dimanche 11 août 2013

Le boycott ou le report ?

Après l’annonce de la convocation par le gouvernement du collège électoral devant élire les conseils municipaux et les membres de la future Assemblée nationale, les réactions ont été immédiates.
Dans le camp de la COD, on a annoncé immédiatement vouloir s’acheminer vers un boycott de l’échéance. Chaque parti a laissé ses intentions «fuiter» pour constituer des annonces de première page dans les sites proches ou non de son point de vue. Derrière la violence verbale qui a accompagné les différentes annonces, se cache (mal) la difficulté de pouvoir justifier, avec propositions alternatives concrètes à l’appui, les raisons de ce boycott. Bien sûr qu’on a rappelé la nécessité d’écarter les gouvernants actuels, «disqualifiés par les exercices passés». Une manière de continuer à s’accrocher au leitmotiv stérile du «rahil».
Puis on a remis sur la sellette l’initiative du Président Messaoud Ould Boulkheir, d’une part pour exciter l’homme contre le refus de répondre à ses attentes, d’autre part pour réactiver la vieille proposition d’un gouvernement d’union nationale. La démarche a (relativement) payé.
Parce que le pôle de la Coalition pour une alternance pacifique (CAP) a commencé par hésiter et à poser des conditions comme s’il n’était pas co-auteur du processus qui devait fatalement ouvrir sur des élections plus ou moins consensuelles. Prétextant que la décision de convoquer le collège électoral a été faite sans la consultation du groupe de suivi des résultats du dialogue. Alors que la loi ne prévoit pas l’implication d’une telle structure dont le travail consistait à faire aboutir tous les textes de lois établis lors du dialogue entre cette partie de l’Opposition et le Pouvoir. L’un des résultats du dialogue étant la mise en place d’une CENI qui prend en charge et complètement les élections. Le choix de cette CENI a d’ailleurs été fait en commun accord entre les «dialogueurs».
Même dans le camp de la Majorité, des voix se sont élevées pour dire qu’il ne restait pas assez de temps pour choisir les candidats au niveau de toutes les circonscriptions électorales. «Les missions de l’UPR viennent de partir et les dépôts des listes communales doit se faire à partir du 13 août…»
Toutes ces hésitations et ses commentaires créent une atmosphère qui rappelle l’avant-6 juin, quand le candidat Ould Abdel Aziz s’obstinait à fixer le 6 juin (6/6), alors qu’il engageait des négociations à Dakar. Avec cette (grande) différence : il n’y a pas de négociations en cours pour trouver un terrain d’entente. D’ailleurs, les protagonistes politiques mauritaniens ont perdu le contact depuis début 2011 quand ils ont choisi de s’invectiver par voie de presse au lieu de discuter tranquillement derrière les rideaux. Que peut-on espérer aujourd’hui ?
Deux scénarii :
·         Les choses restent tel quel, sans concession de l’un ou l’autre des protagonistes, sans facilitation. Les élections se feront avec ceux qui les accepteront, à savoir ceux de la Majorité et de la CAP qui ne se dédiront pas en cours de route. Avec aussi les nouveaux partis, ceux des jeunes notamment. Le syndrome de 1992 est là : avec une dominante très prononcée Pouvoir et une mise à l’écart de l’Opposition qui devra lutter pour ne pas rester définitivement sur le carreau.
·         On arrive à une formule où l’on verrait les élections reculées, probablement une ouverture plus ou moins conséquente de la CENI au pôle de la COD, la nomination d’un ministre de l’intérieur plus ou moins proche de cette Opposition radicale… ou même la constitution d’un gouvernement d’ouverture… On voit bien que c’est le jeu que tente de faire aboutir la CAP dont certaines des composantes ne veulent pas d’élections à terme. Si l’on trouve une formule, le Pouvoir pourra s’éviter des élections décrédibilisées par l’absence d’enjeux politiques et risquées pour le peu d’intérêt qu’elles susciteront.

Tout est possible en Mauritanie et avec les acteurs que nous avons. Parce que ce qui les sépare ne relève pas de l’analyse froide, ni de l’appréciation raisonnée, encore moins de la démarche équitable. Ce qui les sépare, c’est d’abord l’aversion qu’ils ont les uns pour les autres, l’impression qu’a chacun de s’être laissé avoir par l’autre, la conviction chez chacun qu’il n’y a pas assez de place pour tous…

Le jour où chacun acceptera que c’est à lui-même qu’il doit s’en prendre pour ses échecs, le jour où chacun acceptera de reconnaitre ses erreurs pour ne jamais les répéter, le jour où chacun assumera ses choix et jouera franc-jeu, le jour où chacun saura exactement ce qu’il veut, le jour où chacun s’occupera plus d’arriver à dessein que de travailler pour l’échec de son voisin…, ce jour-là, nous établirons les passerelles pour un dialogue serein, nous nous écouterons les uns les autres et nous saurons que pas grand-chose ne sépare les protagonistes politiques de chez nous, qu’ils auraient pu se retrouver dans la même formation ou du moins converger vers l’intérêt général de la Nation.

samedi 10 août 2013

Incorrigible Justice !

