israël et de leur politique dans la région. Ils ont alors laissé passer des milliers de combattants vers la Syrie sans tenir compte des mises en garde de leurs diplomates, de leurs spécialistes, de leurs renseignements… Cette guerre a fini comme ont fini celles d’Afghanistan, d’Irak… un chaos indescriptible, une violence générale et une aggravation de la menace contre le Monde.
Pour la France, cela s’est traduit par le départ de plus d’un millier de combattants sur le terrain. C’est le retour de ces Jihadistes qui pose problème et fait débat aujourd’hui dans ce pays. Tant qu’il s’agissait de Maghrébins ou de «colorés», en général, il était facile d’accuser les ratés de l’intégration et le refus supposé des communautés issues de l’immigration d’accepter les règles de la République. La présence de «Français de souche» parmi les Jihadistes, le fait d’en trouver aux premières loges d’une mise en scène macabre et leurs origines sociales (en général des familles de «bons catholiques» et parfois de Juifs convertis à l’Islam), tout cela perturbe les thèses de plus en plus partagées du Front national dont la présidente, Marine Le Pen soutenait il y a peu que le fondamentalisme ne poussait pas «dans les prairies de la Normandie». Même l’élite bienpensante de gauche a commencé à reprendre ces thèses et à adopter les attitudes qui alimentent un racisme ambiant.
Finalement, «leurs» enfants, comme les nôtres, peuvent basculer dans l’horreur et trouver dans la violence une voie de rédemption. C’est ce qui choque le plus ces jours-ci en France, mai aussi dans toute l’Hémisphère nord.

samedi 15 novembre 2014

Le conte qui m’interpelle

Il était une fois «le centre Moawiya» - du nom de l’ancien Président Moawiya Ould Taya qui avait lancé la fameuse campagne de la promotion du livre qui devait combler le vide en matière culturelle, supplanter l’exigence de réforme du système éducatif, occuper les esprits et leur oublier tous les problèmes qui pesaient lourdement sur l’avenir du pays.
A Nouakchott, le «centre Moawiya» devient «le centre culturel de la Commune Urbaine» grâce à l’ancien président de la CUN, Ahmed Ould Hamza qui tente d’en faire un lieu d’échanges culturels et de manifestations. La direction du centre est confiée à Mohamed el Mechri Athié, un professionnel de l’animation culturelle qui essaye de faire du lieu un point de convergence avec l’appui de la nouvelle présidente de la CUN. Tout le monde est donc conscient de la nécessité de donner au «seul centre culturel national de Nouakchott, sinon du pays» ses lettres de noblesse. Ce weekend, le centre reçoit les conteurs… des conteurs qui rivalisaient de talent…
Il était une fois un berger qui possédait un troupeau de moutons. Il aimait naturellement ses bêtes et ne voulait en perdre aucune, sous aucun prétexte. Notre berger était sourd, si sourd qu’il n’entendait absolument rien.
Un jours, il perdit son troupeau et alla de champ en champ le chercher. Au milieu des champs, il tomba sur une femme qui travaillait tranquillement la terre. «Avez-vous vu un troupeau de moutons fraichement tondus ?» La dame, elle aussi sourde, si sourde qu’elle n’entendait absolument rien de ce qu’on lui disait, la dame crut que le voyageur curieux voulait savoir les limites de son champ. «Mon champ, il va de quelques mètres d’ici à plus d’un kilomètre dans cette direction». Merci lui rétorqua le berger, «si je les trouve dans la direction que tu as montrée, je te promets de te donner une bête».
Le berger partit dans la direction qu’il avait cru indiquée. La Providence a fait qu’il retrouva effectivement son troupeau. Il revint sur ses pas, décidé à tenir sa promesse. Mais en route il choisit une bête blessée comme cadeau à la femme qui l’avait quand même aidé. La femme, le voyant transporter une bête qui semblait mal en point, s’inquiéta. «Voilà le mouton que je t’avais promis, madame». En lâchant la bête, la femme vit qu’elle boitait. Elle crut que le berger l’accusait d’avoir fait du mal à sa bête, elle commença à se défendre : «non ! ce n’est pas moi, monsieur ! je n’ai rien fait à ton mouton, d’ailleurs je ne les ai pas vus».
Le ton monte – c’est une façon de parler. L’homme croyant que la femme récusait le mouton parce qu’il était blessé expliqua que «c’est bien la bête promise et de toute façon il n’avait pas d’autre à offrir». La femme elle contestant ce qu’elle croit être une accusation. Enervements de toutes parts avant l’intervention de passants.
Tout le monde finit devant le Juge qui était lui aussi sourd, si sourd qu’il n’entendait rien. Il donna la parole à chacune des parties. Le berger répéta que cette femme avait eu la diligence de lui montrer où se trouvait son troupeau. Il offrit un mouton en signe de reconnaissance. «Mais elle refusa de le prendre voulant avoir à choisir entre mes bêtes celle qui lui convient le plus. Ce n’est pas juste».
La femme raconta sa version, celle d’une cultivatrice qui travaillait tranquillement son champ quand cet homme est venu lui demander les limites de son champ. Il revint un moment après l’accuser d’avoir blessé l’une de ses bêtes. «Voilà, par mon fils, là sur mon dos, je dis la vérité : je n’ai rien à voir avec cette bête».
Le Juge s’absorba dans ses pensées avant de regarder dans la direction de la dame, puis il se pencha pour bien voir le bébé qu’elle portait sur son dos, le regarda longuement et conclut : «Ecoute, vous les hommes, vous êtes incorrigibles. On n’a pas besoin d’être devin pour voir l’étonnante ressemblance entre vous et cet enfant ! Allez prenez votre responsabilité et acceptez qu’il s’agit bien là de votre fils…»
Morale de l’histoire : peut-on s’entendre quand on ne peut pas entendre ? peut-on savoir et comprendre ce qui se passe quand on ne peut pas saisir de quoi il s’agit ?
Qu’en est-il quand on ne veut pas entendre, s’entendre, savoir, comprendre ou saisir ce qui se passe ?

