Quelques semaines après son arrivée à la tête de la
Communauté urbaine de Nouakchott (CUN), Maty Mint Hammady est surprise par
l’ultimatum de Pizzorno, la société française qui a eu en 2006 le marché de
nettoyage de la ville de Nouakchott.
Le marché avait suscité des curiosités malsaines, fondées
ou non, à l’époque où l’on soupçonnait les détracteurs du régime de la
transition d’avoir été «extrêmement complaisant avec l’opérateur français»
qui aurait profité du lobbying de l’ancien ministre François Léotard.
Selon une enquête de Rue89, «fin 2007, {le ministre} aurait fait office d’intermédiaire
pour le compte de l’entreprise française de recyclage Pizzorno afin de
remporter l’appel d’offres pour la gestion de la décharge de Tunis. Du lobbying
auprès du clan Ben Ali, juteusement récompensé de 120 000 euros par
an.
Par la suite, il a
rejoint le conseil d’administration de l’entreprise et poursuivit son rôle de
lobbyiste en Mauritanie où Pizzorno a remporté le marché pour la collecte des
déchets à Nouakchott, la capitale».
Pour 112 millions d’euros, la
société Pizzorno s’engageait à enlever les ordures de la capitale sur une
période de 10 ans par l’intermédiaire de sa filiale DRAGUI Transport
Mauritanie. La société entendait engager 600 salariés pour remplir sa mission
qui a effectivement commencé le 1er juin 2007. Sept ans après, la
société est en conflit ouvert avec les autorités mauritaniennes.
En mai dernier, quelques
semaines après la mise en place du nouveau bureau de la CUN dirigé par Maaty
Mint Hammadi et un mois avant le lancement de la campagne présidentielle, l’opérateur
français envoyait un ultimatum pour dire qu’il suspendrait toute activité tant
que les arriérés qui lui sont dus ne seront pas payés.
Le 12 juin, il rendait
public un communiqué dans lequel il expliquait : «La filiale mauritanienne du Groupe subit d'importants
retards de paiements, dont le montant s'élève à ce jour à plus de 10 M€. En
raison de ces difficultés, amplifiées ces derniers mois, le Groupe a été amené
à interrompre temporairement ses activités le 26 mai dernier afin de
sensibiliser, par cette ultime action, les autorités au respect des termes du
contrat.
Notre filiale a donc proposé un arbitrage pour une solution amiable préservant les intérêts de chacun. Cette proposition n'a pour l'instant pas trouvé de réponse positive auprès de notre client, cependant le Groupe PIZZORNO Environnement met tout en œuvre pour régulariser cette situation avec les autorités compétentes».
Notre filiale a donc proposé un arbitrage pour une solution amiable préservant les intérêts de chacun. Cette proposition n'a pour l'instant pas trouvé de réponse positive auprès de notre client, cependant le Groupe PIZZORNO Environnement met tout en œuvre pour régulariser cette situation avec les autorités compétentes».
Tout en expliquant que les impayés résultent notamment «d’une
convention de révision des prix et les intérêts moratoires non payés depuis
2008, conformément à l’application des contrats objets de l’exécution de la
mission de PIZZORNO». Toujours selon les explications fournies à la presse,
l’entreprise aurait écrit au directeur général de l’Agence de
Développement Urbain (ADU) pour solliciter «le règlement de 50% du montant
dû afin de permettre à la société d’acquérir un certain nombre de matériel
roulant pour remplacer un parc vieux de 7 années, en date du 27 octobre 2013».
En arrêtant ses activités à un moment aussi marqué par les
événements politiques, il est clair que la société française mettait la
pression sur la Mauritanie sans toutefois attendre les résultats de l’arbitrage
demandé. Le litige a finalement atterri devant les juridictions mauritaniennes
parce que la CUN a été plus prompte à déposer plainte.
Restait pour la CUN et pour sa présidente fraichement
désignée de relever le défi d’assurer la propreté d’une ville tentaculaire. Avec,
en prime, une mentalité de ruraux qui n’ont aucun sens de l’organisation de l’espace
citadin et l’hostilité d’un environnement politique et médiatique qui exigeait
tout et maintenant.
Malgré le manque d’expérience dans le domaine, la CUN
choisit de faire face par elle-même. Aujourd’hui, près d’une centaine de
camions – 92 exactement – et une douzaine de chargeurs travaillent jour et nuit
pour assurer le ramassage des ordures dans une ville où certaines zones sont
inaccessibles. Sur le plan social, l’action de la CUN a permis d’engager
quotidiennement 1300 personnes en moyenne, payées 2.400 UM par jour de travail.
Au début, les difficultés étaient énormes. D’abord la
nécessité de tout créer, ensuite la mobilisation des financements et enfin la
méthode de travail. Mais aujourd’hui, la situation a nettement évolué. Moins d’ordures
dans les rues, des équipes de veille ont été déployées dans la ville, les
poches de dépôts d’ordures sont traitées quotidiennement mieux qu’avant… L’hivernage
n’est pas un facteur favorable, mais on peut dire que «quelque chose a été
fait» pour parer au plus pressé et pour éviter d’être pris en otage par l’opérateur
français.
Cela coûte naturellement à la CUN : au lieu de la
moyenne des 370 millions UM (environ) qu’il fallait verser mensuellement, la CUN
en verse aujourd’hui un peu plus que 400. Ce pactole doit être prélevé sur les
enveloppes de projets qui devaient servir à la ville et ses habitants. Il s’agit
là d’un sacrifice qu’il fallait faire pour la bonne cause. En attendant, soit
de trouver un accord avec l’opérateur français (rien n’est définitivement
exclu), soit de lancer un nouvel appel d’offres pour donner le marché à un
autre opérateur. Pour le moment, on peut dire que la présidente de la CUN s’en
tire plutôt bien.
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