Le pays a beau vouloir lancer un nouveau code d’investissements, créer une Zone Franche, offrir les meilleures conditions pour les investissements…, il n’en fera jamais assez pour garantir aux investisseurs la fructification de leurs capitaux si le système judiciaire continue de donner des signes notoires de faiblesse, d’incompétence et/ou d’inféodation.
Les récentes mesures de mise en liberté conditionnelle après dépôt de cautions de personnes accusées à tort ou à raison d’avoir dilapidé les biens publics ou d’avoir usé de corruption, ont révélé combien la réforme de la Justice est encore à faire. Dans l’urgence si l’on veut que les efforts entrepris soient couronnés de succès…
Une réforme avortée en 2007 après un bon départ. En effet, nommé inspecteur, le Magistrat Seyid Ould Ghaylani diligente une enquête menée dans les règles de l’art. Cette enquête permet d’identifier une trentaine de Magistrats aux méthodes plus ou moins récusables. Il propose au Conseil de la Magistrature qui se tient sous la présidence du chef de la junte de l’époque de procéder à la radiation de dix d’entre eux et à la rétrogradation de la vingtaine restante. Sur la base des preuves apportées et après avoir entendu les intéressés.
Pendant l’enquête et juste à la veille de la tenue du Conseil en question, éclate le conflit entre quelques jeunes Magistrats et leur tutelle. Six d’entre eux démissionnent. Entretenant l’amalgame autour des deux dossiers (qui n’ont rien à voir pourtant), le Président du Comité militaire et président du Conseil de la Magistrature accepte cette démission mais refuse à son ministre de prendre les mesures de rétorsion contre ceux des Magistrats accusés d’incompétence ou de corruption. Prétextant que ce «travail de fond» devra être entrepris par les autorités «légitimes». Alors que l’un des engagements du CMJD était de réformer la Justice…
C’est ici qu’il faut situer l’avortement de la réforme effleurée en cette période de transition. On n’y reviendra plus. Tous les projets visant à améliorer les prestations de la Justice sont abandonnés ou mis en œuvre sans conviction.
Le département sombre aujourd’hui dans un état de pourrissement où l’on se demande désormais à quoi servirait l’indépendance de l’Appareil judiciaire si ceux qui ont en charge de prononcer et d’ordonner l’exécution des jugements, si ceux-là sont dans l’incapacité intellectuelle ou morale de rendre justice ? 

vendredi 9 août 2013

L’excuse, toujours présente

L’excuse – pas au sens de la reconnaissance de son erreur et du repentir, mais au sens du (faux) prétexte pour justifier la faute – est une spécialité de l’homme mauritanien qui n’arrive jamais ou pratiquement jamais à reconnaitre son erreur.
L’autre jour, je m’apprêtais à passer un feu qui a viré au vert au moment où je l’atteignais, une petite (et vieille) voiture a failli me percuter parce que le chauffeur avait brûlé le feu. Situation anodine à Nouakchott où le respect du code de la route est une valeur absente. Seulement, je fus choqué par la voiture qui arborait fièrement les plaquettes de «l’auto-école Tijikja». Ma relation sentimentale avec l’une des plus vieilles cités de Mauritanie, une cité qui a donné beaucoup de cadres qui ont loyalement servi ce pays, une cité où le taux de diplômés est certainement supérieur à la moyenne des autres régions…, cette relation avec la ville m’interpella. Surtout qu’il s’agissait d’une auto-école, là où l’on apprend aux autres à conduire les voitures, là où l’on enseigne les règles du code de la route… Je ne devais pas laisser passer. Je fais en sorte d’être au niveau du chauffeur pour lui demander : «Comment un maître d’auto-école peut brûler un feu rouge ?» et lui de répondre : «Je ne l’ai pas vu».
Aqbahu maa qiila vil i’tidhâri, l’une des plus moches excuses qu’on puisse avancer en pareil cas. Mais le Mauritanien ne se gêne jamais : ce n’est jamais de sa faute s’il commet une bourde, s’il enfreint une loi, s’il commet une injustice… C’est toujours «mahu ibghardhi» (cela ne découle pas de ma volonté). Vous n’entendrez jamais : «Pardon, c’est de ma faute», «toutes mes excuses, je n’ai vu que je commettais une faute»… mais plutôt «tu étais trop prêt», «je n’ai pas vu mais je suis déjà là», «tu m’as perturbé»…