vendredi 14 novembre 2014

La CAN de Issa Hayatou

La Confédération africaine de football (CAF) n’a finalement pas tenu compte des arguments du Maroc qui avait demandé le report de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de janvier 2015. Le Maroc avait invoqué les risques liés à la propagation de la fièvre Ebola pour exiger ce report. Ce pays qui vit du tourisme ne pouvait se permettre de prendre des risques qui sont réels. Les pays de l’Afrique de l’Ouest ne sont pas loin et les moyens pour contrôler tous les arrivants ne sont pas disponibles. On peut toujours arguer que la compagnie Royal Air Maroc (RAM) dessert toujours les pays les plus touchés, mais entre une centaine de passagers à contrôler et des milliers de supporters, joueurs, techniciens et personnels d’encadrement, il y a une grande différence.
Finalement, la CAF a été très sévère avec le Maroc : non seulement la CAN n’aura plus lieu dans ce pays qui s’y était préparé, mais aussi son équipe qui se trouve être l’une des meilleures d’Afrique est exclue de la compétition. D’autres mesures sont promises par le président de la CAF. Elles pourraient aller d’une forte amende, à l’exclusion de l’équipe pour plusieurs années…
Issa Hayatou tenait à sa coupe, il l’a finalement eue en confiant à ses amis de Guinée Equatoriale l’organisation de la compétition. Un pays qui a certes déjà organisé la manifestation, qui a certes les moyens et les infrastructures pour ce faire…
C’est que la Coupe d’Afrique des Nations, comme toute compétition, n’est pas seulement une manifestation sportive qui met en jeu les compétences et le sens tactique des équipes, elle est aussi et surtout une grosse source de revenus. Avec ses sponsors, ses engagements en matière de publicité, la présente CAN dépasse facilement la barre des 200 millions d’euros. Ajouter à ce pactole, les billets, les entrées, les occasions, les trafics… et l’on comprend pourquoi la CAF ne peut se permettre d’en rater une.
Le choix par défaut de la Guinée Equatoriale pose aussi le problème de savoir quelles relations lient le président de la CAF au président de ce pays dont la gouvernance est sérieusement entachée par les atteintes aux droits de l’Homme, par la patrimonialisation des biens publiques… par tout ce qui fait un système prédateur.
Le Maroc qui est déjà fâché contre l’Union Africaine où il a gelé sa présence, va certainement réagir aux mesures disproportionnées de la CAF. Quelle envergure cette réaction va-t-elle prendre ? certainement pas un simple recours à un tribunal international d’arbitrage.

