En
avril 2012, le pays a été secoué par l’affaire de l’autodafé de Ryad : des
militants de l’IRA avaient répondu à l’appel du président de leur organisation
pour brûler quelques opuscules appartenant à l’exégèse traditionnelle du Fiqh
malékite, autant dire des fondamentaux de la théorie et de la pratique
religieuses dans cette zone du monde. La réaction a été immédiate même si elle
a rapidement pris l’allure d’une orchestration. Partout en Mauritanie, des
foules excitées ont dénoncé «une apostasie gravissime» et exigé «un
traitement violent pour décourager toute hérésie du genre». Certains sont
allés jusqu’à demander «l’exécution immédiate des auteurs de ce crime».
Même
les partis politiques, hier premiers alliés de l’IRA et de son président, n’ont
pas pu résister à l’hystérie collective. Communiqués et marches se succédèrent.
Une, deux, trois voix s’élevèrent pour appeler à la Raison mais personne
n’entendit…
Un
peu moins de deux ans après, nous voilà en face d’une «autre hérésie» et
voilà que notre élite reproduit la même réaction. Avec cette fois-ci le rôle «d’excitateur»
dévolu aux médias privés qui ne sont plus capables de faire de l’information ou
de l’analyse froide. Tout le monde est emballé. Certains organes en font
d’ailleurs un combat personnel. Beaucoup de raisons de s’inquiéter.
Dans
leur déchainement, radios et télés privées – en plus des sites, moins suivis
certes – ont joué le rôle qui devait être celui des organes publics. Il y a été
parfois question de savoir si «on n’avait pas abusé de la liberté
d’expression dans un pays où tout reste à construire». J’ai entendu un
journaliste demander à l’auditeur qui appelait la chaine : «Est-ce
qu’il n’est pas temps pour les organes de presse d’apprécier au préalable à qui
la parole doit être donnée ?» Sans oublier toutes les évocations
franches ou sous-entendues de «la menace de guerre civile» qui pèserait
«si l’on continue à donner la parole à n’importe qui».
La
grande inquiétude est là : il faut éviter que les antidémocrates ne
trouvent prétexte ici pour vouloir limiter l’espace chèrement acquis. Si l’on
ajoute l’atmosphère générale assombrie par la résurgence des discours
hystériques et obscurantistes, l’on est en droit de craindre pour les espaces
de liberté qui n’ont pas qui les défendre. Rappelons-nous que ce qui fait que
nous avons le droit de dire ou d’écrire ce que nous voulons, c’est entre autres
parce qu’il y a des lois qui punissent ceux d’entre nous qui auront versé dans
l’excès ou dans l’affabulation. La loi est là pour réprimer les dérives mais
elle doit sévir seulement après l’exercice du droit à la libre expression.
Autre
grande inquiétude, c’est cette tendance à vouloir faire passer une justice de
la rue. Ce n’est pas à la foule de dicter son verdict aux institutions
spécialisées. Ni à des particuliers de décider de la mort de quelqu’un fut-il
le plus grand et le plus abject des criminels (il faut continuer à demander
l’arrestation de celui qui a mis publiquement à prix la tête du jeune auteur).
Laissez la justice suivre son cours et surtout écoutez ce qu’en dit la seule
institution habilitée à trancher sur ces questions : le Conseil de la
Fatwa. Que l’écrit fonde un débat non pas sur le seul aspect de «la
religiosité» mais sur la réhabilitation de notre Morale sociale, de notre
culture, de notre vie en commun qui exige de nous un minimum de respect des uns
vis-à-vis des autres. Et surtout un respect rigoureux des Institutions.
Qui,
au sein de la Magistrature, peut rappeler le principe de l’indépendance de la
Justice ? qui peut rappeler la présomption d’innocence ? quel
syndicat de Juges peut vouloir tempérer cette hystérie collective ?
…Je
ne sais pas… Je sais cependant qu’aucun syndicat de la presse ne s’est offusqué
des attaques claires et nettes contre la liberté d’expression par les fascistes
qui parasitent débats et réflexion… Rien de ce qui a été dit contre l’exercice
de la liberté d’expression ou contre le métier de journaliste n’émeut visiblement
les organisations chargées de défendre la profession… Pauvres de nous !
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