Le Président, c’est Nicolas
Sarkozy ; le Dictateur, c’est Mouammar Kadhafi. Le documentaire
d’Antoine Viktine raconte la relation qui a lié les deux hommes.
Tout devait les séparer, tout a fini par les réunir, par les mettre
ensemble (c’est différent). L’un est le Président d’une démocratie à laquelle
on prête volontiers le surnom de «Patrie des Droits de l’Homme», l’autre
est un officier nationaliste, arrivé au pouvoir à l’issue d’un coup d’Etat et
qui tient son pays par la pratique quotidienne de la violence, le sac des
ressources de la communauté et l’entretien de milices prêtes à écraser dans le
sang toute velléité de contestation.
Mais le caractère des deux hommes était plus fort que toutes les
considérations humanistes, voire idéologiques. Un caractère fait d’amour de
soi, le mépris des autres.
Tout commence quand le ministre de l’intérieur français qui vise la
présidence de mai 2007, se rend en Libye pour séduire le Guide de la Révolution
libyenne, Mouammar Kadhafi. Nicolas Sarkozy est déjà sous la coupe du Cardinal
Claude Guéant qui réussit à asseoir une relation forte, emprunte d’avidité de
part et d’autre. Mouammar Kadhafi a besoin d’une reconnaissance internationale,
après avoir été classé par les Américains dans la catégorie des parrains du
terrorisme alors que la Libye est fichée dans celle des rogue-states
(Etats voyous). Nicolas Sarkozy, lui, prépare une présidentielle où il se
présente comme le candidat de la rupture. Le colérique qu’il est
gagnerait à donner une image d’homme d’ouverture. Alors que le politique avait
déjà promis de rompre avec les logiques et les méthodes de la Françafrique. Il
veut aussi, par cette démarche envers Mouammar Kadhafi, obtenir la libération
des infirmières bulgares emprisonnées en Libye et considérées par l’Occident
comme otages du Guide excentrique. S’il obtenait cette libération,
Nicolas Sarkozy passerait pour l’homme des situations difficiles, celui des
négociations ardues… Il avait besoin de toutes ces étiquettes dès le début de
sa conquête du pouvoir.
Pourtant il avait promis de combattre les dictatures pendant
sa campagne, de ne jamais s’acoquiner avec les méchants chefs d’Etats qui
ont asservi leurs peuples, d’être aux côtés des peuples opprimés. Ce
qui ne l’empêche pas d’établir des relations privilégiées avec l’un des
dictateurs les plus insolents et des plus violents du versant sud de la
Méditerranée.
22 juillet 2007, les infirmières sont libérées et remises à Madame Cécilia
Sarkozy. L’orchestration de cette libération est d’abord un coup de com pour le
nouveau Président français. Elle est ensuite une tentative de sa part d’éviter
le départ de son épouse excédée déjà par le caractère de l’homme et les
ambitions excessives du politique. Une façon de lui donner un rôle de premier
plan et de lui dire qu’elle a tout à gagner du statut de Première Dame de la
France. Une tentative de corruption vaine parce que Cécilia quittera
Nicolas Sarkozy peu après.
Pour réussir le coup, le nouveau Président français a cour-circuité
la Commissaire européenne chargée des relations extérieures et qui était sur le
point d’obtenir cette libération. Une interférence qui a eu un coût parce qu’on
parle d’un prix payé par la France de Sarkozy au dictateur libyen et à son
entourage. Toujours est-il que trois jours après cette libération (25/7/2007),
le Président Nicolas Sarkozy débarque en Libye où il parle de la signature
d’une dizaine d’accords.
C’est pendant cette visite que le premier clash avec la jeune
ministre chargée des Droits de l’Homme, Rama Yade, a lieu. En réponse à une
boutade de Kadhafi qui s’étonne qu’elle soit ministre à 30 ans, elle répond
sèchement : «vous avez fait votre coup d’Etat pour prendre le pouvoir
alors que vous aviez 27 ans». Ces mots de l’Africaine – c’est comme
ça qu’il la voit – ne plaisent pas au Roi des Rois d’Afrique. Ni
d’ailleurs à Nicolas Sarkozy qui ne cache pas son courroux dans l’immédiat.
Mais le pire viendra.
En décembre 2007, Mouammar Kadhafi, entouré de sa tribu de
serviteurs, débarque à Paris le jour même de la célébration de la journée
internationale des Droits de l’Homme. Il plante sa tente dans les jardins de
l’Elysée et impose son protocole et ses manières à la République française. Ce
qui ne plait pas à tout le monde. Au sein du gouvernement, c’est encore Rama
Yade qui prend les devants. Elle dénonce cette présence scandaleuse à ce moment
symbolique sur le sol français. La presse et les intellectuels prennent le
relais.
Nicolas Sarkozy fait la sourde oreille et préfère se consacrer à la
réalisation de son projet de l’Union méditerranéenne. Il reçoit Hosni Moubarak
d’Egypte, Ben Ali de Tunisie, Bachar Al Assad de Syrie… de tous les dictateurs
de la région, Mouammar Kadhafi est le seul qui boude le projet de Sarkozy. Il
avait déjà apporté un démenti catégorique aux propos du Président français
quand il a affirmé qu’il avait demandé au Guide libyen de faire des efforts
dans le respect des Droits de l’Homme. Son hostilité au projet de l’Union
pour la Méditerranée a envenimé des relations qui étaient appelées à se
dégrader à cause du surdimensionnement de l’égo de l’un et de l’autre
des protagonistes. Nicolas Sarkozy ruminera tranquillement sa vengeance.
Février 2011, il répond instantanément à une démarche du philosophe
français, Bernard-Henri Lévi, celui qu’il avait surnommé avec mépris «le
donneur de leçon du café Le Flore». Le philosophe – le plus sioniste des intellectuels
français – introduit le Conseil national de transition (CNT), devanture de la
rébellion libyenne. Le Président français s’empresse de reconnaitre cet
organisme comme unique représentant du peuple libyen. Il réussit à embarquer la
communauté internationale dans ses élans guerriers, à faire payer l’effort de
guerre par les monarchies du Golfe, notamment les amis du Qatar. Il détruit la
Libye et provoque l’assassinat de Kadhafi le 20 octobre 2011. La disparition
tragique de Mouammar Kadhafi a sonné comme un acte salvateur pour Nicolas
Sarkozy : à la manière des sociétés cultivant la brutalité, il a mangé
l’ennemi ; et du coup il a éliminé un témoin gênant.
On retiendra l’état de déconfiture dans lequel
la Libye s’est retrouvé après l’intervention occidentale. On retiendra surtout
que la haine, le mépris de l’autre, la rancune sont le pire ennemi des valeurs
humanistes, surtout quand ils sont nourris par la soif de pouvoir.
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