jeudi 13 novembre 2014

A chacun «son» Habib

Il m’épatera encore et encore, mon ami Beddah, celui que vous connaissez tous sous le nom de «Habib»… Je sais aujourd’hui que chacun de ceux qui l’ont connu est convaincu de l’avoir pratiqué, compris à lui seul. Chacun de ceux-là croit qu’il lui a été le plus proche, le plus attaché… Comprenez donc que chacun d’entre eux ait «son» Habib…
Voilà treize ans qu’il nous a quittés… nous ne sommes toujours pas d’accord sur ce que fut Habib, ce qu’a été Beddah. Chacun croit en «un» Habib, «un» Beddah… Personne d’entre nous n’a au fond le droit de remettre en cause cette appropriation, même si parfois elle prend l’allure malsaine d’une «utilisation» (pour éviter de dire «instrumentalisation»)…
On a tendance quand on parle des écrits de Habib de donner une trop grande importance à l’influence de ses lectures «des classiques français» pour en citer les plus connus. Dans aucun moment de toutes les interventions que j’ai entendues ces jours-ci ne fait référence à Frédéric Dard, le père de San Antonio, celui qui a eu sans doute le plus d’influence sur l’écrivain que fut Habib.
Mais en réalité Beddah est le produit d’une culture profondément ancrée dans la tradition Bidhâne. S’il lui arrive de citer un poème de Lamartine – exclusivement «le lac» - ou Apollinaire – exclusivement «sous le pont Mirabeau» - ou encore Alfred de Vigny – exclusivement «la mort du loup» -, ce ne sont pas là ses poètes préférés quand on sait toute l’adoration qu’il vouait à Charles Baudelaire, à Victor Hugo, mais surtout aux parnassiens. Son attachement à l’école des Parnassiens s’explique sans doute par la conception qu’ils ont de l’art qui ne peut servir le social et le politique pour eux. Là réside le second quiproquo qu’on peut relever chez les commentateurs de l’œuvre de Habib : l’homme n’a jamais été porté sur l’engagement politique, ou même sur la réflexion politique. Ce qui ne l’empêche pas cependant de soutenir des causes humanistes nobles mais toujours sans parti pris.
Pour revenir au premier quiproquo, celui qui consiste à croire que Habib est le produit d’une culture française «classique», l’auteur s’est remémoré les poèmes cités plus haut à l’occasion de la découverte de grands génies de nos latitudes. Quand on arrive à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Nouakchott, l’école est en pleine ébullition.
D’abord la présence d’ainés souvent issus du «concours professionnel» qui permet à des instituteurs ayant déjà fait carrière et «roulé leurs bosses un peu partout» de revenir sur les bancs pour compléter un cycle de formation de professeurs. Cette longueur d’avance leur donnait un ascendant certain sur les jeunes bacheliers plus «nouakchottois» que «mauritaniens» et qui se retrouvaient là comme par effraction, au moins par accident. Avec eux, nous redécouvrions M’Hammad Ould Ahmed Youra, Mohammad Ould Adouba, Sidi Mohamed Ould Gaçry sur lesquels ils travaillaient déjà (avec plus ou moins de talent) dans le cadre de leurs mémoires de fin d’année. Les envolées lyriques de l’école tagantoise (du Tagant), le romantisme poignant de l’école du Trarza ont sans doute «poussé» Habib à se concilier avec les auteurs étrangers, romantiques et même symboliques, dont les textes étaient imposés dans le cursus scolaire. La relation avec les textes n’était plus la même : comparés à ceux des nôtres, ces textes prenaient toute l’ampleur de l’humaine condition. Naissaient alors chez lui tous ces questionnements autour du temps qui passe et avec eux la mélancolie, le souvenir toujours pressant du Paradis perdu, le rapport ambigu avec le temps dont on veut faire un lieu.
Il y a eu ensuite cette classe d’enseignants et encadreurs nationaux et étrangers qui ont eu leur influence certaine. Pour ne parler que des Mauritaniens, c’est l’époque où feu Jamal Ould el Hacen faisait sa fulgurante entrée dans les amphithéâtres de l’école dirigée par cette personnalité extraordinaire qu’était Mme Simone Ba, épouse de Ba Bocar Alpha, l’un des bâtisseurs pionniers. L’énergie débordante de la directrice, le professionnalisme de l’encadrement et la compétence du corps enseignant explique largement cette exigence de qualité qui faisait l’ENS de ces années-là.
Il y avait enfin la buvette de l’école qui servait de cadre d’échanges aux étudiants friands de savoirs et d’originalités. Débats politiques animés et certes passionnés, mais aussi discussions philosophiques et littéraires de grand niveau. C’est l’époque où l’on croquait en plein dans le patrimoine culturel local, où l’on découvrait les génies de cette culture que la vie citadine nous avait cachés.
Plus que tous ses compagnons et amis, Habib qui avait grandi dans un milieu dont il n’a rien oublié, était plus disposé à digérer cette culture et à se l’approprier. L’expérience d’Aïoun (Hodh) va approfondir ce ressourcement durant les quatre ans qu’il passera là-bas.