C’est bien parce que nous ne reconnaissons pas nos fautes que nous les répétons. C’est parce que nous répétons les mêmes fautes que nous avons l’impression que l’Histoire bégaie et qu’elle nous fait constamment revenir sur nos pas. Et c’est bien parce que nous revenons constamment sur nos pas que nous n’avançons pas.

jeudi 8 août 2013

Jour de fête et barbe noire

Nous n’avons pas eu à attendre toute la soirée : très tôt, la commission de surveillance des mouvements lunaires a déclaré que le jeudi sera le jour de fête, la fin du jeûne. Le discours du Président Ould Abdel Aziz avait été enregistré à toutes fins utiles.
On le voit debout, avec une barbe. C’est un nouveau look qui doit vouloir dire quelque chose sinon pourquoi l’adopter ?
La station debout rompt avec le traditionnel discours déclamé derrière un bureau avec en arrière-plan une bibliothèque qui comprend entre autres «Kitab al aghani» de son auteur Abu Faraj al Asphahani, une sorte d’encyclopédie éditée en 25 volumes pour environ 10.000 pages. Rassemblée en 897à Ispahan (Isphahâne en Arabe), cette encyclopédie a servi à passer à la postérité une partie du patrimoine poétique de la sphère arabo-islamique, avec explication de textes et de contextes. On ne sait pas quel lien entretiennent nos présidents avec cette encyclopédie, s’ils la lisent par exemple ou s’il s’agit tout simplement d’un décor. Depuis le temps qu’on se pose cette question sur les éléments visibles de cette bibliothèque présidentielle présentée toujours comme arrière-plan des sorties du Président. Le choix de faire le discours debout, signifie-t-il le début d’une nouvelle ère dans la construction de l’image présidentielle ?
Arrive la barbe qui semble être une «survivance» du Ramadan. Du coup on peut penser qu’on trouve en haut-lieu que la barbe est un signe religieux prononcé, qu’elle est quelque part la preuve d’un aboutissement religieux. D’ailleurs le Président Ould Abdel Aziz avait dit dans l’un de ses discours «vifs» en s’adressant à ses détracteurs : «…ils ont des barbes et ils mentent…», comme si le fait d’en avoir signifiait quelque chose en termes de piété et de rigueur morale.
Pour célébrer l’évènement et ne pas rester indifférent au nouveau look du Président de la République, j’ai choisi de vous proposer en lecture le seul «traité» connu sur la question, le Mauritanides de Habib Ould Mahfoud sur La barbe, traité à méditer en la circonstance :

