vendredi 6 février 2015

Al Qaeda, Boko Haram, Da’esh…

Il y a eu d’abord Al Qaeda, nébuleuse née des manœuvres antisoviétiques en Afghanistan. Ici, les combattants arabes, appelés à la rescousse, sont entrainés et encadrés par la CIA avec le soutien financier des monarchies du Golfe. Mais très vite, l’organisation prend forme, se nourrit de ses victoires sur les troupes soviétiques, puis sur les troupes afghanes non affiliées aux Talibans et commence à s’autofinancer. Le monstre qui nait ainsi se retourne contre ses commanditaires américains.
La première vocation d’Al Qaeda est d’abord la lutte anti-impérialiste, anti-américaine, sur la base de fatwas religieuses rendant licite et même obligatoire la guerre contre les régimes arabes et musulmans soutenant ou non la guerre contre le terrorisme qui sera le moteur de l’idéologie des néoconservateurs qui font main basse sur l’administration américaine à la fin des années 90 et au début des années 2000. Les extrêmes se nourrissant les uns des autres, chacun servira de prétexte à l’autre pour engager une guerre mondiale.
Côté Al Qaeda, un débat interne commence au lendemain des attentats du 11 septembre. Quel bénéfice l’organisation en a tiré ? quels préjudices ont-ils causé pour l’Islam et les Musulmans ? faut-il combattre aveuglément les Occidentaux ou les traiter selon un ordre de priorité qui définit le degré d’inimité ? faut-il être équitable (inçaav) envers les opinions publiques qui font pression sur leurs gouvernements pour empêcher leur implication dans les conflits en terre d’Islam ?
Beaucoup de questions qui vont occasionner des débats mais surtout de fortes dissensions au sein de la nébuleuse. C’est dans cette atmosphère qu’arrive une génération spontanée de tueurs qui reprochent à Al Qaeda de prendre en considération le jugement des autres. Pour eux, semer la terreur participe à la réussite du Jihad. Nait le concept de «l’administration de la barbarie» (idarat il wahshiya) qui consiste à massacrer de la pire manière pour frapper les esprits. On n’est plus en face des combattants d’Al Qaeda qui cherchaient à frapper «l’ennemi» mais en respectant plus ou moins certaines règles (qui n’atténuent en rien le caractère criminel des actes, mais qui ne cherchent pas absolument à déshumaniser leurs procédés).
Le passage de l’acte criminel au nom d’une cause à l’acte barbare et aveugle, équivaut à un retour à la bestialité. C’est ce qui est recherché à travers cette formule idarat il wahshiya, ce qui peut être traduit soit par «administration de la barbarie», soit «la gestion de la bestialité», ou encore «l’exercice de la sauvagerie», sinon tout ça ensemble (barbarie, bestialité, sauvagerie dans l’exercice du pouvoir). Si l’on ajoute le concept de «nikaya» qui, lui, exprime le dépit vis-à-vis de l’autre, on aura compris le soubassement idéologique nihiliste de Da’esh et de Boko Haram.
Quand les frères Kouachi s’abstiennent de tirer à l’aveuglette dans la rue ou qu’ils décident de ne pas tuer le directeur de l’imprimerie où ils ont fini leur course, et qu’ils préfèrent tuer des gens en uniforme, ils impriment ici le cachet Al Qaeda de leur action : après avoir «tué Charlie» - la cible principale -, les deux terroristes n’ont pas cherché à faire des victimes parmi les civils.
Contrairement à Amedy Coulibaly dont le premier geste en entrant dans une épicerie kasher a été de tirer sur les premiers civils croisés pour en assassiner cinq au moins. Amédy Coulibaly travaille sous l’étendard de Da’esh et donne à son action un cachet encore plus violent parce qu’il tue sans chercher de raison donnée, même si par ailleurs il vise la communauté juive.
Tout ça pour dire que le Monde musulman fait face aujourd’hui à une guerre sans merci entre les deux nébuleuses, Al Qaeda et Da’esh. Ce sera à celui qui va le plus tuer et de la manière la plus inhumaine, comme par exemple l’assassinat par le feu (destin tragique du pilote jordanien). Les mutations de Boko Haram, la secte nigériane, nous renseigne mieux sur les nuances malheureuses qu’on doit comprendre dans les manières de l’une et l’autre des organisations terroristes.
Reste à savoir comment faire pour empêcher que ces organisations soient accueillies, soutenues par les populations qui ont toutes les raisons de haïr leurs gouvernements. On sait déjà que ces organisations n’affichent pas la Palestine et la cause palestinienne comme priorité, ce qui les condamne à terme aux yeux des populations de la région arabe. Mais ailleurs ?
Elles vivent ici et là sur les clivages ethniques, religieux et surtout sur «le chaos constructif» dans lequel baigne la région depuis les différentes guerres conduites par les Américains pour abattre tel ou tel régime nationaliste. C’est pourquoi elles s’inscrivent forcément dans l’architecture de la stratégie mise en œuvre par les Etats Unis d’Amérique en vue de dominer le Moyen-Orient et d’éviter à Israël l’encerclement inévitable.
Le premier ennemi de Da’esh et de Al Qaeda est bien l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah (au Liban). La guerre que mènent ces deux organisations en Syrie et en Irak sert la politique de containment déployée pour écraser l’Iran. Du coup, l’action vise tout ce qui résiste politiquement et militairement à Israël.

Deux points de convergence entre les deux stratégies, celle des organisations terroristes et celle des Etats Unis d’Amérique : instaurer un chaos dans la région arabe pour permettre une reconstruction accentuant l’émiettement de la région, de manière à tuer toute velléité d’autonomie de la décision mais aussi toute capacité de développement ; et détruire le bloc de la résistance face à l’hégémonie israélienne. Assez pour se poser des questions…

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