La maturation de l’expérience et de la réflexion amène Habib à animer Mauritanides, la rubrique qui fera sa notoriété. La rubrique du temps qui ne passe pas fixe définitivement la personnalité de l’homme. Pour nous révéler un Beddah qui est la somme de mille et une inspirations qu’il est difficile de circonscrire à sa seule dimension de professeur de Français. Il est beaucoup plus que cela et le restera.

mercredi 12 novembre 2014

Mon voleur à moi

Cela s’est passé lundi dernier. Je circulais tranquillement sur l’avenue Kennedy, en plein jour quand le bip signala l’ouverture de l’une des portières. Le temps pour moi de contrôler et je me retrouve au milieu d’un tintamarre indescriptible. Tous les passants, en voiture ou non, ont vu un jeune ouvrir la portière arrière et prendre un sac où se trouvait mon ordinateur et tous les disques durs que j’avais emportés ce jour-là pour les travailler. Vous imaginez la cacophonie, voire le chaos que cela occasionna.
Le jeune se rendit à l’évidence : impossible pour lui d’échapper. «Je voulais juste te rapporter ton sac qui a été volé par mon ami». Ridicule. Je l’embarquais quand même pour aller à la police. En route, il essaya par tous les moyens de me convaincre de le laisser partir. Mais je ne pouvais me permettre de le laisser parce qu’il m’a parlé d’un second complice, et puis comment relâcher un voleur pris en flagrant délit sans l’amener à la police ? Ce que je fais. On me remet une note – une sorte de reçu pour garder le numéro de la déclaration.
Aujourd’hui on m’appelle au commissariat pour me prier de faire une déposition qui sera à la base de son déferrement. J’arrive et je vois le jeune toujours derrière les grilles.
Je réfléchis alors à un fait : j’ai vu beaucoup de jeunes croupir en prison pendant deux, trois, quatre et même cinq ans pour des vols de réchauds à gaz sans avoir été jugés ; j’en ai vu battus, obligés à sombrer dans le vrai banditisme pour avoir volé un téléphone portable ; j’en ai vu purement et simplement relâchés par les juges alors que leurs forfaits, délits ou crimes étaient beaucoup plus dangereux qu’un vol finalement raté…
Je m’interdisais alors de provoquer plus de malheurs pour ce jeune qui, visiblement, en avait bavé toute sa vie. Quand je déclarai mon intention de retirer ma plainte, les policiers m’entourèrent pour me convaincre du contraire : «C’est à cause de ces attitudes que nous sommes incapables de lutter contre la criminalité. Ce type était 24 heures avant que vous ne l’ameniez. Nous l’avons libéré parce que sa victime avait refusé de déposer plainte. Il va être nouvellement libéré et ira sévir encore…»
J’expliquai alors que s’il est déferré, il aura droit à l’un des traitements suivants : soit le juge le libère faute de place dans la prison et parce qu’il n’a finalement rien volé ; soit il le dépose en attendant un procès dont la tenue prendra probablement des mois, voire des années. A quoi cela peut-il servir ?
Les policiers étaient finalement d’accord. Entre nous la conclusion était celle-là : tant qu’il n’y a pas une réforme en profondeur du système judiciaire, on ne peut pas finalement espérer que la lutte contre la criminalité soit des plus efficaces.

mardi 11 novembre 2014

Pourquoi tant de haine ?