«Il faut bien qu'un jour ou l'autre la question vous rattrape: "Pourquoi ne laisses-tu pas pousser la barbe?" Pendant le Ramadan les risques de s'entendre poser cette terrible question poilue sont multipliés par 30.
La barbe a toujours été l'un des moteurs de l'histoire de l'homme. Dans un remarquable ouvrage sur la question, bizarrement élaboré par 3 femmes et, moins bizarre, édité avec la collaboration de Gillette chez Nathan, on apprend par exemple que la barbe se déploie avec 15000 poils, pousse de 14 centimètres par an et que son rasage prend 6 mois de la vie d'un homme. Un homme qui ne se raserait pas aurait une barbe de 9 mètres de long à la fin de sa vie (espérance de vie européenne, bien entendu, l'Africain aura une barbe moins longue de 30 ans).
"Pourquoi ne te laisses-tu pas pousser la barbe?"
La barbe, mon vieux, c'est toute une histoire. Le philosophe polonais Jerzy  Jedlicki, "père de la barbologie politique", s'intéresse de très près à "la dialectique des poils et du pouvoir". Il s'en est expliqué à un magazine français (EDJ, 10-9-92): "A toutes les époques, dans toutes les cultures, le pouvoir s'est intéressé à la manière de se coiffer de ses citoyens. Il voyait dans leurs cheveux et leur barbe un symbole du soutien ou de l'opposition à son égard... C'est vrai que ces dernières années le pouvoir s'est moins occupé du poil des citoyens. Mais le conflit à ce sujet peut reprendre d'un moment à l'autre. Il suffit d'observer les rapports entre les états arabes laïcs et les barbus islamistes pour s'en convaincre".
Remontons un peu dans le temps pour voir quand est-ce que ce problème a commencé à se poser. Contrairement à ce que les mauvais esprits pourraient penser, la barbe ne s'est pas imposée aux premiers musulmans parce qu'il n'y avait pas mille façons de se raser. (L'histoire du rasage signalée plus haut distingue  l'âge des cavernes où l'homme se valait avec un silex, puis la période romaine où l'on se dépilait avec de la graisse d'âne, du sang de chauve-souris et de la poudre de vipère, puis la période allant de la chute de l'Empire romain d'Occident (476?) à 1900 où l'on se rasait à coups de bidules genre couteaux. Il fallut attendre 1972 pour voir le rasoir à double lame, 1979 pour le rasoir à tête pivotante).
Non ce n'est pas faute de moyens de rasage qu'on se laissait pousser la barbe aux premiers temps de l'Islam. C'est plus profond, si l'on ose dire. A la base du port de la barbe se trouve le besoin de fuir la Fitna (séduction trouble, sédition) qu'occasionnaient, bien sûr, les femmes, mais aussi les jeunes garçons sans barbes (Amrâd). Il ne faudrait pas oublier que l'homosexualité et la pédérastie étaient choses courantes en ces temps-là à tel point que Quanâwi, dans son "Kitab Fath'al Rah'man", écrit, page 16: "Le jeune garçon imberbe est comme une femme. Pis encore, le regard porté sur lui est autrement criminel que celui qui est porté sur une femme étrangère". Et de conseiller aux maîtres des écoles coraniques, qui sont de par leur fonction, "hélas, en contact avec les garçons sans barbes", de tourner le dos à leurs élèves pour ne pas succomber à la tentation.
Ibn Al Wardi dans sa fameuse "Lamia", cite parmi "les choses" à fuir les chansons, les poèmes d'amour, le vin, les farceurs, les belles femmes, les instruments de musique et les garçons imberbes sur lesquels il insiste par le vers: "Ne te laisse point égarer par leurs croupes dodues et séduisantes". Là, évidemment, Ibn Al Wardi confond le côté pile avec le côté face mais, enfin, on ne va lui tenir rigueur de ne rentrer dans notre démonstration.
Si un homme vous demande donc de vous laisser pousser la barbe, répondez-lui que vous êtes déjà marié. Comprenez aussi que vous le troublez ou qu'il craint de se laisser séduire par votre menton glabre comme un genou. C'est un problème de tentation. La barbe fut à l'honneur ainsi chez les anciens Arabes qui étaient au moins aussi farfelus que les Punks de notre époque barbare, si l'on en croit Mazahéri: "Ainsi, un bourgeois promenait une belle barbe demi-teinte soit en bleu, en jaune, en vert ou en rouge. Un ouvrier ou un esclave avait une petite barbe taillée court. Les notables, médecins, cadis, professeurs, imams avaient le menton orné d'une très longue barbe blanche comme neige, tandis que celle des militaires se partageait en deux touffes du plus noir". (In "vie quotidienne des musulmans", p. 70).
Je préfère ne pas penser à ce qu'aurait pu être une réunion du Comité militaire de Salut national de cette époque-là. Actuellement nous n'avons que le très pieux ministre de la Défense, le colonel Minnih, qui fait des efforts méritoires en arborant un bouc de taille modeste. Il attend sans doute le prochain remaniement ministériel pour le partager "en deux touffes". Mais il teindra sans doute sa barbe en jaune et vert, lui.
