mardi 23 septembre 2014

La révolution ratée (2)

Dans le cas mauritanien, l’intellectuel islamiste Mohamed el Mokhtar Echinguitty présente le coup d’Etat du 6 août 2008 comme étant l’acte «contre-révolutionnaire» qui a fait l’effet d’une IVG sur le processus politique mauritanien. On entend souvent certains de ses amis soutenir : «notre révolution nous a été volée». Pour expliquer ensuite que le renversement de Ould Taya en 2005 est la conséquence de la lutte menée par la mouvance islamiste contre le régime de l’époque.
Il est incontestable que les chefs de cette mouvance étaient bien en prison quand survint le coup d’Etat contre Ould Taya. Mais cela en fait-il «le mouvement qui a provoqué la chute du régime» ? Une analyse rapide de la situation d’alors nous permet de mieux apprécier.
Le 3 août 2005, deux à trois jeunes officiers forcent la main à leurs ainés pour les amener à accepter le coup de force contre le Président Maawiya Ould Sid’Ahemd Taya. Même s’ils compromettent leur projet en le «cédant» à une partie de la vieille garde militaire, c’est une «révolution tranquille» qu’ils proposent à l’espace politique à ce moment-là laminé, lessivé et à bout.
Par la voix du vrai auteur du coup, le colonel Mohamed Ould Abdel Aziz, la proposition faite tourne autour d’une transition qui va durer au maximum 19 mois et qui servira à élire des conseils municipaux nouveaux, une Assemblée nationale et un Sénat, pour clôturer le processus par une élection présidentielle. Le gouvernement aura pour mission de mettre en place les structures et institutions à même de garantir la régularité et la transparence de toutes ces élections. Le principe de l’absolue neutralité de l’administration ainsi que l’interdiction pour les hauts responsables de la transition de se présenter, sont autant de garanties pour arriver à cela. Tout comme la création d’une Commission électorale indépendante (CENI) et d’une Haute Autorité de l’audiovisuel et de la presse (HAPA).
Ce sont bien les militaires du CMJD (comité militaire pour la Justice et la démocratie) qui vont proposer et organiser des journées de concertations pour amener l’espace politique à fixer les nouvelles règles du jeu.
Concertations, neutralité et ouverture de l’espace pour assurer la pluralité sont autant d’éléments qui ont fait espérer une rupture profonde avec le passé.
L’interférence des ainés parmi les officiers dans le jeu politique va créer le phénomène des Indépendants qui gangrèneront l’espace politique le corrompant à jamais. Si bien que quand on arrive à la présidentielle, ultime étape du processus, le jeu est déjà affecté et corrompu.
Arrive le pouvoir civil qui est salué comme une étape de cette «révolution tranquille». Très vite il rompt avec le principe de la concertation. Il accuse des reculs notoires dans le domaine de la liberté d’expression. La manigance politicienne prend le dessus. Et dès la première semaine de la deuxième année, il marque un virage avec le grand retour d’une classe politique profondément marquée par les exercices du passé. C’est peut-être à ce moment-là qu’il faut situer le déclenchement de la contre-révolution avec notamment la restauration d’une nomenklatura qui est responsable des dérives qui avaient mené le pays dans l’impasse. Le 6 août 2008 n’est qu’une tentative de reprise en main par les auteurs du premier coup d’Etat, de leur projet initial. Ils ont eu finalement le courage d’aller au bout pour exercer par eux-mêmes le pouvoir. Non sans de solides soutiens au sein d’une classe politique qui a jusque-là fonctionné sans prendre l’initiative, toujours en se contentant de réagir sinon d’accompagner.
C’est bien cette classe politique qui a été incapable de faire front pendant près de 13 ans (janvier 1992-août 2005), préférant les divisions stériles, les voltes-faces et les traitrises au travail en commun.
Quand 19 candidats se présentent à la présidentielle de 2007, les deux premiers – Sidi Ould Cheikh Abdallahi et Ahmed Ould Daddah - sont des ministres du gouvernement renversé le 10 juillet 1978. Tous deux technocrates, étrangers au monde des politiques. En trente ans d’activisme, les groupuscules et mouvements politiques ont été incapables de présenter une figure consensuelle.
Quand le premier coup d’Eta (3 août 2005) intervient, les partis politiques se contentent de soutenir au lieu de proposer et d’imposer un agenda et un contenu à la transition qui s’ouvrait. Ils sont incapables de dénoncer et d’anticiper sur les conséquences du jeu politique qui se déroule, et participent même au lifting de l’ancien régime.
Quand le deuxième coup d’Etat (6 août 2008), l’Institution de l’Opposition démocratique offre son soutien et participe même aux Etats généraux de la démocratie qui préparent le terrain à la conquête «civile» du pouvoir par le Général Mohamed Ould Abdel Aziz. Lequel n’a aucun mal à ramener tous ses opposants à la table de négociation, à leur faire signer un accord qui ouvre sur le gouvernement d’union qui a pour mission d’organiser l’élection présidentielle, avant de les battre au premier tour d’une élection dont ils détenaient les clés (ministères de l’intérieur, des finances, de la communication, de la défense, la CENI…).
Nos hommes politiques ne sont pas des «révolutionnaires». Ils sont encore profondément marqués par les conservatismes et les mentalités héritées du monolithisme qui a façonné leurs esprits… ce qui explique amplement le ratage de «la révolution».

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