Quelques illuminés nous abreuvent ces jours-ci de discours haineux, appelant parfois au meurtre et au pogrom, parfois soutenant les positions les plus sectaires, des discours vides, toujours dangereux.
Des propos qui fustigent les «Bidhânes» accusés de tous les maux, d’être «esclavagistes», «voleurs», «violeurs», «tueurs»… Des propos dont l’objectif est de dresser non seulement une partie de la communauté arabophone (ou hassanophone) contre l’autre, mais aussi d’exciter la contre-réaction qui ne peut qu’être tout aussi violente, tout aussi aveugle, tout aussi irrationnelle, tout aussi absurde.
Des propos qui nous viennent d’un ancien ministre qui met justement en garde contre «la violence de la réaction des Bidhânes» qu’il tente de légitimer et qu’il promet pour bientôt. Un autre ancien ministre – les disgraciés sont toujours enragés – qui s’excite pour les ressortissants de sa région qu’il juge «exclus, exploités, marginalisés…».
Des propos que tient un prétendu chef religieux qui soutient publiquement que «l’esclavage est un fait de Dieu qu’il faut maintenir». Avant d’inviter à la «neutralisation» de tous ceux qui disent le contraire.
Ils sont quelques vingt au plus trente personnes qui s’activent à envenimer la scène, à exciter les esprits pour finalement créer un désordre ou au moins une atmosphère à même de corrompre la cohésion nationale, de perturber les équilibres sociaux, de semer la zizanie, tout cela afin de déstabiliser un régime dont ils veulent la peau.
On raconte que deux tribus guerrières se sont battues pour un troupeau de chameaux. Pendant toute une journée, le cliquetis des armes et l’odeur de la poudre ont couvert tout le reste. De vaillants guerriers tombèrent de part et d’autres, de valeureux fils de l’une et l’autre des deux tribus perdirent qui une main, qui une jambe, qui un œil… Le soir venu, le combat cessa non pas faute de combattants, non pas parce que l’un ou l’autre des camps l’a emporté, mais parce que toutes les bêtes pour lesquelles les deux tribus se battaient étaient mortes au milieu des combats. Le combat cessait parce que ce pourquoi il se déroulait n’était plus…
…Nous sommes dans une transition qui doit permettre le passage d’un monde vers un autre. Et comme disent les sages, c’est la période propice à l’émergence de tous types de monstres et donc de monstruosités. Le risque est d’autant plus grand que les projets politiques «inclusifs» (ou unionistes) semblent avoir échoué. Le projet national recule considérablement et avec lui le projet démocratique qui souffre aujourd’hui des excès des uns et des autres.
La chape rampante trouve dans ces excès toutes les raisons de stigmatiser la liberté d’expression. Les uns en profitent pour réhabiliter une vision rétrograde du monde et de la condition humaine. Les autres y trouvent une aubaine pour développer racismes et xénophobie, tout ce qui fait les visions fascistes et oppressantes favorables à tous les arbitraires.
Nous avons besoin d’un électrochoc pour nous réveiller. Nous avons besoin de réactiver les lois antiracistes pour limiter les excès verbaux et prévenir la violence dans l’action politique. De réhabiliter la loi et l’ordre pour imposer les approches nationales et non sectaires. De restaurer l’Etat et son autorité qui doit s’imposer à tous. Pour ce faire, il faut rappeler au Président de la République les trois priorités fixées dans son discours d’investiture pour son deuxième mandat : la Justice, l’Ecole et l’Administration. Qu’est-ce qui a été fait depuis pour restaurer, réhabiliter, réformer ? La solution des problèmes du pays commence par la mise en œuvre de ces chantiers et au plus vite.