Notre président lui s'est épargné les affres du choix des teintures en se rasant chaque matin. Aurait-il eu à teindre sa barbe qu'il l'aurait teinte, vous l'avez déjà compris, en blanc avec une très belle diagonale bleue.
Ahmed Ould Sidi Baba, le président du RDU, aurait eu une barbe bleue, Ould Mah une jaune, Mustapha Ould Mohamed Salek une barbe orange et Ould Daddah une barbe blanche.
Vous savez ce qui tue notre gouvernement? L'absence de barbe.
Oh! Il y a bien ça et là quelques maigres touffes de poils mal irrigués, quelques mentons qui piquent, mais pas de barbe vraiment conséquente. Le ministre de la Justice a bien 4 à 5 centimètres de barbe mais il a intérêt à se raser au plutôt. S'il continue à se singulariser, on va le trouver suspect.
Cette tragique absence de barbe convaincante chez nos gouvernements s'explique peut-être par ce passage du traité de Shams Dine Al Ansari, "Kitab Siâssa Fi Ilm il-Firâssa": "L'homme supérieur, raisonnable, intelligent, philosophe éveillé, averti, savant, fin connaisseur des hommes, est un homme qui porte une barbe..." CQFD.
Allez, revenons. Le port de la barbe est donc d'abord une distinction, une marque de virilité affichée, un refus d'amour homosexuel, une protection en quelque sorte de soi, mais aussi des autres, de "la tentation". Ce serait une provocation de se raser la barbe et s'exposer ainsi aux regards des autres hommes.
Au début de ce millénaire, les hommes "sans barbe" comme nous avons dit étaient très prisés et pas seulement les "ghilmân" si chers à Abu Nawas. Ibn Youssef At Tifashi (mort en 1253) dans un traité inédit très cru consacre de longs chapitres à la manière de repérer les jeunes imberbes qui se prostituent et comment les séduire (Nuzhat Al Albab... cité par A.W. Bouhdiba, p. 175 de l'Essai sur la sexualité en Islam). Un manuscrit de la même époque, signalé par Al Munajjid, traite du même sujet en plus de 2000 vers. Ainsi de suite...
Plus le temps passait, plus la barbe s'affichait comme un signe de respectabilité. La mythologie grecque a rendu célèbre la barbe des satyres. Dans la civilisation arabe le satyre justement n'a pas de barbe. Et ceux qui les séduisent non plus.
Tout se passe comme si l'Arabo-musulman passait son temps à se boucher les oreilles pour ne pas entendre la syrinx de Pan et à se fermer la bouche pour ne pas en jouer. La barbe constitue chez nous un enjeu beaucoup moins anodin qu'on ne le croit.
Au cours des siècles, les chevelus de la planète allaient donner à la barbe une valeur hautement subversive. La barbe depuis le XIXème siècle rime désormais avec contestation de l'ordre établi. Le pouvoir était glabre et bien coiffé (on se rappellera de la touffe hirsute du baathiste en chef Khattri Ould Jiddou qui allait s'assagir et diminuait à mesure qu'il se confirmait dans son poste gouvernemental. Même processus pour le nassérien Rachid Ould Saleh).
Des révolutionnaires russes aux joyeux chevelus des sixties, la barbe avait épousé le non. Les Islamistes ramenèrent la barbe sous les feux de la rampe à la fin des années 70 avec l'accession au pouvoir en Iran d'un mégabarbu du nom de Ruhollah Khomeiny. Le Moyen-Orient est traditionnellement terre chevelue depuis Enoch (Idriss).
De 1980 à 1988 eut lieu la première grande confrontation entre attributs pileux. Irak contre Iran. Moustaches contre barbes.
Dans notre histoire à nous, le poil fut à l'honneur chez les Kadihines, le plus puissant mouvement de contestation que connut le pays. Avec la démocratisation le seul parti non autorisé fut l'Oumma qui regroupe des Islamistes de tout poil. L'homme qui rata la présidence d'un cheveu, à la tête de l'opposition fut le (légèrement, c'est vrai) barbu : Ahmed Ould Daddah qui devint ainsi la bête noire et poilue du glabre Maaouya Ould Taya.
"Pourquoi ne te laisses-tu pas pousser la barbe?"
"Ne nous induis pas en tentation" deviendrait-elle "Ne nous induis pas en opposition"?
Il est assez étrange que la signification de la barbe islamique ait changée du tout au tout au fil des siècles. De signe de pouvoir "bourgeois", elle est devenue déclaration de guerre, révolte, marginalisation de soi contre l'ordre du monde.
C'est peut-être mieux. Chacun donnera à sa barbe le sens qu'il voudra. La guerre des barbes aura bien lieu un jour. Attention! Il n'y a pas que les barbes que l'on voit. Il en est d'autres, "morales" si l'on peut dire.
"Pourquoi ne te laisses-tu pas pousser la barbe"?
Laquelle des barbes, barbe-pouvoir, barbe-opposition ou barbe-à-papa?»

