lundi 1 octobre 2012

Le plus authentique des Bidhânes


Il n’appartient pas à cette communauté, le plus authentique de cette communauté. Il est un mélange, comme tous les grands de cet espace ouest-africain dont il est une parfaite illustration.
Né saint-louisien en milieu Wolof, Doudou Seck est un Pulaar dont la famille vient de la région de Boghé. C’est son grand-père, Abdalla Cheikh Seck qui serait le premier à se faire connaitre par le milieu savant et commercial du N’darr (Saint-Louis) de l’époque (18-19èmes siècles). Un N’darr foisonnant de richesses et d’échanges intercommunautaires. Cadi, il est très vite adopté par les locuteurs arabes qui venaient chercher refuge auprès de ce grand érudit qui parlait parfaitement leur langue.
Quand il eut un enfant, il lui donna le prénom de Mokhtar (élu, choisi) et le surnomma Ibn El Moghdad en souvenir d’un soufi marocain qui avait marqué l’époque par un passage dans le sud-ouest de ce qui sera la Mauritanie et dont le centre était N’darr justement. Ce fils aura des enfants qui sont : Souleymane Seck, Aynina Seck et Doudou Seck. C’est ce dernier qui sera adopté par les Bidhânes sous le nom de Wul Ibn El Moghdad. C’est lui qui a accompagné es colons comme interprète, comme guide en territoire saharien.
Nombreux ceux parmi nous qui, aujourd’hui ne veulent retenir de l’homme que ce côté «collabo». Je ne suis pas de ceux-là car je trouve qu’il est aisé de faire le procès d’une époque qui a fini quand même par donner un pays, la Mauritanie, avec une capitale, des structures étatiques et un ancrage dans la Modernité. On peut pleurer un passé fortement remanié aujourd’hui, continuer à ruminer ce passé en nous disant : «comment aurions-nous été si la colonisation n’avait pas été ?»
Mais on peut aussi ne pas nous attarder sur ce qui n’a pas été pour voir ce que nous pouvons retenir de bien de ce qui a été. Ne pas oublier, voire célébrer ce qui peut l’être…
Nous sommes à Moudjéria – El Mijriya, selon la prononciation locale - où vit feu Mohamed Abdallahi Wul Hacen le début d’une carrière administrative qui va en faire l’un des premiers serviteurs accomplis du futur Etat mauritanien. C’est un peu un poste créé «pour» Abderrahmane Wul Sweid’Ahmed, Emir du Tagant, haut lieu de la résistance de l’espace Idaw’ish. Les Français acceptaient – reconnaissaient même – l’autorité de l’Emir sur cet espace qui a vu se développer l’une des plus glorieuses pages de la résistance.
Le jeune interprète reçoit un message de Wul Ibn El Moghdad, résident à Saint-Louis. Il lui demande de transmettre un gav – une sorte de quatrain, la plus concise composition de la poésie bidhâne – à l’Emir Abderrahmane, surnommé Ddaane qui était justement de passage à Moudjéria.
«lahagli lilli maa tikhtiih
khaçla min khaçlaat ehl il mulk
‘anni taari wunni nibghiih
imeshiili deyra vissilk»
…de la manière la plus adéquate dans la culture Bidhâne, Doudou Seck demandait à l’Emir, tout en l’auréolant de tous les attributs du pouvoir (de la propriété), de lui envoyer une «pincée de tabac» par… le fil (du téléphone de l’époque).
«Je comprends la partie qui concerne ehl el mulk, il veut me rappeler ma descendance esclave du côté de ma mère. Mais que veut-il dire par deyra vissilk ?» Les questions de Ddaane doivent toujours avoir des réponses. L’intelligence fulgurante et légendaire de Wul Hacen explique : «On pourrait comprendre qu’il veuille l’argent pour en acheter…» Réplique de l’Emir : «Prends ton salaire, le mien et celui de tout ressortissant Idaw’ish et envoie-lui tout». Ce qui fut fait.
La première rencontre entre l’Emir et Wul Ibn El Moghdad avait donné un échange mémorable. Malheureusement je n’en récite que les deux premiers gav. Wul Ibn El Moghdad qui dit, parlant de sa bien-aimée qui le trahissait selon tous ceux qu’il rencontrait à N’darr :
gaaridh-li vil ‘arraad
haadah ilkhalq innejbar
garidh-li viiha zaad
dhaak erraajil le’war
Certains disent que Wul Ibn El Moghdad parlait du griot Le’war Wul Ngdhey. En fait, la tournure était authentique car on dit, en milieu Bidhâne que l’état de charme est la conséquence d’une dénonciation «satanique», de Satan (Ibliis) qu’on décrit comme étant un homme borgne. Et pour dire, d’une manière détournée que vous êtes épris d’une femme, vous associez cela à une «révélation»/«dénonciation» du «borgne».
On raconte que dans l’assemblée où le poète a déclamé ce quatrain, se trouvait l’Emir qui s’était offusqué qu’un «étranger à sa culture» puisse la manier et se l’approprier aussi adroitement.
nibghi nagbadh lawça
lhaadha zaamil lekwar
ya’melni nukawça
ya’malni nuçandar
Comme quoi, pour l’Emir, le fait de redresser, à coups de bâton, ce négro vaut bien d’être mis aux arrêts et d’être discipliné (militairement). Wul Ibn El Moghdad lui répondra et la joute continuera dans les règles de l’aristocratie de l’époque. J’y reviendrai un jour, avec probablement les échanges avec ses contemporains. En attendant, sachez que Doudou Seck est l’auteur de :
yakta’ biik enta ye shaytaan
ma dhaalak ‘ayid-li wahla
shidawr ev-shaybaani sudaan
maa yitmallak zeghba kahla…

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