lundi 10 novembre 2014

Au secours du Faso

C’est sans doute une grande chance pour le Président Mohamed Ould Abdel Aziz que d’avoir à interférer dans la crise du Burkina Faso, ce pays si lointain hier, si distant et si «suspect» quand il avait à sa tête le Président Blaise Compaoré. On ne doit pas avoir oublié le traitement réservé à la délégation présidentielle mauritanienne lors des festivités marquant le cinquantenaire de l’indépendance du pays. Quand aucun responsable n’est venu à l’accueil à l’aéroport de Bobo Dioulasso. Une façon pour Compaoré d’humilier le Président mauritanien et sa délégation. Bien sûr, que beaucoup de choses se sont passées depuis, notamment deux voyages au moins de Blaise Compaoré à Nouakchott où il devait assister à des panels dirigés par le Président Ould Abdel Aziz. A aucun moment, celui-ci n’a laissé transparaitre son ressentiment. Aujourd’hui, Blaise Compaoré est chassé du pouvoir et c’est au Président Mohamed Ould Abdel Aziz, président en exercice de l’Union Africaine (UA) de venir tenter d’accélérer le processus de normalisation.
A son arrivée à l’aéroport de Ouagadougou, le Président Ould Abdel Aziz a commencé par remercier autorités et peuple burkinabés pour «l’accueil chaleureux» qui «ne surprend pasd’ailleurs» parce qu’«on est en terre africaine». Il a vite levé l’équivoque en affirmant que «l’Union Africaine n’est pas venue pour sanctionner les Burkinabés», mais pour participer à la solution de la crise ouverte. «C’est aux Burkinabés de trouver la solution par eux-mêmes, l’Union Africaine est là pour les accompagner». Avant de louer les sacrifices consentis par le peuple burkinabé et son armée. «Nous ne pouvons que les féliciter, les encourager à continuer de travailler dans la tranquillité, la sécurité et la paix sociale» en vue de raffermir le régime démocratique et de normaliser la situation du pays. Il n’a pas oublié de regretter «ce qui s’est passé» notamment les morts et de souhaiter «prompt rétablissement pour les blessés».
Les déclarations du Président en exercice de l’UA sonnent comme un rappel à l’ordre pour le conseil de paix et sécurité (CPS) dont le commissaire avait donné quinze jours aux autorités militaire du Burkina pour remettre le pouvoir aux civils. Une menace qui avait été mal apprécié par le Lieutenant-colonel Isaac Zida, chef de la junte.  
L’arrivée du Président Ould Abdel Aziz à Ouagadougou a coïncidé avec la remise aux militaires d’un «projet de charte de la transition» consensuel, fruit d’un travail laborieux effectué par les partis politiques de l’ancienne opposition, la société civile et les autorités coutumières et religieuses.
Le projet fixe un délai de douze mois pour revenir à un ordre constitutionnel normal. 26 articles qui devront être revus et probablement amendés par la junte. En certains de ses aspects, le projet semble chercher à confier à la transition des missions qui demandent plus de temps, une légitimité certaine du pouvoir et un apaisement des relations. Comme par exemple la question de la réconciliation nationale. Les structures proposées sont lourdes. Le projet propose la mise en place d’une assemblée nationale de 90 sièges répartis comme suit : 40 sièges à l’opposition (dont 28 à reconduire simplement parce qu’ils siégeaient à l’Assemblée), 30 pour la société civile, 10 pour la junte et 10 pour l’ancienne Majorité qui soutenait Blaise Compaoré.
Après l’adoption de la charte (avec amendements ou non), les militaires et les acteurs de la vie publique burkinabée devront se mettre d’accord sur le nom de la personnalité qui devra diriger la transition, ensuite sur les membres du gouvernement qui sera chargé de la gérer jusqu’au bout. Les membres de ce gouvernement et probablement ceux de l’Assemblée ne pourront pas prétendre à des postes électifs durant cet exercice.

Pendant ce temps, le Président Blaise Compaoré multiplie ses sorties pour commenter l’actualité dans son pays. Il a notamment promis une instabilité chronique au Burkina et accusé l’opposition d’avoir fomenté un complot avec l’Armée. Comme quoi, il est difficile d’accepter la déroute.