mercredi 7 août 2013

La MINUSMA, le fiasco assuré ?

C’est ce lundi que le Représentant du Secrétaire général des Nations Unies pour le Mali et commandant de la MINUSMA, cette mission des casques-bleus déployée au Mali, a été reçu par le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz. Selon le responsable onusien, l’entretien a surtout porté sur le processus politique engagé dans ce pays avec notamment la perspective du second tour de la présidentielle. L’émissaire n’a pas mentionné dans ses déclarations la question de la participation de la Mauritanie à la MINUSMA, encore moins l’état du déploiement de la force et son rôle. Pourtant, rien n’est plus sûr de ce côté.
Pour ce qui est de la participation mauritanienne, elle a été compromise par les suspicions exprimées plus ou moins clairement par la partie malienne.
Il y a quelques mois, le président par intérim Dioncounda Traoré demandait à la Mauritanie de participer à l’effort de maintien de la paix au Mali. Il réitérait cette demande lors de sa visite à Nouakchott en mars dernier. Doléance à laquelle la Mauritanie répondait favorablement. S’en suivit la préparation des troupes, par ailleurs très coûteuse.
Puis les Mauritaniens devaient apprendre par certains de leurs alliés dans la région, que les Maliens ne souhaitaient pas les voir se mêler de l’opération. Et surtout qu’ils n’entendaient absolument pas les laisser se déployer dans l’aire de Tombouctou qui est a plus proche de la frontière mauritanienne.
Quand en juin dernier, le Premier ministre mauritanien, Dr Ould Mohamed Laghdaf et le chef d’Etat Major des Armées le Général de Division Mohamed Ould Ghazwani sont dépêchés à Bamako, c’est pour en discuter et non des des modalités du déploiement des 1800 hommes prévus par la Mauritanie. La partie mauritanienne s’entend dire que ce déploiement ne peut se faire sur les terres maliennes proches des frontières mauritaniennes. Une première proposition indique Douentza, cette ville du pays Dogon, non loin de Mopti, plusieurs fois cible des attaques terroristes durant la première phase de l’opération Serval.
La logique développée par les Mauritaniens est simple : pour être le plus efficace possible, les forces mauritaniennes auront besoin d’être en contact avec leurs bases arrières pour assurer logistique et couverture. Aussi est-il attendu que ce soit nos forces qui subissent le plus de pression de la part de l’ennemi. Il n’est pas question de les envoyer sur un terrain inconnu, en milieu hostile, loin de tout appui certain pour eux… Ce serait tout simplement suicidaire.
Rien à faire, les autorités provisoires maliennes n’ont pas voulu comprendre. La réaction des nôtres a été immédiate : renoncement à participer aux forces de la MINUSMA. Puis ce sont les Nigérians qui, sous prétexte de mener une guerre chez eux, ont commencé à retirer leurs forces déjà déployées elles. Parce que les conditions fixées par les standards de l’ONU en matière d’équipements de casques bleus et la manière avec laquelle les autorités maliennes entendent diriger et encadrer les opérations n’augurent rien de bon pour les forces déployées.
On s’attend dans les semaines à venir, surtout après les opérations antiterroristes en Tunisie, à un reflux des combattants islamistes vers le Nord du Mali, dans cette région située à la frontière du Niger, du Mali, de l’Algérie…, à portée des bases arrières installées en Libye. Ce reflux sera certainement suivi par une recrudescence des opérations de harcèlement menées par les terroristes.
Les Français ne sont plus là sur le terrain, les Tchadiens se retirent après avoir subi le plus lourd tribut, les forces de la MINUSMA n’ont pas vocation guerrière…, alors qui va les défendre ? les forces Maliennes ? les Sénégalais ? les Béninois ? …En plein désert et devant des unités combattantes aguerries et déterminées, quelle armée régulière africaine peut tenir ?

Jusque-là, la Mauritanie a bien réagi. D’abord en menant une guerre préventive visant à éloigner d’elle la menace. C’était en 2010-11 et 12, quand tout le monde refusait de réagir. Cette expérience lui a permis une remise à niveau de son Armée et le déploiement de plusieurs unités spécialisées dans la lutte contre le terrorisme. Elle lui a permis aussi d’assurer le contrôle de ses frontières. Quand la guerre du Mali a éclaté, elle a assuré à deux moments : au moment où les bandes terroristes agissaient comme si aucun Etat de la région ne pouvait leur tenir tête, et au moment où l’opération Serval a été lancée, à chaque moment les combattants d’Al Qaeda ont évité de se frotter aux Mauritaniens, comme si l’objectif pour eux était de ne pas leur donner un prétexte d’intervention. Ils savent ce que cela leur aurait coûté sur le terrain. Qui a peur de qui désormais ?

mardi 6 août 2013

Il était une fois le 6 août (7)

Nous sommes mercredi 6 août, un mercredi comme celui du 12/12/84, comme celui du 3 août 2005… Ceux qui ont l’habitude d’écouter Radio Mauritanie tôt le matin apprennent dès 7 heures que le Président a limogé les principaux chefs de corps : le cabinet militaire de la Présidence, le Chef d’Etat Major de l’Armée, celui de la Gendarmerie, de la Garde et le Directeur de la Police.
Ce serait un communiqué qui n’a pas suivi les procédures légales pour devenir un décret. Dans la précipitation, le Président a voulu agir. Sous quelles pressions ?
On s’attendait à tout sauf à cette décision et à cette heure. «Tayhet el vejer», comme à la vieille tradition des guerriers Maures qui choisissaient toujours ce moment de la journée (ou de la nuit) pour s’attaquer à leurs ennemis. On estime qu’à ce moment-là, toute réaction est pratiquement impossible. Un coup d’Etat …civil qui vise la destitution des militaires devenus «encombrants». Le prétexte développé plus tard est que «les généraux préparaient une prise de pouvoir par les Parlementaires à l’issue de manifestations qui se dirigeront vers la Présidence». Mais les civils ne semblent pas avoir calculé leur «coup». Ils sont arrêtés un à un : le Président Ould cheikh Abdallahi, son Premier ministre Yahya Ould Ahmed Waqf, son ministre de l’intérieur Mohamed Ould Rzeizim, le président du conseil économique et social Ahmed Ould Sidi Baba et le directeur de l’ANAIR Moussa Fall. Les Mauritaniens ont droit à suivre en direct le processus d’une prise de pouvoir finalement heureuse parce que n’occasionnant pas d’effusion de sang.
Quoi qu’en disent leurs détracteurs, il est clair de leur attitude que les militaires n’avaient pas prévu de prendre le pouvoir. D’ailleurs il faut dire que deux visions s’opposaient ici. La première, celle d’une génération à laquelle le Président Ould Cheikh Abdallahi a appartenu croit ferme que «tout problème a une durée de vie : il nait pour se développer et mourir, le défi pour l’homme étant de supporter cette durée de vie». La seconde est celle de la génération des officiers comme Ould Abdel Aziz qui réagissent aux situations, un peu à la manière d’un réflexe de survie, «quitte à voir après». Si la première porte les germes de la destruction par l’inaction, la seconde inquiète pour ce qu’elle suppose d’improvisation.
Ce n’est qu’en fin d’après-midi ce jour-là que le putsch est décidé. La première mouture proposée est de créer un Haut conseil d’Etat comprenant cinq personnalités militaires (les chefs de corps démis) et cinq personnalités civiles (les présidents des deux Chambres, le chef de file de l’Opposition démocratique, le président du conseil Constitutionnel et celui du Haut conseil islamique). Ce conseil aura à gérer une transition au terme de laquelle tous ses membres s’engagent à ne pas se présenter. Les politiques ne marchent pas : tout ce qui peut les exclure du jeu ne peut être accepté.
On pense alors à un gouvernement d’union nationale avec pour mission de préparer une présidentielle. Nouveau refus des politiques. C’est ce qui explique le retard pris dans la mise en place du gouvernement qui comprendra quand même d’éminentes personnalités du RFD, lequel procèdera ultérieurement à leur exclusion.
Un Front national de défense de la démocratie (FNDD) est créé par ceux qui sont opposés au putsch et qui entendent le faire échouer. Les députés affiliés aux partis APP, Adil, UFP et Tawaçoul refusent un premier temps la convocation du Parlement par les nouvelles autorités.
Sur le plan extérieur, le Président Nicolas Sarkozy déclare sur RFI : «Franchement, le malheureux continent africain, il en a connu (des coups d’Etat, ndlr) et pas seulement dans la période récente. Sur la Mauritanie, vous connaissez bien ça puisqu’on a souvent vu un coup d’Etat sans manifestation et sans protestations si ce n’est celles de la France, lorsque le président démocratiquement désigné a été retenu.» Et le président français de préciser : «Moi-même je l’ai appelé, moi-même j’ai exigé qu’il soit libéré. Enfin, force est de constater qu’il n’y a pas eu un député, un parlementaire qui a protesté et qu’il n’y a pas eu de manifestations.» Il ne se suffit pas de commettre un mensonge – il n’a jamais appelé Ould Cheikh Abdallahi – mais il laisse la porte ouverte à tous les retournements ultérieurs.
La Mauritanie est alors divisée en deux camps farouchement opposés. Messaoud Ould Boulkheir martèle : "le général Aziz ne sera jamais président de la Mauritanie, nous ne le permettrons jamais" et "le putsch ne réussira jamais, le putsch a été vaincu, les putschistes sont en déroute". Le Président Ould Cheikh Abdallahi déclare qu'il serait prêt à discuter de "l'avenir des institutions du pays", "une fois le putsch mis en échec", dans un discours diffusé par la chaîne de télévision Al-Arabiya repris par une dépêche de l’AFP.  "Une fois le putsch mis en échec, je serai ouvert à tout dialogue ou réflexion portant sur l'avenir des institutions du pays, dans le cadre de la Constitution et des lois de la République, dans un climat de tolérance et de pardon, au service de la cohésion et de l'unité de la Nation". L’initiative lancée par le président de l'Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir (encore lui), propose "une sortie de crise" qui passerait par "le retour au pouvoir" du président "pour une période déterminée, suffisante pour l'organisation d'une élection présidentielle" à laquelle il ne participerait pas.
Mais le général Ould Abdel Aziz est déjà lancé politiquement. Il multiplie les sorties où il promet "une lutte sans merci contre la corruption et le détournement des deniers publics", accusant le président renversé de s'être "évertué à favoriser un climat propice à la corruption" tout en favorisant le népotisme et la gabegie. Le Général s’engage aussi à livrer une "lutte sans merci contre le terrorisme sous toutes ses formes et quelles que soient ses causes dans le cadre des obligations et des engagements internationaux en la matière". Il promet de "lutter efficacement contre l'immigration clandestine, le trafic de drogue et le crime organisé" en Mauritanie. Tout un programme de gouvernement.

Mais il faudra attendre l’Accord de Dakar pour voir le monde politique adopter une feuille de route visant à restaurer la démocratie en Mauritanie. Un gouvernement d’union nationale ayant en charge d’organiser une élection présidentielle consensuelle et une possible ouverture sur l’avenir. Le 18 juillet 2009, le Président Ould Abdel Aziz est élu au premier tour avec 52% des suffrages. L’opposition se réveille avec la gueule de bois… elle court depuis derrière une reprise du processus…

lundi 5 août 2013

Il était une fois le 6 août (6)

Nous avons vu comment les Mauritaniens ont été amenés à construire sur de faux fondements : le processus de transition de 2005 a été largement entaché par l’interférence des militaires dans les élections de 2006 et celles de 2007, plus pour la présidentielle que pour les législatives et municipales. Ce qui n’a pas empêché acteurs et partenaires de parler d’«exemplarité» en jugeant du déroulement et de l’issue de l’élection.
A l’époque, une ancienne cadre du FMI, devenue diplomate et impliquée dans le processus politique mauritanien, disait qu’elle avait «l’impression de voir se développer le même argumentaire quand le pays a dû justifier les faux chiffres : on a l’impression que les Mauritaniens veulent nous convaincre qu’ils ont trompé tout le monde en faisant croire à la naissance d’un modèle, qu’il s’agit maintenant de reconnaitre qu’ils ont menti et fait mentir les autres et donc de  reprendre le processus».
La convergence entre la volonté de reprendre du service pour les caciques de l’ancien régime, la soif de participer à l’exercice du pouvoir et les velléités de s’approprier la manne au plus vite, entre ça et ça, la classe politique est aveuglé et oublie de faire une analyse juste des rapports de force. Elle s’engage dans des «manœuvres», le «développement d’une tactique», l’«occupation du terrain», le «déploiement d’effectifs», le «lancement d’opérations»… une terminologie qui fait vite de l’espace politique un théâtre d’opérations militaires. Très vite l’image d’une conjonction entre les «victimes des militaires en 1978» (ceux qui ont perdu le pouvoir le 10 juillet 1978) et les «victimes du 3 août 2005» (ceux qui l’ont perdu à cette date-là), cette image est surexploitée par les politiques qui veulent déstabiliser le pouvoir de Ould Cheikh Abdallahi qui a choisi de revivifier de vieilles amours.
La décision de démettre les principaux chefs de corps, en pleine nuit et par simple communiqué (non un décret) est la goutte qui fait déborder le vase. La maladresse du premier tireur entraine le pays sur la voix de l’instabilité. Le coup d’Etat s’en suit naturellement.
Quand les partenaires exigent le retour à l’«ordre constitutionnel», on peut se demander de quel ordre ils parlent ? Selon le camp du 6 août, la violation de l’ordre constitutionnel a commencé par le refus du Président élu de laisser courir le processus déclenché par la motion de censure contre le premier gouvernement de Ould Ahmed Waghf. Puis le refus de la tenue d’une session extraordinaire de l’Assemblée nationale. Et enfin par les manœuvres qualifiées de «dilatoires» et visant à débaucher les parlementaires frondeurs.

Les divergences personnelles entre les leaders politiques – décidément incorrigibles – créent des positionnements graves : le Chef de file de l’Institution de l’Opposition Démocratique et son parti reconnaissent et justifient ce qu’ils croient être «un mouvement de rectification». Anticipant le coup d’Etat, l’un des députés RFD annoncera sur Al Jazeera (le 4 août au soir) que «le vrai changement arrive». La lecture de la situation de l’époque impose au RFD de se positionner comme il le fait. Mais le problème du parti, c’est que la logique suivie n’a pas été l’objet d’un «marché politique» avec les militaires mais une position «découlant nécessairement de la situation», celle qui fait que tout changement de gouvernement ne peut plus signifier pour le parti que la prise de pouvoir directe. C’est bien après les fameux «Etats généraux de la démocratie» où une candidature «probable» du Général Ould Abdel Aziz est évoquée, que le RFD commence à prendre ses distances. Ça, c’est une autre histoire, revenons au 6 août…